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                                                                                                                                           Date : 20020527

                                                                                                                                     Dossier :    T-626-02

                                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 602

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                                 PRESTON SOUND

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                     PREMIÈRE NATION DE SWAN RIVER, ALBERTA LEE TWINN,

                                             CHARLIE CHALIFOUX, JOHN GIROUX,

                                               GERALD DAVIS, LEON CHALIFOUX,

                       CONSEILLERS DE LA PREMIÈRE NATION DE SWAN RIVER

                                                                 ROBERT SOUND

                                                RAY DUPRES, AGENT D'ÉLECTION

                                                                                                                                                     défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Le demandeur, Preston Sound, présente cette requête pour injonction interlocutoire interdisant la tenue de l'élection partielle qui vise à combler le poste de conseiller de la bande de la Première nation de Swan River et qui est prévue le 30 mai 2002, et ce, jusqu'à ce qu'il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire déposée le 18 avril 2002.


Les faits

[2]                 Les élections de la Première nation de Swan River sont régies par le règlement sur les élections coutumières (le Règlement) de la Première nation de Swan River. Ce règlement, qui vise à refléter les pratiques relatives aux élections coutumières de la Première nation, prévoit un système de « districts » de groupes familiaux représentés chacun par un conseiller élu. La constitutionnalité de ce système est actuellement contestée devant la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta par le chef Richard Davis au nom d'un certain nombre de membres de la bande.

[3]                 Après quelques modifications, le Règlement confère normalement aux membres vivant hors réserve le droit de voter. Le conseil de bande a adopté la modification en cause par résolution le 5 février 2002, dans l'intention alléguée de rendre le Règlement conforme à l'arrêt Corbiere de la Cour suprême du Canada.

[4]                 La tenue de l'élection du conseil de bande de la Première nation de Swan River pour un mandat de trois ans a été fixée au 8 mars 2002. Le demandeur et le défendeur Robert Sound se sont tous deux présentés pour le poste de conseiller de la bande pour la famille Sound. Le demandeur, Preston Sound, a été élu par une marge de 27 votes à 25. Le défendeur Robert Sound a perdu contre le demandeur pour une troisième élection consécutive.

[5]                 Les défendeurs Leon Chalifoux et Robert Sound ont interjeté appel contre l'élection du demandeur.


[6]                 Les appels interjetés contre les résultats des élections sont régis par le Règlement et sont entendus par le comité d'appel électoral (le Comité), qui est composé des conseillers de la bande à l'exception de celui dont l'élection est frappée d'appel.

[7]                 Le défendeur Leon Chalifoux siégeait comme membre du comité le 21 mars 2002 lors de l'audition de l'appel que le défendeur Robert Sound a interjeté contre le demandeur. Le défendeur Leon Chalifoux a retiré son appel contre le demandeur puisque le Règlement prévoit que les appels ne peuvent provenir que du groupe familial en cause. Leon Chalifoux ne faisant pas partie de la famille Sound, il n'a pas pu en appeler de l'élection de Preston Sound.

[8]                 À l'audition de l'appel, on a interdit au demandeur d'être présent dans la salle d'audience pendant que le défendeur Robert Sound faisait valoir ses arguments, de sorte que le demandeur n'a pas pu entendre la preuve présentée contre lui.

[9]                 Le Comité a permis au demandeur d'entrer dans la salle d'audience après que Robert Sound eut terminé son témoignage et l'a ensuite entendu. Le demandeur s'est opposé à ce que Leon Chalifoux siège au Comité puisqu'il avait également interjeté appel contre l'élection du demandeur. Ce dernier a prétendu que Leon Chalifoux avait un parti-pris et ne devrait pas siéger au Comité, et il a également soutenu qu'il n'était pas en mesure de se défendre étant donné qu'il n'avait pas eu connaissance de la preuve que le défendeur Robert Sound avait présentée contre lui.

  

[10]            Le Comité a refusé d'exclure le défendeur Leon Chalifoux et, par lettre du 26 mars 2002, a informé le demandeur que l'appel interjeté par le défendeur Robert Sound contre son élection avait été accueilli en vertu des dispositions du Règlement portant sur les [Traduction] « pratiques électorales corrompues » et qu'une élection partielle allait être déclenchée par le conseil de bande.

[11]            Le Comité n'a pas fourni au demandeur les motifs de sa décision.

[12]            Le demandeur a déposé le 18 avril 2002 une demande de contrôle judiciaire de la décision du Comité.

[13]            Le conseil de bande de la Première nation de Swan River a ordonné qu'une élection partielle pour le poste de conseiller de la bande pour le groupe de la famille Sound soit tenue le 30 mai 2002. En vertu du Règlement, le demandeur n'est pas admissible à poser sa candidature à l'élection car celle-ci a été provoquée par sa destitution.

[14]            Le conseil de bande peut mener les affaires de la Première nation de Swan River de la façon dont il est présentement constitué. Un quorum de quatre conseillers est requis pour que le conseil puisse agir et il reste cinq conseillers.


[15]            Il ne peut y avoir élection d'un chef avant que la présente affaire ne soit résolue. Le chef est choisi parmi les conseillers et cette élection ne peut pas être déclenchée avant que tous les postes de conseiller ne soient comblés. Le demandeur prétend qu'un conseiller peut être nommé chef intérimaire en vue de représenter la Première nation pour les affaires externes et qu'il a lui-même exercé ce rôle à une occasion.

[16]            La demande de contrôle judiciaire du demandeur est fondée sur le non-respect des exigences de la justice naturelle et elle expose les motifs suivants :

(i)         le demandeur n'a pas été en mesure d'entendre les allégations faites contre lui et d'y répondre;

(ii)        il y avait une crainte raisonnable de partialité concernant l'un des décideurs, Leon Chalifoux, qui a interjeté appel contre l'élection du demandeur et qui est demeuré membre du comité d'appel électoral pour l'audition de l'appel du demandeur;

(iii)       le comité d'appel électoral n'a pas fourni les motifs de sa décision;

(iv)       la conclusion du comité d'appel électoral n'était pas appuyée par la preuve et était donc erronée ou, subsidiairement, manifestement déraisonnable.


[17]            Pour avoir gain de cause quant à sa requête, le demandeur doit établir que la demande de contrôle judiciaire sous-jacente fait ressortir une question sérieuse à trancher, que la prépondérance des probabilités milite en faveur du report de l'élection partielle et que le demandeur subirait un dommage irréparable si l'élection partielle était tenue avant qu'il ne soit statué sur cette demande de contrôle judiciaire.

La question sérieuse

[18]            J'estime que la demande de contrôle judiciaire sous-jacente fait ressortir une question sérieuse à trancher. La preuve qu'on n'a pas autorisé le demandeur à être présent dans la salle d'audience et à entendre la preuve présentée contre lui n'est pas contestée. Vu la gravité de l'affaire dont est saisi le comité, et dont le processus a mené en fin de compte à la destitution du demandeur, il me semble que le demandeur a soulevé une question sérieuse à trancher en prétendant que le comité lui a nié la justice naturelle et l'équité procédurale en l'empêchant de se trouver dans la salle d'audience au moment de la présentation de la preuve contre lui. Il ne m'appartient pas, dans le cadre de la présente requête, de trancher l'affaire. J'estime toutefois que le demandeur a atteint le seuil de l'établissement d'une question sérieuse.


[19]            Le défendeur avance qu'essentiellement, l'octroi de l'injonction fournirait au demandeur la réparation sollicitée dans la demande sous-jacente et que cela serait inapproprié puisque l'affaire serait tranchée dans le cadre d'une demande interlocutoire sans audience complète sur le fond. Je n'accepte pas cet argument. Dans sa demande sous-jacente, le demandeur sollicite de la Cour qu'elle annule la décision du Comité de le destituer. Si elle est accordée, l'injonction demandée ne déterminera pas si le demandeur est conseiller de la bande et ne statuera pas sur le caractère approprié de la décision du Comité de le destituer d'un poste électif. Si elle est accordée, l'injonction servira à maintenir le statu quo et n'accordera pas la réparation que le demandeur sollicite dans sa demande de contrôle judiciaire. [Gould c. Canada (P.G.) 13 D.L.R. (4th) 485 (C.A.).]

Le dommage irréparable

[20]            « À la présente étape, la seule question est de savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l'intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l'objet d'une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l'issue de la demande interlocutoire » . [RJR MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, à la p. 341.]

[21]            Je suis convaincu que le demandeur subirait un préjudice irréparable si je permettais la tenue d'une élection partielle pour le poste de conseiller de la bande à laquelle il n'est pas admissible comme candidat. Il se pourrait qu'une autre personne détienne pendant un certain temps le poste pour lequel le demandeur a été élu le 8 mars 2002. Je suis d'avis que si le demandeur voyait ensuite sa demande de contrôle judiciaire accueillie, ses intérêts seraient défavorisés de façon irrémédiable. Dans les circonstances de la présente affaire, j'estime que l'existence d'un préjudice irréparable a été établie pour les fins de la présente requête.

La prépondérance des inconvénients


[22]            En appréciant la prépondérance des inconvénients, il faut tenir compte de l'intérêt public, qui en l'espèce doit être évalué à la lumière des besoins et des meilleurs intérêts de la Première nation de Swan River. Du point de vue des défendeurs, si j'accordais l'injonction et interdisais la tenue de l'élection partielle jusqu'à ce que le statut du demandeur soit déterminé dans le cadre de la demande sous-jacente, je suspendrais temporairement la tenue d'une élection partielle valablement déclenchée et je retarderais l'élection d'un chef. Du point de vue du demandeur, si j'accordais l'injonction, je préserverais le statu quo jusqu'à ce qu'il soit statué sur la légalité de sa destitution. En outre, dans sa forme actuelle, le conseil de bande est en mesure de gérer les affaires de la Première nation de Swan River. Je n'estime pas que la tenue de l'élection partielle serait dans les meilleurs intérêts de la Première nation de Swan River. À mon avis, l'élection d'un nouveau conseiller, qui devra céder sa place si le demandeur a gain de cause relativement à sa demande de contrôle judiciaire, serait beaucoup plus perturbatrice et causerait beaucoup plus de problèmes pour la collectivité que le maintien du statu quo.

[23]            J'estime que le demandeur a satisfait au critère à trois volets établi dans l'arrêt RJR MacDonald Inc., précité, en matière d'octroi d'injonction interlocutoire.

[24]            Pour les motifs qui précèdent, la requête sera accueillie.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :                                 


1.         L'octroi d'une injonction interlocutoire interdisant à la Première nation de Swan River de tenir l'élection partielle visant à combler le poste de conseiller de la bande le 30 mai 2002, et ce, jusqu'à ce que la Cour fédérale statue sur la demande de contrôle judiciaire déposée le 18 avril 2002.

            2.         L'adjudication au demandeur des dépens de la présente requête.

   

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »                      

                                                                                                                                                                 Juge                      

  

Traduction certifiée conforme

  

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                           T-626-02

INTITULÉ :                                        Preston Sound c. Première nation de Swan River, Alberta et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 21 mai 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE BLANCHARD

EN DATE DU :                                   27 mai 2002

  

ONT COMPARU

Anne de Villars, c.r.                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Priscilla Kennedy                                                                            POUR LES DÉFENDEURS

Twinn, Davis, Chalifoux

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

de VILLARS JONES                                                                  POUR LE DEMANDEUR

8540, 109e Rue, suite 300

Edmonton (Alberta)     T6G 3E1

  

PARLEE McLAWS, LLP                                                             POUR LES DÉFENDEURS

10180, 101e Rue, suite 1500                                                         Twinn, Davis, Chalifoux

Edmonton (Alberta)     T5J 4K1

      

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