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Date : 20200130


Dossier : T‑1342‑19

Référence : 2020 CF 178

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 30 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

BLUE SEAL INC.

demanderesse

et

LOURENS POORTER

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de jugement déclarant qu’une marque de commerce enregistrée par le défendeur est invalide ainsi qu’une ordonnance radiant la marque de commerce en question du registre, conformément au paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), c T‑13 [la Loi]. La demanderesse allègue que le défendeur n’avait pas le droit d’obtenir l’enregistrement parce que sa marque de commerce est semblable au point de créer de la confusion avec le nom sous lequel la demanderesse vendait ses produits avant l’enregistrement de la marque de commerce. Elle prétend que le défendeur a obtenu une marque de commerce qui est pratiquement identique au nom et à l’image de marque de sa propre marque de commerce et que la marque du défendeur est employée en liaison avec des produits essentiellement identiques vendus sur un marché à créneaux. La demanderesse demande à la Cour de déclarer la marque de commerce invalide et d’ordonner au registraire des marques de commerce de radier du registre la marque de commerce du défendeur.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

I.  Contexte

[3]  La demanderesse est une société constituée aux États‑Unis, qui produit et vend des protecteurs de surface pour l’industrie maritime en liaison avec les marques de commerce BLUE SEAL et BLUE SEAL (dessin), lequel est reproduit ci‑dessous :

[4]  La demanderesse indique qu’elle est une chef de file dans le domaine des résines synthétiques non transformées. Elle fabrique un certain nombre de produits, notamment de la résine synthétique non transformée et transformée pour revêtements anticorrosion servant à la réparation et à la protection d’équipement industriel, de stations et d’équipements d’épuration, de barrages hydroélectriques, de navires maritimes, de réservoirs de carburant, de réservoirs d’eau, de fosses septiques et d’autres applications dans l’eau marine.

[5]  La demanderesse indique qu’elle a vendu ses produits en liaison avec ses marques de commerce au Canada sans interruption depuis au moins 2010. Ses clients comprennent certaines des plus grandes entités maritimes du pays, y compris BC Ferries, Seaspan, Newfoundland Ferries et d’autres fournisseurs de services d’envergure.

[6]  Le 29 avril 2015, le défendeur, Lourens Poorter, le directeur général de Pollyflake LLC, une société qui produit des protecteurs de surface pour l’industrie maritime, a produit une demande d’enregistrement de la marque de commerce BLUESEAL en liaison avec des résines synthétiques non transformées. Le 20 septembre 2016, la demande a été enregistrée à la suite d’une déclaration d’emploi produite le même mois sous le numéro d’enregistrement de la marque de commerce canadienne LMC949,859.

[7]  La demanderesse affirme que le défendeur n’était pas la personne ayant droit d’obtenir cet enregistrement à la date de la demande. Elle a présenté une demande, en vertu du paragraphe 57(1) de la Loi, par laquelle elle sollicite la Cour d’exercer sa « compétence initiale exclusive » afin d’ordonner que la marque de commerce soit déclarée invalide, et que l’inscription dans le registre des marques de commerce soit radiée.

[8]  Le défendeur n’a produit aucun document et n’a pas participé à l’audition de la présente affaire.

II.  Questions en litige

[9]  La présente demande soulève deux questions : (i) la demanderesse a‑t‑elle qualité, à titre de « personne intéressée », pour demander une réparation en vertu du paragraphe 57(1); et (ii) l’enregistrement du défendeur est‑il invalide et devrait‑il être radié?

III.  Analyse

A.  La demanderesse a‑t‑elle qualité pour présenter la demande en l’espèce?

[10]  La question de savoir si la demanderesse a qualité pour agir peut être réglée rapidement. Dans CIBC World Markets Inc c Stenner, 2010 CF 397, aux para 19 et 20, le juge Phelan a confirmé qu’une personne ayant employé la marque de commerce avant la date de l’enregistrement satisfait à la définition de « personne intéressée » au titre de l’article 57 de la Loi. Il s’agit là d’un seuil de minimus, ce qui a été confirmé récemment dans la décision Beijing Jingdong 360 du E‑commerce Ltd c Zhang, 2019 CF 1293, au para 11.

[11]  Comme nous en discuterons plus en détail ci‑dessous, la preuve de la demanderesse démontre qu’elle a commercialisé et vendu ses produits en liaison avec le mot-symbole BLUE SEAL et le dessin‑marque BLUE SEAL au Canada au moins depuis 2010, et donc bien avant la demande et l’enregistrement de la marque du défendeur. Par conséquent, la demanderesse a donc la qualité de « personne intéressée » au sens de l’article 57 de la Loi.

[12]  Il n’y a aucune preuve que la demanderesse a reçu un avis de la demande de marque de commerce du défendeur et, par conséquent, il n’y a aucune raison d’appliquer l’exception énoncée au paragraphe 57(2) de la Loi. Au contraire, une lettre de l’avocat de la demanderesse adressée au défendeur et datée du 12 juillet 2018 indiquait que la demanderesse n’avait [TRADUCTION« découvert [que] récemment » l’emploi et l’enregistrement de la marque de commerce au Canada. Une déclaration plus directe de la part de la demanderesse aurait été utile, mais je ne suis pas convaincu que cela constitue un obstacle à la procédure de radiation.

[13]  Par conséquent, la demanderesse a bien qualité pour présenter la demande.

B.  L’enregistrement de la marque est‑il invalide?

[14]  La demanderesse soutient que la marque de commerce du défendeur est semblable à ses marques de commerce au point de créer de la confusion, et qu’elle est par conséquent invalide. Elle soutient qu’elle a démontré que le défendeur n’avait pas droit à l’enregistrement en vertu de l’article 18, étant donné que la marque qu’il proposait était semblable aux marques de commerce qu’elle emploie sans interruption depuis au moins 2010 au point de créer de la confusion, et que le défendeur n’était pas une personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement au titre du paragraphe 16(1) de la Loi. La demanderesse soutient que les éléments de preuve démontrent que les deux marques créent de la confusion, selon le critère de la confusion au paragraphe 6(5) de la Loi tel qu’il est interprété par la jurisprudence pertinente.

[15]  En outre, la demanderesse soutient qu’elle a présenté la présente demande dans le délai de cinq ans prévu au paragraphe 17(2) de la Loi et que les éléments de preuve indiquent qu’elle n’a jamais abandonné sa marque de commerce, mais qu’elle l’a employée sans interruption en liaison avec ses produits au moins depuis 2010. La demanderesse soutient qu’elle a donc droit à la réparation qu’elle demande.

[16]  Au cœur de cette revendication se trouve la question de savoir si les éléments de preuve démontrent que les deux marques sont semblables au point de créer de la confusion, selon le paragraphe 6(5) et l’interprétation des dispositions de ce paragraphe dégagée dans l’arrêt Masterpiece Inc. c Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27 [Masterpiece]. Le critère applicable, bien connu, est énoncé par la Cour suprême du Canada au paragraphe 40 de cet arrêt :

[40] Il est utile, en commençant l’analyse relative à la confusion, de se rappeler le critère prévu dans la Loi. Dans Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824, par. 20, le juge Binnie a reformulé la démarche traditionnelle de la façon suivante :

Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue [de la marque], alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce [antérieures] et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques.

[17]  Les facteurs à examiner lors de l’évaluation du critère relatif à la confusion sont énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi, et chacun de ces éléments sera examiné dans l’analyse ci‑dessous.

[18]  En suivant la démarche établie dans Masterpiece, l’analyse commence par la question du degré de ressemblance. Ici, les mots sont pratiquement identiques. La seule différence est l’espace entre les deux mots de la marque de la demanderesse (BLUE SEAL), alors que la marque du défendeur combine les deux mots en un seul (BLUESEAL). Dans ce cas, la combinaison n’a pas pour effet de créer un sentiment de différence ou de distinction entre les deux marques, et les mots et les sons utilisés, ainsi que les idées suggérées, sont pratiquement identiques. Il n’est pas nécessaire d’examiner le dessin‑marque de la demanderesse, puisque le défendeur n’a pas enregistré de dessin‑marque et que le caractère distinctif de la marque de la demanderesse ne découle pas principalement du dessin (voir Friedrich Geldbach Gmbh c M Geldbach (Shanxi) Flange & Fittings Co, Ltd, 2019 CF 1301, aux para 22 et 23).

[19]  Le caractère distinctif inhérent des mots est limité, puisqu’il semble qu’ils soient largement descriptifs du produit lui‑même (un scellant à coloration bleue), comme l’indiquent les photographies du produit présentées à titre de pièces jointes à l’affidavit de la demanderesse.

[20]  Toutefois, la preuve relative au marketing et aux ventes appuie la conclusion selon laquelle les marques de la demanderesse ont acquis un certain caractère distinctif. Les éléments de preuve démontrent que les ventes de la demanderesse au Canada s’élèvent à environ 3,5 millions de dollars (É.‑U.) depuis 2010, et que des ventes ont été consignées lors de chacune des années depuis. En outre, il y a des éléments de preuve étayant l’annonce du produit dans des publications marines canadiennes ainsi que la présence des produits et le déploiement d’efforts de marketing à des expositions maritimes au Canada. Ces éléments de preuve permettent de conclure que la marque de commerce de la demanderesse a acquis un caractère distinctif sur le marché pertinent pour les produits.

[21]  La preuve démontre que la demanderesse a employé sa marque au Canada sans interruption depuis au moins 2010, alors que la demande d’enregistrement du défendeur date de 2015, et sa déclaration d’emploi a été produite en septembre 2016. La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve quant à la nature ou à l’étendue de l’emploi par le défendeur de sa marque de commerce au Canada. La période d’emploi favorise la demanderesse.

[22]  La nature des produits est pratiquement identique et les éléments de preuve démontrent que la demanderesse aussi bien que le défendeur se considèrent mutuellement comme des entreprises concurrentes. Ce fait favorise également la demanderesse.

[23]  Les produits servent un créneau du marché relativement étroit et la demanderesse a démontré l’existence d’une relation continue avec bon nombre de grandes entreprises de l’industrie maritime au Canada. Les voies de commerce de ce type de produit sont très semblables. Ce fait favorise également la demanderesse.

[24]  Il n’y a aucune circonstance dans la preuve en l’espèce qui diminuerait ou aurait une autre incidence sur le degré de confusion vraisemblable entre les deux marques pour un client sur ce marché.

[25]  Par conséquent, je conclus que la marque de la demanderesse a acquis un caractère distinctif sur le marché canadien des produits maritimes depuis au moins 2010 et que la marque enregistrée par le défendeur est semblable avec les marques de commerce de la demanderesse au point de créer de la confusion entre celles‑ci. Même si une entreprise qui exerce ses activités sur ce marché n’est pas susceptible de prendre ses décisions d’achat de la même façon qu’un consommateur en retard sur son horaire qui cherche à acheter un produit ordinaire de consommation courante dans un grand magasin (voir Mattel, Inc. c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au para 58), l’analyse relative à la confusion favorise néanmoins la demanderesse.

[26]  Les deux marques sont pratiquement identiques, et l’enregistrement donne au défendeur le droit d’exposer la marque d’une façon qui serait pratiquement identique à la façon dont la demanderesse expose sa marque depuis de nombreuses années, et de le faire sur le même créneau du marché dans lequel les deux entreprises exercent leurs activités. C’est précisément ce que la Loi vise à empêcher.

[27]  En l’espèce, la marque enregistrée est semblable à une marque qui est employée (mais qui n’a jamais été enregistrée) en liaison avec des produits au Canada depuis 2010 au point de créer de la confusion avec celle‑ci. Au titre du paragraphe 16(1) de la Loi, au moment de l’enregistrement, le défendeur n’était pas une personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement, étant donné que sa marque proposée était semblable au point de créer de la confusion avec la marque de la demanderesse, qui était employée de façon continue au moment de la demande. Par conséquent, au titre du paragraphe 18(1) de la Loi, l’enregistrement de la marque de commerce du défendeur est invalide.

[28]  Je prononcerai un jugement déclaratoire en ce sens et rendrai une ordonnance enjoignant au registraire de radier l’enregistrement.

IV.  Conclusion

[29]  Pour les motifs énoncés ci‑dessus, la demande est accueillie. La Cour déclare que la marque de commerce canadienne no LMC949,859, BLUESEAL, est invalide au titre de l’article 18 de la Loi.

[30]  Le registraire radiera la marque de commerce canadienne no LMC949,859, BLUESEAL, du registre.

[31]  La demanderesse a demandé qu’on lui accorde une somme globale de 3 000 $ à titre de dépens. L’avocat a indiqué que le montant serait légèrement supérieur à celui qui découlerait de l’application de la colonne B du tarif pour une requête sans opposition, comme celle en l’espèce.

 Par le pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, j’accorde à la demanderesse, étant donné qu’il ne s’agissait pas d’une affaire complexe, que le dossier de la preuve n’était pas très étoffé, et qu’il n’y avait pas d’opposition, la somme globale de 2 500 $ à titre de dépens, qui lui sera payée par le défendeur.


JUGEMENT dans le dossier T‑1342‑19

LA COUR DÉCLARE que :

  1. La demande est accueillie.

  2. La Cour déclare que la marque de commerce canadienne no LMC949,859, BLUESEAL, est invalide.

  3. Le registraire radiera la marque de commerce canadienne no LMC949,859, BLUESEAL du défendeur du registre.

  4. Le défendeur paiera à la demanderesse la somme globale de 2 500 $ à titre de dépens.

« William F. Pentney »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1342‑19

INTITULÉ :

BLUE SEAL INC. c LOURENS POORTER

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 JANVIER 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 30 JANVIER 2020

COMPARUTIONS :

Mathew D. Brechtel

pour la demanderesse

Aucune comparution

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour la demanderesse

 

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