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Date : 20200221


Dossier : T-1710-18

Référence : 2020 CF 286

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 février 2020

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

BRANDON LEE ENGSTROM et AMBER RACHEL RAGAN

demandeurs

et

LE CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION DE PETERS, NORMA WEBB, EN SA QUALITÉ DE CHEF DE LA PREMIÈRE NATION DE PETERS, LEANNE PETERS, EN SA QUALITÉ DE CONSEILLÈRE DE LA PREMIÈRE NATION PETERS et VICTORIA PETERS, EN SA QUALITÉ DE CONSEILLÈRE DE LA PREMIÈRE NATION DE PETERS

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs en l’espèce contestent les décisions du 24 août 2018 par lesquelles le conseil de bande de la Première Nation de Peters (le Conseil) a rejeté leur demande respective d’adhésion à la bande. Il s’agit de la deuxième demande de contrôle judiciaire par laquelle les demandeurs sollicitent une réparation relativement à un refus d’adhésion à la bande. Leur première demande a été accueillie par le juge Simon Fothergill dans une décision rendue le 25 mai 2018 (voir Peters c Bande de la Première Nation Peters, 2018 CF 544, 293 ACWS [3 d] 226). Le juge Fothergill ne s’est pas prononcé sur le fond de la décision du Conseil de refuser l’adhésion à M. Engstrom et à Mme Ragan. Il a toutefois conclu que le Conseil avait agi de façon inéquitable en n’informant pas les demandeurs à l’avance des facteurs dont il allait tenir compte pour rendre une décision au sujet de leur demande. Il s’est également dit préoccupé par le fait que le Conseil n’avait donné aucun véritable motif à l’appui de sa décision. En renvoyant l’affaire au Conseil pour qu’il rende une nouvelle décision, le juge Fothergill a enjoint au Conseil de trancher les demandes de manière juste et raisonnable. Il a également fait observer que, si les demandes étaient de nouveau rejetées, les demandeurs pourraient interjeter appel auprès des membres de la bande.

[2]  Les demandes ont par conséquent été renvoyées au Conseil pour réexamen. Les demandes ont de nouveau été refusées pour les motifs suivants :

[traduction

1. Nous rejetons la demande d’adhésion à la Première Nation de Peters présentée par Brandon Engstrom pour les motifs suivants :

a. Il était adulte lorsqu’il a présenté sa demande d’adhésion. À notre avis, si l’on interprète correctement le Code d’appartenance de la Première Nation de Peters, force est de constater que seuls les enfants qui n’ont pas atteint l’âge de 18 ans et dont le père ou la mère est inscrit sur la liste des membres de la Première Nation de Peters satisfont aux critères d’appartenance énoncés à l’alinéa 1 E, partie III du Code d’appartenance de la Première Nation de Peters. Pour respecter le principe de la promotion de l’harmonie énoncé dans le préambule du Code d’appartenance de la Première Nation de Peters, nous sommes d’avis que le mineur qui présente une demande d’adhésion doit avoir le consentement de son père et de sa mère.

b. Brandon Engstrom a interjeté appel de la décision par laquelle nous avions rejeté sa demande d’adhésion au sein de la Première Nation de Peters. Lors d’une assemblée tenue le 6 novembre 2016, les membres de la bande ont voté contre l’admission de Brandon Engstrom au sein de la Première Nation de Peters. Aux termes de l’article 3 de la partie V du Code d’appartenance de la Première Nation de Peters, cette décision est définitive. De plus, en tant que Conseil, nous sommes solidaires de la décision prise par notre communauté, car nous estimons que c’est elle qui est la mieux à même de juger si la personne qui demande l’admission au sein de notre communauté s’y intégrera et contribuera à l’atteinte des buts et des aspirations de notre Première Nation et de ses membres.

c. Comme nous estimons que nous devons également tenir compte des principes énoncés dans le préambule du Code d’appartenance de la Première Nation de Peters, nous sommes d’avis que l’admission de Brandon Engstrom en tant que membre de la Première Nation de Peters ne contribuera pas à [traduction] « promouvoir l’harmonie et le bien commun ». Brandon Engstrom a engagé comme représentant Darryl Kipp, qui s’est montré très agressif et a menacé et harcelé des membres du Conseil et de l’Administration, vraisemblablement à la demande de son client, Brandon Engstrom, ou avec le consentement de ce dernier. À notre avis, ces gestes ont créé un climat de discorde et de division au sein de la communauté de la Première Nation de Peters.

2. Nous rejetons la demande d’adhésion à la Première Nation de Peters présentée par Amber Ragan pour les motifs suivants :

a. Elle était adulte lorsqu’il a présenté sa demande d’adhésion. À notre avis, si l’on interprète correctement le Code d’appartenance de la Première Nation de Peters, force est de constater que seuls les enfants qui n’ont pas atteint l’âge de 18 ans et dont le père ou la mère est inscrit sur la liste des membres de la Première Nation de Peters satisfont aux critères d’appartenance énoncés à l’alinéa 1 E, partie III du Code d’appartenance de la Première Nation de Peters. Pour respecter le principe de la promotion de l’harmonie énoncé dans le préambule du Code d’appartenance de la Première Nation de Peters, nous sommes d’avis que le mineur qui présente une demande d’adhésion doit avoir le consentement de son père et de sa mère.

b. Amber Ragan a interjeté appel de la décision par laquelle nous avions rejeté sa demande d’adhésion au sein de la Première Nation de Peters. Lors d’une assemblée tenue le 6 novembre 2016, les membres ont voté contre l’admission d’Amber Ragan au sein de la Première Nation de Peters. Aux termes de l’article 3 de la partie V du Code d’appartenance de la Première Nation de Peters, cette décision est définitive. De plus, en tant que Conseil, nous sommes solidaires de la décision prise par notre communauté, car nous estimons que c’est elle qui est la mieux à même de juger si la personne qui demande l’admission au sein de notre communauté s’y intégrera et contribuera à l’atteinte des buts et des aspirations de notre Première Nation et de ses membres.

c. Comme nous estimons que nous devons également tenir compte des principes énoncés dans le préambule du Code d’appartenance de la Première Nation de Peters, nous sommes d’avis que l’admission d’Amber Ragan en tant que membre de la Première Nation de Peters ne contribuera pas à [traduction] « promouvoir l’harmonie et le bien commun ». Amber Ragan a engagé comme représentant Darryl Kipp, qui s’est montré très agressif et qui a menacé et harcelé des membres du Conseil et de l’Administration, vraisemblablement à la demande de sa cliente, Amber Ragan, ou avec le consentement de cette dernière. À notre avis, ces gestes ont créé un climat de discorde et de division au sein de la communauté de la Première Nation de Peters.

[3]  Il ressort des motifs précités que la demande d’adhésion de M. Engstrom et de Mme Ragan a été rejetée pour trois motifs, sinon quatre, à savoir :

  • a) comme ils avaient présenté leur demande d’adhésion après avoir atteint l’âge de 18 ans, ils n’étaient plus admissibles;

  • b) les membres de la bande avaient voté contre leur admission dans le cadre de l’appel interjeté de la première décision du Conseil, rendant par conséquent une décision définitive par laquelle le Conseil était lié;

  • c) l’agent des demandeurs s’était montré agressif et menaçant dans la défense de leurs intérêts, créant ainsi un climat de discorde et de division au sein de la bande;

  • d) les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils avaient obtenu le consentement de leur mère à leur demande d’adhésion.

[4]  Les demandeurs s’estiment toujours lésés par la façon dont le Conseil a répondu à leur demande d’adhésion à la bande. Ils soutiennent que, tout au long de la procédure de demande d’adhésion, le Conseil a agi de mauvaise foi en faisant fi du droit évident à l’adhésion que leur confère le Code d’appartenance de la bande. Selon eux, la décision du Conseil était déraisonnable parce que le Conseil a tenté de justifier son refus en imposant des conditions préalables arbitraires qui n’étaient autorisées ni par le Code d’appartenance ni par quelque coutume, pratique ou tradition que ce soit. Le Conseil ne nie pas que le fait qu’il soit fondé sur des restrictions portant sur l’âge et le consentement parental ne trouve aucun appui dans le libellé explicite du Code d’appartenance. Il affirme toutefois qu’il possède le pouvoir inhérent de décider de l’appartenance à la bande, en invoquant une pratique de longue date et en citant le préambule du Code d’appartenance, lequel reconnaît les traditions et les coutumes de la bande, ainsi que la nécessité absolue de promouvoir l’harmonie et le bien commun. En fait, le Conseil affirme qu’il possède un vaste pouvoir discrétionnaire qui lui permet de tenir compte de toute preuve pertinente portant sur l’admissibilité de toute personne au sein de la bande. À son avis, les critères d’adhésion énoncés dans le Code d’appartenance ne sont qu’une liste non exhaustive de lignes directrices générales. L’un des facteurs supplémentaires que l’avocat du Conseil a invoqués lors des plaidoiries était les préoccupations liées aux ressources de la bande. Il va sans dire que ce facteur n’est mentionné nulle part dans la décision du Conseil et qu’il ne peut être invoqué dans le cadre de la présente instance pour justifier le refus d’admettre M. Engstrom et Mme Ragan. Même si ce facteur était pertinent pour m’aider à évaluer la décision du Conseil, il ne serait d’aucun secours. Ce facteur donne plutôt à penser que les motifs invoqués par le Conseil pour justifier son refus d’admettre M. Engstrom et Mme Ragan n’étaient pas fondés et que sa décision était en fait motivée par un manque de disposition à partager les ressources de la bande.

[5]  Compte tenu du dossier dont je dispose, il m’est impossible de discerner ce qui a effectivement motivé le Conseil à refuser les demandes d’adhésion de M. Engstrom et de Mme Ragan. Il m’est toutefois loisible d’examiner les motifs expressément invoqués par le Conseil pour refuser les demandes en question afin d’établir si ces motifs possèdent les caractéristiques de la logique, de l’intelligibilité et de la justification.

[6]  Le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse au raisonnement suivi par le décideur à l’appui de sa décision. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] ACS no 65 (QL), la Cour suprême du Canada a affirmé que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue », et non aux motifs qui auraient pu être invoqués. Un contrôle judiciaire rigoureux s’intéresse au résultat et au raisonnement qu’a suivi le décideur pour parvenir à ce résultat. Le résultat et le raisonnement doivent tous les deux être raisonnables, eu égard aux contraintes factuelles et juridiques pertinentes ayant une incidence sur la décision. Le régime législatif applicable constitue l’une des principales contraintes juridiques. Le décideur ne peut ignorer les règles applicables. Il n’existe pas de pouvoir discrétionnaire absolu ou illimité (voir Roncarelli c Duplessis, [1959] RCS 121, 16 DLR [2 d] 689). 

[7]  Selon l’arrêt Vavilov, le décideur dispose d’une certaine latitude pour interpréter les règles applicables à l’affaire dont il est saisi, mais l’opération d’interprétation d’une disposition « doit être conforme [au] texte, [au] contexte et à [l’] objet [de cette disposition] » [au par. 120].  Lorsque le libellé d’une disposition est « précis et non équivoque », c’est son sens ordinaire qui est habituellement retenu. En pareil cas, le décideur administratif ne peut adopter une interprétation qu’il sait de moindre qualité  mais plausible simplement parce que cette interprétation paraît possible et opportune. Son rôle consiste à discerner la signification de la disposition et non à échafauder une interprétation visant à obtenir le résultat souhaité [au par. 121]. 

[8]  Les règles qui régissent expressément le pouvoir du Conseil de décider de l’appartenance à la bande sont énoncées dans le Code d’appartenance de la bande indienne de Peters [le Code]. Ce Code, qui a été adopté par la bande en 1990, remplace les règles d’appartenance qui figuraient jusqu’alors dans la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5. Aux termes de la partie III du Code, les personnes suivantes pouvaient être admises au sein de la bande :

[TRADUCTION] 

A.   les personnes dont le nom figurait sur la liste de bande le 17 avril 1985;

B.   les personnes qui ont obtenu le droit de voir leur nom inscrit sur la liste de la bande de Peters conformément au paragraphe 6 (2) de la Loi sur les Indiens, dans sa version modifiée, avant la date où le Code d’appartenance a été adopté par la bande;

C.   les personnes qui ont obtenu le droit de voir leur nom inscrit sur la liste de la bande de Peters conformément à l’alinéa 6 (1) f) de la Loi sur les Indiens, dans sa version modifiée, avant la date où le Code d’appartenance a été adopté par la bande;

D.   les personnes qui ont obtenu le statut de membre de la bande en vertu des parties IV et V du présent Code d’appartenance;

E.   les personnes qui sont les enfants biologiques d’un père ou d’une mère dont le nom est inscrit sur la liste de bande;

[Non souligné dans l’original.]

[9]  M. Engstrom et Mme Ragan invoquent l’alinéa E pour faire valoir qu’ils sont les enfants biologiques incontestables de Robert Dwayne Peters, dont le nom figurait – et figure toujours – sur la liste de bande.

[10]  Pour rejeter les demandes de M. Engstrom et de Mme Ragan, le Conseil ne s’est de toute évidence pas senti lié par les critères d’appartenance prévus par le Code, ce qui est à la fois étonnant et indéfendable. Il n’était pas loisible au Conseil d’établir ses propres règles d’appartenance pour compléter les critères expressément adoptés en 1990, lorsque la bande a assumé les pouvoirs de décision en ce qui concerne l’appartenance à ses effectifs.

[11]  La bande avait probablement ses raisons d’adopter une règle d’appartenance prévoyant que le consentement du père ou de la mère suffisait. Toutefois, comme elle a formulé cette règle de façon absolue, la bande ne pouvait refuser une demande d’admission pour d’autres motifs. Il semble que c’est ce que le Conseil croyait comprendre, puisqu’il a tenté sans succès de modifier le Code pour imposer d’autres critères d’appartenance (en ajoutant notamment des restrictions relatives à l’âge). Ces modifications n’auraient pas été nécessaires si le Conseil avait disposé des vastes pouvoirs qu’il s’est arrogés pour rejeter les demandes d’adhésion de M. Engstrom et de Mme Ragan. 

[12]  L’argument du Conseil est également contredit par la teneur de plusieurs des échanges qui ont eu lieu entre les avocats des parties. Tout au long de ces échanges, M. Engstrom et Mme Ragan ont fait valoir leurs droits à l’adhésion en invoquant la règle du consentement du père ou de la mère. À aucun moment, l’avocat de la bande n’a prétendu que M. Engstrom et Mme Ragan n’étaient pas admissibles en raison de leur âge. Si c’est bien ce que l’ensemble des membres de la bande croyaient comprendre, comme le prétendent maintenant les auteurs des affidavits déposés au nom du Conseil, on se serait attendu à ce que la question soit soulevée lors de ces communications. Or, l’avocat de la bande n’a mentionné que la présumée exigence du consentement nécessaire du père et de la mère et a fait vaguement allusion au pouvoir discrétionnaire du Conseil qui permet à ce dernier de ne pas s’en tenir aux « lignes directrices » du Code [1] .  Il est par ailleurs préoccupant de constater qu’à d’autres moments, le Conseil a refusé de statuer sur ces demandes, parce qu’elles n’avaient pas été présentées en personne au bureau de la bande et qu’elles avaient été soumises en même temps que celles d’autres personnes et non individuellement [2] . J’ajouterais que, dans la mesure où il a tenu compte des présumés agissements de l’agent des demandeurs, le Conseil a agi de manière irrationnelle et, par conséquent, déraisonnable. Les supposés gestes de l’agent n’avaient rien à voir avec la question que le Conseil était appelé à trancher.

[13]  La conclusion que je tire de la preuve qui m’a été soumise est que le Conseil a outrepassé son mandat et invoqué une série d’excuses injustifiées et sans cesse changeantes pour se soustraire à ses obligations envers M. Engstrom et Mme Ragan.

[14]  Cela ne veut pas dire que la bande ne peut pas prendre des décisions sur des questions relatives à l’appartenance. Si la bande veut faire entrer en ligne de compte des considérations qui ont trait au comportement ou si elle souhaite assujettir l’adhésion à d’autres restrictions légitimes, elle peut le faire en modifiant en conséquence le Code. Il est toutefois douteux qu’une limite d’âge soit justifiée, parce qu’une telle chose est à première vue discriminatoire. 

[15]  Quant à l’argument du Conseil suivant lequel il avait le droit de tenir compte des pratiques passées et des coutumes de la bande pour compléter son pouvoir discrétionnaire, celui‑ci est intenable. Le Code n’admet pas la possibilité de tenir compte de tels facteurs et, même s’il le permettait, la preuve présentée au nom du Conseil n’établit pas l’existence de telles pratiques ou coutumes. Il est possible de recourir aux pratiques coutumières pour combler des lacunes afin de rendre opérant un régime ou un processus (voir Beardy c Beardy, 2016 CF 383, 266 ACWS [3 d] 527). C’est ce que l’on constate habituellement dans le cas de codes d’élection de bandes qui ne prévoient pas toutes les situations. Même alors, pour établir l’existence d’une pratique coutumière, il faut démontrer par des preuves que cette pratique est « fermement établie, généralisée et suivie de manière uniforme et délibérée par une majorité de la communauté, ce qui démontre […] un “large consensus” quant à son applicabilité » (Francis c Conseil mohawk de Kanesatake, 2003 CFPI 115, au par. 36, [2003] 4 CF 1133); voir Gadwa c Première Nation Kehewin, 2016 CF 597, [2016] ACF n569 (QL)). Selon les affidavits présentés par les deux parties, ce n’est pas le cas en l’espèce. En outre, comme la juge McVeigh l’a déclaré dans la décision Shirt c Nation Crie de Saddle Lake, 2017 CF 364, au par. 32, 279 ACWS (3 d) 2 : « [à] titre d’exemple, la coutume doit être reconnue par une majorité de membres de la bande et non pas uniquement par le chef et le Conseil. Il ne suffit pas que les membres de la bande acceptent la nouvelle coutume en tant que communauté, la communauté doit savoir qu’elle a été acceptée par les membres ».

[16]  Les affidavits souscrits au nom du Conseil indiquent seulement qu’il était de notoriété publique que seules les personnes âgées de 17 ans ou moins pouvaient devenir membres de la Première Nation de Peters. Les auteurs de ces affidavits reconnaissent par ailleurs qu’entre 1990 et le moment où M. Engstrom et Mme Ragan ont présenté leur demande d’adhésion, aucune demande d’adhésion n’avait été présentée par une personne âgée de plus de 17 ans. Le fait que toutes les demandes qui ont été présentées dans l’intervalle ont été faites et approuvées avant que les demandeurs n’atteignent l’âge de 18 ans ne crée pas une coutume ou une pratique et ne donne pas lieu à une interprétation selon laquelle toute personne plus âgée ne pouvait devenir membre de la bande. Pour établir l’existence d’une telle pratique coutumière, il faudrait des preuves beaucoup plus solides que celles qui ont été présentées par les membres du Conseil qui avaient un intérêt personnel à protéger. D’ailleurs, si la restriction relative à la limite d’âge était aussi notoire que ce qu’affirment maintenant les auteurs de ces affidavits, il aurait fallu que les éléments de preuve à l’appui de cette coutume proviennent de membres désintéressés de la bande et, plus particulièrement, d’Anciens respectés et impartiaux. En l’espèce, aucune preuve de ce genre n’a été présentée. Au lieu de cela, la Cour doit se contenter d’affirmations sans nuances faites par des membres de la bande au sujet de l’existence d’une pratique coutumière. La Cour doit soupeser ces affirmations avec d’autres éléments de preuve niant l’existence de telles pratiques ou d’une pareille interprétation après 1990. Il ressort du dossier que le Conseil a lamentablement échoué dans ses tentatives de démontrer qu’il possédait un pouvoir discrétionnaire élargi lui permettant d’imposer des restrictions en matière d’âge ou de consentement de la mère dans le cas des présentes demandes.

[17]  Je suis convaincu, au vu du dossier, que le Conseil a agi de manière illégale et injuste et qu’il a fait preuve de mauvaise foi en rejetant les demandes d’adhésion de M. Engstrom et de Mme Ragan. Le Conseil a aggravé sa conduite en refusant de soumettre les demandes de M. Engstrom et de Mme Ragan aux membres de la bande conformément aux directives formulées par le juge Fothergill et au Code. Comme le juge Fothergill avait annulé la première décision du Conseil, celle-ci était nulle et sans effet en droit. Le Conseil ne pouvait statuer sur l’appel interjeté d’une telle décision entachée de nullité en partant du principe que M. Engstrom et Mme Ragan avaient épuisé leurs droits d’appel. M. Engstrom et Mme Ragan avaient le droit d’interjeter appel et c’est à tort que le Conseil les a déboutés.

[18]  Il y a lieu à mon avis en l’espèce d’enjoindre au Conseil de prendre toutes les mesures nécessaires pour admettre les demandeurs au sein de la bande comme membres à part entière. Le Conseil s’est systématiquement montré incapable de trancher ces questions et on ne saurait raisonnablement s’attendre à ce que l’équité et la raison finissent par triompher. De plus, les demandeurs ont le droit incontestable et sans réserve de devenir membres de la bande indienne de Peters du fait de l’appartenance de leur père à cette bande. C’est la seule et unique conclusion à laquelle on peut parvenir en l’espèce. Pour citer l’arrêt Vavilov, une cour siégeant en révision ne devrait pas tolérer « un va‑et‑vient interminable de contrôles judiciaires et de nouveaux examens », surtout lorsque le résultat est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien.

[19]  Les parties ont demandé qu’on leur accorde la possibilité de présenter d’autres observations au sujet des dépens. Je vais donc accorder à chacune des parties un délai de dix jours pour présenter des observations écrites ne devant pas excéder dix pages.

 


JUGEMENT dans le dossier T-1710-18

LA COUR accueille la demande et ordonne aux défendeurs de prendre toutes les mesures nécessaires pour admettre les demandeurs au sein de la bande comme membres à part entière. 

 « R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de mars 2020.

M. Deslippes, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

T-1710-18

 

INTITULÉ :

BRANDON LEE ENGSTROM et AMBER RACHEL RAGAN c CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION PETERS

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JANVIER 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

DATE DES MOTIFS :

LE 21 FÉVRIER 2020

COMPARUTIONS :

Karey M. Brooks

POUR Les demandeurs

Stan H. Ashcroft

POUR LES défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JFK Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR Les demandeurs

Ashcroft & Company

West Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES défendeurs

 



[1]   Les « lignes directrices » dont parle le Conseil sont en réalité les « règles » énoncées à l’article 10 de la Loi sur les Indiens.

[2]   Mme Ragan a également présenté sa demande d’adhésion avant d’avoir atteint l’âge de 18 ans, mais il semble que cette demande ait été rejetée au motif qu’elle n’avait pas signé de demande individuelle. Lorsqu’elle a présenté sa nouvelle demande, Mme Ragan avait atteint l’âge de 18 ans et sa demande a été rejetée pour ce motif. 

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