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Date : 20200220


Dossier : IMM-2439-19

Référence : 2020 CF 270

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 février 2020

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

BARTOSZ TOMASZ LADA

AMELIA BOGUSLAWA LADA

KAROLINA LADA ET

MARTYNA LADA, REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, BARTOSZ TOMASZ LADA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Bartosz et Amelia Lada sont des citoyens polonais. Ils ont deux filles : Karolina, 18 ans, et Martyna, 14 ans. Les membres de la famille sont entrés au Canada en 2012 à titre de visiteurs. Leur statut de visiteur a expiré en janvier 2014, mais ils ont continué à vivre et à travailler au Canada.

[2]  Les membres de la famille Lada [les demandeurs] sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 29 mars 2019, par laquelle une agente principale [l’agente] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire [la demande CH] qu’ils avaient présentée depuis le Canada.

[3]  Les demandeurs ont présenté leur demande CH en octobre 2017. Le 7 mars 2019, le Bureau de migration humanitaire d’IRCC a envoyé aux demandeurs une lettre les informant que leur demande CH était toujours en attente. Ils ont néanmoins été invités à produire des documents relatifs à leur admissibilité dans un délai de 30 jours. L’agente a rejeté la demande CH des demandeurs le 29 mars 2019, soit seulement 22 jours plus tard.

[4]  Selon les demandeurs l’agente a manqué à l’obligation d’équité procédurale parce qu’elle a rendu une décision avant l’expiration du délai de 30 jours à compter de la date de la lettre du Bureau de migration humanitaire, et avant qu’ils produisent des documents relatifs à leur admissibilité.

[5]  Le ministre fait valoir en réponse que l’évaluation d’une demande CH comporte deux étapes distinctes : la première étape consiste à se demander si le demandeur invoque des circonstances d’ordre humanitaire qui justifient la dispense des critères normalement applicables, et la deuxième consiste à évaluer l’admissibilité du demandeur. Les documents requis par le Bureau de migration humanitaire ne concernaient que la deuxième étape; ils n’étaient pas pertinents pour la décision de l’agente à la première étape. En fait, l’agente n’a probablement pas su que le Bureau de migration humanitaire avait demandé des documents avant qu’on lui demande de réexaminer sa décision, le 1er avril 2019.

[6]  Les demandeurs soutiennent en outre que la décision de l’agente était déraisonnable. Ils affirment que l’agente a utilisé des phrases types pour rejeter chacun des facteurs qu’ils ont avancés à l’appui de leur demande CH, indiquant à répétition que la [traduction] « preuve objective fournie était insuffisante ».

[7]  Le ministre reconnaît que la décision de l’agente était répétitive, mais il soutient que chaque conclusion selon laquelle la [traduction] « preuve objective fournie était insuffisante » était raisonnable et que la décision dans son ensemble était détaillée, transparente, intelligible et justifiée.

[8]  Pour les motifs énoncés ci-après, la décision de l’agente était conforme aux principes d’équité procédurale et raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Contexte

[9]  Les demandeurs ont admis dans leur demande CH qu’ils n’étaient pas venus au Canada en qualité de visiteurs, mais qu’ils avaient toujours eu l’intention d’émigrer de la Pologne. Ils disent qu’en 2013, ils ont reçu de mauvais conseils d’un consultant en immigration, qui a pris leur argent, mais qui n’a rien fait en retour. Les demandeurs n’ont pris aucune autre mesure pour se mettre en règle auprès de l’immigration canadienne avant de présenter leur demande CH en octobre 2017.

[10]  Les demandeurs invoquent les facteurs suivants à l’appui de leur demande CH : leur établissement au Canada, fondé sur leur travail, leurs études et leur rôle dans la collectivité; la représentation inadéquate du consultant en immigration; l’intérêt supérieur de leurs enfants; et les difficultés, notamment psychologiques, auxquelles ils seraient exposés s’ils retournaient en Pologne.

[11]  Dans une lettre datée du 7 mars 2019, le Bureau de migration humanitaire a transmis la demande suivante aux demandeurs : [traduction] « [Vous devez] produire des documents et [vous] soumettre à un contrôle visant à vérifier si vous (et les membres de votre famille qui sont à votre charge) répondez aux conditions d’admissibilité. » L’auteur de la lettre expliquait que les vérifications liées à l’admissibilité comportent [traduction] « une évaluation de l’état de santé, des antécédents criminels, des risques pour la sécurité et de la situation financière de chaque candidat à l’immigration et des membres de sa famille, ainsi que l’établissement de leur identité ». Selon le contenu de la lettre, le fait pour les demandeurs de produire les documents demandés avant que l’agente ne rende sa décision, pouvait mener à un règlement plus rapide de leur demande et à l’octroi de la résidence permanente, à la condition que leur demande de dispense soit approuvée. Les demandeurs ont été priés de produire les documents dans un délai de 30 jours.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[12]  L’agente a rendu sa décision le 29 mars 2019, sans avoir reçu ou examiné les documents requis par le Bureau de migration humanitaire le 7 mars 2019.

[13]  L’agente a accordé une certaine valeur à l’emploi des parents au Canada, à leur capacité de gérer leurs finances, aux relations qu’ils avaient établies au Canada, à l’intérêt supérieur de Karolina et de Martyna, ainsi qu’à l’expérience malheureuse de la famille avec le consultant en immigration en 2013. Toutefois, l’agente a conclu que les affirmations faites par les demandeurs sur les difficultés auxquelles ils seraient exposés en Pologne étaient conjecturales, et que la preuve objective fournie à l’appui de leur demande CH était peu suffisante.

IV.  Réexamen

[14]  Après avoir été informés de la décision de l’agente, les demandeurs se sont adressés à IRCC le 31 mars 2019, pour dénoncer le fait que la décision avait été prise avant l’expiration du délai imparti pour la production de documents supplémentaires. Le 1er avril 2019, les demandeurs ont prié l’agente de réexaminer sa décision, et ils ont déposé les documents que le Bureau de migration humanitaire avait exigés.

[15]  L’agente a réexaminé la demande à la lumière des documents supplémentaires, puis elle a confirmé sa décision initiale dans une lettre datée du 3 avril 2019. Les demandeurs n’ont pas présenté de demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agente à l’issue du réexamen, et la Cour n’a pas à faire le contrôle de cette décision.

V.  Questions en litige

[16]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. La décision de l’agente est-elle conforme aux principes d’équité procédurale?

  2. La décision de l’agente est-elle raisonnable?

VI.  Analyse

A.  La décision de l’agente est-elle conforme aux principes d’équité procédurale?

[17]  L’appréciation de l’équité procédurale relève de la Cour. La norme de contrôle applicable à la question de savoir si la décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, par. 34, citant Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, par. 79). La question fondamentale consiste à savoir si les demandeurs connaissaient la preuve à réfuter et s’ils ont eu une possibilité complète et équitable de répondre.

[18]  Les demandeurs affirment qu’ils pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que la décision concernant leur demande CH ne soit rendue qu’après l’expiration du délai imparti pour la production des documents supplémentaires (citant Pascal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 595, par. 9 à 12). Ils soutiennent également que le réexamen de la décision par l’agente était entaché de partialité. Or, comme je l’ai fait remarquer ci-dessus, la Cour n’est pas saisie du contrôle de la décision prise à l’issue du réexamen de l’agente.

[19]  Il est bien établi que le processus décisionnel relativement à une demande CH se fait en deux étapes. Ce processus est clairement expliqué dans le document d’IRCC comportant les instructions relatives à l’exécution des programmes, qui s’intitule « Considérations d’ordre humanitaire : traitement des demandes au Canada » et qui peut être consulté sur le site Web d’IRCC.

[20]  Les demandeurs attendaient le résultat de l’évaluation prévue à la première étape concernant les circonstances d’ordre humanitaire qu’ils avaient invoquées pour justifier la dispense des critères normalement applicables. La décision relative à leur admissibilité ne devait être rendue au terme de la deuxième étape que dans le cas où une décision favorable serait prise à la suite de l’évaluation visée à la première étape concernant la dispense. Un autre décideur devait ensuite évaluer l’état de santé, les antécédents criminels et la situation financière des demandeurs, et établir leur identité. Son évaluation repose sur des critères différents de ceux qui s’appliquent pour rendre une décision relativement à une demande CH, puisque dans ce dernier cas, les éléments examinés sont le degré d’établissement des demandeurs au Canada, les difficultés auxquelles ils seront exposés s’ils retournent dans leur pays d’origine, l’intérêt supérieur de l'enfant touché et d’autres considérations semblables.

[21]  Voici un passage tiré de la lettre du Bureau de migration humanitaire datée du 7 mars 2019 :

[TRADUCTION]
Votre demande est toujours en attente de traitement. Elle sera examinée par un agent d’immigration, qui décidera s’il peut lever certaines obligations prévues par la loi, de manière à autoriser le traitement de votre demande de résidence permanente faite au Canada.

Bien que la décision concernant votre demande de dispense ne soit pas encore rendue, nous vous écrivons aujourd’hui pour vous demander de produire certains documents et de vous soumettre à un contrôle visant à vérifier si vous (et les membres de votre famille qui sont à votre charge) répondez aux conditions d’admissibilité. Les vérifications liées à l’admissibilité comportent une évaluation de l’état de santé, des antécédents criminels, des risques pour la sécurité et de la situation financière de chaque candidat à l’immigration et des membres de sa famille.

Lorsque la décision sur votre demande de dispense sera prise, vous en serez informés. S’il s’agit d’une décision par laquelle la dispense vous est octroyée, IRCC vous demandera à nouveau de produire les évaluations et les documents mentionnés ci-dessous, s’ils n’ont pas déjà été transmis. Or, à cette date, le fait de ne pas avoir encore produit tous les documents demandés retardera le règlement de votre demande.

Par conséquent, le fait pour vous de produire dès maintenant les documents demandés, avant que l’agent ne rende sa décision, pourrait mener à un règlement plus rapide de votre demande et à l’octroi de la résidence permanente (pour vous et les membres de votre famille), à la condition que votre demande de dispense soit approuvée.

[…]

Veuillez produire les documents et les renseignements demandés dans les 30 jours suivant la date de la présente lettre.

[Non souligné dans l’original; caractère gras dans l’original.]

[22]  En toute justice pour les demandeurs, il n’était peut-être pas tout à fait évident pour eux de saisir que la lettre du 7 mars 2019 visait l’évaluation de l’admissibilité prévue à la deuxième étape, et non l’évaluation relative à la demande de dispense prévue à la première étape. Les demandeurs étaient toutefois représentés par un avocat expérimenté qui savait probablement ou aurait dû savoir que les facteurs d’admissibilité seraient évalués indépendamment des considérations d’ordre humanitaire.

[23]  Dans la lettre du 7 mars 2019, chaque document demandé était visé par une rubrique distincte, par exemple : [traduction] « Examen médical », « Certificats délivrés par un service de police », « Passeport », « Preuve du paiement des frais afférents à la résidence permanente » et « Renseignements financiers ». Avec l’aide d’un conseiller juridique, les demandeurs auraient dû comprendre, à la lecture de la lettre dans son intégralité, qu’elle visait l’évaluation de l’admissibilité prévue à la deuxième étape, et non l’évaluation relative à la demande de dispense prévue à la première étape. À l’exception, peut-être, des documents relatifs à l’emploi des parents ou à la scolarité des enfants, les renseignements demandés dans la lettre du 7 mars 2019 ne concernaient pas les considérations d’ordre humanitaire invoquées par les demandeurs au soutien de leur demande.

[24]  La lettre du Bureau de migration humanitaire aurait pu être rédigée plus clairement. Il est certes permis de douter de l’efficacité de faire subir aux demandeurs le coût et les inconvénients liés à l’obtention de documents qui ne seront utiles qu’à l’évaluation de l’admissibilité prévue à la deuxième étape, alors qu’il est possible qu’ils obtiennent une décision défavorable à l’issue de la première étape. Il s’agit toutefois d’éléments qui relèvent davantage des politiques, lesquelles n’ont aucune incidence sur l’équité procédurale de la décision faisant l’objet du contrôle.

[25]  La lettre du Bureau de migration humanitaire n’a donc pas permis aux demandeurs de s’attendre raisonnablement à ce que l’agente attende les documents relatifs à leur admissibilité avant de statuer sur leur demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. La décision de l’agente est conforme aux principes d’équité procédurale.

B.  La décision de l’agente est-elle raisonnable?

[26]  L’évaluation par l’agente des considérations d’ordre humanitaire invoquées par les demandeurs est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], par. 48). La Cour n’interviendra que lorsque la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, par. 100). Ces critères sont respectés si les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la décision appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, par. 85 et 86, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47).

[27]  Les demandeurs affirment que l’agente a simplement résumé les facteurs qu’ils avaient présentés à l’appui de leur demande CH, avant de conclure que [TRADUCTION] « la preuve objective [fournie] était insuffisante ». Ils affirment que l’agente n’a pas justifié ses conclusions répétées selon lesquelles aucun des facteurs n’était étayé par des éléments de preuve suffisants.

[28]   Les demandeurs contestent les conclusions suivantes que l’agente a tirées quant à leur degré d’établissement au Canada :

  • a) Monsieur Lada pourrait trouver un travail semblable à celui de poseur de carrelages en Pologne. Selon les demandeurs, M. Lada a démontré qu’il ne pouvait pas y retourner à cause du traumatisme psychologique qu’il a subi en raison de son ancien emploi de mineur en Pologne.

  • b) La preuve de l’emploi de Mme Lada au Canada n’était pas suffisante. Selon les demandeurs, Mme Lada a travaillé à son propre compte en offrant des services d’entretien ménager, et des reçus ont finalement été fournis en réponse à la lettre du Bureau de migration humanitaire après que l’agente a rendu sa décision.

  • c) Madame Lada a dit qu’elle avait eu une offre d’emploi, mais aucun autre renseignement n’a été fourni à cet égard depuis sa déclaration. Selon les demandeurs, la preuve n’aurait pas dû être écartée uniquement parce qu’elle n’était pas récente.

  • d) La preuve démontrant que les demandeurs avaient suivi des cours d’anglais langue seconde était insuffisante. Ils affirment qu’ils ont appris l’anglais par d’autres moyens.

  • e) La preuve démontrant que les demandeurs ne pourraient obtenir de l’aide (p. ex. l’hébergement et le soutien affectif) auprès de leur famille élargie en Pologne était insuffisante. Ils affirment que leur famille en Pologne est pauvre et ne peut pas leur venir en aide.

[29]  Le raisonnement de l’agente concernant le degré d’établissement des demandeurs au Canada était transparent, intelligible et justifié. Elle a répété pour chacun des facteurs que la preuve fournie par les demandeurs au soutien de leur demande CH était insuffisante, mais ses conclusions étaient toujours accompagnées d’explications. Le nombre de fois où l’agente a mentionné l’insuffisance de la preuve démontre qu’elle évalué avec diligence les nombreux points avancés par les demandeurs sans fournir de preuve à l’appui, ou si peu.

[30]  Bien que l’agente ait accordé une certaine valeur à l’établissement des demandeurs, peu d’éléments de preuve démontraient que leur intégration à la société canadienne était telle que leur départ causerait des difficultés justifiant une dispense (D’Souza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 264, par. 13; Zlotosz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 724, par. 35). L’agente n’était pas tenue d’accorder de l’importance à la période de temps que les demandeurs avaient passé au Canada sans statut et en violation des lois canadiennes en matière d’immigration (Bruce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1049, par. 14; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 612, par. 11; Mann c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 126, par. 12 à 14). La décision des demandeurs de quitter la Pologne pour le Canada et de rester dans ce pays sans statut était entièrement volontaire.

[31]  L’argument des demandeurs selon lequel leur expérience malheureuse avec le consultant en immigration milite en faveur d’une décision favorable relativement à leur demande CH était sans fondement. Les demandeurs n’ont rien fait pour se mettre en règle auprès de l’immigration canadienne entre 2013 et 2017.

[32]  L’argument le plus solide des demandeurs concerne l’intérêt supérieur de leurs filles, qui ont toutes deux été amenées au Canada en bas âge et qui y ont vécu des années importantes pour leur développement. Les demandeurs disent que leurs deux filles ont évolué dans le système d’éducation canadien et qu’elles auront de la difficulté à s’adapter à la vie en Pologne. Ils affirment que le fait de quitter le Canada nuira aux perspectives universitaires de leur fille aînée et qu’elle ne pourra plus bénéficier de mesures de soutien, notamment financier. Les demandeurs soutiennent que l’agente n’a pas clairement abordé le facteur de l’intérêt supérieur des enfants et qu’elle n’aurait donc pas pu raisonnablement l’apprécier par rapport à d’autres facteurs (citant Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration)), 2015 CSC 61, par. 35 à 41).

[33]  Subsidiairement, les demandeurs font valoir que l’agente a conclu de façon déraisonnable qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants de retourner en Pologne, malgré la preuve accablante du contraire. Ils affirment que les enfants souffriront sur le plan financier, qu’elles auront de la difficulté à réintégrer la société en raison de la barrière linguistique et qu’il est peu probable qu’elles reviennent au Canada grâce à un permis d’études.

[34]  Je suis certes sensible à la situation des enfants, mais il n’en demeure pas moins qu’il était loisible à l’agente de conclure que les préjudices auxquels ils se disaient exposés en Pologne étaient très peu étayés par des éléments de preuve (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, par. 5). L’agente n’a pas négligé l’intérêt supérieur des enfants; elle a simplement conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant [TRADUCTION] « que les conséquences générales de se réinstaller en Pologne iraient à l’encontre de l’intérêt supérieur des enfants ». Il incombait aux demandeurs de convaincre l’agente que les circonstances d’ordre humanitaire qu’ils invoquaient justifiaient la dispense. L’agente n’était pas tenue de démontrer que ce n’était pas le cas.

[35]  L’agente a accordé une certaine valeur à l’intérêt qu’ont les enfants à demeurer au Canada. Or, cette conclusion à elle seule ne signifie pas que les demandeurs ont droit à une décision favorable quant à leur demande CH (Garraway c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 286, par. 57 et 58).

[36]  Enfin, les demandeurs reprochent à l’agente d’avoir écarté de façon déraisonnable les évaluations psychologiques qu’ils ont présentées. L’agente n’a pas retenu les conclusions d’un psychologue, parce qu’il n’a rencontré les demandeurs que brièvement et qu’il n’a offert ni diagnostic ni recommandation de traitement. L’agente a mis en doute l’objectivité et le professionnalisme du psychologue en raison de commentaires qui ne relevaient pas de son domaine, comme [TRADUCTION] « du point de vue professionnel, j’estime que M. Lada, son épouse et ses deux filles sont des atouts pour ce pays… » et « si les membres de cette famille sont autorisés à rester au Canada et qu’on leur accorde la résidence permanente, je crois qu’ils continueront à mener une vie stable et épanouie fondée sur les valeurs familiales ». L’agente n’a pas mentionné un second document, qui était censé être un extrait d’un rapport qu’un psychologue avait rédigé au sujet d’une personne non identifiée.

[37]  Il était raisonnable pour l’agente d’écarter la preuve psychologique. L’agente a reconnu que M. Lada avait subi un traumatisme lors de son emploi antérieur comme mineur, en Pologne. Toutefois, l’agente a conclu à raison que M. Lada possédait des compétences diversifiées, qu’il travaillait actuellement dans le domaine de la rénovation domiciliaire et qu’il n’avait pas démontré qu’il serait incapable de trouver un travail semblable en Pologne. Rien ne démontrait que M. Lada serait obligé de travailler comme mineur s’il retournait en Pologne. La preuve psychologique présentée à l’égard des deux enfants contenait principalement des observations fondées sur le bon sens. Les motifs de l’agente pour expliquer le peu de valeur qu’elle a accordé à cette preuve étaient transparents, intelligibles et justifiés.

VII.  Conclusion

[38]  La décision de l’agente est conforme aux principes d’équité procédurale et raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de mars 2020

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-2439-19

 

INTITULÉ :

BARTOSZ TOMASZ LADA, AMELIA BOGUSLAWA LADA, KAROLINA LADA et MARTYNA LADA, REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, BARTOSZ TOMASZ LADA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 janvier 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 20 février 2020

 

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Amy Lambiris

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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