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Date : 20050309

Dossier : IMM-8756-03

Référence : 2005 CF 337

Ottawa (Ontario), le 9 mars 2005

En présence du juge en chef

ENTRE :

                                              JOSEPH MALONG KOCH AKUECH

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le 29 novembre 1997, le demandeur a obtenu un visa d'immigrant et une fiche relative au droit d'établissement en qualité de résident permanent du Canada. Son entrée au Canada a été facilitée par le fait que le Canada a accepté son statut de réfugié au sens de la Convention reconnu par le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Le demandeur a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention pendant qu'il étudiait à Cuba aux termes d'une entente tripartite entre l'Éthiopie, Cuba et le Soudan, son pays de naissance.


[2]                Le 26 octobre 2001, le demandeur a été déclaré coupable d'agression sexuelle aux termes de l'article 271 du Code criminel et condamné à une peine de trois ans d'emprisonnement. L'agression a été commise le 4 septembre 2000 à Lethbridge, en Alberta.

[3]                Le 28 novembre 2002, une mesure de renvoi a été prise à l'égard du demandeur. Son appel devant la Section d'appel de l'immigration contre la mesure de renvoi a été rejeté. Le demandeur a donc perdu son statut de résident permanent. Il n'a pas été en mesure d'obtenir la citoyenneté canadienne. Il est encore citoyen soudanais.

[4]                Le 10 février 2003, la déléguée du ministre a émis une opinion selon laquelle le demandeur était « un danger pour le public au Canada » , conformément à l'alinéa 115(2)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Les dispositions légales pertinentes se lisent ainsi :


115(1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

115(1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.


   (2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas à l'interdit de territoire :

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, consitute un danger pour le public au Canada;

[...]

   (2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

[...]


[5]                Le 24 octobre 2003, l'opinion relative au danger a été transmise au demandeur, juste avant la fin de son incarcération, à la date de sa libération d'office. Il a ensuite été remis à la garde des autorités de l'Immigration. Le 28 octobre 2003, il a été mis en liberté par un membre de la Section de l'immigration à la suite d'un contrôle des motifs justifiant la détention.

[6]                La déléguée du ministre a appuyé son opinion sur un raisonnement qui tentait de concilier les facteurs indiquant qu'il était dangereux que le demandeur demeure au Canada et les craintes qu'il avait de retourner au Soudan :

[TRADUCTION] J'en suis arrivée à cette opinion en évaluant les facteurs suivants :

M. Koch Akuech craint de retourner au Soudan parce qu'il pense que d'autres personnes qui ont été envoyées à Cuba ont disparu après leur retour au Soudan. Il fait également remarquer qu'il a quitté ce pays lorsqu'il avait 10 ans, et que, par conséquent, il ne connaît pas ce pays et ne dispose d'aucun réseau de soutien dans ce pays. M. Koch Akuech a été déclaré coupable d'une infraction très grave, l'agression sexuelle d'un mineur. Il a été condamné à une peine de trois ans d'emprisonnement pour cette infraction.

M. Koch Akuech n'a pas de famille au Canada. Il ne semble pas avoir de réseau de soutien au Canada. D'après les rapports émanant de l'équipe de gestion des cas de l'établissement, il n'a pas établi de plan d'action définitif pour le guider après sa libération. Il veut retourner à Brooks, en Alberta, mais les agents chargés de son cas craignent qu'il reprenne l'habitude de consommer de l'alcool et de fêter avec ses amis. C'est pourquoi ils essaient de l'encourager à élaborer un plan pour sa libération. En outre, ils ont mentionné que M. Koch Akuech n'avait pas suivi comme il l'aurait fallu les cours recommandés concernant les infractions sexuelles. Cela s'est reflété dans le fait que la libération conditionnelle totale lui a été refusée.


Il est vrai que le Soudan n'a pas un très bon dossier en matière de droits de la personne et que la guerre civile y fait rage depuis des années. Cependant, en juillet et en octobre, les pourparlers tenus au Kenya ont débouché sur une entente qui autorise les agents d'aide humanitaire à se rendre dans le pays et qui accorde à la région Sud six années d'autonomie avant la tenue d'un référendum portant sur la possibilité de faire sécession.

Dans l'ensemble, j'estime qu'il y a lieu d'accorder une importance plus grande au danger important qu'il représente pour le public au Canada.

                                                                                                               [Non souligné dans l'original.]

[7]                À mon avis, le raisonnement de la déléguée du ministre contient une erreur de droit. Dans ses motifs, la déléguée du ministre n'a jamais déclaré qu'elle en était arrivée à la conclusion que le demandeur était un danger pour le public au Canada. Elle a plutôt décidé que « dans l'ensemble » , la présence du demandeur au Canada représentait un danger pour le public au Canada supérieur au danger auquel il pourrait faire face s'il retournait au Soudan.

[8]                Il appartenait à la déléguée du ministre de procéder à une analyse distincte des différents facteurs pour décider si le demandeur constituait un danger pour le public au Canada. Elle devait prendre cette décision avant de procéder à l'analyse des risques qu'il pourrait courir en cas de retour au Soudan. Dans les circonstances de l'espèce, il y avait lieu de décider précisément aux termes du paragraphe 115(2) si le demandeur constituait un danger pour le public au Canada avant que l'on pût déterminer si les droits accordés par le paragraphe 115(1) en matière de refoulement s'appliquaient à lui. Cette conclusion n'a pas été tirée. En l'absence d'une telle conclusion, la déléguée du ministre a commis une erreur en essayant de concilier les facteurs relatifs au danger et les facteurs relatifs au risque : voir également Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 156, paragraphe 56.


[9]                Pour ce motif, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Aucune des parties n'a demandé la certification d'une question grave et aucune question ne sera donc certifiée.

[10]            Je voudrais toutefois formuler quelques commentaires avant de conclure.

[11]            L'opinion relative au danger concernant le demandeur était fondée en grande mesure sur les rapports des agents correctionnels, dont le dernier remonte à septembre 2002. L'opinion relative au danger a été préparée en février 2003, et pourtant elle n'a été communiquée au demandeur qu'en octobre 2003, au moment de sa libération d'office. Le dossier ne contient aucun élément susceptible d'expliquer ce délai. En outre, étant donné la date à laquelle l'opinion relative au danger a été préparée, celle-ci ne contient aucun renseignement concernant le comportement du demandeur au cours de sa dernière année d'incarcération.

[12]            Le demandeur a été mis en liberté par les autorités de l'immigration le 28 octobre 2003. Là encore, la Cour dispose de peu d'éléments susceptibles d'expliquer la différence, s'il en est une, entre l'opinion relative au danger et la décision de la Section de l'immigration de mettre le demandeur en liberté, décision qui a apparemment été prise aux termes de la section 6 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. La Cour reconnaît le délai qui s'est écoulé pour mettre un terme à la présente instance. Il incombe maintenant au défendeur de revoir rapidement le statut du demandeur au Canada.


                                                                ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'opinion relative au danger pour le public au Canada préparée par la déléguée du ministre le 10 février 2003 et communiquée au demandeur le 24 octobre 2003 ou vers cette date est annulée et renvoyée pour nouvelle décision à un autre délégué.

                                                                                                                                      « Allan Lutfy »              

                                                                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-8756-03

INTITULÉ :                                                    JOSEPH MALONG KOCK AKUECH c. MCI

LIEUX DES AUDIENCES :                         EDMONTON, LE 26 OCTOBRE 2004 ET SUITE À OTTAWA LE 14 DÉCEMBRE 2004

DATES DES AUDIENCES :                         LES 26 ET 27 OCTOBRE 2004 ET

LE 14 DÉCEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE EN CHEF ALLAN LUTFY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 9 MARS 2005

COMPARUTIONS :

Wendy Bowman-Oake              POUR LE DEMANDEUR

780-429-3391

Rich Garvin                                                       POUR LE DÉFENDEUR

780-495-4317

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wendy Bowman-Oake              POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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