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Date : 20200214


Dossier : IMM‑2430‑19

Référence : 2020 CF 251

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 février 2020

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

JARVIS WALTERS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Monsieur Jarvis Walters (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent a refusé de réexaminer sa demande d’examen des risques avant renvoi (la demande d’ERAR).

[2]  Les renseignements présentés ci‑dessous sont tirés du dossier certifié du tribunal et de l’affidavit du demandeur déposés à l’appui de la demande de contrôle judiciaire.

[3]  Le demandeur est né en Jamaïque le 26 décembre 1995. À l’âge de 15 ans, il est arrivé au Canada muni d’un visa de visiteur pour rendre visite à son père. Celui‑ci a demandé le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada lorsque le demandeur était âgé de 16 ans. Sa demande visait aussi le demandeur et son frère.

[4]  Dans une décision datée du 20 janvier 2015, la demande d’asile du père du demandeur a été rejetée en raison de l’« absence de minimum de fondement ».

[5]  Le demandeur, toujours mineur à l’époque, est demeuré au Canada avec son père et son frère. Il a été maltraité par son père, qui lui a notamment causé délibérément des brûlures au moyen d’un fer à repasser.

[6]  En 2016, le père du demandeur a été expulsé vers la Jamaïque. Le demandeur est demeuré au Canada sans statut, et une mesure de renvoi a été prise contre lui.

[7]  En mars 2018, le demandeur a été arrêté et détenu par l’Agence des services frontaliers du Canada.

[8]  Le 3 avril 2018, alors qu’il était en détention, le demandeur a présenté une demande d’ERAR sans l’aide d’un avocat ou d’un consultant en immigration. Il a fait valoir qu’il serait exposé à un risque en Jamaïque parce qu’il craignait d’être maltraité par son père.

[9]  Le 3 mai suivant, l’agent a rejeté la demande d’ERAR au motif qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le demandeur serait exposé à un risque de préjudice de la part de son père ou à une possibilité sérieuse de persécution s’il devait retourner en Jamaïque.

[10]  En juin 2018, avec l’aide d’un consultant en immigration, le demandeur a présenté une demande de réexamen de sa demande d’ERAR.

[11]  Parallèlement, le demandeur a présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cette demande a été rejetée parce qu’elle avait été déposée par courriel et que les frais n’avaient pas été payés. Des éléments de preuve importants (des photographies) relatifs au réexamen de la demande d’ERAR avaient en outre été déposés par erreur avec la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[12]  Le renvoi du demandeur a été fixé au 2 juillet 2018, mais le demandeur a fait une tentative de suicide la nuit précédant son renvoi et a été hospitalisé.

[13]  Le 29 janvier 2019, l’Agence des services frontaliers du Canada a de nouveau arrêté le demandeur parce qu’il ne s’était pas présenté pour son renvoi en juillet 2018; il est en détention depuis cette date.

[14]  Dans une décision datée du 31 janvier 2019, l’agent a rejeté la demande de réexamen du demandeur au motif que rien ne prouvait que celui‑ci serait exposé à un risque de préjudice en Jamaïque.

[15]  Le 13 février 2019, le demandeur et son nouvel avocat ont présenté une deuxième demande de réexamen de la demande d’ERAR.

[16]  Deux jours plus tôt, la Dre Larisa Eibisch avait examiné le demandeur et produit un rapport dans lequel elle concluait que le demandeur avait subi des sévices physiques, mentaux et émotionnels extrêmes de la part de son père, ce qui avait entraîné chez lui des retards de développement.

[17]  Le 15 février 2019, la mesure de renvoi prise contre le demandeur a été reportée jusqu’au réexamen de la demande d’ERAR. Le demandeur a eu la possibilité de mettre à jour cette demande, et il a présenté deux observations supplémentaires les 13 et 21 mars 2019.

[18]  Dans une lettre datée du 26 mars 2019, l’agent a rejeté la deuxième demande de réexamen du demandeur au motif que les nouveaux éléments de preuve auraient pu raisonnablement être accessibles lors du dépôt de la première demande de réexamen et que les nouveaux éléments de preuve concernaient des risques déjà évalués.

[19]  Le demandeur fait maintenant valoir que la décision est déraisonnable parce que l’agent n’a pas pris en compte tous les éléments de preuve et l’ensemble des circonstances pertinentes.

[20]  Le demandeur soutient en outre que l’agent a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a conclu que le risque auquel le demandeur serait exposé avait déjà été évalué, et qu’il a commis une erreur en omettant d’évaluer les raisons impérieuses au sens du paragraphe 108(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi).

[21]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) soutient que la décision de l’agent est raisonnable et qu’elle est fondée sur la preuve.

[22]  Le défendeur soutient en outre que le paragraphe 108(4) de la Loi ne s’applique pas à la situation du demandeur.

[23]  Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, la Cour suprême du Canada a déclaré que la norme de contrôle présumée s’appliquer aux décisions administratives est celle de la décision raisonnable, sauf lorsque l’intention du législateur ou la primauté du droit exige l’application d’une autre norme. Aucune de ces deux exceptions ne s’applique en l’espèce.

[24]  La Cour suprême a confirmé la teneur de la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190.

[25]  Selon l’arrêt Dunsmuir, précité, la norme de la décision raisonnable exige que la décision soit justifiable, transparente et intelligible, et qu’elle appartienne aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[26]  À mon avis, la décision de l’agent ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable. En effet, elle ne démontre pas que l’agent a tenu compte de l’ensemble de la situation personnelle du demandeur, y compris des conséquences des sévices physiques que ce dernier a subis par le passé, de la présence de son agresseur en Jamaïque et de la preuve que cet agresseur le blâme pour son renvoi du Canada.

[27]  Il n’est pas nécessaire que j’aborde les arguments relatifs à l’application du paragraphe 108(4) de la Loi.

[28]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

[29]  Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2430‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de février 2020.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2430‑19

 

INTITULÉ :

JARVIS WALTERS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 NOVEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE heneghan

DATE DES MOTIFS :

LE 14 FÉVRIER 2020

COMPARUTIONS :

Clifford McCarten

 

POUR LE DEMANDEUR

Laoura Christodoulides

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarten Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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