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Date : 20060629

Dossier : IMM-5272-05

Référence : 2006 CF 835

Toronto (Ontario), le 29 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

ENTRE :

JAMES EFFI TERIGHO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision d’une agente d’immigration de ne pas recommander que le demandeur soit dispensé des exigences relatives à l’obtention d’un visa pour des motifs d’ordre humanitaire en application du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. 

 

[2]               Le demandeur, citoyen du Nigeria, est arrivé au Canada en janvier 2002 et a demandé l’asile. Il s’est marié avec une citoyenne canadienne le 21 mai 2003. Sa demande d’asile a été refusée en janvier 2004, et sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire a été rejetée. Sa demande initiale de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été transmise en décembre 2003. Cette demande était accompagnée d’un parrainage de son épouse et comprenait les documents suivants : attestation de la célébration du mariage, preuve d’emploi pour lui-même et son épouse, bail résidentiel, confirmation de l’existence d’un compte bancaire conjoint avec son épouse, pièces d’identité, lettres d’amis, photographies de la célébration du mariage et photographies du couple en d’autres circonstances. Le demandeur a fourni des renseignements additionnels en décembre 2004 et en février 2005.

 

[3]               Le demandeur et son épouse ont été convoqués à une entrevue le 29 juin 2005.

 

[4]               Dans sa décision en date du 22 août 2005, l’agente a indiqué qu’elle avait examiné le cas du demandeur tant sur le plan des motifs humanitaires qu’au regard de la politique relative au soutien des conjoints, mais qu’elle ne croyait pas à l’authenticité de ce mariage. L’agente a observé que les réponses données par le demandeur et par son épouse durant leur entrevue comportaient de [traduction] « nombreuses divergences ». Elle a relevé plus particulièrement six questions et réponses. Elle a ensuite conclu qu’elle n’était pas convaincue de la bonne foi du mariage et déclaré que les facteurs d’ordre humanitaire étaient insuffisants pour justifier une dispense.

 


Questions en litige

[5]               La principale question en l’espèce consiste à se demander si l’agente a commis une erreur en concluant que le mariage du demandeur et de son épouse canadienne n’est pas authentique et si elle a fait abstraction d’éléments de preuve pertinents dont elle était saisie. Le demandeur a aussi soulevé des questions d’équité procédurale et de crainte de partialité qui, à mon avis, ne sont pas étayées par la preuve. Compte tenu de mes conclusions quant à la question principale, il n’est pas nécessaire que j’aborde ces questions.

 

Norme de contrôle judiciaire

[6]               La norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions rendues en vertu de l’article 25 est celle de la décision raisonnable. Il convient de faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193.

 

[7]               L’évaluation du caractère raisonnable de la décision ne consiste pas à se demander si le décideur est arrivé au bon résultat. Comme l’a déclaré le juge Iacobucci dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748 au paragraphe 56, est déraisonnable une décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, un tribunal de révision qui examine une conclusion suivant la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe des motifs au soutien de la décision. Voir également l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, aux paragraphes 55 et 56.

 

L’agente a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la bonne foi du mariage?

[8]               L’agente n’a pas cru à l’authenticité du mariage du demandeur en raison de divergences qu’elle a relevées entre les réponses du demandeur et celles de son épouse au cours de leurs entrevues individuelles. Dans sa décision, l’agente a identifié six questions dont elle a jugé les réponses incompatibles, parmi plus de quarante questions posées au couple durant les entrevues. Elle n’a fait aucune allusion à la preuve documentaire produite au soutien de la demande. Le demandeur avait présenté un nombre considérable de documents de la nature de ceux généralement soumis avec les demandes de parrainage pour démontrer le caractère authentique du mariage, par exemple une confirmation de l’existence d’un compte de banque conjoint, des documents fiscaux dans lesquels chacun avait désigné l’autre comme son époux et un bail résidentiel établi au nom des deux conjoints. En outre, un dossier médical volumineux faisait état de traitements chirurgicaux sérieux subis par l’épouse et désignait le demandeur comme le parent le plus proche et la personne à contacter en cas d’urgence.

 

[9]               Il existe en général une présomption selon laquelle un tribunal, par exemple un agent qui évalue une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, a tenu compte de toute la preuve à son dossier. Cependant, lorsque des éléments de preuve pertinents contredisent une conclusion du tribunal quant à une question essentielle, le tribunal a le devoir d’analyser ces éléments de preuve et d’expliquer dans sa décision pourquoi il ne les accepte pas ou pourquoi il leur préfère d’autres éléments de preuve portant sur cette question. Plus ces éléments de preuve sont pertinents, plus grande est l’obligation du tribunal d’expliquer les motifs pour lesquels il ne leur accorde pas de valeur probante : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (QL) (C.F. 1re inst.); Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 N.R. 236, 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.).  

 

[10]           Indiscutablement, la preuve documentaire présentait une grande pertinence quant à l’authenticité du mariage. Lorsqu’on a demandé à l’agente, au cours du contre‑interrogatoire sur son affidavit, pourquoi elle n’avait pas mentionné les documents dans sa décision, elle a répondu, en substance, qu’ils ne représentaient qu’un seul élément de preuve et qu’elle préférait se fier aux entrevues personnelles avec les conjoints et à son appréciation de la cohérence de leurs réponses à ses questions. Il appert donc que l’agente a fait totalement abstraction des documents et a fondé sa décision uniquement sur l’opinion qu’elle s’est faite à la suite des entrevues. Je ne doute pas que les entrevues constituent un outil efficace pour démasquer les cas de fraude dans le traitement des demandes fondées sur des motifs humanitaires, mais le résultat de cet exercice ne libère pas l’agent de l’obligation d’analyser adéquatement les autres éléments de preuve. Son omission à cet égard constitue une erreur donnant lieu à révision.

 

[11]           Au-delà de cette conclusion, je comprends mal en quoi les divergences relevées par l’agente représentent des contradictions; la plupart d’entre elles sont mineures et peuvent facilement s’expliquer, ce qu’a d’ailleurs fait l’avocate du demandeur à l’occasion d’un envoi écrit subséquent. Les réponses du demandeur et de son épouse à la plupart des questions ont été cohérentes, et les conjoints ont établi que chacun d’eux participe étroitement à la vie de l’autre. Appliquant la retenue judiciaire voulue envers la décision d’ensemble de l’agente, je conclus que cette décision ne résiste pas à un « examen assez poussé ». En conséquence, la demande sera accueillie.

 

[12]           Aucune question n’a été proposée en vue de la certification et aucune question ne sera certifiée.

 

[13]           Une question se pose quant aux dépens. En effet, le défendeur a demandé un délai pour répondre aux modalités fixées dans l’autorisation de contrôle judiciaire accordée par la juge Mactavish en l’espèce. Par ordonnance en date du 25 avril 2006, le juge Phelan a accueilli la requête et précisé que la question du préjudice subi par le demandeur, le cas échéant, pourrait être réglée par le juge présidant l’instruction. À l’audition devant moi, l’avocate du demandeur a informé la Cour que le demandeur n’avait subi aucun préjudice et qu’aucune « raison spéciale » aux termes de l’article 22 des Règles de la Cour fédérale (1998) ne justifiait l’attribution de dépens au demandeur.

 

[14]           En conséquence, aucuns dépens ne seront adjugés.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour réexamen.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5272-05

 

INTITULÉ :                                       JAMES EFFI TERIGHO

demandeur

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 juin 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 29 juin 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

Alexis Singer 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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