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Date : 20051216

Dossier : IMM-9762-04

Référence : 2005 CF 1704

OTTAWA (Ontario), le 16 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PAUL U.C. ROULEAU

ENTRE :

BEENA CHRISTOPHER

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                La présente demande d'examen judiciaire vise une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 20 décembre 2004, a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger suivant les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). La Commission a conclu que la demanderesse, Mme Beena Christopher, manquait de crédibilité. Elle a aussi estimé que cette dernière n'avait pas réfuté la présomption de protection de l'État au Pakistan et qu'elle disposait d'une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Karachi ou bien à Youngsonabad.

[2]                La demanderesse, Mme Beena Christopher, est une ressortissante du Pakistan âgée de 44 ans. Elle revendique le statut de réfugiée pour des motifs religieux, étant une chrétienne évangéliste qui craint d'être persécutée en raison de menaces à sa vie ou de risques de traitements cruels et inusités si elle rentrait au Pakistan.

[3]                La demanderesse prétend qu'elle a fait l'objet de menaces à Lahore, au Pakistan, en raison de sa foi chrétienne. Elle prétend qu'elle aurait guéri une femme appartenant à une famille musulmane au mois d'octobre 2003, et que par la suite elle a aurait été ciblée par le mari de la femme guérie. La demanderesse prétend que le mari de cette femme était un musulman fondamentaliste.

[4]                La demanderesse prétend que la famille de la femme qu'elle aurait guérie s'est introduite chez elle par la force en brandissant des pistolets; et qu'elle a été menacée par le mari de cette femme qui lui a intimé de cesser de pratiquer et de prêcher le christianisme, et de s'éloigner de son épouse.

[5]                Après l'incident, la demanderesse est retournée dans son village natal de Youngsonabad. Elle a indiqué dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) que Youngsonabad est un village chrétien où elle se sent en sécurité.

[6]                La demanderesse a demandé l'autorisation de venir au Canada au mois d'octobre 2003, afin de faire don d'un rein à son frère qui avait subi en novembre 2002 une insuffisance rénale totale. Elle a demandé un visa pour elle-même, son mari et sa fille, lequel visa leur a été refusé. Elle a fait une nouvelle demande pour elle-même uniquement, et reçu un visa. Elle a quitté le Pakistan au mois d'avril 2004.

[7]                La demanderesse prétend qu'avant de partir elle est retournée à son domicile à Lahore avec son mari pour prendre quelques affaires personnelles. Là, elle a été confrontée à nouveau au mari de la femme guérie, qui a proféré des menaces de mort à l'endroit de son mari et de sa fille. La demanderesse prétend que des coups de feu ont été tirés en l'air, en conséquence de quoi la police a été appelée. Elle prétend que la police a dit qu'elle ne s'immisçait pas dans les affaires à caractère religieux et qu'elle a refusé d'enregistrer un rapport ou une plainte.

[8]                La demanderesse a quitté le Pakistan le 16 avril 2004 et rendu visite à sa soeur au Qatar avant d'arriver au Canada le 26 avril 2004. Le 9 novembre 2004, la Commission a rejeté oralement sa revendication du statut de réfugiée. C'est cette décision qui fait l'objet du présent litige.

[9]                La Commission a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[10]            La Commission a conclu que la demanderesse n'était pas un témoin crédible en raison d'une omission importante dans son FRP. Dans sa déposition, la demanderesse a prétendu que sa fille et elle-même avaient été menacées d'enlèvement, alors que son FRP ne fait nulle mention de la menace d'enlèvement. La Commission a demandé à la demanderesse si elle considérait que la menace d'enlèvement était un événement important, et celle-ci a répondu par l'affirmative. La Commission a noté que l'omission de la menace d'enlèvement dans le FRP de la demanderesse - un événement important - portrait atteinte à sa crédibilité.

[11]            En ce qui concerne la crainte subjective et la crédibilité, la Commission a conclu que le profil de la demanderesse ne correspond pas à celui d'une activiste chrétienne. La Commission a noté que la demanderesse n'appartient à aucune assemblée religieuse ni à aucune Église, et conclu que cette dernière ne possède pas le profil qu'elle prétend. La Commission a ajouté que le profil allégué porte atteinte aussi à la crédibilité de la demanderesse.

[12]            La Commission s'est ensuite penchée sur la question de la protection offerte par l'État. La Commission a conclu que la demanderesse n'avait pas réfuté la présomption de la capacité de l'État de la protéger, que la Cour suprême du Canada a énoncée dans l'arrêt Canada (Procureur Général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. La Commission a souligné également que l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Canada (Ministre de l'Emploi de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 99 D.L.R. (4th) 334 (C.A.F.), établit qu'il n'est pas nécessaire que la protection soit parfaite, mais qu'il faut que l'État fasse des efforts sérieux pour protéger ses ressortissants.

[13]            La Commission a cité le rapport du Département d'État américain selon lequel, à son niveau le plus élevé, le gouvernement du Pakistan encourage la tolérance religieuse, condamne et interdit les groupes sectaires extrémistes. La Commission a fait remarquer que la demanderesse a dit qu'elle n'a pas contacté les autorités parce qu'elle avait peur de la police. La Commission a conclu que le gouvernement du Pakistan fait un effort sérieux pour protéger la minorité chrétienne.

[14]            Enfin, la Commission s'est penchée sur la possibilité de refuge intérieur à Karachi ou à Youngsonabad. La Commission a noté que la demanderesse a dit qu'il n'y a eu aucun incident tant qu'elle a vécu à Youngsonabad avec son mari et sa fille. La Commission a estimé qu'il n'y avait pas de problèmes de persécution ni de sécurité à Youngsonabad, et que la demanderesse jouissait d'une PRI dans son village natal. La Commission semble également avoir conclu qu'il y avait une PRI à Karachi en raison de la déclaration de l'évêque de cette ville, l'évêque Daniel, qui a loué le gouvernement pour sa coopération et sa protection des églises chrétiennes au cours des célébrations religieuses.

[15]            La demanderesse prétend que la Commission a rendu une décision abusive et arbitraire, sans égard à la preuve dont elle était saisie.

[16]            La demanderesse a retenu les services d'un nouvel avocat avant l'audition de la présente demande, et contesté ensuite les conclusions concernant tant la protection de l'État que la PRI. La demanderesse a également déposé une question concernant la protection de l'État sur laquelle elle demande à la Cour de se prononcer en ce qui concerne la certification.

[17]            Pour commencer, j'indiquerai qu'il ne sera pas nécessaire que je me prononce sur la certification de la question, étant donné que le présent litige ne porte pas sur la question de la protection offerte par l'État.

[18]            La demanderesse a soulevé un certain nombre de prétentions concernant les conclusions tirées par la Commission en matière de crédibilité, et elle prétend que la Commission a ignoré les preuves documentaires concernant la protection offerte par l'État. Elle n'a soulevé aucune prétention contestant la constatation de PRI jusqu'à l'engagement de son nouvel avocat.

[19]            J'estime que la demande doit être rejetée étant donné que ni la demanderesse ni son nouvel avocat n'ont prouvé le caractère déraisonnable de la PRI, que ce soit oralement ou dans leurs observations écrites. Je ne me prononcerai pas sur les conclusions de la Commission en ce qui concerne la crédibilité et la protection offerte par l'État, sinon pour indiquer que l'appréciation de la crédibilité constitue l'essentiel de la compétence de la Commission (R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 162, aux paragraphes 7 et 8), et que la conduite de la Commission en ce qui concerne l'appréciation de la preuve documentaire a été raisonnable selon les critères des arrêts Ward et Villafranca, précités. À ce stade, la présente Cour examinera uniquement la conclusion concernant la PRI.

[20]            Après une analyse complète, à supposer qu'il faille écarter les conclusions concernant la crédibilité de la protection de l'État, il demeure que la demanderesse a été incapable d'attaquer la troisième conclusion de la Commission, celle qui porte sur la PRI.

[21]            Pour démontrer le caractère raisonnable de la conclusion en ce qui concerne la PRI, j'étudierai rapidement la conclusion au regard du critère de l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.F.). Le juge Mahoney y a indiqué que la Commission doit indiquer où se trouve la PRI et il a énoncé les critères suivants de validité d'une PRI :

a.        la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance de la preuve, qu'il n'y a pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté dans la région du pays dans laquelle elle conclut qu'il existe une PRI;

b.       les conditions qui existent dans la région du pays où l'on a conclu qu'il existe une PRI doivent être telles qu'il ne serait pas déraisonnable - compte tenu de l'ensemble des circonstances - que le demandeur y trouve refuge.

[22]            La validité d'une conclusion concernant la PRI repose fondamentalement sur un critère à trois volets : en premier lieu, le lieu de la PRI doit être indiqué. En l'espèce, la Commission a indiqué deux endroits : Karachi et Youngsonabad. Par conséquent, la Commission s'est acquittée de l'exigence concernant l'identification de l'endroit où se trouvait la PRI.

[23]            La seconde exigence est de décider s'il existe une possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée dans la région du pays dans laquelle la Commission a conclu qu'il existait une PRI. Cette dernière a noté que la demanderesse se sent en sécurité à Youngsonabad, où elle a vécu sans incident pendant une année environ avant de venir au Canada. La Commission a noté également qu'au moment de l'audition le mari et l'enfant de la demanderesse vivaient à Youngsonabad. La demanderesse a dit elle-même qu'elle se sentait en sécurité à Youngsonabad, et précisé que son village natal était chrétien et qu'elle n'y avait pas été persécutée. Je suis convaincu que la Commission s'est acquittée de son obligation en concluant qu'il n'existait aucune possibilité sérieuse de persécution à Youngsonabad.

[24]            La troisième exigence est que la situation dans la région du pays dans laquelle il a été conclu qu'il existe une PRI soit telle qu'il ne serait pas déraisonnable - compte tenu de l'ensemble des circonstances - que la demanderesse y trouve refuge. Ainsi que l'a souligné la Commission, la demanderesse a dit qu'elle se pensait en sécurité à Youngsonabad. Je suis d'avis que cet aveu de la demanderesse, jumelé à l'absence de persécution à Youngsonabad, lui donne une PRI valable à Youngsonabad.

[25]            La conclusion tirée par la Commission concernant l'existence d'une PRI à Youngsonabad était raisonnable et dispose de la présente demande.

JUGEMENT

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question d'importance générale n'est certifiée.

« Paul U.C. Rouleau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-9762-04

INTITULÉ :                                                    BEENA CHRISTOPHER

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 29 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE ROULEAU, J.S.

DATE DES MOTIFS :                                   LE 16 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Rocco Galati

POUR LA DEMANDERESSE

Anshumula Juyal

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Galati, Rodrigues & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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