Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050920

Dossier : T-592-05

Référence : 2005 CF 1292

Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DENE THA'

demanderesse

et

STEPHEN DIDZENA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La Première nation Dene Tha' (la Première nation) demande [traduction] « une injonction permanente interdisant au défendeur de se présenter comme chef de la Première nation Dene Tha' ou de tenter, par tout autre moyen, d'exercer la compétence et les pouvoirs qui sont dévolus au chef de la Première nation Dene Tha' » . Dans une ordonnance datée du 11 mai 2005, la Cour a rejeté une demande de redressement interlocutoire de nature semblable. Je conclus que la présente demande doit également être rejetée.

LE CONTEXTE

[2]                La Première nation est une « bande » au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5 (la Loi). Il ne s'agit pas d'une bande à laquelle « l'article 74 » s'applique puisque le conseil de la bande n'est pas constitué au moyen d'élections tenues selon la procédure décrite à l'article 74 de la Loi. Le chef et le conseil de la Première nation sont plutôt choisis selon la coutume de la bande tel que l'autorise l'article 2 de la Loi. Le chef et le conseil de la Première nation Dene Tha' sont choisis par scrutin en conformité avec les dispositions du « Dene Tha' First Nation Election Regulations » (le Règlement sur les élections). La pratique est suivie depuis 1993 et il n'est pas contesté que le Règlement sur les élections forme un code qui régit toutes les questions relatives à l'élection (et à la destitution) du chef et des conseillers de la Première nation. Sauf disposition contraire, le Règlement sur les élections prévoit un mandat d'une durée de quatre ans tant pour le chef que pour les conseillers.

[3]                Le défendeur, M. Didzena, a été élu chef le 26 octobre 2001. Son mandat devait prendre fin le 26 octobre de cette année. L'élection du chef doit avoir lieu le 19 octobre et celle des conseillers le 26 octobre.

[4]                Voici un résumé des faits pertinents. J'ai volontairement omis certains détails superflus. Au début de l'année 2003, les activités de M. Didzena en tant que chef ont commencé à soulever certaines préoccupations. Il était allégué qu'il réclamait frauduleusement le remboursement de frais de déplacement et de dépenses d'emploi. Lors de la réunion du conseil tenue le 10 mars 2003, il a été décidé de suspendre M. Didzena de ses fonctions, sans solde, jusqu'à ce qu'il puisse s'expliquer au cours de la réunion qui devait avoir lieu le 14 mars. M. Didzena aurait, semble-t-il, été avisé de la réunion du 14 mars, mais il ne s'y est pas présenté. Pendant la réunion, les membres du conseil ont décidé, par suffrage, de nommer un chef intérimaire jusqu'à ce qu'une décision soit prise au sujet de M. Didzena ou, au plus tard, jusqu'au 30 mars.

[5]                Le 17 mars 2003, une assemblée générale des membres de la collectivité a été convoquée et M. Didzena était présent. Selon le procès-verbal de la réunion, un membre de la Première nation a déposé une motion demandant la tenue d'un référendum, en avril 2003, au sujet de la destitution de M. Didzena de sa charge de chef. Certains participants ayant mal compris, le vote sur la motion a été déclaré nul et un autre vote (sur la motion) a été prévu pour le lendemain. Le dossier n'indique rien concernant l'adoption de la motion et il est clair qu'il n'y a pas eu de référendum. M. Didzena a continué de jouer le rôle de chef.

[6]                Les activités de M. Didzena ont soulevé de nouvelles préoccupations en 2004. Il y a eu d'autres allégations concernant des demandes frauduleuses de remboursement de frais de déplacement et de dépenses d'emploi de la part de M. Didzena, ainsi que des allégations concernant des décisions unilatérales qu'il aurait prises au sujet des sociétés dont la Première nation était propriétaire.

[7]                Le 17 novembre 2004, à la demande de M. Didzena, une autre assemblée générale des membres a été convoquée. Pendant la réunion, M. Didzena a dit qu'il démissionnait de son poste de chef. Il y a contestation sur les détails concernant la « démission » ainsi que la réunion elle-même. M. Didzena jure que les membres ont refusé d'accepter sa démission et qu'ils ont dit qu'ils ne l'accepteraient qu'à condition que les conseillers démissionnent eux aussi. Il prétend avoir convoqué une autre réunion (le 10 janvier 2005) au cours de laquelle les membres devaient décider s'ils allaient exiger la démission du chef et du conseil. Dans l'affidavit principal produit par la demanderesse, l'auteur jure qu'il ignorait que les conseillers devaient démissionner en bloc et il ajoute qu'il n'avait pas été décidé, lors de la réunion du 17 novembre, que le conseil devait démissionner.

[8]                Quoi qu'il en soit, il n'est pas contesté que, jusqu'au 26 novembre 2004, le conseil et la Première nation ont continué de reconnaître que M. Didzena était leur chef. Ce jour-là, le conseil s'est réuni en assemblée extraordinaire à High Level (Alberta). La question de M. Didzena et des allégations qui pesaient contre lui a été discutée pendant la partie de la réunion qui a eu lieu à huis clos. Pendant la partie publique de la réunion, le conseil de bande a signé une résolution (la RCB) visant à congédier M. Didzena. Six des huit conseillers ont signé la RCB et les honoraires de M. Didzena ont cessé d'être versés. M. Didzena avait convoqué la réunion, mais il ne s'était pas présenté à cause de l'endroit où elle devait avoir lieu. Le 10 décembre, le conseil a adopté une résolution nommant un chef intérimaire.

[9]                M. Didzena a refusé de reconnaître la RCB censée signifier son congédiement. Il a continué d'organiser l'assemblée générale des membres prévue à l'origine pour le 10 janvier 2005. Les six conseillers qui ont signé la RCB contestée n'étaient pas présents. Les deux autres conseillers étaient présents. Une note de service, signée par M. Didzena, affirme que les membres ont décidé notamment, par suffrage, de cesser de reconnaître la qualité de conseillers aux six conseillers qui avaient signé la RCB. M. Didzena et les deux autres conseillers devaient toutefois conserver leur poste.

[10]            En février 2005, un avis public a été publié dans un journal local déclarant que la Première nation ne serait plus responsable des décisions prises par les six conseillers qui avaient soi-disant présenté leur démission le 10 janvier 2005. Également en février, M. Didzena a envoyé une lettre au conseiller juridique de la Première nation avisant le cabinet de l'avocat du conseil que ses services ne seraient plus retenus. M. Didzena (en qualité de chef) a participé à une réunion des Premières nations visées par le Traité no 8 de l'Alberta et il a signé, avec les chefs des autres Premières nations visées par ce traité, une lettre adressée au premier ministre Ralph Klein. En mai, M. Didzena a participé à une conférence dont le programme mentionnait qu'il était le chef de la Première nation Dene Tha'. Il n'a pas participé à la gouvernance quotidienne de la Première nation et n'a touché aucun honoraire depuis son soi-disant congédiement du 26 novembre 2004.

[11]            Le 1er avril 2005, la Première nation a déposé la présente demande. Il ressort clairement des dossiers que les membres de la collectivité de la Première nation ne savent pas très bien quel est le rôle de chacun. Il ressort également clairement, malgré la confusion, que ce sont les six conseillers ayant signé la RCM contestée qui s'occupent des affaires courantes de la Première nation sous la direction d'un chef intérimaire, membre de la Première nation.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[12]            Deux questions principales doivent être tranchées. La première est de savoir si le défendeur a été régulièrement destitué de ses fonctions de chef de la Première nation. Si oui, la deuxième question qui se pose est de savoir si la demanderesse à droit à l'injonction demandée relativement au défendeur.

LES QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

[13]            Dans le dossier du défendeur déposé sous le même numéro de dossier de la Cour que la demande de la Première nation, M. Didzena a demandé le contrôle judiciaire de la RCB et [traduction] « un bref de certiorari annulant la RCB, un jugement déclaratoire selon lequel Stephen Didzena était le chef de la Première nation Dene Tha', et les dépens » . Une telle procédure ne respecte pas plusieurs règles de la partie 5 des Règles des Cours fédérales mais, en l'espèce, elle a été spécifiquement autorisée par la Cour dans l'ordonnance du 11 mai 2005. Après avoir entendu les parties, le juge Rouleau a mentionné que la validité de la RCB était la principale question litigieuse.

[14]            Le juge Rouleau a autorisé le défendeur à contester la RCB, il a autorisé une modification supplémentaire et la mise en état des dossiers et il a fixé la date des contre-interrogatoires ainsi que de la signification et du dépôt des dossiers. La Première nation a déposé une réponse. Il est donc clair et convenu par les parties que la validité de la RCB est une question litigieuse en l'espèce.

ANALYSE

[15]            Avant d'en arriver à l'élément essentiel de la présente procédure, il convient de mentionner deux autres questions. Compte tenu de la conclusion finale que je tire, ni l'une ni l'autre de ces questions n'a d'importance. Toutefois, à l'audience, les parties ont longuement discuté de chacune d'elles et c'est pour cette raison que je les analyse dans les présents motifs.

[16]            Premièrement, il ne ressort pas clairement du dossier que les six conseillers qui s'occupaient des affaires de la Première nation étaient autorisés à intenter la présente poursuite en son nom. La demanderesse fait valoir qu'une RCB antérieure était suffisamment large pour englober la présente procédure et elle a également déposé une RCB datée du 7 septembre 2005 qui ratifiait toutes les actions prises et appliquées par le conseil relativement à la présente procédure. Ensemble, la RCB antérieure ainsi que celle du 7 septembre 2005 établissent clairement qu'une majorité des membres du conseil avaient autorisé le dépôt de la présente demande. Puisque les six conseillers ont été régulièrement élus membres du conseil en 2001 et que, à tort ou à raison, ils ont continué d'administrer les affaires de la Première nation, je conviens que la Première nation a demandé que la Cour soit saisie de l'avis de demande.

[17]            Ensuite, il s'agit d'une question de compétence. Dans la partie « orale » de l'ordonnance datée du 11 mai 2005, la Cour a dit que ce suit :

[TRADUCTION]

L'une des questions que la Cour s'est sentie obligée d'examiner a été celle de la compétence. La Cour peut accorder une injonction contre un office fédéral, notamment un conseil de bande; cependant, j'ai du mal à me convaincre que le défendeur est un office fédéral. Il n'est plus le chef depuis la démission qu'il a alléguée et la résolution du conseil donne à penser qu'il ne fait pas partie du conseil de bande à qui a été reconnu la qualité d'office fédéral en conformité avec l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985 ch. F-7.

La demanderesse prétend qu'aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales, un office fédéral comprend notamment une personne censée exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale. La demanderesse prétend que le défendeur est censé être le chef et un membre du conseil qui est également un office fédéral. L'argument n'est pas convaincant. Un chef peut-il être un office fédéral? Le défendeur est le chef, mais il n'a pas encore été décidé s'il a démissionné et s'il a été destitué de ses fonctions régulièrement par suite d'une résolution du conseil de bande.

La demanderesse prétend que le défendeur et ses partisans ont pris des mesures pour miner l'autorité du conseil, qu'ils se sont immiscés dans les liens contractuels entre la bande et d'autres groupes et que, de façon générale, ils ont tenté d'empêcher le conseil d'exercer sa compétence dans l'intérêt de l'ensemble de la Première nation Dene Tha'. En disant cela, le conseil lui-même reconnaît que le défendeur n'est pas membre du conseil et qu'il n'est donc pas un office fédéral.

Il n'y a pas de doute que le demandeur peut s'adresser à la Cour fédérale mais je ne suis pas, pour l'instant, convaincu que le défendeur était un « office fédéral » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

La Cour n'a été saisie d'aucune preuve qui lui permette de conclure que les activités du défendeur étaient de nature telle qu'on serait convaincu qu'il était un office fédéral au sens de la définition; il ne remplissait aucune tâche de la bande ni ne contractait d'obligations susceptibles de mettre en cause la responsabilité de la bande. Comme l'a fait valoir l'avocat de la demanderesse, il tentait de semer la zizanie en se présentant toujours comme le chef de la bande même si une résolution avait été adoptée pour qu'il soit démis de ses fonctions. La Cour a suggéré au conseil de bande de ne tout simplement pas tenir compte de ses actions et de ses allégations. Ce n'est pas parce qu'une personne allègue être le chef de la bande, alors qu'elle ne s'occupe pas des affaires officielles en son nom, que cette personne sera réputée exercer ou être censée exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale. Même si, dans son mémoire, le défendeur soutient que la Cour est compétente, cet aveu ne confère pas, à lui seul, compétence à la Cour pour accorder le redressement demandé sans autre discussion.

[18]            La demanderesse a commencé par soutenir que M. Didzena s'était lui-même démis de ses fonctions de chef quand il avait « démissionné » lors de l'assemblée générale du 17 novembre 2004. Toutefois, la Première nation prétend aujourd'hui qu'elle ne s'est pas fondée sur la soi-disante démission [traduction] « compte tenu de la preuve contradictoire sur cette question » . Les deux parties ont présenté leurs positions respectives en se fondant sur le fait qu'il n'y avait pas eu de démission.

[19]            Néanmoins et malgré les observations du 11 mai 2005 de la Cour, aucune des parties n'a soulevé carrément la question de la compétence. Quand j'ai interrogé les avocats sur cette question, ils ont d'abord dit que les parties ne l'avaient pas évoquée. J'ai rappelé aux avocats qu'il n'était pas possible de conférer compétence par consentement.

[20]            La demanderesse se fonde sur les termes de l'article 2 et du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R. 1985, ch. F-7. Elle prétend qu'une injonction peut être accordée contre un office fédéral ou un autre tribunal en conformité avec le paragraphe 18(1). L'article 2 s'applique à un conseil de bande parce qu'il est reconnu en droit qu'un conseil est un office fédéral et que la définition de l'expression « office fédéral » prévoit non seulement l'exercice d'une compétence ou des pouvoirs, mais également le fait d'être « censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale » . Partant, la demanderesse soulève la question de savoir [traduction] « si le défendeur s'est présenté comme chef ou s'il a tenté, par d'autres moyens, d'exercer la compétence et les pouvoirs du poste de chef [...] » . Les observations présentées ne soulèvent pas la question de savoir si les activités de M. Didzena étaient (telles que décrites dans l'ordonnance du 11 mai 2005) [traduction] « de nature telle qu'on serait convaincu qu'il était un office fédéral au sens de la définition » ou s'il s'agissait tout simplement de « méfaits » . Le défendeur n'a présenté aucune observation à cet égard.

[21]            Dans l'ouvrage de Donald J.M. Brown et de John M. Evans, intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto : Canvasback Publishing, 1998), l'affaire entendue par un tribunal de la Saskatchewan Whitefish c. Saskatchewan (Ministry of Indian Affairs and Northern Development) (1985), 41 Sask. R. 257 (Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan) est citée à l'appui du commentaire suivant au paragraphe 2:4324 :

[TRADUCTION]

Les tribunaux ont décidé que les bandes indiennes n'étaient pas visée par l'expression « office fédéral » mais ils ont toujours dit que, lorsqu'il exerce ou est censé exercer les pouvoirs prévus par une loi fédérale, le conseil d'une bande indienne est un office fédéral. En outre, il a été décidé qu'en exerçant la compétence et les pouvoirs prévus par la Loi sur les Indiens, le chef d'une bande indienne est un office fédéral, au même titre que les tribunaux d'appel et les membres individuels d'un conseil de bande. [Non souligné dans l'original.]

[22]            En l'absence d'une argumentation détaillée relativement aux actions de M. Didzena, j'hésite à dire que ses activités étaient de nature telle qu'il était censé exercer une compétence ou des pouvoirs conférés ou prévus par une loi fédérale. Quoi qu'il en soit, comme je l'ai dit plus haut, eu égard à la conclusion que j'ai tirée et à l'analyse suivante sur laquelle elle est fondée, je n'ai pas besoin de décider si M. Didzena est censé avoir exercé les compétences et les pouvoirs conférés ou prévus par la Loi.

[23]            La Première nation prétend que la destitution de M. Didzena, lors de la réunion du 26 novembre, était conforme à l'article 9 du Règlement sur les élections. L'article est reproduit ci-dessous et il s'agit de la seule mention, dans le Règlement sur les élections, par ailleurs détaillé et complet, de destitution.

[traduction]

Article 9

CESSATION DES FONCTIONS

1.         DESTITUTION - Un chef ou un conseiller peut être démis de ses fonctions si, pendant l'exercice de ces fonctions :

A)      par suite d'un appel ou d'une autre enquête, il a été révélé qu'il ou elle s'est adonné à des manoeuvres électorales frauduleuses;

B)       il ou elle a agi de manière dommageable à l'égard de la charge de chef ou de conseiller ou de manière dommageable à l'égard de la Première nation Dene Tha', lorsque le conseil a établi des lignes directrices concernant la conduite du chef et des conseillers.

2.         INFRACTION - S'il y a eu infraction à la première disposition de l'article 9, une motion doit être présentée lors d'une réunion du conseil dûment convoquée pour demander la destitution de la personne concernée. Par la suite, le quorum du conseil doit signer une résolution du conseil de bande de la Première nation décrivant l'infraction et exigeant la destitution de la personne concernée. En tout état de cause, le chef ou le conseiller sera démis de ses fonctions jusqu'après la prochaine élection générale.

3.         CODES DE CONDUITE- Le conseil de la Première nation peut, par résolution officielle ou par règlement, établir d'autres règles précises concernant la conduite des représentants élus de la Première nation Dene Tha'.

[24]            M. Didzena soutient qu'il n'a pas été régulièrement démis de ses fonctions. Il prétend que l'article 9 du Règlement prévoit au moins quatre conditions préalables obligatoires pour que les conseillers puissent valablement signer la RCB. Selon M. Didzena, il n'a été satisfait à aucune de ces conditions. Pour contester la validité de la RCB, M. Didzena insiste surtout sur la quatrième condition, à savoir qu'une motion exigeant sa destitution doit avoir été présentée et adoptée pendant la réunion. Je vais, moi aussi, me concentrer sur cette condition. M. Didzena soutient que la résolution est nulle.

[25]            La demanderesse répond que M. Didzena soulève des questions de sémantique. Selon les deux affidavits produits par la demanderesse, la RCB a été soumise aux conseillers qui étaient présents lors de la réunion du 26 novembre du conseil. Elle avait été consignée par écrit et soumise aux conseillers pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté au sujet de l'objet de l'examen demandé des conseillers. Pour l'essentiel, prétend la demanderesse, la RCB est une motion.

[26]            Avec tout le respect que je dois à la demanderesse, je rejette son argument. Rien au dossier ne laisse à penser qu'une motion portant destitution de M. Didzena ait été présentée au conseil et adoptée par lui lors de la réunion du 26 novembre. Au contraire, tous les indices mènent à la conclusion contraire. Premièrement, le procès-verbal ne révèle ni la présentation ni l'adoption d'une telle motion. Deuxièmement, la secrétaire de séance a dit, lors du contre-interrogatoire, que le conseil n'avait adopté aucune motion relativement à la RCB. Elle a reconnu que le conseil avait [traduction] « [t]out simplement signé la RCB » sans avoir adopté une motion au préalable. Troisièmement, il n'est pas du tout proposé qu'une motion ait été adoptée pendant la partie de la réunion qui a eu lieu à huis clos. D'ailleurs, l'un des conseillers a précisément affirmé, pendant son contre-interrogatoire, que le conseil n'avait pas le pouvoir d'adopter une motion obligatoire quand il siégeait à huis clos.

[27]            Je ne conviens pas avec la demanderesse que l'argument fondé sur l'absence de motion formelle n'est qu'une simple question de « sémantique » . Le Règlement sur les élections établit clairement les étapes de la procédure à suivre pour démettre de ses fonctions un chef ou un conseiller. La motion qui exige la destitution est une condition préalable qu'il faut respecter. Son absence ne saurait être qualifiée de question de « sémantique » . En rédigeant le Règlement sur les élections, la Première nation a eu la prudence de décrire, en termes exprès, la procédure à suivre. La procédure n'est pas ambiguë et elle n'est pas compliquée.

[28]            Il y a de bonnes raisons d'exiger la présentation et l'adoption d'une telle motion. Une motion permet aux membres de la collectivité qui sont présents lors de la réunion d'être informés des événements. En l'absence d'une motion, les observateurs ne sont pas en mesure de connaître les sujets abordés par le conseil. En outre, la destitution d'une personne de sa charge est une question grave qui a des répercussions profondes sur la personne concernée. En l'espèce, il est clair qu'elle a eu un impact négatif sur la collectivité de la Première nation. Il est donc opportun, lorsqu'une décision aussi grave doit être prise, que les mesures de protection décrites dans le Règlement soient suivies à la lettre. Il ne suffit pas que le conseil dépose tout simplement une RCB devant ses membres et qu'il demande à une majorité d'entre eux de la signer.

[29]            Somme toute, le conseil n'a pas respecté la procédure de destitution décrite en détail à l'article 9 du Règlement sur les élections. Cette procédure est obligatoire. Il s'ensuit que la RCB qui a pour objet de destituer M. Didzena de sa charge de chef n'est pas exécutoire. Elle est nulle.

[30]            Puisque la RCB qui avait pour objet de destituer M. Didzena est nulle, il s'ensuit également qu'il ne peut y avoir d'injonction contre lui. Il en est ainsi même s'il s'avère que ses actions sont visées par la définition de l'expression « office fédéral » qui figure à l'article 2 de la Loi sur les Cours fédérales.

[31]            C'est par hasard que le dilemme auquel fait face la collectivité de la Première nation sera bientôt résolu. Puisqu'il y aura bientôt des élections, les membres de la Première nation pourront très rapidement décider de leur sort et choisir qui ils veulent élire aux postes de chef et de conseiller.

LES DÉPENS

[32]            M. Didzena demande les dépens et il y a droit. Toutefois, il n'a pas le droit d'être indemnisé de tous ses frais qui s'élèvent à 35 000 $. Les dépens procureur-client ne sont généralement accordés que s'il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d'une des parties : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (C.S.C.); Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 265 N.R. 90 (C.A.F.); Amway Corp. c. Canada, [1986] 2 CTC 339 (C.A.F.). Je ne suis pas convaincue que ces circonstances aient été établies en l'espèce. Je conviens avec la Première nation que si M. Didzena l'emporte, il devrait avoir droit aux dépens selon le tarif ordinaire et non selon un tarif spécial. Par conséquent, la somme totale des dépens s'établira à 10 000 $.

ORDONNANCE

LA COUR DÉCLARE QUE la résolution du 26 novembre 2004 du conseil de bande est nulle et ordonne que la demande d'injonction soit rejetée. Le défendeur a droit aux dépens pour la somme globale de 10 000 $ payable immédiatement par la demanderesse.

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-592-05

INTITULÉ :                                        PREMIÈRE NATION DENE THA'

                                                            c.

                                                            STEPHEN DIDZENA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 6 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGELAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :              LE 20 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Thomas Marriott                                     POUR LA DEMANDERESSE

Tom Owen                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Brownlee LLP                                        POUR LA DEMANDERESSE

Edmonton (Alberta)

Owen Law                                              POUR LE DÉFENDEUR

Edmonton (Alberta)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.