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Date : 20200224


Dossier : IMM-3449-19

Référence : 2020 CF 296

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 24 février 2020

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

YUSUF MOHAMED ELMI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Le contexte

[1]  Le demandeur prétend être Yusuf Mohamed Elmi, un citoyen de la Somalie et membre du clan minoritaire des Ashraf. Il allègue qu’il s’est enfui de la Somalie en mai 2017 après que son frère a tué un membre du clan majoritaire des Hawiye qui était venu commettre un vol dans leur commerce. Il s’est rendu au Kenya, puis a fait le voyage en direction du Canada avec l’aide d’un passeur qui lui a procuré de faux documents. Après être entré au Canada le 27 septembre 2017, il a demandé l’asile en prétendant craindre des membres du clan des Hawiye.

[2]  En décembre 2017, le défendeur est intervenu devant la Section de la protection des réfugiés [la SPR] afin de déposer des éléments de preuve extraits du Système intégré d’exécution des douanes [le SIED] jetant un doute sur l’identité et la crédibilité du demandeur. La consultation des dossiers du SIED n’a révélé aucune inscription attestant que quiconque était entré au Canada depuis le 1er janvier 2017 (i) sous le nom allégué du demandeur ou (ii) sous le nom qui, selon le demandeur, figurait sur le faux passeport dont il s’était servi pour entrer au Canada. La recherche n’a pas révélé non plus d’inscription sous le nom que, selon le demandeur, le passeur a utilisé lorsqu’ils sont entrés au Canada.

[3]  Le 30 janvier 2018, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur. Elle a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible et qu’il n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve fiables et dignes de foi pour établir, selon la prépondérance des probabilités : (i) son identité personnelle; (ii) sa citoyenneté somalienne; ou (iii) le fait qu’il était en Somalie avant d’entrer au Canada. Selon la jurisprudence de la Cour, la SPR a conclu que l’omission du demandeur d’établir son identité portait un coup fatal à l’ensemble de sa demande d’asile. Par conséquent, elle a rejeté l’ensemble de la demande d’asile sans en analyser le bien‑fondé.

[4]  Le demandeur a fait appel de la décision de la SPR devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR] au motif que la SPR avait commis un certain nombre d’erreurs, particulièrement en ce qui concerne son identité. Il a demandé à produire des documents supplémentaires et à fournir des observations écrites additionnelles à deux reprises. Il a aussi demandé la tenue d’une audience si la SAR avait la moindre préoccupation quant à la crédibilité des éléments de preuve.

[5]  Le 21 mai 2019, la SAR a rejeté l’appel interjeté par le demandeur. Elle n’a relevé aucune erreur importante ou fatale dans l’analyse effectuée par la SPR à l’égard des éléments de preuve ou dans les conclusions de la SPR. Comme la SPR, elle a conclu que le demandeur et son identité alléguée n’étaient pas crédibles, et elle a conclu que celui-ci n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir son identité.

[6]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Il soutient que la SAR a accordé trop de poids au fait qu’il avait utilisé de faux documents pour entrer au Canada. Il prétend aussi que la SAR a commis une erreur dans son appréciation des éléments de preuve et en rejetant sa demande d’audience.

[7]  Après avoir examiné le dossier et les motifs de l’agent, je ne suis pas convaincue que la décision de celui-ci était déraisonnable. Je ne suis pas convaincue non plus qu’une audience aurait dû être tenue.

II.  Analyse

A.  La norme de contrôle

[8]  Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a soutenu que la norme de la décision raisonnable était la norme de contrôle présumée à l’égard des décisions administratives (Vavilov, aux par. 10, 16 et 17). Aucune des exceptions décrites dans l’arrêt Vavilov ne s’applique en l’espèce.

[9]  Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, au par. 100). La cour de révision « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au par. 83), pour établir si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85). Il convient d’accorder une attention particulière aux motifs écrits du décideur et de les interpréter de façon globale et contextuelle (Vavilov, au par. 97). Il ne s’agit pas d’« une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov, au par. 102). Si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci », il n’appartient pas à la cour de révision de substituer la conclusion qu’elle préférerait (Vavilov, au par. 99).

B.  Questions préliminaires

[10]  La première question se rapporte à l’intitulé. Le défendeur a été incorrectement désigné comme étant le « ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté » dans l’avis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Le défendeur approprié en l’espèce est le « ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration » conformément au paragraphe 4(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. L’intitulé est modifié en conséquence.

[11]  La deuxième question se rapporte à l’affidavit signé par l’avocate du demandeur et produit le 20 janvier 2019. Le document présente plusieurs pièces, y compris des affidavits du demandeur et de sa prétendue épouse, et il contient des éléments de preuve et des arguments. Au début de l’audience, la Cour a évoqué l’application de l’article 82 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, selon lequel « [s]auf avec l’autorisation de la Cour, un avocat ne peut à la fois être l’auteur d’un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit ». Après avoir entendu les observations des avocats des deux parties, la Cour a suspendu les travaux pendant un court moment afin de permettre à l’avocate du demandeur de consulter le deuxième avocat, qui assistait aussi à l’audience, afin de décider de la suite des choses. Lorsque l’audience a repris, le deuxième avocat du demandeur a fait savoir à la Cour qu’il plaiderait l’affaire.

[12]  La troisième question se rapporte à l’admissibilité des pièces jointes à l’affidavit signé par l’avocate du demandeur.

[13]  Le défendeur soutient que les affidavits du demandeur et de sa prétendue épouse ont été produits à la Cour de façon irrégulière, puisqu’ils étaient joints en tant que pièces A et B à l’affidavit de l’avocate du demandeur.

[14]  Je suis d’accord avec le défendeur.

[15]  En principe, il y a lieu de décourager le dépôt d’affidavits qui sont produits en tant que pièces jointes à d’autres affidavits parce que ce procédé peut avoir pour effet de soustraire au contre-interrogatoire un affidavit qui est susceptible de faire état d’une connaissance directe des évènements (Qui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1162, au par. 7; 594872 Ontario Inc c Canada, [1992] ACF no 253 (QL); Parshottam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 51, au par. 24).

[16]  De plus, le défendeur affirme que les affidavits du demandeur et de sa prétendue épouse contiennent des faits qui auraient pu et qui, en fait, auraient dû, être soulevés devant la SAR.

[17]   Il est bien établi qu’une demande de contrôle judiciaire doit être tranchée en fonction du dossier dont disposait le décideur, sauf en cas d’exceptions bien définies (Chin Quee c Teamsters Local #938, 2017 CAF 62, au par. 5; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au par. 20 [Access Copyright]). Après avoir examiné l’affidavit de l’épouse du demandeur et les paragraphes 9 à 13 de l’affidavit du demandeur, je ne suis pas convaincue que les éléments de preuve que celui-ci souhaitait produire correspondent à l’une des exceptions énoncées dans l’arrêt Access Copyright. Au contraire, j’estime que ces éléments de preuve visaient à répondre à certaines des préoccupations soulevées par la SAR dans sa décision. Par conséquent, les paragraphes 9 à 13 de l’affidavit du demandeur, de même que l’affidavit de la prétendue épouse du demandeur, ne seront pas pris en compte par la Cour. Pour ce qui est des paragraphes résiduels de l’affidavit du demandeur, je leur accorde peu de poids au motif que l’affidavit du demandeur est une pièce jointe à un autre affidavit.

[18]  De la même façon, le défendeur soutient que les pièces C et D devraient aussi être exclues puisqu’elles n’ont pas été présentées à la SAR et qu’elles ne font pas partie du dossier. La pièce C est une copie d’un envoi par courriel dans lequel le demandeur prétend avoir reçu une déclaration sous serment faite par son épouse. La SPR et la SAR disposaient de la déclaration, mais pas du courriel l’accompagnant. La pièce D est une copie de la décision favorable de la SPR concernant le témoin appelé à établir l’identité du demandeur.

[19]  L’avocat du demandeur soutient que ces éléments de preuve sont admissibles en vertu de l’exception relative à l’équité procédurale parce que l’ancien avocat du demandeur aurait dû présenter les documents en question à la SPR et à la SAR.

[20]  Je reconnais que la Cour a conclu que l’incidence de l’incompétence d’un avocat dans une audience antérieure peut soulever une question d’équité. Toutefois, en l’espèce, je n’ai pas suffisamment d’information pour établir si ces allégations ont un fondement factuel. Je conviens aussi avec le défendeur qu’il est trop facile de blâmer l’avocat précédent, et il n’y a pas d’élément de preuve au dossier selon lequel le demandeur a suivi l’une quelconque des étapes décrites dans le Protocole procédural publié par le juge en chef le 7 mars 2014 intitulé Concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger. Le Protocole établit la marche à suivre lorsqu’un demandeur formule des allégations d’incompétence, de négligence ou d’autre inconduite professionnelles à l’encontre de son ancien avocat. Le demandeur doit envoyer un avis écrit pour permettre à son ancien avocat de présenter une réponse. En l’absence d’un tel avis, j’accorde peu de poids à ces deux (2) pièces.

[21]  En ce qui concerne la pièce F, il s’agit d’une copie caviardée d’une lettre d’un agent du SIED et d’une intervention du ministre dans une autre affaire. Ces documents visent à réfuter les éléments de preuve du défendeur quant à l’intervention en l’espèce. Dans ce cas encore, cette information ne faisait pas partie du dossier dont disposait la SAR. Elle est par conséquent inadmissible. Quoi qu’il en soit, je ne vois pas en quoi elle favorise la demande du demandeur.

[22]  Enfin, l’avocat du demandeur joint une copie de la transcription de l’audience devant la SPR, en soutenant que le document a été obtenu grâce à une demande d’accès à l’information présentée par l’ancien avocat du demandeur. Le défendeur ne s’oppose pas à l’inclusion de la transcription, étant donné qu’un enregistrement de l’audience était gravé sur un CD figurant dans le dossier certifié du tribunal.

C.  L’utilisation de faux documents

[23]  Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en tirant des inférences défavorables du fait qu’il a utilisé de faux documents pour entrer au Canada. Il prétend que la Cour soutient depuis longtemps que l’utilisation de faux documents par un demandeur d’asile ne peut constituer un fondement solide pour contester la crédibilité du demandeur ou la fiabilité d’autres documents.

[24]  J’estime que le demandeur dénature les conclusions de la SAR. Cette dernière n’a pas fondé ses conclusions quant à la crédibilité sur l’utilisation de faux documents par le demandeur. En fait, elle a expressément reconnu que les demandeurs d’asile peuvent être appelés à mentir pour s’enfuir de leur pays. Elle a toutefois précisé que les demandeurs d’asile doivent immédiatement apporter des corrections au dossier lorsqu’ils demandent l’asile. L’appréciation de la crédibilité effectuée par la SAR reposait sur plusieurs autres conclusions de fait, y compris la conclusion selon laquelle le demandeur a retenu de l’information au sujet du passeport qu’il avait utilisé pour entrer au Canada. Comme la SPR, la SAR a jugé invraisemblable (i) que le demandeur ne connaisse pas le nom de la compagnie aérienne avec laquelle il avait voyagé pour entrer au Canada et (ii) qu’il n’ait remarqué aucune des affiches portant le nom de la compagnie aérienne au cours des deux (2) segments de son voyage.

D.  L’appréciation des éléments de preuve par la SAR

(1)  Les documents du SIED

[25]  Le demandeur allègue que la SPR et la SAR ont toutes deux accordé un poids déraisonnable aux éléments de preuve présentés par le défendeur. Il soutient que les résultats de la consultation du SIED [traduction] « ne signifient pratiquement rien » sans un nom de famille correct et exact étant donné qu’un [traduction] « grand nombre de ressortissants somaliens ont appris à taire ou à supprimer leur troisième nom sur divers formulaires de demande gouvernementaux parce qu’ils ne croient pas que le gouvernement verra le bien-fondé de leur demande ». De plus, bien qu’il ait vu un passeport établi au nom d’« Abdullahi Jama », il affirme que les éléments de preuve du défendeur ne constituent pas une [traduction] « preuve réelle » que le passeur a utilisé ce passeport pour le faire entrer au Canada. Étant donné cette [traduction] « pratique courante » et le fait qu’il a utilisé un faux passeport pour entrer au Canada, le demandeur affirme que les résultats de la recherche effectuée dans le SIED méritent peu de poids, voire aucun.

[26]  Je ne suis pas convaincue que la SAR ait accordé un poids injustifié aux éléments de preuve du défendeur ou que les résultats du SIED [traduction] « ne signifient pratiquement rien ». Les résultats contredisent l’affirmation du demandeur selon laquelle il est entré au Canada sous le faux nom d’« Abdullahi Jama » à la date d’entrée alléguée. La recherche montre qu’il n’y a aucune trace d’une personne entrée au Canada entre le 1er janvier 2017 et le 13 décembre 2017 munie d’un passeport à ce nom. Il n’y a aucune trace non plus d’une personne étant entrée au Canada sous le nom allégué du passeur au cours de la période en cause. La SAR a pris en compte l’argument du demandeur selon lequel il peut avoir oublié l’orthographe correcte du nom tel qu’il figurait sur le faux passeport. Toutefois, la SAR a fait remarquer, à juste titre, que le demandeur avait écrit ce nom sur le formulaire Annexe 12, et lorsqu’il a été invité à en confirmer l’orthographe lors de l’audience devant la SPR, il a répondu [traduction] « [o]ui, c’était écrit comme ça ». Étant donné le témoignage du demandeur et le fait que personne n’est entré au Canada sous ce nom au cours de la période en cause, il n’était pas déraisonnable que la SAR conclue que les résultats de la recherche dans le SIED minent la crédibilité du demandeur et la crédibilité de son identité alléguée.

(2)  Les lettres d’organisations communautaires somaliennes

[27]  Le demandeur blâme la SAR pour avoir rejeté les lettres d’opinion de deux (2) organisations communautaires somaliennes : les services communautaires Midaynta et le centre Dejinta Beesha. Selon le demandeur, ces lettres attestent sa nationalité et le clan auquel il appartient. Le demandeur allègue que la lettre des services communautaires Midaynta étayait de manière fiable son identité, et le rejet de cette lettre par la SAR révèle que celle-ci n’était pas consciente de l’importance factuelle et juridique du document. Il soutient que l’article 178 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], l’autorisait à présenter la lettre des services communautaires Midaynta et du centre Dejinta Beesha.

[28]  Le demandeur ne m’a pas convaincue que l’appréciation effectuée par la SAR de ces éléments de preuve était déraisonnable.

[29]  L’article 178 du RIPR autorise les demandeurs à produire des pièces d’identité de remplacement dans certains cas. Toutefois, ce droit est assujetti à des conditions. Pour qu’une affirmation solennelle soit acceptée en remplacement de pièces d’identité, le sous-alinéa 178(2)b)(ii) du RIPR exige que l’affirmation « constitue une preuve crédible de l’identité du demandeur ».

[30]  Je conviens avec le demandeur que l’affirmation de la SAR qui suit semble contrevenir à l’article 178 du RIPR :

[traduction]

[69] En dépit du fait que j’accorderais normalement un certain poids à une lettre émanant d’une organisation communautaire somalienne à l’appui de la nationalité d’un demandeur d’asile, particulièrement lorsqu’il existe d’autres éléments de preuve crédibles de l’identité du demandeur d’asile, je ne peux pas le faire vu l’absence d’autres éléments de preuve crédibles se rapportant à l’identité personnelle et à la citoyenneté du [demandeur].

[31]  Toutefois, l’extrait doit être interprété dans le contexte des paragraphes voisins. La SAR a reconnu que ces organisations ont de l’expérience quand il s’agit d’évaluer la nationalité d’une personne, mais elle a conclu que les lettres présentent des lacunes à bien des égards. En particulier, la SAR a fait remarquer que les lettres n’expliquent pas comment les organisations peuvent établir que le demandeur est bel et bien la personne qu’il prétend être (identité personnelle) ou qu’il est effectivement un citoyen de la Somalie ou de tout autre pays (citoyenneté). Aucune des deux lettres ne confirme le nom du demandeur, et les deux documents ne font que réitérer ce que le demandeur a dit aux organisations en ce qui concerne son lieu de naissance et son appartenance au clan allégué. Il n’y avait non plus aucune indication que les organisations ont évalué les affirmations du demandeur. Après avoir pris en compte les deux lettres, la SAR a fini par conclure que les documents n’établissaient pas suffisamment et avec crédibilité l’identité personnelle ou la citoyenneté du demandeur.

(3)  Le témoin du demandeur

[32]  Le demandeur prétend qu’il était déraisonnable que la SAR souscrive à la conclusion de la SPR selon laquelle le témoignage du témoin appelé à établir l’identité du demandeur ne suffisait pas à cette fin.

[33]  Devant la SPR, le demandeur et le témoin ont affirmé qu’ils s’étaient rencontrés à Mogadiscio en janvier 2014 et qu’ils s’étaient connus pendant une période d’une (1) semaine en Somalie. Ils ont aussi soutenu qu’ils s’étaient retrouvés par hasard dans une mosquée au Canada. En dépit du fait que la SPR a reconnu que le demandeur et le témoin ont donné un témoignage généralement concordant sur la façon dont ils s’étaient rencontrés en Somalie et sur le temps qu’ils avaient passé ensemble à Mogadiscio, elle a conclu que l’information pouvait fort bien avoir été préparée et apprise par cœur avant l’audience. La SPR a souligné que le demandeur avait pu trouver, dans un laps de temps relativement court et par un pur hasard, quelqu’un au Canada qui l’aurait connu en Somalie. Elle a jugé que le tout était suspect, fortuit, très peu probable, et qu’il ne s’agissait pas d’une coïncidence.

[34]  La SAR a pris en compte l’affirmation du demandeur selon laquelle la rencontre à la mosquée n’était pas fortuite. Comme la SPR, elle a conclu qu’il s’agissait d’une coïncidence incroyable que (i) le demandeur rencontre ce témoin à Mogadiscio lors de l’une des deux (2) seules visites qu’il aurait effectuées dans cette ville, et que (ii) le témoin rencontre le demandeur à l’occasion de l’unique visite que le témoin a effectuée à Mogadiscio, qui n’a duré qu’une semaine.

[35]  Contrairement à ce qu’a affirmé le demandeur, la SAR ne s’est pas uniquement fondée sur la conclusion tirée par la SPR. Elle a aussi souligné que le témoin n’avait fourni aucun élément de preuve corroborant au sujet de sa présence à Mogadiscio en 2014, et elle a conclu que le témoignage du témoin et du demandeur au sujet de leur rencontre à Mogadiscio était extrêmement vague.

[36]  Le demandeur ne m’a pas convaincue que l’analyse effectuée et la conclusion tirée par la SAR sur cet élément étaient déraisonnables.

(4)  La connaissance du clan des Ashraf et de la région de la Basse-Shabelle

[37]  À l’audience, le demandeur a soutenu qu’il était déraisonnable que la SAR rejette sa connaissance du clan des Ashraf et de la géographie de la région de la Basse-Shabelle de la Somalie étant donné que l’information était largement accessible et qu’elle n’était pas limitée aux citoyens de la Somalie. Il affirme que le raisonnement de la SAR l’a mis dans une situation intenable. Si sa connaissance est fragmentaire, il ne peut pas convaincre la SAR de son identité. Toutefois, si sa connaissance est suffisante, le fait que l’information soit accessible sur Internet joue contre lui.

[38]  En dépit du fait que l’argument du demandeur est convaincant, et il est vrai que la SAR a souligné que l’information que le demandeur a fournie sur les clans et la géographie de la Somalie est largement accessible en ligne, je ne suis pas convaincue que le demandeur se trouve dans une situation intenable en l’espèce. La SAR a conclu que le témoignage du demandeur était vague et imprécis pour quelqu’un qui prétend avoir vécu en Somalie pendant trente (30) ans. La SAR a aussi souligné que la connaissance des clans et de la géographie d’un pays n’établit pas l’identité personnelle ni la citoyenneté.

(5)  Le rejet des nouveaux éléments de preuve du demandeur

[39]  En dépit du fait que le demandeur n’a pas abordé la question dans ses observations de vive voix, il a contesté la décision de la SAR de rejeter les deux (2) lettres qu’il souhaitait déposer en preuve pour corroborer son identité et confirmer ses allégations dans son exposé supplémentaire des arguments.

[40]  La SAR a examiné les deux (2) lettres. Elle a souligné que la SPR avait exprimé des réserves importantes à l’audience concernant (i) le manque de pièces d’identité du demandeur, et (ii) le manque d’efforts déployés pour obtenir des documents auprès de membres de sa famille et d’autres personnes en Somalie permettant d’établir son identité. La SAR a aussi fait remarquer que le demandeur avait eu l’occasion de présenter des documents de ce genre après l’audience, et qu’il avait produit trois (3) documents, que la SPR avait acceptés et appréciés. De plus, la SAR a souligné que le demandeur avait contacté les auteurs de ces lettres quelque trois (3) mois après que la SPR avait rejeté sa demande d’asile. Pour cette raison, la SAR a conclu que le demandeur avait omis d’établir qu’il n’aurait pas raisonnablement pu obtenir ces lettres avant le rejet de sa demande et, par conséquent, que les lettres ne répondaient pas au critère applicable aux nouveaux éléments de preuve aux termes du paragraphe 110(4) de la LIPR.

[41]  La Cour a affirmé à maintes reprises que le caractère nouveau des éléments de preuve ne dépend pas uniquement de la date à laquelle ils ont été établis (Tuncdemir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 993, au par. 34; Torres c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 888, au par. 12; Zakoyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 217, au par. 21).

[42]  En l’espèce, les éléments de preuve du demandeur visaient à établir son identité personnelle. Le demandeur était au courant des préoccupations quant à son identité, et il a eu la possibilité de fournir des documents supplémentaires à la SPR. J’estime que la décision de la SAR est compatible avec l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh], dans lequel la Cour d’appel fédérale a affirmé que le rôle de la SAR ne consiste pas à fournir la possibilité de compléter une preuve déficiente devant la SPR, mais plutôt à permettre que soient corrigées des erreurs de fait, de droit ou mixtes de fait et de droit (Singh, au par. 54).

E.  Le refus de la SAR de tenir une audience

[43]  Le demandeur prétend que la décision de la SAR de rejeter sa demande de tenir une audience était arbitraire et déraisonnable, particulièrement étant donné qu’il en avait expressément demandé une. Ses arguments sur la question ne sont pas énoncés clairement. Quoi qu’il en soit, je suis convaincue que la SAR n’a pas commis d’erreur en rejetant sa demande d’audience.

[44]  Le paragraphe 110(3) de la LIPR énonce la règle générale selon laquelle la SAR doit procéder sans tenir d’audience. Cependant, conformément au paragraphe 110(6) de la LIPR, la SAR peut tenir une audience lorsque de nouveaux éléments de preuve : a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause; b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile; c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas. Par conséquent, la décision quant à la tenue d’une audience repose sur l’appréciation par la SAR de la question de savoir si le critère qui est énoncé au paragraphe 110(6) de la LIPR est rempli et, dans l’affirmative, si la SAR devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de tenir une audience.

[45]  La SAR a pris en compte la demande d’audience du demandeur. Elle a toutefois fait remarquer qu’elle n’avait admis en preuve que le premier des trois (3) documents que le demandeur a soumis : un affidavit portant sur une question d’interprétation dans un document dont disposait la SPR. La SAR a apprécié ce nouveau document et a conclu qu’il ne répondait pas aux conditions préalables prévues dans la loi quant à la tenue d’une audience parce que, s’il était admis en preuve, le document ne justifierait pas que soit accueillie la demande d’asile du demandeur. Puisque le critère minimal n’était pas rempli, la SAR a établi qu’elle n’était pas tenue de convoquer une audience.

[46]  Le demandeur n’a pas relevé d’erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAR de rejeter sa demande d’audience.

III.  Conclusion

[47]  En terminant, je suis convaincue que, lorsqu’elle est lue de façon globale et contextuelle, la décision de la SAR répond à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov. La décision est fondée sur des motifs intrinsèquement cohérents et est justifiée au regard des faits et du droit qui s’appliquent. Les motifs sont aussi transparents et intelligibles. Le demandeur demande essentiellement à la Cour de soupeser à nouveau la preuve et d’arriver à une conclusion différente. Ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Vavilov, au par. 125).

[48]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[49]  Aucune question d’importance générale n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans l’affaire IMM-3449-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. L’intitulé de la cause est modifié afin de remplacer le « ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté » par le « ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration »;

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de mars 2020.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3449-19

INTITULÉ :

YUSUF MOHAMED ELMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 février 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 24 février 2020

COMPARUTIONS :

Paul A. Dineen

Quinn Campbell Keenan

POUR LE DEMANDEUR

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chapnick & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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