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Date : 20200217


Dossier : IMM‑3269‑19

Référence : 2020 CF 258

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 février 2020

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

BABAK DALIRANI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Babak Dalirani, est un ressortissant iranien qui prétend être réfugié du pays dont il a la nationalité, l’Iran, parce qu’il s’est converti au christianisme. Sa demande d’asile, fondée sur les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c 27 [la Loi], a été refusée par la Section de la protection des réfugiés (la SPR), décision qui a été confirmée par la Section d’appel des réfugiés (la SAR). La demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR est présentée conformément à l’article 72 de la Loi.

I.  Les faits

[2]  Le demandeur décrit les nombreuses difficultés auxquelles il a fait face en Iran. De 1995 à 2012, ces difficultés se sont résumées à de multiples arrestations, des menaces de son ex‑épouse parce qu’il était [traduction] « contre le régime et l’islam », une tentative avortée de fuir la Turquie et la Thaïlande avec son fils et le divorce de son ex‑épouse. De 2013 à 2014, ces difficultés se sont aggravées. Le demandeur affirme qu’il s’est remarié et qu’il a commencé à assister à des assemblées chrétiennes. Il allègue s’être converti au christianisme en novembre 2013. Il dit avoir appris, en avril 2014, qu’un membre de cette Église avait été arrêté et que son frère avait été informé par des agents du gouvernement qu’il était considéré comme un apostat.

[3]  Le demandeur affirme avoir quitté l’Iran, en juillet 2014, en passant par la Turquie avec l’aide d’un passeur. Cet épisode est assez remarquable en soi. D’après la décision de la SPR, le demandeur s’est rendu en juillet 2014 en Turquie, où il a attendu pendant plusieurs mois. Il est finalement arrivé au Canada le 17 décembre 2014. Entre‑temps, il a voyagé au Brésil, en République dominicaine, au Costa Rica, aux îles Turks et Caicos (où il a été détenu, puis expulsé) et au Panama. Pour ce qui est des voyages qu’il a effectués en 2011 dans le but de s’établir à l’extérieur de l’Iran, le demandeur a voyagé durant cette période vers l’est pour se rendre en Malaisie et en Corée du Sud où, d’après son Fondement de la demande d'asile (FDA), il a été arrêté ou détenu, puis renvoyé en Iran via la Thaïlande. Il semble que le demandeur a utilisé à un certain nombre d’occasions de faux titres de voyage ainsi qu’une fausse identité. Tant la SPR que la SAR avaient des préoccupations importantes au sujet de la crédibilité du demandeur, à divers égards. Ainsi, au paragraphe 9 de sa décision du 28 décembre 2017, la SPR a conclu que [traduction] « [da]ns l’ensemble, […] selon la prépondérance des probabilités, […] le demandeur d’asile n’est pas un témoin crédible ni digne de foi » et, par conséquent, la SPR n’a pas admis « ses allégations comme étant vraies ». En outre, la SPR a conclu au paragraphe 11 de sa décision que [traduction] « le demandeur d’asile a passé sous silence ou tenté de cacher des renseignements importants et a fourni des renseignements qui sont faux ou trompeurs; et [que] le demandeur d’asile a présenté un témoignage évasif, non pertinent, incohérent ou trompeur, ce qui mine sa crédibilité et le fondement de sa demande d’asile, comme il est expliqué aux présentes ».

[4]  La SAR s’est intéressée avant tout à l’authenticité de la conversion alléguée au christianisme. La SAR a ensuite tenu compte des omissions, des modifications et de l’information fausse et trompeuse fournie aux responsables de l’immigration, ce qui a eu pour effet de miner la crédibilité du demandeur d’asile en général. Au paragraphe 36 de la décision faisant l’objet du contrôle, la SAR affirme ce qui suit :

[36]  D’après les conclusions cumulatives quant à la crédibilité susmentionnées, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant n’est pas un témoin crédible. Les nombreuses préoccupations sur le plan de la crédibilité examinées plus haut à propos de sa conversion et de son intérêt pour le christianisme en Iran, ainsi que de sa capacité de tromper les responsables canadiens de l’immigration et de leur fournir de faux renseignements vont au cœur de la demande d’asile, et ils m’amènent à douter de la véracité de l’ensemble de son témoignage.

Il demeure que la conclusion quant à la question de savoir si le demandeur est un adepte sincère du christianisme jouait un rôle important dans la décision à laquelle la SAR est parvenue. Elle était tout particulièrement importante compte tenu de la demande d’asile sur place en l’espèce. La SAR conclut ceci au paragraphe 49 de sa décision :

[49]  Après avoir procédé à ma propre évaluation du dossier, j’estime que l’appelant n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est un chrétien sincère. Je conclus également qu’il n’a pas établi que ses activités d’église au Canada ont été portées à l’attention des autorités iraniennes, ou qu’elles peuvent l’être. Il n’y a aucun élément de preuve convaincant au dossier selon lequel sa fréquentation d’une église chrétienne a été portée à l’attention des autorités iraniennes, et les demandes d’asile devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada sont confidentielles. J’ajoute que la probabilité que l’appelant pratique la religion chrétienne à son retour en Iran est faible, étant donné qu’il a été conclu qu’il n’est pas un adepte sincère.

Il s’ensuit que la demande d’asile sur place a aussi été rejetée.

[5]  Étant donné les motifs sur lesquels la Cour s’appuie pour conclure que cette affaire doit être renvoyée à la SAR pour nouvel examen, il ne sera pas nécessaire d’examiner les motifs de la SAR relativement à ses conclusions sur la crédibilité du demandeur. Il suffit de dire que les préoccupations de la SAR, ainsi que celles de la SPR, semblaient reposer sur des faits importants. Toutefois, dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour ne s’attache pas à ces questions, parce que l’audience devant la SAR n’a pas respecté les exigences d’équité procédurale. Peu importe le bien‑fondé de la demande d’asile, les conclusions doivent être tirées au moyen d’une procédure équitable, et les droits de participation d’un demandeur ne doivent pas avoir été bafoués.

II.  Les motifs invoqués à l’appui de la demande de contrôle judiciaire

[6]  Le demandeur soulève devant la Cour les cinq questions en litige suivantes :

  1. Il y a eu atteinte à l’article 14 de la Charte (Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11) et au principe de justice naturelle en raison d’une interprétation lacunaire et erronée à l’audience de la SPR qui a gravement porté préjudice au demandeur;

  2. La SAR a violé les principes de justice naturelle en tirant de nombreuses conclusions nouvelles relatives à la crédibilité sans en aviser le demandeur;

  3. Les conclusions relatives à la crédibilité de la SAR sont déraisonnables;

  4. La SAR a commis une erreur dans son traitement des éléments de preuve documentaire;

  5. La SAR a commis une erreur dans son évaluation de la demande sur place du demandeur.

[7]  Comme il a été mentionné précédemment, il n’est pas nécessaire d’examiner les motifs 3 à 5 à la lumière de la conclusion de la Cour relativement aux deux premiers motifs. Bref, la SAR a confirmé la décision de la SPR. Premièrement, le commissaire de la SAR a constaté que le demandeur a fourni un certain nombre de réponses incohérentes, évasives et vagues au sujet de ses croyances religieuses, de la date de sa conversion et de son intérêt pour le christianisme, ce qui a miné la crédibilité de ses allégations concernant ses pratiques religieuses. Deuxièmement, la SAR a affirmé que les diverses observations et déclarations trompeuses du demandeur avaient miné sa crédibilité en général. Il s’agissait notamment de ses explications portant sur l’omission de renseignements et la fourniture de déclarations trompeuses après que l’Agence des services frontaliers du Canada a remis en question au moyen d’éléments de preuve contradictoires les renseignements qu’il a fournis dans son FDA. De plus, le commissaire de la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le témoignage du demandeur changeait au fil du temps. Le commissaire de la SAR a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible, ce qui l’a amené à douter de « la véracité de l’ensemble de son témoignage » (décision de la SAR), par. 36).

[8]  Les autres allégations du demandeur n’ont pas fait l’objet d’un examen approfondi. La SAR a ensuite procédé à l’examen du témoignage du demandeur au sujet de la conversion au christianisme en Iran, finissant par conclure que ses allégations n’étaient pas crédibles. Par conséquent, il ne serait pas recherché par les autorités iraniennes. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi le bien‑fondé d’une demande d’asile sur place d’après ses activités au Canada; qu’il est devenu membre d’une église au Canada seulement pour fonder sa demande d’asile et qu’il n’était pas un adepte sincère du christianisme. La SAR a rejeté d’autres documents également, y compris des lettres de soutien du pasteur canadien du demandeur et du Centre canadien pour victimes de torture.

III.  La norme de contrôle applicable

[9]  Nul ne conteste que la norme de contrôle pour les manquements présumés à l’équité procédurale continue d’être, après l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019  CSC 65 [Vavilov], la norme de la décision correcte. (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502, au par. 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au par. 43).

[10]  Si la Cour avait dû tirer une conclusion sur les trois autres motifs soulevés par le demandeur, il est clair, depuis l’arrêt Vavilov, que la norme de contrôle aurait été celle de la décision raisonnable, comme l’a laissé entendre le demandeur.

IV.  Analyse

[11]  Les arguments concernant l’équité procédurale permettront de disposer de l’analyse que commande le contrôle judiciaire. D’abord, il est question du caractère adéquat de l’interprétation. J’examinerai ensuite les conclusions relatives à la crédibilité de la SAR qui allaient au‑delà des conclusions de la SPR.

[12]  Notre Cour est liée par des décisions antérieures quant à la question de l’interprétation. Dans l’arrêt Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191, [2001] 4 CF 85 [Mohammadian], la Cour d’appel fédérale a confirmé que l’interprétation fournie aux demandeurs doit satisfaire à la norme de la continuité, de la fidélité, de la compétence, de l’impartialité et de la concomitance (par. 4). De plus, il n’est pas nécessaire de prouver l’existence d’un préjudice; j’ajoute toutefois que cela ne veut pas dire qu’une preuve de préjudice n’est pas pertinente. Assurément, s’il y a préjudice parce qu’une interprétation lacunaire a influencé indûment une décision, c’est quelque chose qui doit être pris en considération lorsqu’il est fait valoir que nous n’exigeons pas la [traduction] « perfection » de l’interprétation. Comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt R. c Tran, [1994] 2 RCS 951 [Tran], à la page 987, l’« interprétation est fondamentalement une activité humaine qui s’exerce rarement dans des circonstances idéales »; c’est certainement le cas en l’espèce. Comme nous le verrons, l’interprétation imparfaite a amené la SPR et la SAR à tirer des conclusions erronées sur le témoignage du demandeur devant la SPR, et cette erreur est peut‑être devenue un élément non négligeable de la raison pour laquelle les deux décideurs sont parvenus à leurs conclusions au sujet de la crédibilité du demandeur.

[13]  Avant d’examiner la qualité de l’interprétation, il faut passer en revue la chronologie des événements. La qualité de l’interprétation à l’audience de la SPR n’a pas été soulevée devant la SPR ou la SAR. C’est devant la présente Cour que la question est soulevée pour la première fois. Selon le défendeur, cela va à l’encontre de la règle exigeant que la question soit soulevée à la première occasion.

[14]  Il y a beaucoup à dire au sujet de cette proposition. Le défendeur s’est appuyé sur les paragraphes 18 et 19 de l’arrêt Mohammadian, qui sont ainsi formulés :

18  Comme le juge Pelletier l’a fait remarquer, si l’argument invoqué par l’appelant est exact, l’intéressé qui a des problèmes en ce qui concerne la qualité de l’interprétation fournie à l’audience ne pourrait rien faire pendant toute la durée de l’audience, mais il pourrait néanmoins contester avec succès la décision à une date ultérieure. De fait, lorsque l’intéressé décide de ne rien faire même si la qualité de l’interprétation le préoccupe, la section du statut n’est pas en mesure de savoir que l’interprétation comporte des lacunes à certains égards. L’intéressé est toujours celui qui est le mieux placé pour savoir si l’interprétation est exacte et pour faire savoir à la section du statut, au cours de l’audience, que la question de l’exactitude le préoccupe, à moins que des circonstances exceptionnelles ne l’empêchent de le faire.

19  Comme je l’ai dit, compte tenu du problème qu’il avait eu à la première séance de la section du statut, l’appelant semble avoir été parfaitement au courant du droit qu’il avait d’obtenir l’assistance d’un interprète compétent. Lorsque sa conduite, au cours de la troisième séance et pendant un certain temps par la suite, est appréciée compte tenu du fait qu’il avait sans aucun doute connaissance de son droit, il est difficile d’interpréter cette conduite comme étant autre chose qu’une indication claire que la qualité de l'interprétation satisfaisait l’appelant lors de l’audience elle‑même. Par conséquent, à mon avis, le juge Pelletier n’a pas commis d’erreur en statuant que l’appelant avait renoncé au droit qu’il possédait en vertu de l’article 14 de la Charte du fait qu’il ne s’était pas opposé à la qualité de l’interprétation dès qu’il avait eu la possibilité de le faire au cours de l’audition de sa revendication.

[15]  Le demandeur fait toutefois valoir que, d’abord, c’est le demandeur qui doit savoir que l’interprétation comporte des lacunes. Dans son affidavit du 2 décembre 2019, le demandeur affirme qu’il ignorait l’origine de l’erreur jusqu’à ce qu’il reçoive l’affidavit d’un autre traducteur qui a conclu que l’interprétation devant la SPR renfermait une erreur importante. L’affidavit est daté du 20 juin 2019, soit près de deux mois après la décision de la SAR (rendue le 29 avril 2019).

[16]  Ni l’affidavit du traducteur ni celui du demandeur n’ont été contestés comme étant irrecevables; de même, il n’y a eu aucun contre‑interrogatoire relatif à ces affidavits, de telle sorte qu’il n’y a aucun élément de preuve dans le dossier pour les contredire. En effet, les deux affidavits restent valides. Qui plus est, le conseil du défendeur a confirmé à l’audience relative à l’affaire que l’erreur alléguée dans l’interprétation n’est pas contestée : autrement dit, le défendeur admet que l’interprétation était erronée. Quelle est cette erreur?

[17]  La SPR et la SAR étaient toutes deux en désaccord avec le témoignage du demandeur selon lequel il n’a pas fréquenté d’église luthérienne, alors que des éléments de son témoignage semblaient clairement indiquer le contraire. Aux paragraphes 31 et 32 de sa décision, la SPR a mis en lumière ce qui pourrait être considéré comme une contradiction fondamentale. Voici ces deux paragraphes :

[traduction]

[31]  Le demandeur d’asile a témoigné qu’il pratique le christianisme depuis environ quatre ans seulement, depuis 2013, qu’il est un adepte du protestantisme et d’aucune subdivision particulière de cette religion, et qu’il fréquente l’église au Canada chaque dimanche. De plus, lorsque le demandeur d’asile a été questionné au sujet du dernier sermon qu’il avait entendu à l’église, il a répondu qu’il concernait Martin Luther, dont il aurait déjà entendu parler. Toutefois, le demandeur d’asile a fourni un document à l’appui de son affirmation selon laquelle il fréquente une église luthérienne. C’est très inhabituel et déroutant.

[32]  De plus, le demandeur d’asile a soutenu dans son témoignage que l’église qu’il fréquente est protestante et qu’il ne s’agit pas d’une église luthérienne. Puisque le demandeur d’asile prétend qu’il pratique le christianisme depuis plusieurs années, qu’il connaît bien Martin Luther et qu’il fréquente l’église « St. Luke – luthérienne » de laquelle il a fourni une documentation à l’appui, il est raisonnable de croire que le demandeur d’asile savait ou aurait dû savoir que l’église qu’il fréquente est une église luthérienne et qu’il est un adepte du luthéranisme. Le fait que le demandeur d’asile l’ignorait et qu’il a affirmé le contraire dans son témoignage est déraisonnable, déroutant et très inhabituel, et cela mine la crédibilité du demandeur d’asile et le fondement de la demande d’asile.

[Le soulignement est ajouté.]

[18]  La SAR a consacré cinq paragraphes à la question. Le demandeur a fait valoir sa cause devant la SAR, affirmant qu’il était trop minutieux de la part de la SPR de conclure que la crédibilité du demandeur était minée parce qu’il ignorait que l’église qu’il fréquentait était luthérienne (par. 10). La SAR n’était pas de cet avis. Après avoir examiné les éléments de preuve présentés à la SPR et les nombreuses mentions de l’église luthérienne (y compris un cours sur le baptême et les études bibliques dans une église luthérienne et un baptistaire de l’église « St. Luke – luthérienne »), la SAR conclut ceci :

[15]  Je rejette également l’argument de l’appelant selon lequel sa maîtrise de l’anglais et le stress de l’audience expliquent son incapacité de répondre qu’il était membre de l’Église luthérienne. J’ai examiné l’audience de la SPR et je souligne que l’appelant avait un interprète, et qu’aucun problème d’interprétation n’a été soulevé. Cette explication n’est pas logique non plus, étant donné que l’appelant a affirmé distinctement ne pas appartenir à une église luthérienne, et que l’appelant ne nie pas avoir dit cela dans son témoignage. C’est pourquoi je conclus que le fait qu’il ne s’est pas identifié au luthéranisme ne s’explique pas par sa maîtrise de l’anglais ni la pression de l’audience.

[Non souligné dans l’original.]

Force est de constater que l’interprétation est maintenant contestée, et ce, pour de bonnes raisons.

[19]  La SPR et la SAR se sont appuyées sur une interprétation qui était déficiente; pourtant, elles n’ont attribué aucun poids à l’interprétation fournie à l’audience. Je reproduis l’extrait de la version anglaise de l’audience, traduite ici en français. La transcription a été réalisée par un transcripteur embauché par le demandeur. Le défendeur n’a pas contesté la transcription devant la SPR :

[traduction]

Tribunal :  Il y a une autre chose qui sème le doute chez moi par rapport à ce que vous avez dit. Vous nous avez dit que vous pratiquiez le christianisme depuis un certain nombre d’années.

Demandeur d’asile :  Oui.

Tribunal :  Et que vous fréquentiez l’église et que vous aviez été baptisé au Canada.

Demandeur d’asile :  Oui.

Tribunal :  Je vous ai demandé quelle confession du christianisme vous pratiquiez, et vous nous avez parlé du protestantisme, et vous avez dit que vous aviez appris des choses à propos de Martin Luther en Iran, puis encore une fois dimanche dernier.

Demandeur d’asile :  Oui.

Tribunal :  Vous nous avez aussi fourni un document de votre église, au sujet de votre baptême, donc un baptistaire.

Demandeur d’asile :  Oui.

Tribunal :  L’église à laquelle vous appartenez, d’après les documents que vous avez fournis, est une église luthérienne.

Demandeur d’asile :  C’est l’église St. Luke’s; il serait peut‑être mieux de poser la question au pasteur.

Tribunal :   Je vais vous éclairer, parce que c’est une question que je vous pose à vous; oui, l’église à laquelle vous appartenez, d’après le document que vous avez fourni, est une église luthérienne, et d’après ce que vous venez de dire, vous ne connaissez même pas cela. Je vous demande pardon, laissez‑moi finir. On dirait aussi que votre exposition à Martin Luther et au luthéranisme ou votre engagement à l’égard de ceux‑ci ont été minimes; pourtant, vous appartenez à une église luthérienne, alors je suis confus. Quand je vous ai demandé quelle confession du christianisme vous pratiquiez et que vous avez fourni un certificat, un baptistaire de l’église luthérienne… Je juge raisonnable de m’attendre à ce que votre réponse soit le luthéranisme, et je trouve déroutant d’apprendre que pour la première fois au Canada dimanche dernier ou le dimanche précédent si vous avez raté le service de dimanche dernier, vous avez entendu parler de Martin Luther, vu que vous avez affirmé devant nous être un fidèle de l’église luthérienne. Peut‑être pouvez‑vous expliquer cela.

Demandeur d’asile :  C’était la première fois que j’entendais parler de quoi que ce soit concernant Martin Luther dans cette église, dans l’église dont nous parlons, et même… et c’était la première fois qu’on parlait de Martin Luther, car avant cela, on n’en parlait même pas; et cependant, je sais qu’à l’église que je fréquente, ce sont des protestants, et non pas des luthériens.

Tribunal :  D’accord, nous pouvons arrêter ici. Il est 11 h 45. Fixons une date pour la reprise de l’audience. Nous allons arrêter l’enregistrement pour quelques instants.

[Non souligné dans l’original.]

[20]  Le défendeur reconnaît maintenant que le demandeur n’a pas énoncé de manière distincte qu’il n’appartient pas à l’église luthérienne. En fait, les deux traductions semblent fort différentes. Celle présentée par le demandeur semble plus précise. Il s’agit plutôt d’une traduction faite « au coup par coup » par rapport à l’interprétation que la SPR semble avoir reçue. Aux fins de la présente espèce, il suffit de dire que les éléments de preuve maintenant admis par le défendeur montrent que le demandeur n’a pas affirmé qu’il ne fréquentait pas d’église luthérienne. Le demandeur présente en preuve la traduction de son témoignage tel qu’il a été fourni à la SPR, et non pas comme il a été interprété de manière erronée à l’audience, ainsi que la traduction en anglais de ce que l’interprète à l’audience lui a dit en farsi :

[traduction]

02:38:15  Commissaire :

Je vous ai demandé quelle confession du christianisme vous pratiquiez.

02:28:32 [sic] Interprète (en farsi) :

Nous vous avons posé des questions au sujet de la confession chrétienne, c'est‑à‑dire à quelle subdivision vous avez adhéré?

02:38:31  Commissaire :

Vous nous avez parlé du protestantisme.

02:38:34  Interprète (en farsi) :

Ce à quoi vous avez répondu « protestant ».

02:38:37  Commissaire :

Et vous avez dit que vous avez appris des choses à propos de Martin Luther en Iran puis encore une fois dimanche dernier.

02:38:48  Interprète (en farsi) :

Et vous avez dit que vous avez entendu parler de Luther, que vous avez appris certaines choses et que dimanche dernier, vous avez de nouveau entendu parler de lui.

02:38:57  Demandeur d’asile :

Oui.

02:38:58  Interprète (en anglais) :

Oui.

02:39:07  Commissaire :

Vous nous avez aussi fourni un document de votre église, au sujet de votre baptême, donc un baptistaire.

02:39:17  Interprète (en farsi) :

Vous nous avez remis votre baptistaire de l’église.

02:39:22  Demandeur d’asile :

Oui.

02:39:23  Interprète (en anglais) :

Oui.

02:39:24  Commissaire :

L’église à laquelle vous appartenez, d’après les documents que vous avez fournis, est une église luthérienne.

02:39:20  Interprète (en farsi) :

Ce document que vous nous avez fourni montre qu’il s’agit d’une église luthérienne.

02:39:40  Demandeur d’asile :

C’est l’église St. Luke. C’est l’église St. Luke.

02:39:41  Interprète (en anglais) :

St. Lukes.

02:39:49  Demandeur d’asile :

Il faut poser cette question au pasteur, pourquoi, je ne le sais pas.

02:39:54  Interprète (en anglais) :

Cette question doit être posée [inaudible] au pasteur.

02:40:01  Commissaire :

Je vais donc vous éclairer, parce que c’est une question que je dois vous poser à vous.

02:40:07  Interprète (en farsi) :

Il pose la question de nouveau, cette question vous concerne.

02:40:09   Commissaire :

L’église à laquelle vous appartenez, d’après les documents que vous avez fournis, est une église luthérienne.

02:40:15  Interprète (en farsi) :

L’église que vous fréquentez… et vous avez fourni ce document sur lequel il est écrit « Église luthérienne ».

02:40:24  Commissaire :

D’après ce que vous venez de dire, vous ne connaissez même pas cela non plus.

02:40:27  Interprète (en farsi) :

Et apparemment, vous dites maintenant que vous ne possédez aucun renseignement à ce sujet.

02:40:34  Demandeur d’asile :

Eh bien, je...  [le commissaire interrompt le demandeur d’asile]

02:40:35  Commissaire :

Laissez‑moi finir.

02:40:36  Interprète (en farsi) :

Juste un instant.

02:40:38  Commissaire :

On dirait que votre exposition à Martin Luther et au luthéranisme ou votre engagement à l’égard de ceux‑ci ont été minimes; pourtant, vous appartenez à une église luthérienne.

02:40:50  Interprète (en farsi) :

Et il a été porté à notre attention que vos connaissances au sujet du luthéranisme, de Martin Luther, sont très limitées et que vous ne savez pas du tout que l’église que vous fréquentez est liée à l’église luthérienne.

02:41:09  Commissaire :

Je suis confus; quand je vous ai demandé quelle confession du christianisme vous pratiquiez, vous avez fourni un baptistaire de l’église luthérienne, et il est raisonnable de s’attendre à ce que votre réponse soit le luthéranisme.

02:41:24  Interprète (en farsi) :

La question que nous vous avons posée concernant la confession du christianisme que vous pratiquez… il dit qu’il s’attendait à ce que vous disiez que vous êtes luthérien.

02:42:36  Commissaire :

Et je trouve déroutant d’apprendre que pour la première fois au Canada dimanche dernier ou le dimanche précédent si vous avez raté le service de dimanche dernier, vous avez entendu parler de Martin Luther.

02:41:49  Interprète (en farsi) :

C’est un peu étrange que vous disiez que samedi dernier, pas dimanche dernier, le dimanche avant que vous fréquentiez l’église, c’était la première fois que vous entendiez parler de Martin Luther à l’église.

02:42:03  Commissaire :

Vu que vous avez affirmé devant nous être un fidèle de l’Église luthérienne.

02:42:08  Interprète (en farsi) :

Puisque le document que vous nous avez fourni montre que vous fréquentez une église luthérienne.

02:42:17  Commissaire :

Peut‑être pouvez‑vous expliquer cela.

02:42:20  Demandeur d’asile :

C’était la première fois que je voyais qu’on parlait de Martin Luther là‑bas.

02:42:27  Interprète (en anglais) :

C’était la première fois que j’entendais parler de Martin Luther dans cette église.

02:42:33  Demandeur d’asile :

Et avant cela [L’interprète interrompt…] et avant cela, je n’avais pas entendu parler de Martin Luther mais [inaudible… L’interprète tente d’interrompre le client après une brève phrase …] [Le client est inaudible…] Je savais que c’était des protestants, et non pas des catholiques, que cette église n’est pas catholique.

02:42:52  Interprète (en anglais) :

Et c’était la première fois qu’on parlait de Martin Luth, Luther, et avant cela, ils n'en parlaient pas; cependant, je savais, je sais qu’à l’église que je fréquente, ce sont des protestants et non pas des luthériens.

02:43:29  Commissaire :

D’accord, je vais donc m’arrêter ici. Il est 11 h 45. Fixons une date pour la reprise de l'audience.

[L’italique est dans l’original.]

(Dossier du demandeur, p. 207‑210)

[21]  De toute évidence, l’erreur la plus importante tient au fait que selon l’interprète, le demandeur affirme qu’il n’était pas luthérien, alors que selon la nouvelle traduction, le demandeur dit plutôt qu’il n’est pas catholique.

[22]  Le défendeur a soutenu qu’il doit y avoir une « erreur réelle et importante de traduction » (Mah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 853, au par. 26). J’admets qu’il y en a une. Le principe sous‑jacent est la compréhension linguistique (Tran, précité, p. 977), mais ce principe sous‑entend la possibilité de comprendre et d’être compris, mais le niveau de compréhension visé sera au moins aussi élevé que si la personne connaît l’anglais ou le français. Nous cherchons à « accorder à tous des chances égales ». Mais les chances ne peuvent pas être égales si l’interprétation se révèle inexacte, tout particulièrement si l’inexactitude porte sur quelque chose qui s’avère important pour le décideur. Comme la Cour suprême l’a dit dans l’arrêt Tran, « l’interprétation doit être d’assez bonne qualité pour assurer que justice soit rendue et paraisse avoir été rendue » (p. 988).

[23]  L’interprétation comporte manifestement une erreur. Le demandeur a dit le contraire de ce que l’interprète a déclaré comme étant sa réponse. Le demandeur n’a pas affirmé qu’il n’avait pas fréquenté d’église luthérienne, ce qui était – c’est le moins que l’on puisse dire – étrange, à la lumière des éléments de preuve. Il a simplement dit qu’il n’avait pas fréquenté d’église catholique.

[24]  Ici, l’erreur est flagrante dans le contexte de l’interrogatoire, et malheureusement, la SPR comme la SAR, se fondant sur une erreur d’interprétation, ont toutes deux conclu que la déclaration en question jouait un rôle important dans l’évaluation de la crédibilité du demandeur. Cela donne clairement l’impression que la SAR a jugé qu’une déclaration aussi frappante confirmait le manque de crédibilité du récit du demandeur. En effet, un tel mensonge aurait pour effet d’imprégner son histoire et de confirmer une conclusion de crédibilité douteuse.

[25]  L’importance accordée à l’allégation du demandeur selon laquelle son église n’était pas luthérienne est telle que l’affaire devrait être renvoyée pour nouvel examen. En effet, les répercussions qu’elle a eues sur la crédibilité du demandeur en général, selon les faits au dossier, sont inconnues et impossibles à déterminer. Certes, le témoignage du demandeur comporte de nombreuses contradictions et inexactitudes. Néanmoins, la contradiction concernant la non‑appartenance à l’église luthérienne, alors que les éléments de preuve montrent tout le contraire, semble s’ajouter à certaines contradictions et invraisemblances possibles et peser très lourd. La conclusion doit être que le demandeur n’a aucune crédibilité s’il prétend ne pas fréquenter l’église luthérienne. Comme la SAR l’énonce au paragraphe 15 de sa décision, « (c)ette explication n’est pas logique non plus, étant donné que le demandeur a affirmé distinctement ne pas appartenir à une église luthérienne, et que le demandeur ne nie pas avoir dit cela dans son témoignage ». Nous savons maintenant que le demandeur n’a jamais dit cela. À mon avis, il est plus prudent de renvoyer l’affaire pour nouvel examen.

[26]  Une autre question méritant aussi l’attention porte sur l’équité procédurale. La SAR a choisi de tirer ses propres conclusions relatives à la crédibilité, qui l’emportent sur celles de la SPR, mais sans aviser le demandeur qu’il pouvait fournir des observations. Autrement dit, la SAR n’a pas autorisé le demandeur à participer pleinement à sa propre affaire. Contrairement à ce que le défendeur soutient, la question n’est pas de savoir si la SAR se limite à tirer de nouveau les mêmes conclusions particulières que celles tirées par la SPR — parce qu’elle n’est pas aussi restrictive — mais plutôt qu’elle aurait dû fournir un avis avant d’arriver à une telle conclusion.

[27]  Le défendeur s’est fondé exclusivement sur l’affaire Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 870 pour faire valoir que les questions nouvelles sont différentes, « selon les plans juridique et factuel, des questions soulevées dans l’appel ». Le conseil n’a pas expliqué comment ce principe général s’applique en l’espèce. En tout respect, le fait de dire qu’une question nouvelle est différente, sur les plans juridique et factuel, des questions soulevées en appel ne fait pas beaucoup avancer les choses. En fait, d’aucuns prétendent que le raisonnement est plutôt circulaire s’il n’a pas l’avantage de fournir une certaine illustration. La phrase, qui provient de l’arrêt R. c Mian, 2014 CSC 54, [2014] 2 RCS 689 (au par. 30), nécessite des précisions qui n’ont jamais été fournies en l’espèce.

[28]  Selon l’examen de la jurisprudence effectué par la Cour, il se dégage un consensus selon lequel il y a manquement à l’obligation d’équité procédurale lorsque de nouvelles questions en matière de crédibilité qui ne sont pas soulevées dans la décision de la SPR sont soulevées par la SAR. Récemment, dans l’affaire Isapourkhoramdehi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 819, il est affirmé ce qui suit :

[18]  Comme la SPR n’a pas formulé de conclusion défavorable sur la crédibilité en dépit de l’absence d’acte de baptême ou de l’explication donnée à ce sujet, je suis d’avis que l’équité procédurale exigeait que le demandeur ait la possibilité de présenter des observations sur ces questions si la SAR cherchait, comme elle l’a fait, à formuler des conclusions quant à la crédibilité sur lesquelles s’appuyer concernant ces éléments de preuve.

Dans la décision Palliyaralalage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 596, la Cour a conclu que « la SAR a manqué à l’équité procédurale en tirant de nouvelles conclusions en matière de crédibilité sans l’aviser et sans lui donner l’occasion de répondre » (par. 9). Dans la décision Laag c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 890, la Cour conclut aux paragraphes 20 et 23 que les nouvelles conclusions quant à la crédibilité tirées par la SAR donnent lieu à une violation des principes de l’équité procédurale :

[20]  Bien que le rejet de certains éléments de preuve documentaire par la SAR ait pu être raisonnable, le rejet du témoignage fourni par M. Gamadid n’était pas raisonnable. De plus, la SAR a tiré de nouvelles conclusions défavorables quant à la crédibilité, sans donner à M. Laag une occasion adéquate d’y répondre.

[…]

[23]  De telles conclusions défavorables quant à la crédibilité sont nouvelles et distinctes de celles constituant le fondement de la décision de la SPR. Il incombait donc à la SAR de prévenir M. Laag qu’elle pourrait tirer des conclusions défavorables à son égard et de lui donner une possibilité raisonnable de formuler des observations (Husian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 684, au par. 10). La SAR ne l’a pas fait, et la décision qui en a résulté était à la fois déraisonnable et inéquitable sur le plan procédural.

Enfin, dans la décision He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1316, notre Cour résume l’analyse effectuée dans la décision clé Kwakwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 600 [Kwakwa] de la manière suivante :

[79]  Je conclus, compte tenu des différences considérables relevées dans l’analyse faite par la SAR et de l’absence d’analyse effectuée par la SPR, que la présente affaire tombe aisément sous le coup de la réflexion menée par le juge Gascon dans Kwakwa, à l’issue de laquelle il a formulé les principes suivants :

  la SAR ne peut pas invoquer d’autres motifs fondés sur son propre examen du dossier si le demandeur d’asile n’a pas eu la possibilité de les aborder : par. 22;

  les conclusions relatives à la crédibilité que le demandeur ne soulève pas dans son appel interjeté contre la décision de la SPR constituent une « nouvelle question », à l’égard de laquelle la SAR devait aviser les parties et leur offrir la possibilité de présenter des observations et des arguments : par. 25;

  lorsque des commentaires additionnels formulés à l’égard de documents soumis par un demandeur à l’appui d’[un élément essentiel de sa demande d’asile] n’ont été ni soulevés ni abordés explicitement par la SPR, le demandeur devrait à tout le moins avoir l’occasion de répondre à ces arguments et aux déclarations faites par la SAR, avant que la décision ne soit rendue : par. 26.

[29]  Dans le cas qui nous occupe, il y a peu de doute que les conclusions quant à la crédibilité tirées par la SAR étaient nouvelles. Cela n’a pas été contesté par le défendeur. Les nouvelles conclusions relatives à la crédibilité ont été résumées au paragraphe 43 du mémoire des faits et du droit du demandeur :

[traduction]

  La SAR a conclu que le demandeur a écrit qu’il avait été « détenu à l’aéroport en Corée du Sud », mais il a plus tard témoigné qu’il se trouvait dans un « centre de détention ». La SAR a jugé qu’il s’agissait d’un témoignage incohérent75. La SPR n’a pas tiré une telle conclusion.

  La SAR a conclu que le demandeur a témoigné qu’il avait été arrêté et emmené dans un centre de détention aux îles Turks et Caicos en 2014, mais il a affirmé dans ses formulaires d’immigration qu’il avait été « appréhendé par les autorités » aux îles Turks et Caicos, qu’elles l’avaient ensuite renvoyé en République dominicaine. La SAR a jugé qu’il s’agissait également d’un témoignage incohérent76. La SPR n’a pas tiré une telle conclusion.

  La SAR a conclu que la date de conversion au christianisme du demandeur n’était pas uniforme dans son FDA et son témoignage. La SAR a jugé que cette date n’était pas conforme et qu’elle minait la crédibilité du demandeur77. La SPR n’a pas tiré une telle conclusion, et le demandeur n’a pas eu l’occasion de s’expliquer.

  La SAR a jugé que l’omission par le demandeur de sa dépression dans son témoignage, même si elle a été mentionnée dans son FDA, et son lien avec sa décision de se convertir au christianisme ont miné la crédibilité du demandeur78. La SPR n’a pas tiré une telle conclusion.

[Renvois omis.]

[30]  Le défendeur n’a pas cherché à différencier les cas de jurisprudence invoqués par le demandeur. La SAR semble s’être fondée sur l’affaire Al‑Abayechi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 360 (au par. 35), dans laquelle il n’était pas question de la décision Kwakwa, précitée, qui fait autorité et dans laquelle trouvent appui d’autres affaires. Il est clair que la SAR a jugé que ces questions en matière de crédibilité étaient importantes lorsqu’elle a confirmé la décision de la SPR en ajoutant ces conclusions relatives à la crédibilité. Le fait de décrire une « nouvelle question » comme une « question qui constitue un nouveau motif, ou raisonnement, sur lequel s’appuie un décideur, autre que les moyens d’appel soulevés par le demandeur pour soutenir le caractère valide ou erroné de la décision portée en appel » (Kwakwa, par. 25), convient parfaitement aux nouveaux motifs donnés pour trouver des failles avec la crédibilité du demandeur. On dit que si les motifs de la SPR ne suffisent pas, en voici d’autres. Comme le juge Hughes l’affirme dans un style coloré dans l’affaire Husian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 684, « si la SAR décide de se plonger dans le dossier afin de tirer d’autres conclusions de fond, elle devrait prévenir les parties et leur donner la possibilité de formuler des observations » (par. 10).

[31]  À mon avis, cela est particulièrement vrai en ce qui concerne la crédibilité des témoins qui n’ont même pas comparu devant la SAR. La prudence commande la circonspection. Dans les affaires concernant des réfugiés, lorsque les enjeux sont considérables, donner la possibilité de formuler des observations constitue la mesure d’équité procédurale exigée par la Cour. Les facteurs pris en considération dans l’évaluation du contenu de l’obligation d’équité procédurale requise ont été résumés dans le paragraphe suivant de l’arrêt Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme‑Lafontaine c Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, [2004] 2 RCS 650 :

5  Le contenu de l’obligation d’équité qui incombe à un organisme public varie en fonction de cinq facteurs : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi par l’organisme public pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les dispositions législatives précises en vertu desquelles agit l’organisme public; (3) l’importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la partie qui conteste la décision; et (5) la nature du respect dû à l’organisme : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.  Je suis d’avis, après avoir examiné les faits et les dispositions législatives en jeu dans le présent pourvoi, que ces facteurs imposent à la municipalité l’obligation d’exprimer les motifs de son refus d’acquiescer à la deuxième et à la troisième demande de modification de zonage présentées par la Congrégation.

La participation du demandeur d’asile laisse croire que celui‑ci devrait être avisé lorsqu’un nouveau motif ou raisonnement est présenté. À mon avis, il s’agit de la justification exprimée par la Cour suprême dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 :

22  Bien que l’obligation d’équité soit souple et variable et qu’elle repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés, il est utile d’examiner les critères à appliquer pour définir les droits procéduraux requis par l’obligation d’équité dans des circonstances données.  Je souligne que l’idée sous‑jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leur point de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur.

[Non souligné dans l’original.]

[32]  Par conséquent, la décision de la SAR doit être cassée et l’appel contre la décision de la SPR renvoyé pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué de la SAR. À la lumière de la décision de la Cour sur les questions touchant l’équité procédurale, il n’est pas nécessaire de statuer sur les autres questions soulevées par le demandeur qui concernent le caractère raisonnable des conclusions relatives à la crédibilité de la SAR, son traitement des éléments de preuve documentaire et son évaluation de la demande sur place.

[33]  Les parties sont d’accord pour dire qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3269‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question n’est certifiée.

  2. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAR pour que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3jour d’avril 2020.

Semra Denise Omer, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm‑3269‑19

INTITULÉ :

BABAK DALIRANI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 JANVIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 17 FÉVRIER 2020

COMPARUTIONS :

Jared Will

pour le demandeur

Stephen Jarvis

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will & Associates

Toronto (Ontario)

pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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