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Date : 20040408

Dossier : IMM-856-03

Référence : 2004 CF 548

ENTRE :

                                                   DONATO OBANDO CARRILLO

                                                                                                                                           demandeur

et

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                M. Carrillo cherche asile au Canada parce qu'il craint d'être persécuté par les autorités gouvernementales du Costa Rica. Il affirme posséder de l'information au sujet de la corruption au sein du gouvernement. Il prétend avoir qualité de personne à protéger en tant que personne exposée au risque d'être torturée, de perdre la vie ou d'être soumise à des traitements ou des peines cruels et inusités s'il retournait au Costa Rica.

[2]                La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger au sens de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. M. Carrillo a reçu l'autorisation de demander le contrôle judiciaire de cette décision.

[3]                M. Carrillo, qui était âgé de 51 ans au moment de son audience, est un citoyen du Costa Rica. Alors qu'il était agent de police au milieu des années 1980, on lui a assigné la tâche de faire enquête sur les activités d'un gang mené par un dénommé Rudolfo Ramirez, lequel était soupçonné de trafic de stupéfiants et de meurtre. À la suite de l'enquête, M. Ramirez et d'autres membres du gang ont été arrêtés, déclarés coupables et condamnés à des peines d'emprisonnement d'une durée moyenne d'environ 25 ans.

[4]                Après que M. Ramirez a été condamné en novembre 1996, M. Carrillo a dit avoir été agressé par trois hommes qu'il croyait être des policiers associés avec M. Ramirez. Il s'est plaint à ses supérieurs qui ont dit ne pas avoir la compétence requise pour faire enquête. Il a poursuivi l'affaire devant l'Organisation des enquêtes judiciaires, mais on lui a dit qu'il n'avait pas suffisamment d'éléments de preuve.

[5]                En février 1997, il a été attaqué une deuxième fois. Là encore, il croit que ses agresseurs étaient des policiers. Quoi qu'il en soit, ils lui ont dit qu'ils le menaçaient au nom de M. Ramirez.

[6]                En conséquence, il a quitté le corps de police et il a travaillé dans diverses plantations. Cependant, en novembre 1998, alors qu'il revenait de travailler, et il a été agressé par deux hommes qui l'ont informé que M. Ramirez avait été libéré de prison. Plusieurs mois plus tard, il a été agrippé par trois hommes, dont deux étaient ceux-là mêmes qui l'avaient attaqué en novembre 1998. Ils l'ont forcé à monter dans un véhicule et lui ont dit qu'ils l'amenaient rencontrer M. Ramirez. Il a réussi à s'enfuir, à se cacher chez sa mère et il a ensuite quitté le Costa Rica.

[7]                La question devant la Commission et en effet, celle devant la Cour en examen de la décision rendue par la Commission, est la crédibilité de M. Carrillo. La Commission a conclu que les éléments de preuve qu'il a déposés n'étaient pas crédibles ou dignes de foi en raison de certaines incohérences et invraisemblances. De plus, il n'a pas été en mesure de corroborer les aspects clés de son récit, en dépit du fait qu'il a eu l'occasion de déposer des éléments de preuve documentaire après l'audience, étant donné que la Commission avait soumis des Demandes d'information.


[8]                L'avocat de M. Carrillo admet d'emblée qu'il y avait des incohérences étant donné que certains faits déclarés par son client lors de son témoignage ne figuraient pas dans son Formulaire sur les renseignements personnels (FRP) ou qu'il y avait des contradictions mineures entre l'information énoncée dans son FRP et son témoignage. Cependant, il affirme qu'il y avait des raisons très satisfaisantes à l'appui de ces incohérences et que la Commission n'avait pas le droit de considérer son récit comme étant non plausible. L'avocat de M. Carrillo a fait valoir devant la Cour que la Commission avait procédé à un examen microscopique de la preuve. Dans un langage plus courant, il l'a accusée de couper les cheveux en quatre.

[9]                D'autre part, l'avocat du ministre donne à entendre que c'est M. Carrillo qui soumet la décision de la Commission à un examen microscopique indu. Après avoir fait un examen équitable et pondéré de la décision, et du dossier, on ne peut affirmer que les conclusions de fait étaient manifestement déraisonnables. La décision survivrait à un contrôle judiciaire exercé au regard de la norme la plus stricte, et elle ne serait pas annulée. De plus, le demandeur n'a jamais démontré le bien-fondé de sa cause en premier lieu. Sa cause ne repose pas sur l'existence de M. Ramirez, mais bien sur sa présumée connaissance de la corruption au sein du gouvernement.

[10]            L'argument en réponse est que M. Carrillo a démontré le bien-fondé de son affaire, mais que la Commission a refusé de le croire.

[11]            J'estime que la Commission a exagéré à certains égards. La question est de déterminer dans quelle mesure cet excès de zèle est pertinent quant au coeur de l'affaire, c'est-à-dire à la corruption au sein du gouvernement.

[12]            Par exemple, M. Carrillo a déclaré qu'il avait comparu comme témoin au procès de M. Ramirez. Dans son FRP, il n'a pas mentionné de procès. Cependant, il a mentionné l'arrestation et la déclaration de culpabilité; il faut donc déduire qu'il y a eu un processus judiciaire quelconque.

[13]            Quant à l'incident qui s'est produit en 1999, dans son FRP, M. Carrillo a affirmé avoir été agrippé et poussé dans une voiture, alors qu'il a témoigné avoir été poussé dans un camion. Dans son FRP, il a dit qu'il s'était faufilé pour sortir du véhicule alors qu'il a témoigné qu'il avait sauté du véhicule. Ce sont là des détails.

[14]            Il a témoigné que ses agresseurs avaient tiré des coups de feu dans sa direction, mais il n'a pas mentionné cet incident dans son FRP. Il se peut que ce détail ne soit pas si insignifiant.

[15]            Il a témoigné que des membres du gang étaient à sa recherche, à la maison de sa femme et plus tard à la maison de sa mère. Dans son FRP, il a mentionné qu'ils étaient allés à sa recherche à divers endroits, mais il n'a pas précisé qu'il s'agissait des maisons de sa femme et de sa mère. Je doute que cela permette de conclure que M. Carrillo est un menteur.

[16]            Même si dans la preuve documentaire que M. Carrillo a fournie, il est prouvé qu'il était un policier, il n'a pu fournir pareille preuve pour la période visée par l'espèce, soit le temps pendant lequel il faisait enquête sur M. Ramirez. En fait, même après l'audience, il n'a pu fournir aucun élément de preuve de l'existence de M. Ramirez et qu'un procès avait eu lieu.


[17]            Cependant, l'élément clé reliant M. Ramirez aux allégations de corruption policière sont les diverses attaques physiques que M. Carrillo a subies. M. Carrillo n'a jamais déclaré que ses agresseurs étaient des policiers. Il a dit qu'il croyait qu'ils étaient des policiers parce qu'ils avaient les cheveux courts, qu'ils n'avaient pas de moustache et qu'ils portaient des revolvers de calibre 38. À mon avis, ce témoignage n'est pas visé par la présomption qu'un témoin dit la vérité. Le témoin ne rapporte pas un fait, mais plutôt une impression. Le fait qu'il croyait que ses agresseurs étaient des policiers ne fait pas d'eux des policiers. La Commission n'a pas été convaincue qu'il avait réussi à prouver que ses agresseurs étaient des policiers. De plus, le refus de ses supérieurs d'agir parce qu'ils avaient l'impression de ne pas avoir suffisamment de preuve ou de compétence, ne permet pas de conclure qu'ils étaient corrompus.

[18]            Je m'inspire des motifs exposés par le juge Joyal dans la décision Miranda c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 81, dans laquelle il a affirmé que « [b]ien qu'il soit possible d'isoler un commentaire dans la décision de la Commission et de conclure que celle-ci s'est trompée, l'erreur doit néanmoins être pertinente à la décision rendue. [...] [I]l est vrai que des plaideurs habiles peuvent découvrir quantité d'erreurs lorsqu'ils examinent des décisions de tribunaux administratifs [...] » . Le juge Joyal a fait remarquer que la Cour suprême avait trouvé 18 erreurs dans les directives qu'un juge avait données à un jury dans une affaire criminelle, mais qu'en l'absence de tout déni de justice, elle ne pouvait accueillir le pourvoi. Puis il a précisé qu'il importe peu qu'un tribunal différent eût pu arriver à une conclusion différente. Nous avons également été mis en garde contre les examens excessifs et microscopiques par le juge Muldoon dans la décision Annalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000) 6 Imm. L.R. (3rd) 316, ainsi que par le juge Russell dans la décision Rivera-Velasquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1322.


[19]            Il a été bien établi dans des causes comme Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), qu'une conclusion de fait rendue par la Commission doit être maintenue à moins qu'elle soit manifestement déraisonnable. N'oublions pas que la Commission avait l'avantage de voir le témoin.

[20]            Une conclusion de fait n'est pas manifestement déraisonnable s'il y a le moindre élément de preuve à l'appui de la décision, même si la cour de révision aurait pu ne pas arriver à la même conclusion (voir l'arrêt Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, les motifs du juge Sopinka, aux pages 340 et 341).

[21]            De plus, la Commission n'a pas rendu sa décision « sans tenir compte des éléments dont

[elle] dispos[ait] » , pour reprendre les termes de l'alinéa 18.1 (4)d) de la Loi sur les Cours fédérales. Il n'y avait aucune preuve devant la Commission indiquant que les agresseurs de M. Carrillo étaient des policiers. Il n'était donc pas déraisonnable pour la Commission de conclure qu'il n'y avait aucune preuve de corruption au sein du gouvernement et de rejeter la demande.

[22]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


                                                                                                                              « Sean Harrington »               

                                                                                                                                                     Juge                          

Toronto (Ontario)

Le 8 avril 2004

Traduction certifiée conforme,

Josette Noreau, B.Trad


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-856-03

INTITULÉ :                                                    DONATO OBANDO CARRILLO

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 6 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                LE JUGE HARRINGTON

DATE :                                                            LE 8 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Marc Boissonneault                                          POUR LE DEMANDEUR

Matina Karvellas                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marc Boissonneault                                           POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


                         COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20040408

                                              Dossier : IMM-856-03

ENTRE :

DONATO OBANDO CARRILLO

                                                                  demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

              MOTIFS DE L'ORDONNANCE


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