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Date : 20200211


Dossier : IMM-1729-19

Référence : 2020 CF 228

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 février 2020

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

ANGELA VAZQUEZ BUENO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Introduction

[1]  Michel Rodriguez Sosa a présenté une demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie du regroupement familial. Sa demande a été rejetée par un agent des visas à Cuba. Angela Vazquez Bueno, la demanderesse, est l’épouse et la répondante de M. Sosa. Elle sollicite le contrôle judiciaire de la décision, en date du 15 février 2019, par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a rejeté l’appel et confirmé la décision de l’agent des visas au titre du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) [le RIPR].

[2]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la SAI n’a pas examiné adéquatement la preuve et, par conséquent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire.

Les faits

[3]  La demanderesse est une citoyenne canadienne née à Cuba qui réside actuellement au Canada. Elle a rencontré son mari à Cuba en mai 2008 et ils ont passé trois mois ensemble avant que la demanderesse ne revienne au Canada. Elle est retournée à Cuba en mars 2009, période où M. Sosa a emménagé chez elle, dans sa demeure à Cuba. La demanderesse s’est rendue à Cuba au moins une fois par année entre 2009 et 2013.

[4]  Le couple s’est marié à Cuba le 26 novembre 2013. La demanderesse affirme qu’ils se sont mariés rapidement parce que les documents dont ils avaient besoin pour le mariage n’étaient valides que pendant une durée limitée.

[5]  La demanderesse déclare qu’elle n’a pas pu rendre visite à M. Sosa en 2014 parce qu’elle ne pouvait prendre congé à son travail. Selon la preuve présentée, elle occupait plusieurs emplois. Elle est retournée à Cuba en 2015 et, le 14 février de cette année, le couple a organisé une cérémonie de mariage et une célébration.

[6]  La demanderesse a présenté une demande en vue de parrainer M. Sosa. Ce dernier a été interrogé par un agent des visas à La Havane, à Cuba, le 14 décembre 2015.

[7]  Par une décision datée du 11 juillet 2016, l’agent a rejeté la demande de parrainage parce qu’il n’était pas convaincu que le mariage était authentique.

[8]  La demanderesse a interjeté appel de la décision de l’agent devant la SAI.

La décision faisant l’objet du contrôle

[9]  La SAI a conclu que les doutes de l’agent concernant le fait que la demanderesse n’avait pas rendu visite à M. Sosa à Cuba récemment étaient non fondés et déraisonnables et que la preuve confirmait que la demanderesse se rendait à Cuba régulièrement. Cependant, la SAI a jugé que les autres préoccupations de l’agent étaient légitimes et a donc rejeté l’appel.

[10]  La SAI a conclu ceci :

[31]  D’après les éléments de preuve à ma disposition, je conclus que l’appelante n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour permettre d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il s’agit d’un mariage authentique. Bien que certains éléments de preuve aient milité en faveur de l’authenticité, j’estime qu’ils ne suffisent pas à réfuter les éléments de preuve pesant contre l’authenticité, y compris les incohérences dans les éléments de preuve concernant les événements importants dans leur relation ainsi que la genèse et l’évolution de la relation.

Les questions en litige

[11]  La demanderesse soulève un certain nombre de questions concernant la décision de la SAI. On peut répondre à toutes ces questions en évaluant le caractère raisonnable du traitement de la preuve par la SAI.

Norme de contrôle

[12]  La Cour a jugé que la norme de contrôle applicable pour déterminer l’authenticité d’un mariage aux termes de l’article 4 du RIPR est celle de la décision raisonnable (­­Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 432, par. 18 [Zheng]).

[13]  Cette conclusion est compatible avec la présomption selon laquelle la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique lorsqu’une cour procède au contrôle judiciaire d’une décision administrative (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2018 CSC 65, par. 23).

[14]  Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Il ne suffit pas que la décision soit justifiable, elle doit aussi être justifiée. Dans les cas où des motifs s’imposent, la décision doit être justifiée au moyen de ces motifs (Vavilov, par. 85). Par conséquent, une décision sera déraisonnable lorsque, lus en corrélation avec le dossier, les motifs ne permettent pas à la Cour de comprendre le raisonnement du décideur sur un point central (Vavilov, par. 103).

Analyse

[15]  La demanderesse (« l’appelante » devant la SAI) soutient que la SAI n’a pas tenu compte des éléments de preuve photographiques et relatifs aux communications. Elle fait valoir que les motifs de la SAI ne sont ni transparents ni intelligibles vu la preuve abondante démontrant qu’il y a eu communication entre elle et son mari de 2012 à 2018. La demanderesse affirme également que la déclaration de la SAI selon laquelle « peu d’éclaircissements ou de dates ont été fournis » pour les photographies est inexacte puisque deux photographies au dossier sont datées de 2009 et que plusieurs autres sont datées de 2012. La SAI a déclaré que « certains éléments de preuve » ont été fournis, mais elle leur a accordé peu de poids.

[16]  La demanderesse soutient également que les conclusions de la SAI concernant les éléments de preuve relatifs à ses fausses couches n’étaient pas raisonnables. La SAI a déclaré ce qui suit :

[19]  Bien que l’appelante ait apparemment fait deux fausses couches au Canada, après être tombée enceinte du demandeur, aucun document médical confirmant ces faits qui ont lieu au Canada n’a été fourni, alors qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’il le soit. Des lettres datées de juillet et d’août 2016 ont été envoyées à l’appelante et au demandeur, à l’adresse de l’appelante au Canada, par des fournisseurs de soins en matière de fécondité au Canada. Ces lettres génériques sont adressées à [traduction] « Cher patient, chère patiente » et renferment des précisions sur les médecins qui sont en congé et en train de changer de centre, mais ne donnent aucune indication quant aux soins ou aux traitements reçus par le couple dans ces établissements.

[20]  Même si la lettre médicale de Cuba fait peut être mention des antécédents obstétricaux de l’appelante, j’estime, étant donné le manque de précisions dans la lettre, les témoignages incohérents au sujet des fausses couches et l’absence de documents qui pouvaient facilement être obtenus au Canada concernant les fausses couches survenues apparemment au Canada, qu’il n’a pas été établi, selon la prépondérance des probabilités, que ces fausses couches se sont produites au cours de la relation que l’appelante entretenait avec le demandeur. Par conséquent, j’estime que les fausses couches ne permettent pas de conclure que la relation entre l’appelante et le demandeur est authentique. En fait, je juge que le témoignage incohérent du couple sur les événements d’une grande importance dans la relation nuit à l’authenticité de la relation puisqu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’un couple dont le mariage est authentique soit en mesure de fournir des détails crédibles et cohérents sur ces événements.

[17]  La demanderesse fait valoir que les conclusions de la SAI concernant les fausses couches vont à l’encontre des documents médicaux déposés, qui indiquent qu’elle a subi deux fausses couches. Elle affirme que ces éléments de preuve militent fortement en faveur de l’authenticité de la relation du couple.

[18]  La demanderesse ajoute que la SAI a minimisé de manière inappropriée ses voyages à Cuba pour voir son mari de 2012 à 2018 en supposant qu’ils avaient pour but de rendre visite à sa famille à Cuba. Elle soutient que cette conclusion est déraisonnable, car il n’existe aucune preuve à l’appui de l’hypothèse qu’elle rendait visite à des membres de sa famille lors de ses voyages à Cuba entre 2009 et 2012.

[19]  En ce qui concerne l’incapacité de M. Sosa de se rappeler la date du mariage, la demanderesse invoque la décision Koo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 931, où la Cour fédérale a conclu, aux paragraphes 37 et 38, que des erreurs « humaines » et « commises par inadvertance » dans les formulaires d’immigration pouvaient ne pas être importantes lorsque le décideur dispose des renseignements exacts :

[38] Les erreurs commises par inadvertance par le demandeur et son représentant ne rencontrent aucunement le seuil fixé par l’article 40 de la Loi. Non seulement elles ne constituaient pas de fausses déclarations, mais elles n’étaient pas importantes. En fait, l’agente n’a pas effectué l’analyse appropriée quant à l’importance des prétendues fausses déclarations et il s’agit là également d’une erreur susceptible de révision. Enfin, l’agente avait l’obligation d’examiner l’ensemble des renseignements qui figuraient dans le dossier d’immigration du demandeur depuis environ deux ans, et elle ne l’a pas fait.

[20]  Bien que la demanderesse ne conteste pas le fait que M. Sosa ne se souvenait pas de la date exacte de son mariage, l’agent a noté que celui-ci était nerveux, et ce facteur aurait dû être pris en considération.

[21]  La Cour a jugé qu’aucun critère ni ensemble de critères particuliers n’a été établi pour déterminer si un mariage est authentique ou non aux termes de l’article 4 du RIPR. Comme l’a déclaré le juge Near dans la décision Zheng, au par. 23 :

[…] la Cour a souligné à quelques reprises qu’aucun critère ni ensemble de critères particuliers n’a été établi pour déterminer si un mariage est authentique ou non aux termes de l’article 4 du Règlement […] En conséquence, on ne peut reprocher à la SAI d’avoir pris en compte un ensemble de critères quelque peu différent dans le cadre de l’espèce. Néanmoins, il convient de souligner, ainsi que l’a fait remarquer le défendeur, qu’un certain nombre de critères considérés par la SAI en l’espèce étaient, dans les faits, des critères également énumérés par le tribunal dans l’affaire Khera, précitée : la durée de la relation des époux avant leur mariage, leur ancien état matrimonial, leurs antécédents familiaux et les liens familiaux de Mme Huang au Canada (ou, en l’occurrence, aux États-Unis). [Références omises]

[22]  Il est bien établi que les décideurs peuvent tirer des conclusions sur la crédibilité fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la raison, mais ils ne doivent pas tirer de conclusions défavorables « après avoir examiné “à la loupe” des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la revendication du demandeur » (Khakimov c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 18, par. 24; Haramichael c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 1197, par. 14, citant Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, par. 10-11, et Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444 (CAF)).

[23]  À mon avis, la SAI a, de façon déraisonnable, effectué un examen des questions à la loupe et a soumis la demanderesse et M. Sosa à une norme déraisonnablement élevée en ce qui concerne les souvenirs d’événements qui se sont passés il y a plusieurs années. Elle a notamment examiné à la loupe les éléments de preuve relatifs aux fausses couches et aux traitements de fertilité, lesquels sont, à mon avis, des questions accessoires à la question principale de savoir si la relation est authentique. La SAI a également rejeté les explications raisonnables fournies pour justifier les incohérences dans la preuve, notamment concernant la date de délivrance du certificat de mariage.

[24]  Conformément aux principes exposés dans l’arrêt Vavilov, la décision n’est pas raisonnable. Une « cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’“[un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, [...] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait” » (Vavilov, par. 102). La décision de la SAI ne satisfait pas à cette norme parce qu’elle met un accent inutile sur des questions accessoires et des incohérences pour lesquelles des explications raisonnables ont été fournies. La SAI s’est fondée sur des considérations et des faits non pertinents pour conclure que la relation n’était pas authentique. Par conséquent, la conclusion selon laquelle le mariage n’était pas authentique n’était ni justifiée ni raisonnable d’après le dossier.

[25]  J’accueille donc la demande de contrôle judiciaire. La décision de la SAI sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre décideur.

[26]  Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1729-19

LA COUR STATUE que le contrôle judiciaire est accueilli, que la décision de la SAI est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur. Il n’y a pas de question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de février 2020

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1729-19

 

INTITULÉ :

VAZQUEZ BUENO c CANADA (CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION)

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 DÉCEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 11 FÉVRIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton

POUR LA DEMANDERESSE

Gordon Lee

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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