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Date : 20040423

Dossier : IMM-2249-03

Référence : 2004 CF 606

OTTAWA (ONTARIO), LE 23 AVRIL 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX                                    

ENTRE :

                                                                 SERHII TRYUS

                                                                                                                                        demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Dans la décision qu'il a rendue le 20 février 2003, un commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a conclu que Serhii Tryus (le demandeur), un citoyen de l'Ukraine âgé de 25 ans, n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[2]                Le demandeur avait allégué craindre avec raison d'être persécuté en Ukraine du fait de son appartenance à un groupe social, les Tziganes.


[3]                Le tribunal n'a pas cru l'allégation du demandeur que sa mère était d'origine tzigane et il a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité sur ce point. Le tribunal a aussi conclu que deux autres aspects du récit du demandeur n'étaient pas plausibles.

[4]                Pourtant, le dossier du tribunal contient une pièce, soit un document non daté délivré par le ministère de l'Intérieur de l'Ukraine qui se présente comme étant un extrait des archives, volume 35/15, qui porte le titre [traduction] « Avis de naissance d'un enfant, délivré à la citoyenne Tryus V.V. (nom de fille Kravtsova V.V.), une Ukrainienne d'origine tzigane, eu égard à la naissance de son fils Tryus Serhii Mikhailovich le 9 juin 1977 » .

[5]                Il appert que le tribunal n'ait pas renvoyé à ce document dans ses motifs, document qui apparemment confirme l'origine tzigane de la mère du demandeur et corrobore son témoignage quant au lieu de naissance de sa mère et où elle a été élevée, une région peuplée par les Tziganes. Le document corrobore aussi les renseignements que son certificat de naissance renferme, sauf en ce qui a trait à son second prénom, qui est différent.


[6]                L'avocate du défendeur a invoqué le principe bien connu selon lequel un tribunal n'a pas à faire référence, dans ses motifs, à chaque élément de la preuve documentaire soumise, mais qu'il faut présumer qu'il a pris en considération toute la documentation qui lui a été présentée. Elle a affirmé que, de toute façon, la conclusion en question n'avait pas été déterminante dans la décision du tribunal. Je n'accepte pas l'argument du défendeur.

[7]                Premièrement, d'après moi, le principe que le juge Evans (alors membre de la Section de première instance) a énoncé aux paragraphes 16 et 17 de ses motifs dans l'affaire Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, s'applique. Ces paragraphes sont rédigés comme suit :

¶ 16      Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

17      Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[8]                Deuxièmement, la conclusion qu'il n'était pas d'origine tzigane était déterminante quant à sa crainte de persécution et à son refus de répondre aux rappels de se présenter pour faire son service militaire.

                                        ORDONNANCE

Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal en date du 20 février 2003 est annulée et la demande d'asile du demandeur est renvoyée à un tribunal différemment constitué. Les parties n'ont pas demandé la certification d'une question.

« François Lemieux »

                                                                                                                                                                  

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                     COUR FÉDÉRALE

                                                     

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2249-03

INTITULÉ :                                        SERHII TRYUS

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

ST. JOHN'S (TERRE-NEUVE)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 19 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                       LE 23 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Nicholas P. Summers                POUR LE DEMANDEUR

Susan Inglis                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

NEWFOUNDLAND & LABRADOR LEGAL AID POUR LE DEMANDEUR

ST. JOHN'S (TERRE-NEUVE)

MORRIS ROSENBERGPOUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA      

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