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Date : 20050324

Dossier : IMM-5092-04

Référence : 2005 CF 418

ENTRE :

                                           CARLOS ARMANDO MELGAR REYES

                                       et MIRIAN ISABEL MELGAR DE MELGAR

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE SIMPSON

Introduction

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 5 mai 2004, selon laquelle les demandeurs ne sont pas des personnes à protéger.

[2]                Le demandeur principal (le demandeur) est un homme de 29 ans du Salvador. Il a présenté une demande en qualité de personne à protéger (et non de réfugié) avec son épouse, laquelle est âgée de 31 ans. Ils ont une fillette de six ans qu'ils ont laissée à la mère du demandeur lorsqu'ils ont décidé de s'enfuir du Salvador.

[3]                Les faits suivants ont été allégués par les demandeurs :

·            le 30 janvier 2003, le cousin du demandeur, José Lopez, a été enlevé par un inconnu au milieu de la nuit alors qu'il se trouvait chez lui. Son corps a été retrouvé deux jours plus tard. Il avait reçu plusieurs projectiles d'arme à feu dans la poitrine;

·            le 3 février 2003, deux inconnus se sont rendus chez le demandeur. Ils ont frappé violemment à la porte et ont dit qu'ils cherchaient le demandeur. L'épouse de celui-ci, qui était alors seule à la maison avec sa fille, n'a pas ouvert la porte ni essayer de voir qui cherchait son mari. Un incident de ce genre est survenu à deux autres reprises alors que le demandeur n'était pas à la maison;

·            le 7 février, à 1 h, on a frappé violemment à la porte. Les visiteurs appelaient le demandeur et disaient avoir un message pour lui. Le demandeur a jeté un coup d'oeil par un trou et a vu deux hommes ayant le visage masqué. Le demandeur n'a pas répondu et n'a pas ouvert la porte. Les hommes sont partis, mais ont averti le demandeur qu'il n'était pas en sécurité et qu'ils le retrouveraient;


·            le demandeur craignait pour sa vie. Lui et son épouse se sont enfuis du Salvador le 10 février 2003 en faisant de l'auto-stop. Ils sont arrivés au Guatemala le 10 février, au Mexique le 13 février, aux États-Unis le 5 mars et au Canada le 9 avril 2003. Ils ont demandé l'asile le lendemain.

Décision de la Commission

[4]                La Commission a constaté que le demandeur avait écrit, dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), que des inconnus s'étaient rendus chez lui à seulement deux reprises, soit les 3 et 7 février. À l'audience, il a cependant modifié son FRP pour faire état de deux autres incidents. Il a alors expliqué qu'il avait fait une erreur en remplissant son FRP. La Commission a toutefois rappelé que, lors d'une entrevue avec un agent d'immigration en avril 2003, le demandeur a dit que des inconnus s'étaient rendus chez lui [traduction] « quelque chose comme cinq fois » . La Commission a considéré que le demandeur n'avait pas expliqué de manière raisonnable ces variations touchant le nombre de menaces qu'il avait reçues.


[5]                La Commission a aussi souligné qu'elle avait indiqué explicitement, dans son formulaire d'examen initial, que les demandeurs devaient obtenir [traduction] « des rapports de police concernant la mort du cousin du demandeur, des reportages parus dans les médias à ce sujet, des documents attestant leurs liens avec lui... » . Aucun de ces documents n'a été produit, et rien ne laisse croire que les demandeurs ont tenté de les obtenir. La Commission a mis en doute la mort du cousin et a souligné qu'elle ne disposait d'aucune preuve indiquant même que le cousin ait déjà existé.

[6]                La Commission a aussi souligné le fait que les demandeurs n'avaient pas demandé l'asile au Mexique et aux États-Unis. Elle a accepté l'explication des demandeurs selon laquelle ils ne savaient pas qu'ils pouvaient demander l'asile dans ces pays, mais a conclu que le fait qu'ils ne s'étaient même pas informés à ce sujet indiquait qu'ils n'avaient pas de crainte subjective.

[7]                La Commission a ensuite examiné la question de la protection de l'État. Elle a mentionné que le demandeur n'avait pas demandé la protection de la police parce qu'il pensait que celle-ci ne serait pas en mesure de l'aider. La Commission a jugé que le demandeur n'avait pas démontré de façon claire et convaincante qu'il n'aurait pas obtenu la protection de l'État s'il l'avait demandée.

[8]                Le demandeur soutient que les conclusions de la Commission concernant la protection de l'État et la crédibilité sont erronées.

i) Protection de l'État


[9]                La preuve documentaire démontre que la violence sévit au Salvador depuis 1992, soit depuis la fin de la guerre civile et l'établissement de la force de police. Selon un document de fond publié par la Commission en avril 1998, les taux de crimes violents sont très élevés au Salvador. Selon un article paru dans le Washington Post en 1999, 115 policiers ont été tués au cours de cette année et c'est au Salvador que le taux d'homicide est le plus élevé en Amérique latine.

[10]            Pendant la première moitié de 2001, le nombre d'homicides a augmenté de 7,8 p. 100, alors que le nombre de vols (qualifiés et autres) a diminué, selon le rapport sur l'Amérique centrale de septembre 2001.

[11]            Le 27 novembre 2001, la Commission a publié un document sur la possibilité, pour les citoyens qui en font la demande, d'obtenir la protection de l'État. Selon ce document, une personne qui avait été témoin du meurtre d'un policier n'a pas été bien protégée et a été tuée en 1999. En mai 2000, la police a proposé qu'une loi soit adoptée afin que les témoins et les victimes de crimes soient protégés, mais aucune modification législative n'avait été apportée à la fin de 2001.


[12]            Un rapport de la Commission daté du 1er novembre 2002 décrivait les services de protection offerts jour et nuit par la police. Le service n'était pas sûr et n'était offert qu'à quelques fonctionnaires haut placés. Le rapport concluait que la majorité des juges et tous les intervenants du système de justice n'étaient aucunement protégés contre les menaces et que le gouvernement du Salvador semblait incapable de protéger ces personnes et réticent à le faire. Le demandeur a dit que, si le Salvador ne voulait pas ou ne pouvait pas protéger les personnes qui travaillent dans son système de justice, il n'était pas en mesure de protéger les citoyens ordinaires.

[13]            Selon un rapport plus récent de la Commission, publié en février 2003, cinq meurtres étaient commis chaque jour au Salvador, dont deux étaient attribuables à la violence des gangs. Ce rapport indiquait également que « très peu » de services de protection étaient offerts aux victimes de la violence des gangs.

[14]            Par ailleurs, un autre rapport de la Commission, daté du 14 novembre 2001 celui-là, indiquait que la police avait mis sur pied un programme visant à faciliter l'identification des kidnappeurs. Selon le rapport de la Commission du 27 novembre 2001, la police avait pris la tête des efforts visant à modifier la loi afin que celle-ci prévoit la protection des témoins et des victimes de crimes. Le rapport décrivait également de nouveaux programmes de protection des personnes susceptibles d'être victimes de violence familiale ou conjugale.

[15]            Le rapport de la Commission du 19 février 2003 révélait que la police avait arrêté de nombreux chefs de gang. De plus, le gouvernement a établi une commission nationale de services aux jeunes, chargée d'élaborer une approche globale pour la lutte contre la violence des gangs.

[16]            Dans ce contexte, il faut se demander si la Commission était tenue d'examiner la preuve documentaire pour décider si le Salvador était réellement en mesure de protéger ses citoyens. En d'autres termes, il faut se demander si les documents révélaient suffisamment de problèmes touchant la protection de l'État pour considérer que la Commission avait l'obligation de déterminer si cette preuve était suffisante pour réfuter la présomption de la protection de l'État et pour justifier la décision du demandeur de s'enfuir du Salvador sans d'abord demander l'aide de la police. À mon avis, comme les documents décrivaient des problèmes très graves concernant la capacité de l'État de protéger ses citoyens, la Commission devait les analyser, et elle a commis une erreur susceptible de contrôle en ne le faisant pas.

ii) Crédibilité

[17]            La Commission n'a pas cru le récit du demandeur sur les risques qu'il courait pour les motifs suivants :

a)          malgré qu'on lui ait demandé de le faire à l'étape de la présélection, le demandeur n'a pas produit de documents concernant le meurtre de José Lopez ou ses liens avec lui;

b)          dans son premier FRP, le demandeur a fait état de seulement deux incidents au cours desquels il aurait été menacé. Il n'a pas parlé des deux autres fois où des hommes hostiles se sont présentés chez lui. Le FRP contredisait également la déclaration qu'il a faite à son arrivée au Canada selon laquelle il aurait été menacé [traduction] « quelque chose comme cinq fois » ;


c)          le demandeur ne s'est pas informé au sujet de la possibilité de demander l'asile aux États-Unis, malgré le fait qu'il a passé un mois dans ce pays.

a) Corroboration

[18]            Le demandeur dit que la Commission a commis une erreur de droit lorsqu'elle a demandé une preuve corroborant le meurtre de son cousin José Lopez et ses liens avec lui. Il affirme que la Commission ne peut exiger une preuve corroborante que si des éléments de preuve contredisent le témoignage du demandeur. Il s'appuie à cet égard sur certains passages des décisions Ahortor c. Canada (MEI), [1993] A.C.F. no 705, au paragraphe 45, et Lachowski c. Canada (MEI), [1992] A.C.F. no 1138, à la page 7.

[19]            L'arrêt qui régit cette question semble cependant être Attakora c. Canada (MEI), [1989] A.C.F. no 444 (C.A.F.). Dans cette affaire, le demandeur affirmait que, bien qu'il ait subi une fracture au genou pendant sa détention, il pouvait marcher et avait réussi à s'échapper. La Commission a accepté une preuve démontrant également que le demandeur était arrivé au Canada avec un genou blessé qui avait ensuite exigé deux interventions chirurgicales.

[20]            La Commission a souligné l'absence de preuve médicale d'une fracture et a dit douter que le demandeur ait subi une fracture au genou. Elle a aussi mis en doute sa capacité à marcher s'il avait effectivement subi une fracture. La Cour d'appel a dit ce qui suit à ce sujet :


La question de savoir si le genou du requérant était réellement fracturé et, si tel était le cas, celle de savoir quelle était la nature précise de cette fracture, constituent des points relativement peu importants; mais l'absence d'une preuve médicale ne constitue pas en soi un motif de mettre en doute le récit du requérant. En fait, considérant l'absence d'une telle preuve médicale, la Commission n'était pas en mesure de conclure qu'une fracture au genou du requérant lui aurait rendu impossible de marcher sur ce genou. [Note : Un tribunal ne peut tout simplement pas considérer que la mesure dans laquelle un genou fracturé empêche de marcher est de connaissance judiciaire; cette situation dépend de la nature et du degré de la fracture ainsi que des circonstances dans lesquelles se trouve la personne blessée. Il existe maints récits de guerre rapportant que des personnes ayant subi des blessures qui auraient normalement dû les empêcher d'aller plus avant ont accompli des actes d'héroïsme.] Là encore, la Commission a commis une erreur de droit en tirant une conclusion que n'appuyait aucune preuve.

[21]            À mon avis, contrairement à ce que le demandeur prétend, cet arrêt ne signifie pas que la Commission commet une erreur de droit si elle demande une preuve corroborante lorsque le témoignage du demandeur n'est pas contredit. La Cour d'appel était plutôt préoccupée par le fait que la Commission avait fondé sa conclusion relative à la crédibilité sur un point sans importance (la différence entre une blessure et une fracture lorsqu'une preuve de blessure a été acceptée) et sur un élément non établi par la preuve (la question de savoir si une personne pouvait marcher avec un genou fracturé).

[22]            À mon avis, la Commission peut demander une preuve corroborante s'il s'agit d'une preuve substantielle qui devrait normalement être disponible. En outre, si le demandeur ne veut pas ou ne peut pas donner suite à une telle demande, il lui incombe d'expliquer pourquoi.

[23]            En l'espèce, la preuve était substantielle et le demandeur n'a pas expliqué pourquoi il n'a pas donné suite à la demande de la Commission. Par conséquent, celle-ci pouvait souligner l'absence de cette preuve et en déduire que le demandeur n'avait jamais essayé de l'obtenir.

b) Défaut de demander l'asile aux États-Unis

[24]            Le demandeur et son épouse ont été interrogés séparément au sujet des raisons pour lesquelles ils n'avaient pas demandé l'asile aux États-Unis. L'épouse a finalement déclaré qu'elle ne savait pas qu'elle pouvait le faire et le demandeur a dit qu'il craignait d'être expulsé parce qu'il n'avait aucun document. Les mêmes réponses ont été répétées à l'audience.


[25]            À mon avis, il est évident que le demandeur et son épouse ne se sont pas sérieusement informés de la possibilité de demander l'asile aux États-Unis auprès de consultants en immigration ou d'avocats spécialisés dans le domaine. La Commission pouvait donc avoir des doutes au sujet de leur crainte subjective. Le demandeur prétend qu'il était abusif de leur reprocher, à lui et à son épouse, de ne pas s'être informés au sujet de l'asile alors que celui-ci (contrairement au statut de réfugié) ne peut être obtenu aux États-Unis. Cette prétention n'est pas pertinente cependant parce que les demandeurs ignoraient tout de cette situation. Les choses auraient été différentes s'ils avaient dit qu'ils s'étaient informés, qu'ils avaient appris qu'ils ne pouvaient pas demander l'asile et qu'ils étaient alors venus au Canada. Ils ne se sont cependant pas informés de la possibilité d'obtenir l'asile aux États-Unis, et la Commission avait le droit de tirer une conclusion défavorable de ce fait.

c) Omissions dans le FRP

[26]            Le récit du demandeur n'était pas compliqué. Les quatre incidents au cours desquels il aurait été menacé chez lui sont survenus au cours de la même semaine et constituaient le fondement de sa demande d'asile. À mon avis, il n'était pas manifestement déraisonnable, compte tenu des faits, que la Commission conclue que le récit du demandeur manquait de crédibilité car il ne connaissait pas le nombre exact d'incidents au cours desquels son épouse et son enfant avaient été menacés lorsqu'il est arrivé au Canada (il a utilisé l'expression [traduction] « quelque chose comme cinq fois » ) et il a omis de mentionner deux de ces incidents dans son premier FRP.

Conclusion

[27]            J'ai conclu que la Commission n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a statué que la demande du demandeur manquait de crédibilité. Pour ce motif, l'erreur concernant la protection de l'État n'est pas déterminante. Par conséquent, la demande sera rejetée.

           « Sandra J. Simpson »          

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              IMM-5092-04

INTITULÉ :                                                             CARLOS ARMANDO MELGAR REYES et al.

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 22 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                        LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :                                            LE 24 MARS 2005

COMPARUTIONS :

Brenda J. Wemp                                                        POUR LES DEMANDEURS

Kim Shane                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Brenda J. Wemp                                                        POUR LES DEMANDEURS

Avocate

Vancouver (C.-B.)

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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