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Date : 20040428

Dossier : IMM-6047-03

Référence : 2004 CF 629

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2004

En présence de Monsieur le juge Mosley

ENTRE :

                                                 MOHAMMAD SHABIR AKRAM

                     également connu sous le nom de MOHAMMED SHABIR AKRAM

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Mohammad Shabir Akram demande le contrôle judiciaire de la décision datée du 3 juillet 2003 qu'a rendue la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). Dans cette décision, la Commission a conclu que M. Akram n'était pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne qui a besoin de protection. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant cette décision et une ordonnance renvoyant sa revendication à un tribunal différemment constitué pour qu'il statue à nouveau sur l'affaire.


FAITS À L'ORIGINE DU LITIGE

[2]                M. Akram, qui est citoyen du Pakistan, est un musulman chiite qui a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada, conformément à l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), parce qu'il craignait d'être persécuté par le groupe Sipah-e-Sehaba du Pakistan (SSP) et d'autres groupes de musulmans sunnites fondamentalistes en raison de sa religion et de ses opinions politiques, à titre de membre du parti populaire du Pakistan (PPP). Il a également soutenu qu'il avait besoin de protection, conformément aux motifs énoncés à l'article 97 de la LIPR, parce qu'il craint d'être attaqué par le gouvernement du Pakistan en raison de son statut de revendicateur éconduit, étant donné que les autorités pakistanaises déduiraient de cette situation qu'il a parlé contre le gouvernement en faisant valoir que celui-ci ne pouvait assurer une protection suffisante. Le demandeur a ajouté qu'il était exposé à des risques parce qu'il avait voyagé à l'extérieur du Pakistan en utilisant de faux documents.


[3]                Le demandeur allègue qu'il est membre actif du PPP depuis 1989. En 1990, il a été blessé à la main par un coup de fusil tiré par un groupe de musulmans sunnites fondamentalistes. Il a été attaqué à nouveau en 1992 et, craignant pour sa sécurité, il s'est enfui au Canada en décembre 1992 en passant par les États-Unis; il a ensuite présenté une demande de statut de réfugié ici. M. Akram est retourné au Pakistan en avril 1993 sans donner suite à sa revendication. Il précise qu'il est retourné parce qu'il croyait qu'il serait en sécurité, étant donné que la Ligue musulmane n'était plus au pouvoir à l'époque.

[4]                À son retour au Pakistan, le demandeur a recommencé à participer activement à la vie politique ainsi qu'à la vie religieuse et sociale de sa collectivité chiite. Il a accepté le poste de secrétaire général du PPP dans sa région de Wazirabad. Il soutient qu'en 1998, quelques-uns de ses amis et son cousin auraient été attaqués et tués par des membres de la Ligue musulmane lors d'une réunion du PPP à laquelle il n'était pas présent.

[5]                Le demandeur allègue qu'en avril 2001, il a été attaqué et battu par un groupe de membres du SSP, mais qu'il a été sauvé par l'intervention de passants. De plus, ses attaquants auraient menacé de le tuer plus tard. Il a alors commencé à se cacher à Lahore d'avril à novembre 2001. Le demandeur a quitté le Pakistan le 24 novembre 2001 et est à nouveau passé par les États-Unis pour arriver au Canada le 25 novembre 2001. Il a présenté sa demande de statut de réfugié peu après.

[6]                L'audition de la revendication du demandeur devant la Commission a eu lieu les 22 janvier et 12 février 2003. Au cours de son témoignage, le demandeur a déclaré que le SSP avait téléphoné à son père au cours de l'année 2002 et avait menacé de le tuer.


La décision de la Commission

[7]                La Commission a formulé plusieurs conclusions défavorables au sujet de la crédibilité et de la plausibilité du témoignage de M. Akram. Elle a statué que tant les éléments subjectifs qu'objectifs d'une « crainte fondée de persécution » étaient manquants en l'espèce. La Commission doutait de la crainte subjective du demandeur, parce que celui-ci n'a pas donné suite à sa première revendication du statut de réfugié au Canada et qu'il n'a pas demandé le statut de réfugié aux États-Unis malgré le fait qu'il était passé par ce pays aux deux occasions où il était venu au Canada pour demander le statut de réfugié.

[8]                En ce qui concerne l'élément objectif, la Commission a jugé qu'il était peu probable que le demandeur n'ait fait l'objet d'aucune attaque personnelle au Pakistan avant avril 2001, alors qu'il soutient avoir participé aux activités du PPP et à celles de la collectivité chiite depuis son retour au Pakistan en 1993. Selon la Commission, il était peu probable que le demandeur ait été attaqué sans cause immédiate en avril 2001. La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que l'attaque d'avril 2001 ne s'est pas produite.

[9]                De plus, la Commission a jugé peu probable le fait que le demandeur aurait attiré l'attention du SSP après avoir été absent du Pakistan pendant plus de deux ans. Comme l'indique la preuve documentaire, des incidents de violence sectaires sont survenus mais, dans l'ensemble, le nombre de musulmans chiites tués était peu élevé et les personnes ciblées de cette collectivité étaient habituellement des personnes très en vue, ce qui n'était pas le cas du demandeur.


[10]            En ce qui a trait à l'argument du demandeur fondé sur l'article 97, la Commission a conclu que les allégations de risque étaient très hypothétiques et que, selon la prépondérance des probabilités, elles n'étaient pas appuyées par la preuve documentaire. La Commission a cité des documents indiquant que Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) ne précisait pas qu'une personne était un revendicateur éconduit dans les différents types de mesures de renvoi qu'il prenait. En conséquence, la Commission a conclu que les autorités pakistanaises ne seraient vraisemblablement pas au courant du statut du demandeur comme revendicateur éconduit. De plus, elle a conclu à l'absence d'éléments de preuve indiquant que le demandeur serait perçu comme une personne ayant contrevenu à certaines dispositions du code pénal du Pakistan concernant la sédition et la trahison. Dans la même veine, la Commission a statué que le demandeur ne risquerait pas d'être torturé ou détenu parce qu'il avait quitté le Pakistan en utilisant de faux documents. La Commission a fait allusion à des documents récents indiquant que le demandeur ne serait pas puni ou, à tout le moins, qu'il ne serait pas puni démesurément parce qu'il a utilisé de faux documents pour quitter le Pakistan.


[11]            La Commission a cité un article du Pakistan Post Weekly de New York que le demandeur a présenté et selon lequel un homme avait été torturé au Pakistan après avoir été expulsé de l'Allemagne et détenu en vertu du code pénal du Pakistan. La Commission n'a accordé aucune importance à cette information, parce qu'il n'y avait aucun moyen d'en évaluer la validité ou la source, contrairement à celle des rapports documentaires provenant d'organisations reconnues comme Amnistie internationale, le département d'État américain et le Home Office britannique, qui n'ont pas signalé que des revendicateurs éconduits étaient accusés en vertu du code pénal du Pakistan uniquement parce que leurs revendications avaient été refusées.

QUESTION EN LITIGE

[12]            La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en fondant sa décision sur des conclusions de fait tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

ANALYSE DES ARGUMENTS DES PARTIES


[13]            Le demandeur soutient que la Commission a fondamentalement mal interprété la preuve dont elle était saisie et ignoré certains éléments de preuve portés à son attention. Plus précisément, le demandeur fait allusion à la preuve documentaire qu'il a présentée au soutien de sa revendication, y compris certaines lettres de collègues du PPP et de son père, un rapport médical de 1990 selon lequel il avait reçu un coup de fusil à la main et une récente évaluation psychologique indiquant qu'il souffrait de grave dépression. Le demandeur ajoute que la Commission n'a pas tenu compte des renseignements figurant sur son formulaire de renseignements personnels (FRP) ni de son témoignage concernant le contexte dans lequel il a vécu au Pakistan depuis 1993, notamment en ce qui concerne l'attaque et le meurtre de quelques-uns de ses collègues membres du PPP, dont son cousin, par la Ligue musulmane, lorsqu'elle a conclu qu'il n'avait fait l'objet d'aucune attaque personnelle de 1993 à 2001. Selon le demandeur, son témoignage était cohérent et plausible et ses allégations n'allaient pas à l'encontre de la situation générale qui règne au Pakistan aujourd'hui; par conséquent, il aurait dû recevoir le bénéfice du doute.

[14]            Pour sa part, le défendeur soutient que les conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité ne sont pas manifestement déraisonnables et que la Commission a exposé de façon claire les motifs qui les sous-tendent. Il ajoute que la Commission n'était pas tenue de mentionner chaque élément de la preuve documentaire et qu'elle est présumée avoir apprécié l'ensemble de la preuve portée à sa connaissance, à moins que le contraire ne soit établi.

[15]            À mon avis, le demandeur n'a pas démontré que la Commission avait commis une erreur susceptible de révision. La Commission n'est pas tenue de mentionner chaque élément de la preuve dans ses motifs et elle est présumée avoir apprécié et examiné l'ensemble de la preuve portée à sa connaissance, à moins que le contraire ne soit établi : D'Souza c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1983] 1 C.F. 343 (C.A.), Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 598 (C.A.) (QL), et Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.).


[16]            La preuve que le demandeur a mentionnée avait été portée à la connaissance de la Commission et, bien qu'elle puisse donner lieu à des conclusions différentes de celles que la Commission a tirées, je ne puis dire que les conclusions de la Commission quant à la plausibilité du témoignage du demandeur étaient manifestement déraisonnables ou qu'il est sérieusement et raisonnablement permis de craindre que la Commission n'ait pas examiné l'ensemble de la preuve portée à sa connaissance.

[17]            Le demandeur n'a pas prouvé que l'omission de la part de la Commission de mentionner les lettres qu'il avait reçues de sa famille et de collègues du PPP indique qu'elle a ignoré cette preuve. Ces lettres sont très générales de par leur nature et confirment que le demandeur appartient à la secte chiite, qu'il a occupé différents postes au sein du PPP ainsi que de différentes organisations d'étudiants et que, dans l'ensemble, il avait été exposé à des menaces dans le passé et que des opposants avaient tenté de le tuer [TRADUCTION] « plusieurs fois » . Ces lettres ne comportent pas d'éléments de preuve importants au point où l'omission de la Commission de les commenter dans ses motifs donne lieu de craindre qu'elle n'ait fondé sa décision sur des conclusions de fait tirées sans tenir compte des éléments dont elle disposait : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R 35.


[18]            De plus, le rapport médical concernant une blessure que le demandeur a subie en 1990 ne peut être considéré comme un élément de preuve important au point où l'omission de la Commission d'en faire état dans ses motifs indiquerait à la Cour qu'elle n'en a pas tenu compte. La récente évaluation psychologique aurait plus d'importance, parce qu'elle décrit l'état d'esprit du demandeur peu avant l'audience et comporte des commentaires généraux au sujet de la crainte subjective qu'il ressentait. Cependant, même si je devais conclure que la Commission aurait dû commenter expressément ce rapport dans ses motifs lorsqu'elle a analysé la crainte subjective de persécution du demandeur, il n'en demeure pas moins que les conclusions claires qu'elle a tirées au sujet de la crédibilité et de la plausibilité du témoignage de celui-ci quant à la crainte objective de persécution qu'il ressentait ne sont pas manifestement déraisonnables. La personne qui revendique le statut de réfugié doit démontrer les deux éléments pour être visée par la définition du réfugié au sens de la Convention : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. Par conséquent, j'ai décidé sur ce point que la Commission n'avait pas commis d'erreur susceptible de révision justifiant l'intervention de la Cour.

[19]            Je conviens avec le défendeur que la Commission a compétence pour évaluer et apprécier les éléments de preuve. Après avoir examiné les motifs et le dossier certifié du tribunal, je ne puis conclure que la Commission n'a pas tenu compte des éléments de preuve soulignés par le demandeur ou qu'elle a commis une erreur d'interprétation fondamentale à leur égard.


[20]            Les conclusions défavorables que la Commission a tirées au sujet de la crédibilité étaient également raisonnables. Un degré élevé de retenue devrait être accordé aux décisions de la Commission qui sont fondées sur les conclusions relatives à la crédibilité : Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). En conséquence, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable, ce qui signifie que les conclusions concernant la crédibilité ne doivent pas être fondées sur des conclusions de fait erronées que la Commission a tirées de manière abusive ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait : Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, alinéa 18.1(4)d), Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 300 (C.F. 1re inst.) (QL), Horvath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. n ° 901 (C.F. 1re inst.), et Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 173 F.T.R. 280.

[21]            À moins qu'il ne soit établi que les déductions et conclusions de la Commission sont déraisonnables au point où elles ne pouvaient être tirées ou que la Commission semble les avoir tirées de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve, la Cour ne devrait pas intervenir, qu'elle soit d'accord ou non avec ces conclusions : Oduro c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 66 F.T.R. 106, et Aguebor, précité. De plus, la Commission doit invoquer des raisons claires et dépourvues d'ambiguïté à l'appui de ses conclusions relatives à la crédibilité : Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. n ° 228 (C.A.) (QL).

[22]            Dans la présente affaire, la Commission avait le droit de conclure que les allégations du demandeur n'étaient pas plausibles et cette conclusion n'était pas déraisonnable au point de justifier l'intervention de la Cour : décision Aguebor précitée. De plus, les motifs de la Commission sont détaillés et indiquent clairement pourquoi celle-ci en est arrivée à ses conclusions défavorables concernant la crédibilité : décision Hilo, précitée.


[23]            Le défendeur souligne à juste titre que la décision Sathanandan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 137 N.R. 13 (C.A.F.) n'a pas pour effet, comme le demandeur l'affirme, d'obliger la Commission à indiquer qu'elle a tenu compte de l'ensemble des témoignages et documents portés à sa connaissance, si faibles soient-ils. La Cour d'appel fédérale a plutôt statué que, lorsque la preuve documentaire indique une conclusion contraire à celle que la Commission formule, celle-ci ne peut ignorer cette preuve, si faible soit-elle, au moment d'annuler la présomption de véracité du témoignage d'un demandeur. En conséquence, cette décision n'est pas favorable à la cause du demandeur.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                          « Richard G. Mosley »            

                                                                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  IMM-6047-03

INTITULÉ :                                                 MOHAMMAD SHABIR AKRAM, également connu sous le nom de MOHAMMED SHABIR AKRAM

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                           Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                         le 8 avril 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                le juge Mosley

DATE DES MOTIFS :                                le 28 avril 2004

COMPARUTIONS :

Birginder P.S. Mangat                           POUR LE DEMANDEUR

Robert Drummond                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BIRGINDER P.S. MANGAT               POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Calgary (Alberta)

MORRIS ROSENBERG                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)


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