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Date : 20191205


Dossier : T-1663-17

Référence : 2019 CF 1563

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Gascon

RECOURS COLLECTIF ENVISAGÉ

ENTRE :

ARTHUR LIN

demandeur

et

AIRBNB, INC., AIRBNB CANADA INC., AIRBNB IRELAND UNLIMITED COMPANY, AIRBNB PAYMENTS UK LIMITED

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  En mars 2016, M. Arthur Lin, un résident de la Colombie-Britannique, a réservé un hébergement au Japon en utilisant la plateforme en ligne Airbnb [la plateforme Airbnb]. La plateforme Airbnb est un marché numérique qui relie les personnes à la recherche d’un hébergement [les voyageurs] à d’autres personnes offrant un hébergement [les hôtes], et qui leur permet d’effectuer des transactions. M. Lin prétend qu’il a fini par se faire facturer un prix plus élevé que le prix indiqué initialement pour les services de réservation d’hébergements fournis sur la plateforme Airbnb. De nombreuses autres personnes résidant au Canada ont réservé des hébergements à l’aide de cette même plateforme et ont dû elles aussi payer des prix différents de ceux qui étaient indiqués.

[2]  M. Lin demande une ordonnance autorisant la présente action comme recours collectif en vertu du paragraphe 334.16(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], de même qu’une ordonnance visée à l’article 334.17 des Règles. En tant que représentant demandeur proposé, M. Lin demande une indemnisation aux défenderesses Airbnb, Inc., Airbnb Canada Inc. et Airbnb Ireland Unlimited Company, ainsi qu’à Airbnb Payments UK Limited [collectivement, Airbnb], au nom de toutes les personnes résidant au Canada qui, depuis le 31 octobre 2015, ont réservé un hébergement pour toute destination dans le monde à l’aide d’Airbnb, à l’exclusion des personnes qui ont réservé un hébergement principalement à des fins professionnelles.

[3]  M. Lin allègue qu’Airbnb a contrevenu à l’article 54 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C‑34 [Loi sur la concurrence], en commettant une infraction criminelle rarement utilisée connue sous le nom de « double étiquetage ». L’article 54 interdit à une personne de fournir un produit à un prix qui dépasse le plus bas de deux ou plusieurs prix clairement exprimés au moment où le produit est fourni. Plus précisément, M. Lin conteste le fait qu’Airbnb ajoute des « frais de service » au prix final qu’elle exige pour ses services de réservation d’hébergements, bien que ces frais ne soient pas compris dans le prix initial par nuitée indiqué sur la plateforme Airbnb. Dans le recours collectif envisagé, M. Lin demande principalement des dommages-intérêts ainsi que les frais d’enquête et de poursuite conformément à l’article 36 de la Loi sur la concurrence. M. Lin demandait également une injonction permanente et des dommages-intérêts punitifs, mais il a abandonné ces demandes à l’audience devant la Cour.

[4]  En plus de sa requête en autorisation, M. Lin a présenté une requête pour qu’Airbnb Payments UK Limited [Airbnb Payments] soit ajoutée à titre de défenderesse, requête à laquelle les défendeurs ne se sont pas opposés.

[5]  M. Lin soutient que tous les éléments juridiques requis pour l’autorisation ont été respectés, à savoir (i) qu’il y a une cause d’action valable, (ii) qu’il existe un groupe identifiable, (iii) qu’il y a des points de droit et de fait communs, (iv) que l’autorisation est le meilleur moyen et (v) qu’il est un représentant approprié du groupe. Airbnb s’oppose à l’autorisation du groupe, car elle prétend que M. Lin n’a pas respecté ces cinq conditions préalables.

[6]  La seule question que la Cour doit trancher est de savoir si M. Lin s’est conformé aux exigences du paragraphe 334.16(1) pour que la Cour puisse autoriser l’action comme recours collectif et, le cas échéant, autoriser le contenu de l’ordonnance d’autorisation qui devrait être rendue en conséquence conformément à l’article 334.17. La portée et l’interprétation de l’article 54 sur le « double étiquetage » et l’application de l’article à la situation de M. Lin et d’Airbnb sont au cœur du débat entre les parties.

[7]  Pour les raisons mentionnées précédemment, et compte tenu de l’approche généreuse que les tribunaux sont tenus d’adopter à l’étape de l’autorisation, j’accueillerai la requête en autorisation de M. Lin, sous réserve d’une modification à la définition du groupe proposé. Même si la portée de l’article 54 de la Loi sur la concurrence et l’application de l’article à la présente affaire peuvent soulever des doutes, je conclus qu’il n’est pas manifeste et évident que les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable. Sous réserve de la modification mentionnée précédemment, je conclus également ce qui suit : (i) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes [groupe]; (ii) il existe des points communs qui prédominent sur les points qui ne concernent qu’un membre, et que leur règlement fera progresser les réclamations de tous les membres et aidera la Cour à éviter la duplication de l’appréciation des faits et de l’analyse du droit; (iii) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs et permettra de respecter les trois principes qui sous-tendent les recours collectifs (soit l’économie des ressources judiciaires, la modification des comportements et l’accès à la justice) de façon plus efficace que les autres procédures; (iv) M. Lin est un représentant demandeur approprié.

II.  Contexte

A.  Contexte factuel

[8]  Airbnb exploite la plateforme Airbnb. Au Canada, la plateforme Airbnb est accessible sur le site Web www.airbnb.ca ainsi que sur diverses applications mobiles. La plateforme Airbnb permet aux voyageurs de réserver des nuitées auprès d’hôtes de partout dans le monde.

[9]  Airbnb exploite ce qui peut être décrit comme une plateforme transactionnelle bidirectionnelle, qui fournit simultanément des services à deux groupes différents de clients (désignés comme étant les hôtes et les voyageurs), qui dépendent de la plateforme pour conclure une transaction. En d’autres termes, la plateforme Airbnb réunit des fournisseurs et des consommateurs d’un service particulier, à savoir la réservation de nuitées chez d’autres personnes.

[10]  Dans ses conditions de service, dont diverses versions sont jointes à l’affidavit du déposant d’Airbnb, M. Kyle Miller, Airbnb indique qu’elle offre une plateforme en ligne reliant des hôtes, qui ont des hébergements à annoncer et à louer, à des voyageurs qui cherchent à réserver de tels hébergements. Dans ses conditions de service, Airbnb elle-même parle de ses « services » accessibles sur différents sites Web. Les conditions de service indiquent également qu’Airbnb offre une plateforme ou un marché en ligne doté de la technologie nécessaire pour que les voyageurs et les hôtes puissent se rencontrer en ligne et conclure des réservations d’hébergements, directement les uns avec les autres.

[11]  Diverses entités exploitent Airbnb au Canada. Premièrement, Airbnb Ireland Unlimited Company est l’entité qui entretient une relation contractuelle avec les utilisateurs canadiens. Deuxièmement, Airbnb, Inc. (aussi appelée « Airbnb US » par Airbnb) possède et exploite le site Web www.airbnb.com. Airbnb, Inc. emploie M. Miller, dont l’équipe est responsable des versions localisées de la plateforme Airbnb, et son nom est mentionné sur le site Web www.airbnb.ca. La même adresse est utilisée sur les sites Web www.airbnb.ca et www.airbnb.com, et Airbnb, Inc. possède quatre marques de commerce canadiennes déposées qui sont affichées sur le site Web www.airbnb.ca. Troisièmement, Airbnb Canada Inc. acquiert et détient le domaine www.airbnb.ca, bien qu’Airbnb prétend qu’il ne s’agit que d’une entité de commercialisation. Quatrièmement, Airbnb Payments perçoit et distribue les paiements effectués sur la plateforme Airbnb.

[12]  Nul ne conteste le fait qu’Airbnb ne possède pas d’hébergements et ne gère pas d’hébergements au nom des hôtes. Les hôtes décident du moment où ils veulent inscrire leur hébergement sur la plateforme Airbnb, du prix de leur hébergement et des demandes de réservation qu’ils acceptent. Pour ce qui est du prix, les hôtes peuvent fixer des prix différents selon la date et la durée du séjour envisagé, et ils peuvent décider de facturer des frais de nettoyage ou des frais pour des voyageurs additionnels.

[13]  Lorsque des voyageurs cherchent un hébergement sur la plateforme Airbnb, ils sont habituellement dirigés vers une page de résultats de recherche. Cette page énumère les hébergements et affiche le prix par nuitée [premier prix] en fonction des paramètres de recherche du voyageur, sans indiquer que des frais additionnels seront ajoutés. Le premier prix affiché sur la page des résultats de recherche comprend (i) le prix de la nuitée fixé par l’hôte, (ii) les frais de nettoyage, le cas échéant, divisés par le nombre de nuits et (iii) les frais par nuitée pour les visiteurs additionnels, le cas échéant. Si les dates du séjour ou le nombre de voyageurs ne sont pas précisés par le voyageur dans les paramètres de recherche, la page des résultats de recherche n’affichera qu’un premier prix moyen. Lorsque les voyageurs choisissent l’hébergement souhaité, ils sont redirigés vers une autre page appelée la page des annonces. La page des annonces affiche un deuxième prix [deuxième prix ou prix total], qui comprend : (i) le premier prix pour les dates précises et le nombre de visiteurs, multiplié par le nombre de nuits, ii) les frais de service d’Airbnb [frais de service] et iii) les taxes. Lorsqu’ils sont sur la page des annonces, les voyageurs peuvent modifier les dates et le nombre de visiteurs, auquel cas le deuxième prix est mis à jour en conséquence. Dans certains cas (comme lorsqu’ils cherchent un hébergement qu’ils connaissent déjà ou qu’ils ont déjà réservé), les voyageurs peuvent aussi accéder directement à la page des annonces d’un hébergement sans devoir effectuer une recherche, et le premier prix affiché sur la page des résultats de recherche ne leur est alors pas montré. Le premier prix et le deuxième prix sont tous les deux indiqués sur le reçu des voyageurs.

[14]  Airbnb facture des frais de service aux voyageurs (de 0 % à 20 % du premier prix selon Airbnb, ou de 5 % à 15 % selon M. Lin), ainsi que des frais de service aux hôtes (généralement 3 % du premier prix). Airbnb perçoit le montant du deuxième prix auprès des voyageurs et verse à l’hôte le montant du premier prix, après avoir déduit les frais de service facturés aux hôtes.

[15]  M. Lin a utilisé la plateforme Airbnb à la fois comme voyageur et comme hôte. L’événement qu’il décrit dans sa déclaration pour illustrer comment Airbnb aurait procédé à un « double étiquetage » est une réservation qu’il a faite en tant que voyageur, le ou vers le 20 mars 2016, pour des vacances au Japon. Sur la plateforme Airbnb, M. Lin a fait une recherche pour les dates du 24 mai 2016 au 31 mai 2016. Un certain nombre d’hébergements ont été affichés sur une page de résultats de recherche, y compris l’hébergement qu’il a finalement réservé; le premier prix affiché pour cet hébergement était de 109 $ par nuitée pour un séjour de sept nuitées. Lorsque M. Lin a choisi cet hébergement, il a été redirigé vers une page des annonces, qui indiquait un deuxième prix, soit 855 $ ou 122,14 $ la nuitée. Ce deuxième prix était réparti comme suit : 102 $ la nuitée pour sept nuitées, 48 $ pour les frais de nettoyage et 91 $ pour les frais de service d’Airbnb. J’ajoute que, dans d’autres transactions qu’il a effectuées séparément sur la plateforme Airbnb en tant qu’hôte, M. Lin a également offert un hébergement, qui a été réservé à six reprises en 2016.

[16]  Les voyageurs et les hôtes sont liés par les conditions de service d’Airbnb pour les transactions effectuées depuis octobre 2015, ainsi que par les conditions de service d’Airbnb Payments pour les transactions effectuées depuis mars 2016 [collectivement, les conditions de service]. Les voyageurs et les hôtes doivent accepter les conditions de service pendant le processus de création de compte, avant de pouvoir réserver un hébergement. Lorsque les conditions de service sont mises à jour, les voyageurs et les hôtes doivent accepter la version mise à jour avant de pouvoir effectuer une autre transaction sur la plateforme Airbnb. Autant les conditions de service d’Airbnb que celles d’Airbnb Payments ont été mises à jour plusieurs fois depuis octobre 2015 et mars 2016 respectivement. Les conditions de service contiennent des dispositions selon lesquelles :

- Les résidents canadiens sont réputés conclure un contrat avec Airbnb Ireland Unlimited Company;

- Les résidents canadiens ne sont pas assujettis aux dispositions de la convention d’arbitrage et de renonciation de recours collectif;

- L’accord conclu avec Airbnb est interprété conformément au droit irlandais, mais la réglementation canadienne en matière de protection des consommateurs continue de s’appliquer;

- Les voyageurs et les hôtes établissent une relation contractuelle entre eux lorsqu’une réservation est effectuée, Airbnb agissant pour le compte des hôtes uniquement pour faciliter les paiements;

- Airbnb peut facturer des frais de service aux hôtes et aux voyageurs pour l’utilisation de la plateforme Airbnb.

[17]  Dans ses conditions de service, Airbnb désigne le premier prix décrit par M. Lin comme étant le « prix affiché » et les frais de service qu’il facture aux hôtes et aux voyageurs comme étant respectivement les « frais de l’hôte » et les « frais du voyageur ». Airbnb désigne le deuxième prix ou le prix total décrit par M. Lin comme étant les « frais totaux ». Les dommages-intérêts que demande M. Lin sont définis précisément dans sa déclaration et correspondent à la différence entre le deuxième prix et le premier prix, moins les taxes. En d’autres termes, les dommages-intérêts réclamés sont les frais de service.

[18]  Airbnb estime qu’environ 2,2 millions de voyageurs résidant au Canada ont réservé un hébergement au moyen de la plateforme Airbnb entre le 31 octobre 2015 et le mois d’août 2018.

B.  Ordonnances demandées

[19]  Dans sa requête en autorisation, M. Lin demande à la Cour de rendre les ordonnances suivantes :

[traduction]

1. La présente action est autorisée comme recours collectif.

2. Le groupe est défini comme suit :

Toutes les personnes résidant au Canada qui, depuis le 31 octobre 2015, ont réservé un hébergement pour toute destination dans le monde à l’aide d’Airbnb, à l’exclusion des personnes qui ont réservé un hébergement principalement à des fins professionnelles.

3. Le demandeur est nommé représentant demandeur du groupe.

4. Les points communs sont ceux énoncés à l’annexe A de l’avis de requête.

5. Il est déterminé que la cause d’action du groupe est une violation de l’article 54 de la Loi sur la concurrence.

6. Il est déclaré que le groupe demande la réparation suivante :

a. un jugement déclaratoire portant que les défenderesses ont facturé à chaque membre du groupe un prix supérieur au prix le plus bas de deux ou plusieurs prix clairement exprimés par les défenderesses à chaque membre du groupe, en contravention de l’article 54 de la Loi sur la concurrence;

b. des dommages-intérêts, conformément à l’article 36 de la Loi sur la concurrence, pour la conduite des défenderesses, qui ont contrevenu à l’article 54 de la Loi sur la concurrence;

c. une ordonnance rendue en vertu des paragraphes 334.28(1) et (2) des Règles et prévoyant l’évaluation globale de la réparation pécuniaire et sa distribution au demandeur et aux membres du groupe;

d. les frais d’enquête et de poursuite pour la présente instance sur la base d’une indemnisation intégrale, conformément à l’article 36 de la Loi sur la concurrence;

e. les intérêts avant jugement et après jugement conformément aux articles 36 et 37 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7;

f. des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs;

g. toute autre réparation que la Cour estime juste.

7. Le plan de litige, qui constitue l’annexe B de l’avis de requête, est approuvé comme méthode efficace pour faire progresser l’instance.

8. Le plan de notification inclus dans le plan de litige est approuvé comme méthode efficace pour communiquer avec les membres du groupe.

9. Les défenderesses paient les coûts du plan de notification.

10. Les défenderesses fournissent aux avocats du demandeur la liste et les coordonnées des membres du groupe après l’expiration de la période d’exclusion prévue au point 11 de l’ordonnance.

11. Les membres du groupe qui souhaitent s’exclure du recours collectif doivent le faire par écrit dans les trente jours suivant la date de l’ordonnance.

12. Le demandeur et les défenderesses assument leurs propres dépens pour la présente requête en autorisation, conformément à l’article 334.39 des Règles, sans que soit limité le droit du demandeur de demander les dépens pour toute l’instance à la fin du procès, conformément à l’article 36 de la Loi sur la concurrence.

13. Toute autre réparation que la Cour estime juste.

C.  Cadre législatif

[20]  La partie 5.1 des Règles établit le cadre pour l’établissement et la gestion des recours collectifs devant la Cour. Les paragraphes 334.16(1) et (2) et l’article 334.18 des Règles sont les principales dispositions régissant l’autorisation des recours collectifs. Elles sont reproduites intégralement à l’annexe A des présents motifs.

[21]  Selon le paragraphe 334.16(1) des Règles, un recours collectif doit être autorisé si les cinq conditions suivantes sont réunies : (i) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable; (ii) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes; (iii) les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait communs; (iv) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, ces points communs; v) il existe un représentant demandeur approprié. Le paragraphe 334.16(1) des Règles utilise un libellé impératif, ce qui signifie que la Cour doit accorder l’autorisation lorsque les cinq éléments du critère sont respectés (Sivak c Canada, 2012 CF 271, par. 5). Comme le critère est conjonctif, si le demandeur ne satisfait pas à l’une ou l’autre des cinq conditions énumérées, la requête en autorisation doit être rejetée (Buffalo c Première Nation de Samson, 2008 CF 1308 [Buffalo CF], par. 35, conf. par 2010 CAF 165, par. 3).

[22]  À l’inverse, l’article 334.18 des Règles décrit les facteurs qui ne peuvent, soit seuls, soit combinés aux autres facteurs énumérés, constituer un motif suffisant pour refuser l’autorisation (Kenney c Canada (Procureur général), 2016 CF 367 [Kenney], par. 17; Buffalo CF, par. 37). Ces facteurs sont les suivants : (i) les réparations demandées comprennent une réclamation de dommages-intérêts qui exigerait, une fois les points de droit ou de fait communs tranchés, une évaluation individuelle; (ii) les réparations demandées portent sur des contrats distincts concernant différents membres du groupe; (iii) les réparations demandées ne sont pas les mêmes pour tous les membres du groupe; (iv) le nombre exact de membres du groupe ou l’identité de chacun est inconnu; (v) il existe au sein du groupe un sous-groupe dont les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait communs que ne partagent pas tous les membres du groupe. Néanmoins, l’utilisation du terme « uniquement » laisse entendre que ces facteurs peuvent être des éléments pertinents à prendre en considération dans une requête en autorisation, pourvu que la conclusion générale sous-jacente à un refus potentiel soit fondée sur d’autres préoccupations également (Kenney, par. 17).

[23]  Il convient de noter que les conditions d’autorisation établies au paragraphe 334.16(1) des Règles sont semblables à celles appliquées par les tribunaux de l’Ontario et de la Colombie-Britannique (Canada c John Doe, 2016 CAF 191 [John Doe CAF], par. 22; Buffalo c Nation Crie de Samson, 2010 CAF 165 [Buffalo CAF], par. 8). D’ailleurs, une grande partie de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada [CSC] relative aux recours collectifs sur laquelle la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale [CAF] se fondent vient de ces provinces.

D.  Principes généraux en matière d’autorisation

[24]  Avant d’analyser les exigences individuelles prescrites par les Règles, il faut souligner certains principes généraux et fondamentaux régissant les requêtes en autorisation.

[25]  Dans Hollick c Toronto (Ville), 2001 CSC 68 [Hollick], la CSC a déclaré que la cour devrait toujours évaluer les conditions d’autorisation en gardant à l’esprit les objectifs généraux des recours collectifs. D’abord et avant tout, il faut tenir compte du fait que les recours collectifs permettent de faire l’économie des ressources judiciaires en évitant la duplication inutile de l’appréciation des faits et de l’analyse du droit. Deuxièmement, les recours collectifs assurent un meilleur accès à la justice en rendant économiques des poursuites que les membres du groupe auraient jugées trop coûteuses pour les intenter individuellement. Troisièmement, les recours collectifs servent l’efficacité et la justice en faisant en sorte que les malfaisants prennent pleinement conscience du préjudice qu’ils infligent ou qu’ils pourraient infliger et modifient leur comportement en conséquence. Par conséquent, il est « essentiel […] que les tribunaux n’interprètent pas la loi de manière trop restrictive, mais qu’ils adoptent une interprétation [des dispositions législatives sur les recours collectifs] qui donne pleinement effet aux avantages escomptés par les rédacteurs » (Hollick, par. 15; Western Canadian Shopping Centres Inc. c Dutton, 2001 CSC 46 [Dutton], par. 27 à 29; Condon c Canada, 2015 CAF 159 [Condon], par. 10). Comme la CSC l’a fait remarquer dans Hollick, « l’étape de la certification intéresse la forme que revêt l’action. La question à cette étape n’est pas s’il est vraisemblable que la réclamation aboutisse, mais s’il convient de procéder par recours collectif » (souligné dans l’original) (Hollick, par. 16). En d’autres termes, le tribunal joue un rôle de filtrage et doit considérer la demande comme un moyen procédural. (Infineon Technologies AG c Option consommateurs, 2013 CSC 59 [Infineon], par. 65; Vivendi Canada Inc. c Dell’Aniello, 2014 CSC 1 [Vivendi], par. 37). L’objectif de l’autorisation est de déterminer si, du point de vue de la procédure, il est préférable d’intenter un recours collectif (Hollick, par. 16). À l’inverse, l’autorisation permet d’éliminer les réclamations manifestement non fondées et frivoles.

[26]  La CSC a récemment réitéré et réaffirmé fermement ces principes fondamentaux dans Pioneer Corp. c Godfrey, 2019 CSC 42 [Godfrey] et dans L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c J.J., 2019 CSC 35.

[27]  Il est également bien établi que le fardeau de la preuve pour une partie qui demande une autorisation n’est pas onéreux. Le critère à appliquer au premier critère d’autorisation – à savoir que les actes de procédure révèlent une cause d’action valable – est semblable à celui applicable à une requête en radiation ou en irrecevabilité (Pro-Sys Consultants Ltd. c Microsoft Corporation, 2013 CSC 57 [Pro-Sys], par. 63; Alberta c Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24 [Elder], par. 20). Il s’agit de déterminer s’il est « évident et manifeste » que les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable et qu’il n’y a lieu à aucune réclamation (Godfrey, par. 27; R. c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42 [Imperial Tobacco], par. 17; Elder, par. 20; Hollick, par. 25; Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959 [Hunt], à la page 980).

[28]  Le critère à respecter est peu élevé (Rae c Canada (Revenu national), 2015 CF 707 [Rae], par. 54; Buffalo CF, par. 43). La requête en radiation ne saurait être « accueillie à la légère ». Il faut garder à l’esprit que « le droit n’est pas immuable », et que « [d]es actions qui semblaient hier encore vouées à l’échec pourraient être accueillies demain » (Imperial Tobacco, par. 21). Autrement dit, un acte de procédure ne devrait être radié que lorsque la réclamation est si clairement futile qu’elle n’a pas la moindre chance de réussir ou qu’elle est certaine d’être rejetée (Hunt, par. 33). En vertu de ce critère, la réclamation doit être manifestement irrégulière au point de n’avoir « aucune chance d’être accueillie » (LJP Sales Agency Inc. c Canada (Revenu national), 2007 CAF 114, par. 7; Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 [Wenham], par. 27 à 33). Le critère est mieux exprimé par la négative, et la Cour doit être convaincue que l’action envisagée n’a aucune chance d’être accueillie et est vouée à l’échec (Wenham, par. 22).

[29]  Pour le premier critère, les faits énoncés dans les actes de procédure sont tenus pour avérés, et aucun élément de preuve ne peut être pris en considération par la Cour (John Doe CAF, par. 23; Condon, par. 13). Si l’on tient pour avérés les faits allégués, il n’en reste pas moins qu’ils doivent être invoqués au soutien de chaque cause d’action. Les simples affirmations ne constituent pas des allégations de faits substantiels et ne peuvent fonder une cause d’action (John Doe CAF, par. 23; Mancuso c Canada (Santé nationale et Bien-être social), 2015 CAF 227, par. 27; Merchant Law Group c Agence du revenu du Canada, 2010 CAF 184, par. 34).

[30]  Pour les quatre autres conditions d’autorisation, les demandeurs ont le fardeau de présenter des éléments de preuve établissant un « certain fondement factuel » (Hollick, par. 25; Pro-Sys, par. 99). Le critère à respecter est peu élevé lui aussi, compte tenu de la portée limitée de l’enquête factuelle de la Cour et de l’incapacité de cette dernière de « déterminer [la valeur probante de la preuve] à l’issue d’une analyse nuancée » à l’étape de l’autorisation (AIC Limitée c Fischer, 2013 CSC 69 [Fischer], par. 40; Pro-Sys, par. 102 et 104). Cela dit, la norme d’un « certain fondement factuel » ne peut être évaluée dans le vide, et chaque cas doit être tranché en fonction des faits qui lui sont propres. L’exigence d’un « certain fondement factuel » signifie que, pour toutes les conditions d’autorisation, hormis celle de la cause d’action, l’ordonnance d’autorisation doit reposer sur une preuve, et l’emploi du terme « certain » indique que la preuve n’a pas à être exhaustive ou qu’elle ne doit pas nécessairement être propre à présider un débat sur le fond (Fischer, par. 41, citant McCracken c Canadian National Railway Co., 2012 ONCA 445, par. 75 et 76). La Cour doit donc s’abstenir d’évaluer sur le fond le caractère suffisant des faits allégués et elle n’a pas à se prononcer sur les preuves contradictoires. Il est acquis en droit que la norme d’un « certain fondement factuel » est inférieure à la norme de la preuve selon la prépondérance des probabilités (Pro-Sys, par. 102; John Doe CAF, par. 24).

[31]  Bien que l’étape de l’autorisation n’est pas censée permettre de déterminer la viabilité ou la force du recours collectif envisagé, l’analyse de la preuve ne peut toutefois être « strictement symbolique » (Pro-Sys, par. 103). Étant donné que la Cour ne se livre pas à une analyse rigoureuse sur le fond à l’étape de l’autorisation, l’autorisation du recours collectif ne garantit aucunement que le demandeur aura gain de cause lors de l’examen des questions communes au procès (Pro-Sys, par. 105).

III.  Analyse

A.  Alinéa 334.16(1)a) des Règles : cause d’action valable

[32]  La première exigence pour que le recours collectif soit autorisé est que les actes de procédure révèlent une cause d’action valable. La déclaration de M. Lin mentionne une seule cause d’action, fondée sur les articles 36 et 54 de la Loi sur la concurrence. M. Lin prétend que, lorsqu’elle lui a fourni ses services de réservation d’hébergements, à lui et aux autres membres du groupe, Airbnb a affiché un premier prix initial, qui excluait les frais de service d’Airbnb, et un deuxième prix, final et plus élevé, qui comprenait ces frais de service, et qu’Airbnb a ainsi facturé aux membres du groupe le prix le plus élevé des deux prix affichés, en contravention de l’article 54 de la Loi sur la concurrence. Selon M. Lin, cette violation de l’article 54 rend Airbnb responsable, en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence, du versement de dommages-intérêts équivalant aux frais de service et aux frais d’enquête.

[33]  Airbnb répond que les actes de procédure (c.-à-d. la déclaration de M. Lin) ne révèlent aucune cause d’action valable puisque : (i) l’article 54 de la Loi sur la concurrence ne s’applique pas aux faits invoqués, décrits par Airbnb comme une situation où deux prix s’appliquent à deux produits différents; (ii) le moyen de défense prévu à l’article 60 de la Loi sur la concurrence s’applique à Airbnb; (iii) M. Lin ne déclare aucune perte ni aucun dommage comme l’exige l’article 36 de la Loi sur la concurrence, car il aurait payé le même prix si les frais de service avaient été inclus dans le premier prix sur la page des résultats de recherche. Airbnb s’appuie notamment sur les conditions de service pour étayer ses arguments.

[34]  Je ne suis pas d’accord avec Airbnb. Après avoir examiné les actes de procédure, je conclus qu’Airbnb interprète mal le « produit » défini et décrit efficacement par M. Lin dans sa déclaration. De plus, même si Airbnb soulève de nombreux points valables concernant l’interprétation des articles 36 et 54 de la Loi sur la concurrence et leur application en l’espèce, je ne peux conclure, lorsque les faits allégués sont réputés être véridiques, qu’il est « évident et manifeste » que la cause d’action plaidée par M. Lin est vouée à l’échec. Les objections formulées par Airbnb sont des questions qui doivent être tranchées sur le fond dans le cadre d’un procès, où les parties peuvent profiter d’un dossier de preuve complet et d’une argumentation juridique complète.

(1)  Article 54 de la Loi sur la concurrence

[35]  Le recours collectif envisagé par M. Lin est fondé sur l’article 54 de la Loi sur la concurrence. Cet article crée l’infraction criminelle du « double étiquetage », qui fait partie des infractions relatives aux pratiques commerciales trompeuses visées à la partie VI de la Loi sur la concurrence, intitulée « Infractions relatives à la concurrence ». L’article 54 est ainsi libellé :

Double étiquetage

Double ticketing

54 (1) Nul ne peut fournir un produit à un prix qui dépasse le plus bas de deux ou plusieurs prix clairement exprimés, par lui ou pour lui, pour ce produit, pour la quantité dans laquelle celui-ci est ainsi fourni et au moment où il l’est :

54 (1) No person shall supply a product at a price that exceeds the lowest of two or more prices clearly expressed by him or on his behalf, in respect of the product in the quantity in which it is so supplied and at the time at which it is so supplied,

a) soit sur le produit ou sur son emballage;

(a) on the product, its wrapper or container;

b) soit sur quelque chose qui est fixé au produit, à son emballage ou à quelque chose qui sert de support au produit pour l’étalage ou la vente, ou sur quelque chose qui y est inséré ou joint;

(b) on anything attached to, inserted in or accompanying the product, its wrapper or container or anything on which the product is mounted for display or sale; or

c) soit dans un étalage ou la réclame d’un magasin ou d’un autre point de vente.

(c) on an in-store or other point-of-purchase display or advertisement.

[36]  Cette interdiction du « double étiquetage » est d’abord entrée en vigueur en 1975, sous la forme de l’article 36.2 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, LC 1974-1975-1976, c 76 [Loi sur les coalitions]. Le libellé de l’article 36.2 de la Loi sur les coalitions était identique au libellé actuel de l’article 54 de la Loi sur la concurrence. En vertu de cette disposition, une personne commet une infraction de « double étiquetage » lorsqu’elle : (i) fournit un produit; (ii) à un prix qui dépasse le plus bas de deux prix ou plusieurs prix; (iii) qui sont clairement exprimés sur le produit, sur quelque chose qui est fixé au produit ou y est joint, ou dans un étalage ou la réclame d’un point de vente. Pour qu’il y ait infraction, seules ces exigences s’appliquent. Le libellé de la disposition indique clairement que l’article 54 porte strictement sur la conduite du fournisseur, et qu’il ne s’applique qu’aux situations où des prix différents sont exprimés à l’égard du même produit, fourni en quantité identique et au même moment. Le paragraphe 2(1) de la Loi sur la concurrence assimile à un « produit » un « article » et un « service », de sorte que l’article 54 peut s’appliquer aux deux. Les termes « fournir » ou « approvisionner » ont également un sens large, étant définis au paragraphe 2(1) comme « relativement à un service, vendre, louer ou autrement fournir un service ou offrir de le faire ».

[37]  Je m’arrête un instant pour faire remarquer que l’infraction de « double étiquetage » a été créée en même temps que l’infraction criminelle de « vente au-dessus du prix annoncé », auparavant prévue à l’ancien article 37.1 de la Loi sur les coalitions, qui interdisait la fourniture d’un produit à un prix supérieur au prix annoncé. Cette disposition pénale a été abrogée en 1999 et a été remplacée par la conduite susceptible d’examen au civil de la « vente au-dessus du prix annoncé », qui figure maintenant à l’article 74.05 de la Loi sur la concurrence. Cette conduite susceptible d’examen est parfois qualifiée par le Bureau de la concurrence de prix fragmentés ou de prix partiels (voir par exemple : Bureau de la concurrence, Le recueil des pratiques commerciales trompeuses, juin 2015).

[38]  Il ressort d’un bref examen de l’historique de l’article 54 que l’objet de la disposition était d’empêcher l’affichage de deux prix sur un même produit. Les débats de la Chambre des communes et du Sénat révèlent que, au moment de son adoption, l’interdiction du « double étiquetage » découlait de préoccupations au sujet du prix élevé des aliments (Débats de la Chambre des communes, 29e législature, 2e session, vol. 1 (13, 20 et 27 mars 1974), p. 489, 708 et 918; Débats de la Chambre des communes, 30e législature, 1re sess, vol. 1 (22 octobre 1974), p. 624-625 et 627; Débats de la Chambre des communes, 30e législature, 1re sess, vol. 8 (21 octobre 1975), p. 8419; Débats du Sénat, 30e législature, 1re sess, vol. 2 (13 novembre 1974), p. 1295). Essentiellement, les consommateurs se plaignaient d’une pratique de l’industrie alimentaire, qui augmentait le prix des stocks existants en réponse à l’augmentation des coûts d’approvisionnement, et d’une pratique de certaines épiceries, qui apposaient de nouveaux prix sur leurs produits à côté du prix précédent, plus bas.

[39]  Même si la disposition relative au double étiquetage fait maintenant partie de la Loi sur la concurrence et des lois précédentes depuis plus de 40 ans, la jurisprudence sur cette disposition est très limitée. Airbnb a fait référence à une affaire, The Consumers’ Association of Canada et al. c Coca-Cola Bottling Company et al., 2006 BCSC 863 [Coca-Cola], conf. par 2007 BCCA 356, dans laquelle les frais de recyclage pour les boissons en bouteille étaient exclus du prix affiché sur l’étagère pour ces produits, mais étaient ajoutés à la caisse et facturés au consommateur dans le prix final. Le tribunal a conclu qu’il ne s’agissait pas de « double étiquetage » et qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 54 (Coca-Cola, par. 69 et 93). Dans ses observations, M. Lin n’a renvoyé la Cour à aucun précédent relatif à cette disposition. La Cour a relevé deux autres affaires mentionnant l’article 54, soit Apotex Inc. c Hoffman La-Roche Limited, 195 DLR (4th) 244, 2000 CanLII 16984 (CA Ont.), par. 20, et une affaire de petites créances du Québec, Massé c Sears Canada Inc., 2012 QCCQ 15181, par. 5 et 16. Toutefois, aucune de ces affaires ne portait dans quelque mesure que ce soit sur l’interprétation de la disposition relative au « double étiquetage ».

(2)  Article 36 de la Loi sur la concurrence

[40]  Pour sa part, l’article 36 de la Loi sur la concurrence prévoit ce qui suit :

Recouvrement de dommages-intérêts

Recovery of damages

36 (1) Toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite :

36 (1) Any person who has suffered loss or damage as a result of

a) soit d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI;

(a) conduct that is contrary to any provision of Part VI, or

[…]

[…]

peut, devant tout tribunal compétent, réclamer et recouvrer de la personne qui a eu un tel comportement ou n’a pas obtempéré à l’ordonnance une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu’elle est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n’excède pas le coût total, pour elle, de toute enquête relativement à l’affaire et des procédures engagées en vertu du présent article.

may, in any court of competent jurisdiction, sue for and recover from the person who engaged in the conduct or failed to comply with the order an amount equal to the loss or damage proved to have been suffered by him, together with any additional amount that the court may allow not exceeding the full cost to him of any investigation in connection with the matter and of proceedings under this section.

[41]  Pour établir une réclamation en vertu de l’alinéa 36(1)a), le demandeur doit faire valoir que les défenderesses ont contrevenu à une disposition de la partie VI de la Loi sur la concurrence , qui porte sur les « Infractions relatives à la concurrence », et qu’il a subi une perte ou des dommages en raison de la conduite criminelle reprochée. Le droit d’intenter une action en dommages-intérêts et de demander le recouvrement de certains frais d’enquête est assujetti à certaines limites importantes, y compris une limite au chapitre des dommages-intérêts compensatoires (c.-à-d. pas de dommages-intérêts punitifs ni de mesures injonctives).

[42]  Je suis d’accord avec Airbnb pour dire que l’article 36 est la disposition qui crée effectivement la cause d’action de M. Lin, dont les dommages causés par la présumée violation de la Loi sur la concurrence constituent un élément essentiel (Godfrey, par. 76; Murphy c Compagnie Amway Canada, 2015 CF 958 [Murphy], par. 83 à 85; Singer c Shering-Plough Canada Inc., 2010 ONSC 42 [Singer], par. 107 à 108). Les caractéristiques combinées de l’alinéa 36(1)a) et de l’article 54 de la Loi sur la concurrence limitent le recours à cette cause d’action aux demandeurs qui peuvent démontrer que la conduite des parties défenderesses correspond à tous les éléments de l’article 54, ainsi qu’un lien de causalité entre la perte ou les dommages subis et le « double étiquetage ».

(3)  Le « produit »

[43]  Airbnb soutient tout d’abord qu’il est évident et manifeste que l’article 54 ne peut pas s’appliquer en l’espèce puisque deux prix sont affichés pour deux produits différents. Airbnb soutient que M. Lin ne définit pas expressément le « produit » en cause dans sa déclaration, mais que les actes de procédure laissent entendre qu’il s’agit de l’hébergement réservé par M. Lin. Airbnb affirme également que le mémoire des faits et du droit de M. Lin mentionne expressément un « produit », à savoir l’utilisation de la plateforme Airbnb. Airbnb soutient que, lorsque les actes de procédure de M. Lin sont examinés globalement, deux produits sont en cause dans la présente affaire, et ils sont fournis par l’entremise de la plateforme Airbnb : (i) l’hébergement offert par les hôtes aux voyageurs, et (ii) l’utilisation de la plateforme offerte par Airbnb autant aux hôtes qu’aux voyageurs. Airbnb prétend que M. Lin a confondu les deux produits et qu’il a allégué que le regroupement des deux produits dans le deuxième prix équivalait à une augmentation de prix pour un seul produit.

[44]  Je ne suis pas convaincu par l’interprétation d’Airbnb, et je ne trouve pas qu’il s’agit d’une lecture adéquate de la déclaration de M. Lin.

[45]  Dans sa déclaration, M. Lin allègue notamment les faits suivants :

[traduction]

10. Airbnb exploite un service en ligne de marché et d’hébergement, qui permet à des personnes de partout dans le monde de louer un hébergement à court terme auprès de toute autre personne dans le monde qui offre un hébergement à louer.

11. Pendant toute la période pertinente en l’espèce, Airbnb a offert ses services en ligne de marché et d’hébergement principalement par l’entremise de diverses plateformes Internet, notamment des sites Web (comme http://www.airbnb.com et https://fr.airbnb.ca/) et des applications mobiles fonctionnant sur les systèmes d’exploitation Apple et Android (collectivement les « plateformes de réservation »).

[…]

17. Le ou vers le 20 mars 2016, le demandeur a conclu un contrat avec Airbnb pour un hébergement en vue de ses vacances au Japon, notamment un hébergement à Shibuya, au Japon, selon les modalités suivantes (la « réservation ») […].

[…]

29. Lorsqu’un membre du groupe effectue une réservation pour un hébergement par l’intermédiaire d’Airbnb (y compris une « demande de réservation » et une « réservation instantanée »), peu importe la plateforme de réservation utilisée, Airbnb facture au membre du groupe le deuxième prix, et non le premier prix.

[Non souligné dans l’original.]

[46]  Je concède que les actes de procédure auraient pu être rédigés avec beaucoup plus de clarté et de précisions concernant le produit véritable visé par la réclamation de M. Lin, particulièrement dans un contexte où, à l’article 54 invoqué par M. Lin pour étayer sa cause d’action, la notion de « produit » est un élément central. À cette étape de l’autorisation, je dois toutefois faire une lecture généreuse des actes de procédure. Il faut lire les actes de procédure dans leur ensemble et leur donner une interprétation libérale, ce qui permet de remédier à tout vice de forme qui aurait pu se glisser dans les allégations et de ne pas s’attacher aux questions de forme (Operation Dismantle c La Reine, [1985] 1 RCS 441, par. 14; Wenham, par. 34; John Doe CAF, par. 51; Shah c LG Chem Ltd., 2018 ONCA 819 [Shah], par. 74 et 76; Finkel c Coast Capital Savings Credit Union, 2017 BCCA 361 [Finkel], par. 17).

[47]  Dans sa déclaration, M. Lin fait référence au service ou aux services en ligne de marché et d’hébergement d’Airbnb et au fait que c’est une réservation pour un hébergement par l’entremise d’Airbnb que M. Lin et les membres du groupe ont achetée et pour laquelle ils ont conclu un contrat. Je suis convaincu que la déclaration de M. Lin, lorsqu’elle est lue dans son contexte, désigne un « produit » fourni par Airbnb, à savoir les services de réservation d’hébergements offerts et fournis par Airbnb par l’entremise de sa plateforme. Autrement dit, je ne trouve pas évident et manifeste que, comme l’a soutenu Airbnb, les actes de procédure portent sur deux prix pour deux produits différents.

[48]  Je reconnais que cela ne fait pas partie des actes de procédure, mais je tiens à souligner que, dans son mémoire des faits et du droit, M. Lin a renvoyé à plusieurs reprises et expressément au [traduction« service de réservation d’hébergements » ou aux « services de réservation d’hébergements » d’Airbnb lorsqu’il décrit le produit fourni par Airbnb et pour lequel il prétend qu’Airbnb a contrevenu à la disposition sur le « double étiquetage ». Ces services de réservation d’hébergement se rapportent à l’utilisation de la plateforme Airbnb pour trouver et réserver des hébergements.

[49]  D’après ce que je comprends des allégations de M. Lin, le produit effectivement offert et fourni par Airbnb est un service précis, c’est-à-dire l’accès à la plateforme Airbnb et l’utilisation de cette dernière pour trouver une série d’hébergements et en réserver un. M. Lin reconnaît que les hébergements offerts par l’hôte n’appartiennent pas à Airbnb, mais le fait qu’Airbnb ne possède pas les hébergements affichés par l’entremise de son service ne signifie pas qu’Airbnb ne fournit pas de service pour la réservation de tels hébergements.

[50]  Selon les actes de procédure de M. Lin, le produit fourni par Airbnb (c.-à-d. son service de réservation) ne change pas entre l’étape des résultats de recherche, où le premier prix est exprimé, et l’étape de la réservation, où le deuxième prix est exprimé. Le produit est toujours l’accès à la plateforme Airbnb et son utilisation pour trouver et réserver des hébergements sur le marché numérique d’Airbnb. À mon avis, les actes de procédure de M. Lin n’indiquent pas qu’un nouvel élément de service est « ajouté » par Airbnb à l’étape de la réservation, ni qu’Airbnb offre un service supplémentaire à l’étape de la réservation, par opposition à l’étape des résultats de recherche. Le service de plateforme de réservation, où les hôtes et les voyageurs peuvent transiger, est le « produit » fourni par Airbnb dès qu’une personne entre sur la plateforme Airbnb (lorsque les voyageurs et les hôtes ont accès aux renseignements pertinents et à la présentation de ces renseignements). Selon M. Lin, ce qui change vraiment entre l’étape des résultats de recherche et celle de la réservation, c’est le prix du service de réservation d’hébergements d’Airbnb.

[51]  Encore une fois, je suis conscient du fait que les actes de procédure de M. Lin ne sont pas un modèle de clarté sur ce point, loin de là. À l’étape de l’autorisation, il faut toutefois adopter une approche généreuse, et les actes de procédure peuvent être suffisants, même si le produit n’est pas décrit avec une précision parfaite, dans la mesure où ils sont suffisamment précis pour permettre au lecteur de désigner le produit faisant l’objet de l’allégation (Watson c Bank of America Corporation, 2015 BCCA 362 [Watson CA], par. 85 à 87). En l’espèce, je suis d’avis que les actes de procédure sont suffisamment détaillés pour que le lecteur comprenne que M. Lin  renvoie à un produit, à savoir les services de réservation d’hébergements d’Airbnb. Ses observations écrites le confirment clairement.

[52]  Je remarque que, dans ses observations, Airbnb affirme elle-même que la plateforme Airbnb permet d’établir un lien entre les voyageurs à la recherche d’un hébergement et les hôtes qui offrent des hébergements, et qu’elle leur permet de transiger. De plus, dans ses propres conditions de service, Airbnb décrit ses « services » d’une manière semblable. Ces énoncés font écho aux [traduction« services de réservation d’hébergements » mentionnés par M. Lin dans ses documents et qui, selon lui, sont fournis par Airbnb.

[53]  Je ne conteste pas le fait que, dans ses observations, Airbnb soulève un point valide et très pertinent concernant la nature et la désignation du produit ou des produits effectivement fournis par Airbnb par l’entremise de la plateforme Airbnb. Il est certainement loisible à Airbnb de faire valoir que l’article 54 de la Loi sur la concurrence ne s’applique pas en l’espèce parce que ce qui est fourni par l’entremise de la plateforme Airbnb sont en réalité deux produits différents fournis par deux personnes différentes à deux prix différents. Je ne peux toutefois pas accepter ces arguments à l’étape de l’autorisation. Ce que je dois déterminer, c’est si, d’après la déclaration de M. Lin (qui est le seul acte de procédure), il est évident et manifeste que l’article 54 ne peut pas s’appliquer. Je ne peux conclure que c’est le cas à la lumière des allégations de M. Lin concernant les services de réservation d’hébergements fournis par l’entremise de la plateforme Airbnb.

[54]  Les arguments avancés par Airbnb sur la présence de deux produits, sur la question de savoir si ce qui est fourni par Airbnb pourrait être qualifié de groupe d’articles et de services différents, et sur la question de savoir si le produit en question est le groupe ou ses composants, par opposition aux services de réservation d’hébergements mentionnés par M. Lin, exigent que des évaluations factuelles soient effectuées au procès sur le fond, lorsque les parties pourront profiter d’un dossier de preuve complet. En d’autres termes, il n’est pas évident et manifeste que le premier prix (ou le prix affiché) et le deuxième prix (ou les frais totaux) mentionnés par M. Lin se rapportent à des produits distincts pour, respectivement, l’hébergement et l’utilisation de la plateforme Airbnb.

(4)  Les éléments de l’article 54

[55]  Comme il a été mentionné précédemment, les éléments requis concernant l’infraction visée à l’article 54 sont les suivants : (i) la fourniture d’un produit par une personne; (ii) à un prix qui dépasse le plus bas de deux prix ou plusieurs prix; (iii) qui sont clairement exprimés sur le produit, sur quelque chose qui est fixé au produit ou y est joint, ou dans un étalage ou la réclame d’un point de vente. Je suis convaincu que M. Lin a soulevé tous les éléments de l’infraction visée à l’article 54, à savoir la fourniture de services de réservation d’hébergements par Airbnb, l’existence d’un premier prix et d’un deuxième prix et le fait que le service a été fourni à un prix plus élevé, et le fait que les prix étaient clairement exprimés au point de vente sur la plateforme Airbnb. Je constate que M. Lin n’a pas expressément invoqué l’élément mens rea de cette infraction criminelle. Certains éléments requis d’une cause d’action, comme la mens rea, peuvent toutefois être implicites dans les faits allégués, selon le bon sens, et n’ont pas toujours besoin d’être expressément mentionnés (Watson CA, par. 101). À mon avis, l’élément mental requis de la conduite d’Airbnb est implicite dans les actes de procédure de M. Lin, et Airbnb n’a en fait soulevé aucune objection sur ce point (Watson c Bank of America Corporation, 2014 BCSC 532 [Watson SC], par. 101 et 102).

[56]  Je reconnais que, compte tenu de la rareté des affaires de « double étiquetage », M. Lin semble certainement étirer l’interprétation et l’application possibles de l’article 54 de la Loi sur la concurrence, et qu’il l’étend vers un territoire inexploré. En réalité, Airbnb soutient que la réclamation de M. Lin sera au bout du compte rejetée. Toutefois, à l’étape de l’autorisation, cela ne suffit pas pour conclure à l’absence d’une cause d’action valable. Au contraire, lorsqu’une affaire soulève des points nouveaux ou difficiles en matière d’interprétation de la loi, ces points ne devraient pas être tranchés à l’étape de l’autorisation (John Doe CAF, par. 53; Jiang c Peoples Trust Company, 2017 BCCA 119 [Jiang], par. 64; Finkel, par. 17). Ce faire éliminerait les questions communes fondées sur ces points et pourrait empêcher le juge d’examiner ces points sur le fond au moyen d’un dossier de preuve complet (Jiang, par. 64 et 67). Comme la CSC l’a rappelé, « lorsqu’une déclaration révèle une question de droit difficile et importante, il peut fort bien être capital que l’action puisse suivre son cours » (Hunt, p. 990; Arsenault c Canada, 2008 CF 299 [Arsenault], par. 25 et 26). Ainsi, le critère de la cause d’action valable peut être respecté malgré la longueur et la complexité des questions en litige, la nouveauté de la cause d’action ou la possibilité pour le défendeur de présenter une défense solide (Murphy, par. 38). Le fait qu’une action en particulier n’a pas encore été reconnue en droit n’est pas déterminant (Imperial Tobacco, par. 21). La Cour doit plutôt se demander, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, si la réclamation est vouée à l’échec. L’approche doit être généreuse et permettre l’instruction de toute réclamation inédite, mais soutenable.

[57]  Pour souligner davantage la nécessité d’une approche libérale, j’ajouterais que la Loi sur la concurrence (article 1.1) mentionne expressément que la protection du consommateur est l’un de ses objectifs sous-jacents, et que cette loi a été reconnue comme une loi de protection du consommateur (Finkel, par. 61). Cela est particulièrement vrai pour les dispositions pénales et civiles de la Loi sur la concurrence relatives aux pratiques commerciales (dont fait partie la disposition relative au « double étiquetage »), qui reflètent souvent des dispositions comparables contenues dans les lois provinciales en matière de protection du consommateur. Comme l’a souligné M. Lin, la CSC a affirmé que les lois sur la protection du consommateur doivent être interprétées généreusement en faveur des consommateurs (Seidel c TELUS Communications Inc., 2011 CSC 15, par. 37).

[58]  Je suis également d’accord avec M. Lin pour dire que la règle de droit a vocation permanente et doit être interprétée en fonction de la situation du moment, même si une disposition a peut-être été adoptée il y a longtemps (Loi d’interprétation, LRC 1985, c I‑21, art. 10; R. c 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, par. 38). Même si l’article 54 sur le « double étiquetage » a été créé avant l’économie numérique et l’émergence du commerce en ligne, la disposition peut tout de même s’appliquer aux technologies et aux pratiques commerciales actuelles. Les marchés numériques et les plateformes en ligne permettant des transactions commerciales numériques, permettant aux vendeurs et aux acheteurs d’établir un lien et de transiger et facturant de tels services sont maintenant fréquents dans l’économie numérique. Airbnb est un exemple dans les services de réservation d’hébergements, mais il existe d’autres exemples dans les services de réservation de moyens de transport (comme Uber) ou dans les services de réservation de billets (voir Nicolas c Vivid Seats, 2018 QCCS 3938). La question de l’interprétation de l’article 54 de la Loi sur la concurrence et de son application à une plateforme comme Airbnb touche le fond de la réclamation.

[59]  Enfin, comme il a été mentionné précédemment, il existe très peu de jurisprudence sur l’article 54, et aucune des affaires dont j’ai connaissance ne lie la Cour. De plus, les décisions en question ne contiennent aucune analyse véritable de la disposition et de la façon dont elle devrait être interprétée. Dans ses observations, Airbnb a attiré l’attention sur l’affaire Coca-Cola, dans laquelle la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que l’imposition de frais de recyclage pour les boissons en bouteille dans le prix final aux consommateurs, bien que ces frais n’étaient pas inclus dans le prix affiché sur l’étagère, ne contrevenait pas à la disposition sur le « double étiquetage » (Coca-Cola, par. 69 et 93). Je constate toutefois que cette affaire a été instruite dans un autre ressort, et que l’analyse relative à l’article 54 a été très succincte. L’affaire portait sur la façon dont les dépôts étaient détenus et sur la légalité des frais de recyclage. La réclamation présentée en vertu de l’article 54 a été analysée et rejetée par le tribunal dans un unique paragraphe (Coca-Cola, par. 93). Dans de telles circonstances, je ne considère pas qu’il s’agit d’un précédent très solide permettant d’appuyer le rejet de la réclamation de M. . Lin à ce stade précoce. Pour conclure qu’il est « évident et manifeste » qu’il n’y a aucune cause d’action valable, il faut « un dossier portant exactement sur la même question, issu de la même juridiction, et démontrant que cette même question a été clairement abordée et rejetée » (Arsenault, par. 27, citant Dalex Co. c Schwartz Levitsky Feldman (1994), 19 OR (3d) 463, 1994 CanLII 7290 (SC); voir aussi Finkel, par. 17). Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[60]  Au bout du compte, M. Lin pourrait ne pas avoir gain de case quant à l’interprétation de l’article 54 qu’il propose et à l’application de la disposition à Airbnb. Je reconnais que, selon la preuve factuelle qui serait présentée au procès sur les questions communes, le juge qui entend le fond de l’affaire pourrait, par exemple, conclure soit que les voyageurs ont conclu une transaction avec les hôtes pour l’hébergement, et une autre avec Airbnb pour l’utilisation de sa plateforme, soit que les voyageurs ont conclu deux transactions distinctes avec Airbnb pour deux produits différents, l’une pour l’hébergement et une pour l’utilisation de la plateforme Airbnb. Il ne s’agit toutefois pas d’un motif suffisant, à ce stade, pour conclure qu’il n’y a pas de cause d’action raisonnablement viable. Pour toutes ces raisons, je conclus qu’il n’est pas évident et manifeste qu’Airbnb ne s’est pas livrée à un « double étiquetage » et que l’article 54 de la Loi sur la concurrence ne s’applique pas à la conduite d’Airbnb. Il appartiendra au juge, qui pourra profiter d’un dossier de preuve complet et d’une argumentation juridique complète, de déterminer sur le fond si la conduite d’Airbnb est suffisante pour satisfaire aux exigences de la disposition.

[61]  Si Airbnb peut démontrer, lors du procès sur les questions communes, que ce qui est effectivement fourni par la plateforme Airbnb ce sont deux produits fournis à deux prix différents, cela suffirait pour conclure que l’article 54 sur le « double étiquetage » ne s’applique pas, mettre fin au litige et rejeter la demande de dommages-intérêts.

(5)  Article 60 de la Loi sur la concurrence

[62]  Airbnb soutient également qu’il est évident et manifeste que l’article 60 de la Loi sur la concurrence porte un coup fatal à la réclamation de M. Lin. Je ne suis pas de cet avis.

[63]  L’article 60 sur les « moyens de défense » exempte de l’application de l’article 54, sous réserve de certaines conditions, « la personne qui diffuse, notamment en les imprimant ou en les publiant, des indications ou de la publicité pour le compte d’une autre personne ». La disposition est libellée ainsi :

Moyen de défense

Defence

60 L’article 54 ne s’applique pas à la personne qui diffuse, notamment en les imprimant ou en les publiant, des indications ou de la publicité pour le compte d’une autre personne se trouvant au Canada, si elle établit qu’elle a obtenu et consigné le nom et l’adresse de cette autre personne et qu’elle a accepté de bonne foi d’imprimer, de publier ou de diffuser de quelque autre façon ces indications ou cette publicité dans le cadre habituel de son entreprise.

60 Section 54 does not apply to a person who prints or publishes or otherwise distributes a representation or an advertisement on behalf of another person in Canada if he or she establishes that he or she obtained and recorded the name and address of that other person and accepted the representation or advertisement in good faith for printing, publishing or other distribution in the ordinary course of his or her business.

[64]  Airbnb n’a cité aucune affaire sur l’interprétation de l’article 60, et la Cour n’en connaît aucune. Toutefois, le libellé de la disposition indique clairement que celle-ci fait référence au rôle passif de simples annonceurs ou éditeurs de publicités qui ont fait preuve d’un minimum de diligence raisonnable. Comme l’a souligné M. Lin, l’article 60 est semblable par. 74.07(1) de la Loi sur la concurrence, qui a été décrit par le Bureau de la concurrence comme étant le moyen de défense de l’éditeur, accessible à ceux qui n’ont pas de pouvoir de décision sur le contenu affiché, publié ou présenté (Bureau de la concurrence, Application de la Loi sur la concurrence aux indications dans Internet, février 2003, p. 7). En d’autres termes, la disposition vise à exempter les éditeurs et les annonceurs (comme les journaux, les médias ou d’autres tiers) qui ne font qu’afficher les prix des autres, et non leurs propres prix.

[65]  En l’espèce, les actes de procédure établissent qu’Airbnb offre des services complets de réservation d’hébergements et a un intérêt direct dans les services de réservation d’hébergements qu’elle fournit sur la plateforme Airbnb, notamment dans l’offre et l’affichage du deuxième prix ou du prix total, qui comprend ses frais de service. Dans la mesure où les actes de procédure font référence à deux prix différents offerts et affichés pour les services de réservation d’hébergements d’Airbnb, il n’est donc pas évident et manifeste que l’article 54 ne s’applique pas à Airbnb en raison de l’article 60. De fait, Airbnb reconnaît dans son mémoire des faits et du droit que l’article 60 ne s’applique peut-être pas à l’exploitation de la plateforme Airbnb par Airbnb. Comme il a été mentionné précédemment, une lecture généreuse des actes de procédure m’amène à conclure que le produit en cause dans la réclamation de M. Lin est le service de réservation d’hébergements d’Airbnb.

[66]  Encore une fois, l’interprétation et l’application de ce moyen de défense prévu à l’article 60 ne devraient pas être pondérées à l’étape de l’autorisation. Ce moyen de défense devrait plutôt être pris en compte à la lumière d’un dossier de preuve complet, à l’étape de l’examen du bien-fondé de la réclamation, après le débat sur la question de savoir si Airbnb est simplement un annonceur des hébergements des hôtes (comme l’a soutenu Airbnb), ou s’il fournit des services complets de réservation d’hébergements (comme l’a prétendu M. Lin).

(6)  Article 36 de la Loi sur la concurrence

[67]  Airbnb soutient enfin que M. Lin n’a pas plaidé convenablement la perte ou les dommages comme l’exige l’article 36 de la Loi sur la concurrence. Plus précisément, Airbnb soutient que M. Lin a omis de plaider et de prouver le lien de causalité et de plaider qu’il ou quelqu’un d’autre a été induit en erreur par les prix affichés par Airbnb. Airbnb soutient que M. Lin devait faire valoir (et au bout du compte prouver) (i) que lui et les membres proposés du groupe croyaient qu’ils payaient seulement le premier prix, et (ii) qu’ils n’auraient pas réservé d’hébergement sur la plateforme Airbnb s’ils s’étaient rendu compte qu’ils devaient payer le deuxième prix. Là encore, je ne suis pas d’accord avec Airbnb.

[68]  Tout d’abord, compte tenu de l’interprétation généreuse dont les actes de procédure devraient faire l’objet, je suis convaincu que M. Lin a plaidé les éléments nécessaires pour la réparation qu’il demande en vertu de l’article 36. Plus précisément, aux points 30, 32b) et c) et 33 de la déclaration (qui correspondent aux points 31, 34b) et c) et 35 de la déclaration modifiée), M. Lin déclare ce qui suit :

[traduction]

30. Le fait qu’Airbnb a facturé au demandeur (et à chacun des membres du groupe) le deuxième prix, au lieu du premier prix, a causé une perte ou des dommages au demandeur (et à chacun des membres du groupe).

[…]

32. Le demandeur demande, en son propre nom et au nom du groupe, un jugement déclaratoire portant que :

a. Airbnb a fourni, ou offert de fournir, un produit dont le prix dépassait le plus bas de deux prix clairement exprimés au moment où le produit a été fourni, en contravention de l’article 54 de la Loi sur la concurrence;

b. Le demandeur et tous les membres du groupe avaient le droit, sur le fondement de l’article 54 de la Loi sur la concurrence, de payer à Airbnb uniquement le premier prix pour chaque nuitée réservée par l’entremise d’Airbnb;

c. Le demandeur et tous les membres du groupe, ayant payé le deuxième prix pour chaque nuitée de leurs réservations respectives, ont subi une perte ou des dommages correspondant à la différence entre le deuxième prix et le premier prix, moins les taxes.

33. Le demandeur affirme que lui-même et le groupe ont subi des dommages en raison de la violation de l’article 54 de la Loi sur la concurrence par les défenderesses et ils demandent donc des dommages-intérêts au titre de l’article 36 de la Loi sur la concurrence […]

[Non souligné dans l’original.]

[69]  Ces paragraphes contiennent des allégations de fait faisant référence à tous les éléments de l’article 36. Pour établir une réclamation au titre de l’article 36, le demandeur doit démontrer qu’il a subi une perte ou des dommages en raison de la conduite du défendeur. Pour avoir une cause d’action valable au titre de l’article 36, le demandeur doit subir une perte découlant de la violation de la disposition criminelle contestée et doit alléguer des dommages-intérêts découlant de la violation (Sun-Rype Products Ltd. c Archer Daniels Midland Company, 2013 CSC 58 [Sun‑Rype] par. 74 et 75; Godfrey c Sony Corporation, 2017 BCCA 302 [Godfrey CA], par. 231; Murphy, par. 83; Watson SC, par. 106; Axiom Plastics Inc. c EI Dupont Canada Company, 87 OR (3d) 352, 2007 CanLII 36817 (CS) [Axiom], par. 25 et 35). Par conséquent, la cause d’action visée à l’article 36 oblige le demandeur à prouver qu’il a subi une perte ou des dommages dans le monde réel, par opposition au monde « hypothétique », c’est-à-dire le monde sans violation de la disposition criminelle (Eli Lilly and Company c Apotex Inc., 2009 CF 991, par. 849).

[70]  En l’espèce, la cause d’action visée à l’article 36 comporte trois éléments, soit une violation de l’article 54 par Airbnb, une perte ou des dommages subis par M. Lin et un lien de causalité entre les deux. Les paragraphes reproduits plus haut font expressément référence à la violation qu’aurait commise Airbnb, à la nature exacte des dommages-intérêts réclamés et à l’élément de causalité de l’article 36. Ils indiquent précisément que le montant de la perte ou des dommages demandé équivaut à la différence entre les deux prix affichés par Airbnb (qui correspond aux frais de service), et que les dommages ont été subis en raison de la violation de l’article 54 par Airbnb.

[71]  À mon avis, il ne s’agit pas d’une situation comme dans Sandhu c HSBC Finance Mortgages Inc., 2016 BCCA 301 [Sandhu], Wakelam c Wyeth Consumer Healthcare/Wyeth Soins de Sante Inc., 2014 BCCA 36 [Wakelam] ou Singer, où les tribunaux se sont penchés sur la question des indications trompeuses et ont notamment conclu que les éléments essentiels de la cause d’action n’avaient pas été plaidés convenablement dans le contexte de l’application des articles 36 et 52 de la Loi sur la concurrence. Le « double étiquetage » en matière de prix ne peut pas être simplement assimilé à des cas d’indications trompeuses. Les tribunaux ont affirmé à maintes reprises que, lorsque la conduite criminelle reprochée prend la forme d’une indication trompeuse visée à l’article 52, le demandeur, pour étayer une réclamation au titre de l’article 36 pour violation de l’article 52, doit démontrer qu’il s’est fié à l’indication trompeuse et que cela lui a causé un préjudice (Murphy, par. 79 à 85; Wakelam, par. 74 et 91; Singer, par. 107 et 108). La preuve que le demandeur s’est fié aux indications trompeuses alléguées et que cela lui a causé un préjudice et lui a fait subir une perte ou des dommages est l’un des éléments nécessaires pour qu’une action puisse être intentée contre la personne qui a affiché les indications. À mon avis, la situation est différente dans le cas d’une pratique de tarification interdite. À ma connaissance, il n’existe aucun précédent où il a fallu démontrer qu’une personne a subi un préjudice en raison d’une indication trompeuse pour justifier une cause d’action au titre de l’article 36 pour une pratique tarifaire interdite comme le « double étiquetage ».

[72]  L’article 36 doit faire l’objet d’une application générale et d’une approche généreuse lorsqu’il s’agit d’évaluer le caractère adéquat des actes de procédure relatifs à la perte ou aux dommages à l’étape de l’autorisation (Shah, par. 74). Dans les recours collectifs autorisés portant sur des infractions liées aux prix, il a été jugé suffisant de décrire les dommages dans les actes de procédure comme étant la différence de prix par rapport au monde « hypothétique » et de traiter de la causalité en écrivant que la violation a causé des dommages (Shah, par. 75; Pro-Sys, par. 69; Axiom, par. 25 et 35; Godfrey CA, par. 14). C’est ce que M. Lin a fait en faisant valoir que les dommages équivalent à la différence entre les deux prix exprimés par Airbnb et qu’il a subi de tels dommages en devant payer le prix plus élevé.

[73]  De plus, je remarque que les termes « perte » et « dommage » mentionnés à l’article 36 ont été interprétés de façon libérale à l’étape de la requête préalable au procès (Apotex Inc. c Eli Lilly and Company, 2005 CAF 361 [Apotex], par. 58 et 59; Bédard c Canada (Procureur général)), 2007 CF 516, par. 48 à 50, 52 et 84). Dans Apotex, la demanderesse a soutenu que, pour l’application de l’article 36, les dommages subis équivalaient à tout montant qu’elle serait tenue de verser aux défenderesses dans une action en contrefaçon (Apotex, par. 58). Même si le tribunal a conclu qu’il s’agissait d’une « demande étonnante en droit », la requête en jugement sommaire a néanmoins été rejetée puisqu’il n’était pas clair que la demande ne pourrait pas être accueillie (Apotex, par. 59).

[74]  Dans Godfrey, dans le contexte d’un litige concernant un complot de fixation des prix, la CSC a récemment fait remarquer qu’au fil du temps l’article 36 est devenu un puissant recours pour les consommateurs et un important moyen de dissuasion contre les conduites anticoncurrentielles, et qu’il mérite une interprétation large, de sorte que quiconque subit une perte par suite d’un comportement anticoncurrentiel peut intenter une action privée (Godfrey, par. 68). Selon l’article 1.1 de la Loi sur la concurrence, la loi a pour objet « de préserver et de favoriser la concurrence au Canada » dans le but d’assurer aux consommateurs « des prix compétitifs et un choix dans les produits » (Godfrey, par. 65). Les sanctions pécuniaires pour conduite anticoncurrentielle criminelle contribuent donc à l’objectif de la Loi sur la concurrence. Les tribunaux ont également reconnu que la dissuasion des comportements anticoncurrentiels et l’indemnisation des victimes de tels comportements sont deux autres objectifs de la Loi sur la concurrence particulièrement pertinents (Infineon, par. 111; Sun-Rype, par. 24 à 27; Shah, par. 37).

[75]  Je note en outre que, en ce qui concerne les dommages-intérêts, l’article 182 des Règles prévoit que la déclaration doit préciser « la nature des dommages-intérêts demandés ». Une description générale de la nature des dommages-intérêts demandés est suffisante (Condon, par. 20; John Doe CAF, par. 50 et 51). En l’espèce, la déclaration décrit expressément les dommages demandés comme étant la différence de prix, égale aux frais de service.

[76]  Pour toutes ces raisons, j’estime que les actes de procédure de M. Lin sur la perte ou les dommages sont suffisants à ce stade.

[77]  Au sujet de l’allégation de perte ou de dommages, Airbnb soutient par ailleurs que M. Lin devait plaider (et au bout du compte prouver) que (i) lui et les membres proposés du groupe croyaient qu’ils payaient seulement le premier prix et (ii) qu’ils n’auraient pas réservé d’hébergement s’ils s’étaient rendu compte qu’ils devaient payer le deuxième prix. Comme M. Lin a omis de le faire, Airbnb soutient qu’il est évident et manifeste que l’action est vouée à l’échec. Là encore, je ne suis pas d’accord.

[78]  Le libellé des articles 36 et 54 de la Loi sur la concurrence ne contient pas les exigences énoncées par Airbnb, et je ne suis pas convaincu qu’il est évident et manifeste que la perte ou les dommages résultant d’une infraction de « double étiquetage » ne pourraient pas être établis sans le respect de telles exigences.

[79]  Airbnb ne fait état d’aucune décision liant la Cour dans laquelle il est énoncé que, pour subir une perte ou des dommages visés à l’article 36 en cas de violation de l’article 54, il est nécessaire d’avoir été victime de tromperie ou d’avoir été induit en erreur. Il en va de même pour l’argument selon lequel aucune perte ni aucun dommage ne pourrait être étayé si le client n’allègue pas qu’il n’aurait pas acheté le produit au prix le plus élevé.

[80]  L’article 54 crée une infraction de responsabilité stricte, selon laquelle la facturation d’un prix supérieur au prix le plus bas de deux ou plusieurs prix exprimés constitue une infraction aux termes de la Loi sur la concurrence. Il s’agit d’une infraction fondée strictement sur la conduite du fournisseur, plus précisément sur ce que le fournisseur a exprimé et sur le prix auquel le produit est fourni. La disposition dit simplement que, si le fournisseur exprime deux prix pour un produit, il ne peut pas facturer le prix le plus élevé. On peut soutenir qu’un tel énoncé suppose que l’acheteur a le droit de profiter du prix le plus bas. À la lumière du libellé de la loi, une telle disposition sur les prix doit être analysée du point de vue du fournisseur, comme les dispositions semblables sur les prix fragmentaires (Union des consommateurs c Air Canada, 2014 QCCA 523, par. 70 à 73). Pour établir si l’article 54 a été violé, il faut aborder la question objectivement, et on pourrait soutenir qu’il n’est pas nécessaire d’évaluer si les clients ont été induits en erreur ou s’ils auraient acheté ou non le produit à un prix plus élevé.

[81]  L’article 54 interdit à un fournisseur d’exprimer clairement deux prix différents pour un produit, puis de facturer le prix le plus élevé. La conduite interdite semble donner aux acheteurs d’un tel produit un droit légal au prix le plus bas, et il est possible de soutenir que le client subit une perte ou des dommages équivalant à la différence entre les deux prix en raison d’un tel « double étiquetage ». Je m’arrête un instant pour faire observer que, dans Murphy, la Cour a comparé les réclamations visées à l’article 36 fondées sur des indications trompeuses avec celles fondées sur la vente pyramidale et elle a fait remarquer que ces dernières comportaient des points « d’ordre structurel » qui « requièrent un traitement différent » (Murphy, par. 91 et 93). Vu ses autres conclusions, le juge n’a pas expliqué davantage ce point dans Murphy. Il est toutefois possible de soutenir la même chose pour la disposition sur le « double étiquetage », par rapport aux infractions relatives aux indications trompeuses.

[82]  Il n’est donc pas manifeste ni évident que, pour prouver une perte ou des dommages résultant d’une présumée violation de la disposition sur le « double étiquetage », il faut que l’acheteur ait été induit en erreur ou que son choix ou sa décision d’acheter ait été influencé par une différence de prix. En d’autres termes, selon le libellé de la disposition, il n’est pas évident et manifeste que, pour appuyer son allégation de perte ou de dommages, M. Lin devait plaider et alléguer qu’il croyait qu’il paierait uniquement le premier prix indiqué sur la page des résultats de recherche d’Airbnb et qu’il n’aurait pas payé le deuxième prix ou n’aurait pas acheté les services de réservation d’hébergements d’Airbnb au deuxième prix.

[83]  Je conviens qu’il peut sembler étrange de soutenir qu’une perte ou des dommages peuvent être établis par un client, simplement en fonction d’une différence de prix entre le prix le plus bas et le prix le plus élevé d’un produit, lorsque le client connaissait les deux prix et a néanmoins décidé d’accepter le prix plus élevé et de procéder à la transaction. Je reconnais également que le fait de démontrer et de prouver une perte ou des dommages réels dans de telles circonstances peut présenter des difficultés additionnelles pour M. Lin et les membres du groupe. Je comprends également que, dans un tel contexte, Airbnb peut avoir de fortes réserves quant à la capacité ultime de M. Lin de démontrer une perte ou des dommages équivalant automatiquement à la différence par rapport au prix complet. Toutefois, à la lumière du libellé de l’article 54 et de l’absence de jurisprudence permettant d’interpréter la disposition, je ne suis pas convaincu que la cause d’action de M. Lin fondée sur les articles 36 et 54 est vouée à l’échec en raison de l’absence d’actes de procédure traitant des deux prétendues exigences mentionnées par Airbnb.

[84]  Encore une fois, il se peut fort bien que, à la suite d’une analyse plus approfondie des dispositions, dans le contexte d’un dossier de preuve complet et d’une argumentation juridique complète, le juge du procès soit d’accord avec Airbnb et conclue que, pour établir une perte ou des dommages visés à l’article 36 pour une violation de l’article 54, il faut démontrer que le client a été induit en erreur ou n’aurait pas procédé à l’achat du produit au prix le plus élevé si ce prix avait été indiqué dès le départ, et que le simple fait d’invoquer la différence de prix ne suffit pas. Il s’agit toutefois d’une question d’interprétation et d’application des deux dispositions qui doit être débattue sur le fond. Si Airbnb était en mesure de démontrer, lors du procès sur les questions communes, qu’une perte ou des dommages ne peuvent être établis uniquement par la différence de prix associée à une conduite de « double étiquetage », cela pourrait être suffisant pour conclure qu’aucun dommage n’a été subi par M. Lin et les membres du groupe.

(7)  Conclusion

[85]  En conclusion, au sujet du premier critère, ce sera à M. Lin, à l’étape de l’examen sur le fond, de prouver qu’Airbnb s’est comportée de façon contraire à l’article 54 de la Loi sur la concurrence et qu’il a droit à des dommages-intérêts équivalant aux frais de service conformément à l’article 36. Toutefois, pour l’instant, je suis convaincu qu’il n’est pas évident et manifeste, si les faits allégués sont présumés vrais, que l’action de M. Lin fondée sur ces dispositions est vouée à l’échec et que les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable. À mon avis, les arguments d’Airbnb, aussi intéressants qu’ils puissent sembler à première vue, exigent un débat des faits et du droit et une incursion dans le fond de l’affaire. L’affaire soulève de nombreuses questions nouvelles concernant l’interprétation et l’application d’une disposition rarement utilisée de la Loi sur la concurrence portant sur l’établissement des prix et son lien avec l’article 36, et il serait inapproprié de trancher ces questions à l’étape de l’autorisation. L’autorisation sert à décider de la forme que prendra l’action, et l’alinéa 334.16(1)a) des Règles sert de filtre pour exclure les actions qui sont vouées à l’échec à l’étape de l’examen sur le fond. Je ne suis pas convaincu que ce soit le cas en l’espèce.

B.  Alinéa 334.16(1)b) des Règles : groupe identifiable formé d’au moins deux personnes

[86]  Je passe maintenant aux quatre autres exigences pour l’autorisation d’un recours collectif à l’égard desquelles M. Lin a le fardeau de présenter des éléments de preuve démontrant un « certain fondement factuel ». La première exigence est l’existence d’un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes.

[87]  M. Lin demande à la Cour d’autoriser le groupe suivant : [traduction« Toutes les personnes résidant au Canada qui, depuis le 31 octobre 2015, ont réservé un hébergement pour toute destination dans le monde à l’aide d’Airbnb, à l’exclusion des personnes qui ont réservé un hébergement principalement à des fins professionnelles. » Il soutient qu’il s’agit d’un groupe identifiable, puisque le fait qu’une personne ait fait une réservation à l’aide d’Airbnb est en soi un critère objectif qui permettra aux membres de se déclarer volontairement. M. Lin invite également la Cour à faire preuve de prudence avant de restreindre le groupe et d’exclure des membres du groupe à ce stade précoce, compte tenu surtout du déséquilibre de l’information entre Airbnb et lui.

[88]  Je tiens à souligner que la définition du groupe proposée par M. Lin couvre toutes les personnes qui ont réservé un hébergement avec l’aide d’Airbnb, sans autre distinction ni exclusion (sauf pour les réservations à des fins professionnelles). La définition est totalement distincte de la conduite reprochée en matière d’établissement de prix et ne contient aucune référence directe ou indirecte à une exigence selon laquelle les membres du groupe doivent être des personnes qui ont payé un prix supérieur à un autre prix exprimé par Airbnb, qui est l’essence de l’article 54 sur le « double étiquetage » et l’idée maîtresse derrière la demande de dommages-intérêts de M. Lin.

[89]  Airbnb ne conteste pas le fait que le groupe est formé d’au moins deux personnes; selon le deuxième affidavit de M. Miller, environ 2,2 millions de résidents canadiens ont réservé un hébergement sur la plateforme Airbnb du 31 octobre 2015 à août 2018. Airbnb soutient toutefois que la définition du groupe proposée est trop large et qu’elle devrait être limitée de deux façons. Premièrement, elle ne devrait comprendre que les voyageurs « qui ont vu deux prix » lorsqu’ils ont réservé un hébergement correspondant exactement aux paramètres d’une recherche antérieure effectuée sur la page des résultats de recherche de la plateforme Airbnb. Deuxièmement, elle ne devrait couvrir que les voyageurs qui (i) croyaient qu’ils paieraient seulement le premier prix indiqué sur la page des résultats de recherche et (ii) qui n’auraient pas fait de réservation s’ils avaient su qu’ils auraient à payer les frais de service dans le deuxième prix. Airbnb explique toutefois que de telles modifications à la définition du groupe proposée seraient inappropriées, puisqu’il faudrait faire appel à la mémoire des voyageurs pour déterminer qui fait partie du groupe.

[90]  Pour les raisons qui suivent, je suis partiellement d’accord avec Airbnb, et je conclus que la définition du groupe proposée doit être modifiée pour que le groupe soit un groupe identifiable bien défini et acceptable. Selon la définition de M. Lin, le groupe proposé n’est pas suffisamment circonscrit et est trop large parce que la définition ne contient aucune référence à la nécessité pour les personnes d’avoir été exposées à deux prix différents pour les services de réservation d’hébergements d’Airbnb. La preuve montre que certains voyageurs peuvent accéder aux services de réservation d’hébergements d’Airbnb sans passer par la page des résultats de recherche sur la plateforme Airbnb, où le premier prix d’Airbnb est affiché. Airbnb n’exprime donc pas deux prix à ces personnes. La définition du groupe identifiable devra être modifiée pour exclure ces personnes.

[91]  Trois critères doivent être remplis pour qu’un groupe identifiable soit reconnu : (i) le groupe doit être défini selon des critères objectifs; (ii) le groupe doit être défini sans examen sur le fond de l’action; (iii) il doit y avoir un lien rationnel entre les questions communes et la définition du groupe proposée (Hollick, par. 17; Dutton, par. 38; Wenham, par. 69). Bien que la CSC ait donné instruction aux tribunaux d’interpréter généreusement la législation sur les recours collectifs, il incombe au représentant demandeur proposé de démontrer que le groupe défini est suffisamment circonscrit, et qu’il répond ainsi aux critères (Hollick, par. 14 et 20). Toutefois, le fardeau n’est pas indûment lourd; le représentant n’est pas tenu de montrer que « tous les membres du groupe partagent le même intérêt dans le règlement de la question commune énoncée », mais seulement que le groupe n’est pas « inutilement large » (non souligné dans l’original) (Hollick, par. 21; Paradis Honey Ltd. c Canada, 2017 CF 199 [Paradis Honey], par. 24). Par conséquent, la définition trop large ou trop restreinte n’empêche pas une instance d’être autorisée comme recours collectif, pourvu qu’elle ne soit pas illogique ou arbitraire (Rae, par. 56). Lorsqu’il est possible de donner au groupe une définition plus étroite sans exclure arbitrairement des personnes ayant le même intérêt dans le règlement des questions communes, la Cour peut accorder l’autorisation à la condition que la définition du groupe soit modifiée (Hollick, par. 21).

[92]  Dans Dutton, la CSC a expliqué les raisons sous-jacentes pour lesquelles il fallait établir un groupe clairement identifiable au début du litige. La Cour doit être en position de désigner : (i) les personnes qui ont droit à l’avis d’autorisation, (ii) les personnes qui ont droit à la réparation et (iii) les personnes qui sont liées par le jugement (Dutton, par. 38; Paradis Honey, par. 22). Toutefois, même s’il faut définir un groupe identifiable aux étapes préliminaires du recours collectif, la Cour doit demeurer souple et ouverte à des modifications à la définition du groupe pendant les étapes suivant l’autorisation « en raison de la nature complexe et dynamique des recours collectifs », qui exige une gestion active de l’instance (Buffalo CAF, par. 12; Paradis Honey, par. 26).

[93]  J’aborderai d’abord brièvement le deuxième argument soulevé par Airbnb au sujet de la portée excessive du groupe proposé par M. Lin relativement aux voyageurs qui n’ont pas été induits en erreur. Airbnb fait valoir que la définition du groupe devrait être limitée aux voyageurs qui (i) croyaient payer seulement le premier prix affiché sur la page des résultats de recherche et (ii) qui n’auraient pas fait de réservation s’ils avaient su qu’ils auraient à payer les frais de service dans le deuxième prix. Cet argument fait essentiellement écho à ce que Airbnb a présenté relativement à la nécessité d’établir la perte ou les dommages, dont il a été question précédemment dans la section sur la cause d’action valable.

[94]  Pour les raisons mentionnées précédemment, je ne suis pas d’accord pour dire que cet argument peut être accepté à cette étape et que le groupe doit être limité aux « voyageurs qui ont été induits en erreur » pour qu’un lien rationnel soit établi avec les questions communes. Je ne suis pas convaincu à ce stade‑ci qu’il s’agit d’exigences nécessaires pour établir la perte ou les dommages visés à l’article 36 pour une violation de la disposition sur le « double étiquetage », et il serait prématuré d’en tenir compte dans la définition de la catégorie identifiable. Il appartiendra au juge du procès saisi des questions communes de décider si une tromperie ou une indication trompeuse est nécessaire pour le recouvrement d’une perte ou de dommages visés à l’article 36, ou s’il faut prouver que l’acheteur n’aurait pas acheté le produit au prix le plus élevé. M. Lin soutient que la différence de prix visée à l’article 54 suffit dans les circonstances pour établir la perte ou les dommages visés à l’article 36, et c’est de cette façon qu’il a défini les dommages réels subis par les membres du groupe pour les questions communes. Si la Cour statuait au bout du compte que les clients n’ont pas besoin d’avoir été induits en erreur ou trompés pour avoir droit à des dommages-intérêts, les personnes qu’Airbnb demande d’exclure de la définition du groupe en fonction des deux exigences additionnelles mentionnées précédemment se retrouveraient sans réparation et devraient intenter une nouvelle action. Cela irait à l’encontre des objectifs des recours collectifs que sont l’accès à la justice et l’économie des ressources judiciaires.

[95]  À l’étape de l’autorisation, il faut, comme le fait valoir le demandeur, faire preuve de prudence avant de limiter la dimension du groupe. L’exclusion de membres du groupe à ce stade précoce peut avoir de graves conséquences, et une approche trop stricte par rapport à la définition du groupe minerait l’approche libérale préconisée par la CSC dans Vivendi et Infineon pour l’interprétation des exigences relatives à l’autorisation des recours collectifs. Je ne peux exclure la possibilité que le groupe doive être reconfiguré plus tard au cours de l’instance, mais l’acceptation de la deuxième réduction du groupe proposée par Airbnb exclurait arbitrairement des personnes qui partagent le même intérêt dans le règlement des questions communes.

[96]  À mon avis, la situation est toutefois très différente pour le premier argument d’Airbnb sur la portée excessive de la définition proposée par M. Lin pour ce qui est des voyageurs qui n’ont pas « vu » deux prix.

[97]  Selon la demande et les observations de M. Lin, le premier prix exprimé par Airbnb est uniquement affiché sur la page des résultats de recherche de la plateforme Airbnb. Le premier et le deuxième affidavits de M. Miller contiennent des éléments de preuve au sujet d’au moins deux types de situations où les voyageurs qui réservent un hébergement sur la plateforme Airbnb ne sont pas exposés au premier prix mentionné par M. Lin. Tout d’abord, les voyageurs peuvent accéder directement à la page des annonces d’un hébergement particulier sur la plateforme Airbnb sans avoir à consulter la page des résultats de recherche et à effectuer une recherche. C’est notamment le cas lorsque les voyageurs réservent un hébergement qu’ils ont déjà réservé auparavant et auquel ils peuvent accéder directement sans faire de recherche. Deuxièmement, lorsque les voyageurs modifient les paramètres de recherche (comme les dates de leur séjour ou le nombre de personnes) une fois qu’ils sont sur la page des annonces d’un hébergement particulier – modifiant ainsi les paramètres qu’ils ont utilisés initialement sur la page des résultats de recherche –, de nouveaux prix sont affichés pour cet hébergement sur la page des annonces. Les voyageurs ne sont toutefois pas informés du prix correspondant de l’hébergement sur une page de résultats de recherche. Dans de telles circonstances, indique Airbnb, les voyageurs ne consultent pas la page des résultats de recherche pour leur réservation révisée, et il n’y a pas de premier prix pour une telle transaction conclue par les voyageurs.

[98]  La preuve présentée par M. Miller n’a pas été contredite. Dans son deuxième affidavit, M. Miller estime que de tels cas pourraient représenter environ 25 % du nombre total de réservations effectuées par des résidents canadiens sur la plateforme Airbnb. Ce n’est pas rien.

[99]  Airbnb présente cet argument, car il s’agit de voyageurs qui n’ont pas « vu » deux prix et, particulièrement, qui n’ont jamais vu le premier prix mentionné par M. Lin, qui exclut les frais de service. M. Lin répond que, selon l’article 54 de la Loi sur la concurrence, il n’est pas nécessaire que les clients « voient » le prix pour que le fournisseur commette une violation de la disposition, puisque l’infraction de « double étiquetage » met l’accent sur le fait que le fournisseur affiche deux prix différents et facture le prix le plus élevé.

[100]  En toute déférence, l’argument sur la portée excessive soulevé par Airbnb au sujet de la question des « deux prix » ne devrait pas reposer sur le fait que les voyageurs « voient » deux prix ou non. Ce qui importe, c’est de savoir si Airbnb a exprimé un prix ou non. Un élément fondamental requis pour l’infraction de « double étiquetage » est que le fournisseur exprime clairement deux ou plusieurs prix pour le même produit et facture un prix qui dépasse le prix exprimé le plus bas. Dans les situations décrites par M. Miller, Airbnb n’exprime pas un premier prix à l’intention des voyageurs; pour les transactions où les voyageurs ne sont pas passés par la page des résultats de recherche ou n’y sont pas retournés, seul un deuxième prix a été exprimé au client à l’étape de la réservation de la transaction. Plus précisément, si un voyageur réserve un hébergement sans d’abord passer par la page des résultats de recherche, cela suppose qu’Airbnb n’exprime pas un premier prix à l’intention du voyageur, mais seulement un deuxième prix à l’étape de la réservation. De même, si un voyageur modifie ses paramètres de recherche à l’étape de la réservation, un deuxième prix sera exprimé par Airbnb pour cette transaction en particulier, pour laquelle aucun premier prix n’aura été ou ne sera exprimé à l’étape des résultats de recherche.

[101]  Selon la preuve, il ne s’agit pas de situations où les voyageurs ne « voient » pas un premier prix qui pourrait être affiché quelque part sur la plateforme Airbnb pour la transaction, puisque le seul endroit où un premier prix peut être affiché est la page des résultats de recherche liée à une réservation en particulier. Il s’agit plutôt de situations où un premier prix n’est jamais exprimé pour la transaction et n’existe tout simplement pas. Il est clair que, si Airbnb n’exprime qu’un deuxième prix pour une transaction et aucun premier prix, il ne peut y avoir violation de l’article 54 de la Loi sur la concurrence, et les voyageurs qui ont réservé un hébergement dans un tel contexte ne peuvent logiquement et correctement faire partie du groupe identifiable. Selon les éléments de preuve dont je dispose, Airbnb exprime deux prix pour une transaction seulement lorsqu’un voyageur réserve un hébergement qui correspond aux paramètres d’une recherche antérieure qu’il a faite sur la page des résultats de recherche de la plateforme Airbnb. Le voyageur n’est pas exposé à un premier prix s’il ne consulte pas la page des résultats de recherche d’Airbnb pour effectuer une réservation.

[102]  Les voyageurs qui réservent un hébergement en accédant directement à la page des annonces sans passer par la page des résultats de recherche doivent donc être exclus du groupe, car aucune question commune proposée ne peut être pertinente ni avoir un lien rationnel avec eux. Il en va de même pour les voyageurs qui modifient les paramètres de leur réservation sur la page des annonces après avoir effectué une recherche, car ils ne sont pas exposés à un premier prix sur la page des résultats de recherche. Il ne s’agit pas de membres éventuels du groupe, et il s’agit de personnes qui n’ont manifestement pas droit à un avis ni à une réparation pour une réclamation fondée sur la disposition sur le « double étiquetage ».

[103]  La définition du groupe proposée sera trop large si elle lie des personnes qui ne devraient pas l’être et s’il n’y a pas de lien rationnel entre certains des membres du groupe proposé et la conduite reprochée à laquelle les questions communes se rapportent (Harrison c Alexa Life Sciences Inc., 2018 BCCA 165 [Harrison], par. 39). C’est le cas en l’espèce. L’article 54 ne peut s’appliquer que lorsque deux prix sont exprimés pour le même produit, fourni en même temps et en quantité identique. La définition actuelle proposée pour le groupe comprend des personnes qui ne sont pas visées par l’article 54 parce qu’elles n’ont jamais été exposées à un premier prix. Selon la définition, le groupe proposé n’est pas suffisamment lié à la conduite reprochée de « double étiquetage » (c.‑à‑d. l’exigence selon laquelle un fournisseur doit avoir exprimé deux prix) et aux réclamations particulières présentées par M. Lin à l’encontre d’Airbnb. La définition ne limite pas le groupe aux personnes exposées à deux prix, bien qu’il s’agisse de l’objectif central de la réclamation de M. Lin à l’encontre d’Airbnb. En ce sens, la définition du groupe proposée par M. Lin est inutilement large, car le groupe pourrait être défini plus étroitement sans que des personnes qui partagent le même intérêt dans la résolution des questions communes ne soient exclues arbitrairement (Hollick, par. 21).

[104]  Sans modification excluant les voyageurs qui n’ont pas été exposés à un premier prix en réservant un hébergement par l’entremise de la page des résultats de recherche d’Airbnb, le groupe proposé par M. Lin comprend des personnes qui ne partagent pas le même intérêt dans la résolution des questions communes. Le fait de définir le groupe plus étroitement en ce sens n’exclurait pas arbitrairement des personnes qui pourraient présenter une réclamation valide, mais ne ferait qu’exclure des personnes qui ne sont pas visées par la réclamation.

[105]  Je suis donc d’accord avec Airbnb pour dire que le groupe identifiable ne peut inclure que les voyageurs qui ont réservé un hébergement qui correspondait aux paramètres d’une recherche antérieure qu’ils ont effectuée sur la page des résultats de recherche de la plateforme Airbnb, car c’est seulement dans de telles situations qu’Airbnb aura exprimé à la fois un premier prix et un deuxième prix pour une réservation. Il ne peut pas y avoir un groupe identifiable bien défini et acceptable sans une telle modification. M. Lin doit donc reformuler la définition du groupe pour qu’elle couvre uniquement les personnes qui ont réservé un hébergement qui correspondait aux paramètres d’une recherche antérieure qu’elles ont effectuée sur la page des résultats de recherche de la plateforme Airbnb et pour lequel un premier prix était affiché. Je tiens à souligner qu’il ne s’agit pas d’une situation où la Cour se prononce sur des preuves contradictoires pour tirer une telle conclusion. La preuve est tout simplement insuffisante pour permettre d’établir un certain fondement factuel à l’appui de l’existence d’un groupe identifiable qui comprendrait des voyageurs à qui Airbnb n’a pas exprimé un premier prix.

[106]   Cela dit, contrairement à Airbnb, je ne suis pas convaincu qu’une modification de la définition du groupe ne permettrait pas de régler le problème. On se fonde, pour limiter la définition du groupe pour exclure les situations décrites dans les affidavits de M. Miller, sur un critère objectif concernant les paramètres de recherche et la consultation de la page des résultats de recherche d’Airbnb. Cela permet de définir le groupe sans renvoyer au fond de l’action et assure un lien rationnel entre les questions communes et le groupe proposé. D’après ce que je comprends de la preuve présentée par M. Miller dans son deuxième affidavit, Airbnb a la capacité de repérer les réservations faites par des résidents canadiens sur la plateforme Airbnb qui correspondent à une recherche antérieure effectuée par eux avec les mêmes paramètres, même si cela peut exiger énormément de temps et de ressources, et même si Airbnb dit qu’elle n’a actuellement aucun moyen efficace de le faire.

[107]  À mon avis, une telle situation diffère de celle énoncée dans la décision Harrison, mentionnée par Airbnb; dans Harrison, le groupe a été jugé inutilement large, mais il ne pouvait pas être restreint, car il aurait fallu se fier aux souvenirs d’indications trompeuses précises de personnes pour déterminer si ces dernières faisaient partie ou non du groupe. Dans Harrison, une affaire d’indications trompeuses, le groupe a été jugé trop large parce qu’il n’était pas limité aux personnes qui s’étaient fiées aux indications trompeuses pour acheter le produit. Le groupe couvrait plutôt tous les acheteurs du produit, même s’ils n’ont pas été exposés à un ensemble commun et uniforme d’indications trompeuses. Dans cette affaire, le tribunal a conclu que la définition du groupe ne pouvait pas être modifiée et limitée parce que les membres du groupe auraient probablement été incapables de se rappeler des indications précises qui figuraient sur l’emballage pour établir s’ils appartenaient ou non au groupe, et qu’ils auraient dû se fier à leur mémoire quant à la nature de l’indication trompeuse.

[108]  En l’espèce, le critère se rapporte aux paramètres de recherche et à la consultation de la page des résultats de recherche sur la plateforme Airbnb pour les membres éventuels du groupe qui prétendront avoir payé un prix plus élevé pour la réservation de leur hébergement. Je ne suis pas convaincu qu’il est très peu probable que des personnes se souviennent d’avoir consulté une page de résultats de recherche où Airbnb a exprimé un premier prix ou qu’elles puissent compter sur des documents qui leur permettront de le déterminer. Pour se déclarer volontairement membres éventuels du groupe, les voyageurs devront déterminer deux éléments, à savoir qu’ils ont réservé un hébergement au moyen d’Airbnb après avoir été exposés à deux prix, dont un premier prix sur la page des résultats de recherche, et qu’ils ont fini par payer le prix plus élevé. L’existence d’un premier prix ou d’un prix affiché renvoie à un élément fondamental des réservations effectuées par des voyageurs sur la plateforme Airbnb. Les membres éventuels du groupe pourront donc se déclarer volontairement en appliquant un critère objectif concernant leur propre utilisation des services de réservation d’hébergements d’Airbnb. Dans la présente affaire, à mon avis, il existe une possibilité réaliste qu’un nombre important de membres éventuels du groupe puissent déterminer avec une certaine certitude s’ils sont visés ou non par la définition modifiée du groupe. Le lien peut être établi objectivement par la recherche d’une consultation de la page des résultats de recherche d’Airbnb.

[109]  Pour de nombreuses personnes, une telle recherche sera simple, tandis que pour d’autres, elle pourrait être plus compliquée. Le fait qu’il peut être difficile d’établir objectivement si une personne a réservé un hébergement après avoir consulté la page des résultats de recherche d’Airbnb ne signifie pas que c’est impossible. De plus, la preuve indique qu’Airbnb a une certaine capacité d’établir une correspondance entre les réservations faites par les voyageurs et des paramètres de recherche précis.

[110]  Il suffit que la définition du groupe énonce les critères objectifs qui permettront par la suite de déterminer qui fera partie du groupe (Sun-Rype, par. 57). Les motifs du juge Rothstein dans l’arrêt Sun-Rype précisent que, pour qu’un groupe soit identifiable, il faut pouvoir démontrer l’existence d’un certain fondement factuel permettant de conclure que les membres du groupe ont accès à suffisamment de renseignements pour déterminer s’ils appartiennent au groupe. Pour établir si une personne donnée peut, en fait, être couverte par la définition du groupe, il peut être nécessaire d’effectuer une enquête plus approfondie à l’étape de la gestion du recours collectif. Une telle enquête peut toutefois être gérée et ne présente pas un obstacle insurmontable. De plus, Airbnb a des documents qui peuvent être utiles. Le fait que des enquêtes individuelles puissent être nécessaires n’enlève rien au fait qu’un groupe peut être correctement défini et identifiable.

[111]  Je suis par conséquent convaincu qu’il existe un certain fondement factuel permettant de conclure que, dans sa version modifiée, le groupe proposé par M. Lin constitue un groupe correctement identifiable formé d’au moins deux personnes au sens du critère. La définition modifiée permettra de déterminer objectivement si le membre a fait ou non une réservation sur la plateforme Airbnb après avoir consulté la page des résultats de recherche et avoir été exposé à deux prix. La définition modifiée du groupe ne renvoie pas au fond des réclamations présentées, et la modification permet d’établir un lien rationnel entre les questions communes concernant la responsabilité et les dommages, et le groupe proposé. De plus, l’existence d’un groupe formé d’au moins deux personnes qui répond à la définition modifiée repose sur un certain fondement factuel.

C.  Alinéa 334.16(1)c) : points de droit ou de fait communs

[112]  L’exigence suivante, c’est que M. Lin démontre un certain fondement factuel pour les réclamations des membres du groupe qui soulèvent des points de droit ou de fait communs, peu importe que ces points communs prédominent ou non sur les questions qui ne concernent qu’un membre. M. Lin soutient qu’il existe des points communs de fait et de droit en ce qui concerne la responsabilité et les réparations. Il propose les questions communes suivantes :

[traduction]

« Responsabilité à l’égard du groupe en vertu de la Loi sur la concurrence

1. Les défenderesses ont-elles affiché clairement un « premier prix » dans les résultats de recherche obtenus par chacun des membres du groupe dans l’écran des résultats de recherche?

2. Les défenderesses ont-elles affiché un « deuxième prix » immédiatement avant que chaque membre du groupe confirme ou soumette sa réservation d’hébergement?

3. Le « deuxième prix » est-il plus élevé que le « premier prix » pour tous les membres du groupe?

4. En vertu de l’article 54 de la Loi sur la concurrence, les défenderesses avaient-elles uniquement le droit de facturer le « premier prix »?

5. Les membres du groupe avaient-ils le droit de payer à Airbnb le « premier prix » en vertu de l’article 54 de la Loi sur la concurrence?

6. Individuellement, les membres du groupe agissent-ils principalement à des fins non professionnelles?

Recouvrement pour le groupe en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence

7. Les membres du groupe ont-ils subi des dommages réels équivalant au « deuxième prix » moins le « premier prix », moins les taxes applicables?

8. Les membres du groupe ont-ils le droit de réclamer les dommages-intérêts visés à la question 7 en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence?

9. Les défenderesses sont-elles solidairement responsables de leur propre conduite et de celle de chacune des autres?

10. Les membres du groupe ont-ils droit au recouvrement des frais d’enquête et des dépens afférents à la présente instance, y compris les honoraires d’avocat et les débours selon une indemnisation complète?

Divers

11. La Cour devrait-elle accorder une injonction permanente interdisant aux défenderesses :

a. de facturer un prix supérieur au prix le plus bas clairement affiché ou sinon d’afficher deux ou plusieurs prix différents;

b. d’afficher deux ou plusieurs prix pour le même produit ou service, fourni en quantité identique?

12. Les défenderesses sont-elles tenues de payer des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires compte tenu de la nature de leur conduite? Si oui, de quel montant et à qui?

13. Les défenderesses sont-elles tenues de payer des intérêts imposés par le tribunal?

14. Une évaluation globale des dommages-intérêts peut-elle être effectuée conformément au paragraphe 334.28(1) des Règles? »

[113]  Comme il a été mentionné précédemment, à l’audience devant la Cour, M. Lin a abandonné ses demandes d’injonction permanente et de dommages-intérêts punitifs, de sorte que les questions communes 11 et 12 proposées ne se posent plus.

[114]  Airbnb soutient qu’aucune des questions proposées n’est commune. La principale prétention d’Airbnb est que, pour répondre aux questions communes proposées, il faut d’abord tirer des conclusions de fait à l’égard de chaque demandeur individuel.

[115]  Pour les raisons qui suivent, je conclus que la définition modifiée du groupe identifiable permet à M. Lin de démontrer un certain fondement factuel relativement au fait que les réclamations des membres du groupe soulèvent certaines questions communes en matière de responsabilité et de recouvrement de dommages-intérêts. Je suis convaincu qu’il faut trancher ces questions pour régler la réclamation de chaque membre du groupe. Certaines des questions proposées doivent toutefois être clarifiées.

[116]  La tâche de la Cour à cette étape n’est pas de déterminer précisément les questions communes, mais plutôt « d’évaluer si la résolution de la question est nécessaire pour régler la demande de chaque membre du groupe » (Wenham, par. 72). Dans l’évaluation du caractère commun des questions, l’accent n’est pas mis sur les différences entre les membres du groupe, mais sur les points de droit ou de fait identiques, semblables ou connexes. Le juge doit simplement évaluer s’il existe des points communs découlant de faits pertinents pour tous les membres du groupe. Si le fait est suffisamment important pour contribuer au règlement de la réclamation de chaque membre du groupe, la condition est remplie.

[117]  Dans Pro-Sys, le juge Rothstein a résumé les paramètres établis par la CSC pour déterminer l’exigence de communauté énoncée précédemment dans Dutton. À la base de la notion de communauté, ainsi que du cadre général du recours collectif, il faut chercher à savoir « si le fait d’autoriser le recours collectif permettra d’éviter la répétition dans l’appréciation des faits ou l’analyse juridique » (Pro-Sys, par. 108, citant Dutton, par. 39). À la lumière de ces considérations, la Cour doit déterminer l’existence d’un point commun tout en appliquant les principes suivants : (i) il faut aborder le sujet de la communauté en fonction de l’objet; (ii) une question n’est « commune » que lorsque son règlement est nécessaire au règlement des réclamations de chacun des membres du groupe; (iii) il n’est pas essentiel que les membres du groupe soient tous dans la même situation par rapport à la partie adverse; (iv) il n’est pas nécessaire que les questions communes l’emportent sur les questions non communes, mais les réclamations des membres du groupe doivent partager un élément commun important afin de justifier le recours collectif, et le tribunal évalue l’importance des questions communes par rapport aux questions individuelles; (v) le succès d’un membre du groupe emporte nécessairement celui de tous, car tous les membres du groupe doivent profiter du dénouement favorable de l’action, mais pas nécessairement dans la même proportion (Pro-Sys, par. 108; Rae, par. 58; Paradis Honey, par. 68 et 69).

[118]  Dans Vivendi, la CSC a en outre souligné que le critère du succès commun ne devrait pas être appliqué « rigidement » (Vivendi, par. 45). Ainsi, une question commune peut exister même si la réponse peut différer d’un membre à l’autre du groupe; il n’est pas nécessaire que le succès d’un membre du groupe entraîne obligatoirement celui de tous les membres du groupe, mais le succès d’un membre ne doit pas provoquer l’échec d’un autre membre (Vivendi, par. 45). En interprétant les principes énoncés dans Dutton et dans Rumley c Colombie-Britannique, 2001 CSC 69, la CSC a réitéré qu’une question sera considérée comme commune si elle permet de faire progresser le règlement de la réclamation de chacun des membres du groupe, ce qui peut exiger des réponses nuancées et diverses selon la situation de chaque membre (Vivendi, par. 46; Paradis Honey, par. 77). En d’autres termes, l’exigence relative au caractère commun ne nécessite pas une réponse identique pour tous les membres du groupe ni même que la réponse bénéficie dans la même mesure à chacun d’entre eux. Il suffit plutôt « que la réponse à la question ne crée pas de conflits d’intérêts entre les membres du groupe » (Vivendi, par. 46).

[119]  En ce qui concerne la substantialité des questions communes, la CAF a précisé que l’exigence relative au caractère commun peut être satisfaite même si de nombreuses questions, comme la causalité et les préjudices, restent à résoudre individuellement après le procès sur les questions communes. (John Doe, par. 62 et 63).

[120]  Les questions communes sont au cœur du processus de recours collectif, parce que la résolution de questions communes est ce qui permet à un recours collectif d’assurer efficacement l’accès à la justice, ce qui entraîne une utilisation économique des ressources judiciaires et une modification du comportement. Cela dit, le seuil permettant de satisfaire à l’exigence relative au caractère commun est peu élevé : il suffit d’établir un lien rationnel entre le groupe et les questions communes proposées, et la résolution de chaque question commune doit contribuer à faire progresser l’instance en faveur (ou en défaveur) du groupe. À l’inverse, une question n’est pas commune si sa résolution dépend de conclusions de fait individuelles qu’il faudrait tirer pour chaque membre du groupe.

[121]  Je suis convaincu que, sous réserve des commentaires que je formulerai ci‑après et de quelques modifications au libellé, les questions soulevées par M. Lin doivent être établies pour tous les membres du groupe, selon la définition modifiée du groupe. Ces questions sont au cœur du litige et ne nécessitent pas d’éléments de preuve individualisés de la part des membres du groupe. Les réclamations visées aux articles 54 et 36 soulèvent des questions communes qui prédominent sur les points qui ne concernent qu’un membre, de sorte que le critère énoncé au paragraphe 34.16(1) des Règles est rempli. Les questions communes proposées mettent l’accent sur la conduite d’Airbnb en matière d’établissement de prix, et je suis convaincu que la résolution de ces questions fera progresser l’instance au nom de tous les membres du groupe. Ces questions communes permettront également d’éviter la répétition de l’appréciation des faits ou de l’analyse juridique. Cela ne veut pas dire que des évaluations individuelles ne seront peut-être pas nécessaires; elles le seront probablement. Le fondement factuel et juridique des réclamations sera toutefois commun à tous les membres du groupe.

[122]  Le premier groupe de questions (questions communes 1 à 6 proposées) concerne la responsabilité d’Airbnb. Les trois premières questions ont trait aux pratiques d’établissement de prix d’Airbnb, et il existe un certain fondement factuel concernant la pratique uniforme d’Airbnb de facturer les frais de service et le deuxième prix à l’étape de la réservation et d’exprimer un premier prix sur la page des résultats de recherche de la plateforme Airbnb. Pour ce qui est des questions 4 et 5 proposées, il s’agit essentiellement de questions juridiques portant sur l’interprétation de l’article 54 de la Loi sur la concurrence et son application à Airbnb.

[123]  Compte tenu de la redéfinition du groupe pour qu’il ne couvre que les voyageurs à qui Airbnb a exprimé deux prix, je suis convaincu que les questions communes 1 à 5 proposées peuvent être résolues sur une base commune et qu’elles conviennent à une décision collective. Il s’agit de points communs de droit ou de fait qui permettent de satisfaire aux exigences de l’alinéa 334.16(1)c). Les questions 1 et 2 permettront également au juge du procès d’évaluer la question du « produit » qui est au cœur du débat entre les parties, l’applicabilité de l’article 54 à la présente affaire et la disponibilité du moyen de défense prévu à l’article 60, et de prendre une décision pour chacun de ces points. Les conclusions du juge du procès sur ces questions de responsabilité peuvent s’appliquer à chaque membre du groupe.

[124]  Airbnb s’est opposée à ce que ces questions soient des questions communes au motif que le groupe identifiable proposé comprenait des voyageurs à qui un premier prix n’aurait peut-être pas été exprimé. Une telle objection n’est plus pertinente puisque la définition modifiée limite le groupe aux voyageurs qui ont réservé un hébergement correspondant aux paramètres d’une recherche antérieure effectuée par le voyageur sur la page des résultats de recherche de la plateforme Airbnb et pour laquelle un premier prix a été exprimé sur la page des résultats de recherche.

[125]  Lorsqu’elle autorise un recours, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de redéfinir les questions communes proposées par le représentant demandeur. En raison de la question fondamentale concernant le « produit » ou les « produits » en jeu dans l’évaluation de la conduite d’Airbnb en matière d’établissement de prix, du libellé de l’article 54 et du rôle déterminant de la notion de produit dans la disposition sur le « double étiquetage », les questions communes proposées 1 et 2 devraient être reformulées et clarifiées ainsi :

1. Les défenderesses ont-elles clairement exprimé un « premier prix » pour un produit à chacun des membres du groupe dans l’écran des résultats de recherche?

2. Les défenderesses ont-elles clairement exprimé un « deuxième prix » pour le même produit immédiatement avant que chaque membre du groupe confirme ou soumette sa réservation?

[126]  En ce qui concerne la question commune 6 proposée, je suis d’accord avec Airbnb sur le fait qu’elle est redondante et non commune. La définition du groupe exclut déjà les personnes qui ont réservé un hébergement à des fins professionnelles, puisque le groupe est composé uniquement des personnes qui ont réservé un hébergement à des fins non professionnelles. Il ne sert à rien de demander si ces personnes ont agi à des fins non professionnelles. La question 6 ne fera par conséquent pas partie des questions communes autorisées.

[127]  Le deuxième groupe de questions communes proposées (7 à 10) porte sur les réparations et sur le recouvrement de dommages-intérêts en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence. Airbnb soutient qu’il ne s’agit pas de questions communes si le groupe ne se limite pas aux voyageurs (i) qui croyaient qu’ils paieraient seulement le prix indiqué sur la page des résultats de recherche, et (ii) qui n’auraient pas fait de réservation s’ils avaient su qu’ils auraient à payer les frais de service dans le deuxième prix. Cela nous ramène encore une fois aux arguments d’Airbnb concernant les exigences additionnelles qui seraient nécessaires pour établir la perte ou les dommages visés à l’article 36 en cas de violation de l’article 54.

[128]  Comme nous l’avons vu précédemment, la question de savoir si ces exigences sont nécessaires en vertu de la disposition qui sous-tend la cause d’action de M. Lin est ouverte au débat, et les questions communes 7 et 8 proposées sur les dommages-intérêts permettront d’examiner cette question. Elles permettront d’établir la perte ou les dommages résultant d’une présumée violation de l’article 54, et d’établir si la position de M. Lin, selon laquelle la perte ou les dommages peuvent se résumer à la simple différence de prix entre le premier prix et le deuxième prix, sans plus d’explications sur la tromperie ou l’intention de faire une réservation, est suffisante. La question commune 7 proposée renvoie au fait que les membres du groupe ont subi « des dommages réels équivalant au « deuxième prix » moins le « premier prix », » et dans la question commune 8 proposée, il est demandé si les membres du groupe ont le droit de réclamer de tels dommages-intérêts en vertu de l’article 36. M. Lin soutient que les membres du groupe n’ont qu’à démontrer la différence de prix pour satisfaire aux exigences de l’article 36 dans les cas de violation présumée de la disposition sur le « double étiquetage », et le juge du procès sur les questions communes devra établir si M. Lin a raison. Les dommages, tels qu’ils sont définis par M. Lin à la question 7, sont expressément limités à la différence de prix. Le fait d’établir si la différence de prix peut constituer des « dommages réels » sans preuve que les membres du groupe (i) croyaient qu’ils paieraient seulement le prix indiqué sur la page des résultats de recherche et (ii) n’auraient pas fait de réservation s’ils avaient su qu’ils auraient à payer les frais de service – ce que M. Lin prétend ne pas avoir à prouver – fera progresser l’instance au nom de tous les membres du groupe, et permettra également d’éviter la répétition de l’appréciation des faits ou de l’analyse juridique.

[129]  Ces questions sur les réparations contestées par Airbnb feront donc progresser le litige pour chaque membre du groupe, même si le juge du procès sur les questions communes finit par décider que l’article 36 exige également la preuve que les personnes ont été induites en erreur ou qu’elles n’avaient pas l’intention d’acheter le produit au prix le plus élevé.

[130]  Je conviens que les questions 7 et 8 devraient être combinées, et je les reformulerais ainsi :

7. Les membres du groupe ont-ils subi des dommages réels équivalant au « deuxième prix » moins le « premier prix », moins les taxes applicables, ce qui leur donne le droit de réclamer de tels dommages-intérêts en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence?

[131]  Le fait de répondre à cette question commune fera progresser le litige même si les dommages-intérêts pourraient varier d’un membre du groupe à l’autre, puisque la différence de prix équivalente aux frais de service serait différente pour chaque transaction. Comme le précise l’alinéa 334.18a) des Règles, il ne s’agit toutefois pas d’un obstacle à l’autorisation. Une fois données les réponses aux questions communes 7 et 8 proposées, il est possible de répondre aux questions 9 et 10 proposées et de les autoriser.

[132]  Le dernier groupe de questions communes proposées (questions 13 et 14) porte sur d’autres réparations. En ce qui concerne la question commune 13 proposée, à savoir si Airbnb peut être tenue de payer des intérêts imposés par le tribunal, la résolution de cette question ne fera pas progresser l’instance. De plus, elle relève de la compétence inhérente du juge du procès, que la question soit autorisée ou non. Je ne suis pas convaincu que la question soit appropriée pour l’autorisation.

[133]  Pour ce qui est de la question commune 14 sur les dommages-intérêts globaux, un tribunal peut faire une évaluation globale des dommages-intérêts dans le cadre du procès sur les questions communes, dans le cas où le défendeur serait reconnu au procès comme ayant manqué à une obligation applicable. Dans Pro-Sys, par. 132 à 134, tout en faisant observer que les dommages-intérêts globaux ne s’appliquent qu’une fois la responsabilité établie, le juge Rothstein a conclu que la question de savoir si l’octroi de dommages-intérêts globaux constitue une réparation appropriée peut être autorisée comme question commune et peut être tranchée au procès sur les questions communes, une fois la responsabilité établie. Toutefois, des dommages-intérêts globaux ne peuvent être accordés à moins que la responsabilité et l’admissibilité à des dommages-intérêts puissent être déterminées à l’échelle du groupe, sans qu’il y ait d’autres points de droit ou de fait. La disponibilité de dommages-intérêts globaux a été autorisée comme question commune s’il existe une probabilité raisonnable qu’une telle réparation soit accordée (Sankar c Bell Mobility Inc., 2013 ONSC 5916, par. 86).

[134]  En l’espèce, un certain nombre de questions communes doivent d’abord être tranchées avant que la Cour puisse conclure à la responsabilité d’Airbnb en vertu des articles 36 et 54 de la Loi sur la concurrence, et la question de la disponibilité de dommages-intérêts globaux ne peut être réglée qu’après que toutes ces questions complexes auront été tranchées. Il existe un certain fondement factuel à la question de savoir si des dommages-intérêts globaux pourraient être accordés après le procès sur les questions communes. En l’espèce, une réparation pécuniaire est demandée, et les questions communes seront déterminantes en ce qui concerne la responsabilité et l’admissibilité à des dommages-intérêts pour le groupe. De plus, la responsabilité globale d’Airbnb peut être déterminée au moyen des dossiers d’Airbnb sur tous les frais de service perçus auprès des membres du groupe. Dans de telles circonstances, je suis convaincu que la question commune proposée concernant les dommages-intérêts globaux est appropriée pour l’autorisation.

D.  Alinéa 334.16(1)d) des Règles : le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs

[135]  Le critère suivant est celui du meilleur moyen, énoncé à l’alinéa 314.16(1)d). Selon le critère énoncé par la CSC, pour satisfaire au critère du meilleur moyen, le représentant des demandeurs doit démontrer (i) que le recours collectif serait un moyen juste, efficace et pratique de faire progresser l’instance et de déterminer les questions communes qui découlent des réclamations de multiples demandeurs et (ii) qu’il serait préférable à tous les moyens raisonnables offerts pour régler les réclamations des membres du groupe (Fischer, par. 48; Hollick, par. 28; Wenham, par. 77). L’analyse permettant d’établir si le recours collectif est le meilleur moyen « s’effectue à la lumière des trois principaux objectifs du recours collectif : l’économie des ressources judiciaires, la modification des comportements et l’accès à la justice » (Fischer, par. 22).

[136]  Il faut tenir compte d’un certain nombre de principes pour établir si le recours collectif est le meilleur moyen (Wenham, par. 77 et 78; John Doe CAF, par. 26). Premièrement, l’exigence relative au meilleur moyen est assez large pour englober tous les moyens raisonnables offerts pour régler les réclamations des membres du groupe, notamment les voies de droit autres que les poursuites judiciaires (Fischer, par. 19 et 20; Hollick, par. 31). Deuxièmement, les questions communes doivent être examinées dans leur contexte, et il faut examiner l’importance des questions communes par rapport à l’ensemble des revendications (Hollick, par. 29 et 30). Par conséquent, dans la comparaison du recours collectif avec d’autres voies de droit possibles, il importe de recourir à une analyse pratique tenant compte des coûts et des avantages et de prendre en considération l’incidence d’un recours collectif sur les membres du groupe, les défendeurs et les tribunaux (Fischer, par. 21). Troisièmement, l’analyse relative au meilleur moyen porte sur la mesure dans laquelle le recours collectif envisagé répond aux objectifs globaux des recours collectifs (Hollick, par. 27). Cela suppose un exercice comparatif permettant ultimement d’établir s’il existe des moyens préférables de régler les questions communes, et non si un recours collectif réaliserait pleinement ces objectifs (Fischer, par. 22 et 23). Quatrièmement, il est possible de satisfaire à l’exigence relative au meilleur moyen même lorsqu’il existe d’importantes questions individuelles (Hollick, par. 30).

[137]   Le demandeur est censé établir un certain fondement factuel permettant de conclure que le recours collectif serait préférable aux autres voies judiciaires. Le tribunal ne saurait toutefois exiger que le demandeur passe en revue toutes les voies de droit extrajudiciaires possibles; en fait, le « défendeur qui invoque l’existence d’une solution extrajudiciaire est tenu d’étayer son affirmation » (Fischer, par. 49). Dès lors que la preuve produite démontre l’existence d’une telle solution de rechange, le fardeau de prouver qu’il est satisfait au critère du meilleur moyen repose sur le demandeur (Fischer, par. 49).

[138]  De plus, le paragraphe 334.16(2) des Règles donne une liste de facteurs dont la Cour doit tenir compte dans l’analyse, notamment : (i) la mesure dans laquelle les questions communes prédominent sur les questions qui ne concernent que certains membres; (ii) la proportion de membres du groupe qui ont un intérêt à poursuivre des instances séparées; (iii) les mêmes réclamations ont fait l’objet d’autres instances; iv) l’aspect pratique ou l’efficacité moindres des autres moyens de régler les réclamations; v) les difficultés accrues engendrées par la gestion du recours collectif par rapport à celles associées à la gestion d’autres mesures de redressement.

[139]  M. Lin soutient que le recours collectif est le meilleur moyen en l’espèce puisqu’il favorise l’accès à la justice, l’économie des ressources judiciaire et la modification des comportements. De plus, il soutient que tous les facteurs énoncés au paragraphe 334.16(2) des Règles sont respectés : les questions communes prédominent sur les questions qui ne concernent que certains membres; il n’existe aucune preuve que des membres du groupe ont un intérêt à poursuivre des instances séparées; il n’y a pas d’instances séparées reposant sur une cause d’action différente, et un seul recours collectif a été déposé devant une cour provinciale; il n’y a pas de solution de rechange viable permettant de régler les réclamations; le recours collectif n’engendrera pas de difficultés accrues par rapport à toute autre solution de rechange.

[140]  Airbnb répond qu’un recours collectif n’est pas le meilleur moyen, car les difficultés liées à l’établissement de l’identité des membres du groupe l’emporteront sur le règlement des questions communes. L’argument d’Airbnb repose encore une fois sur ses prétentions selon lesquelles le groupe devrait être limité aux voyageurs qui « ont vu deux prix » et qui « ont été induits en erreur ». Ces préoccupations ont été abordées précédemment et, pour les raisons mentionnées et compte tenu de la définition modifiée du groupe, je ne suis pas convaincu que l’instance sera dominée par des questions individuelles qui exigeraient beaucoup plus de temps que les questions communes, et qui rendraient ainsi l’instance ingérable. Au contraire, les nombreuses questions communes à résoudre prédominent.

[141]  Dans le contexte où la définition du groupe est modifiée de la façon précisée précédemment, je ne trouve pas grand-chose dans les observations d’Airbnb qui me convainque que M. Lin n’a pas réussi à démontrer qu’un recours collectif est le meilleur moyen de régler les questions communes mentionnées précédemment. Après avoir examiné la jurisprudence sur les principes relatifs à l’analyse du meilleur moyen, je suis convaincu qu’un recours collectif est le meilleur moyen dans les circonstances.

[142]  En raison des réclamations probablement modestes de chaque membre du groupe, les membres du groupe n’ont aucun intérêt à présenter leurs propres réclamations distinctes et à intenter des poursuites distinctes contre Airbnb. En l’espèce, l’accès à la justice et l’économie des ressources judiciaires rendent un recours collectif préférable à des milliers d’instances individuelles. Étant donné le coût d’instances individuelles par rapport à la valeur probable des réclamations, il ne semble pas y avoir d’autres moyens qu’un recours collectif pour régler les réclamations des membres du groupe. Airbnb n’a pas trouvé de solution de rechange viable qui serait plus efficace ou offrirait une réparation équivalente. M. Lin mentionne qu’il s’est adressé au Bureau de la concurrence, qui a le pouvoir de prendre des mesures d’application de la loi pouvant donner lieu à des poursuites criminelles en vertu de l’article 54, mais rien n’indique que le Bureau de la concurrence prendra de telles mesures. De plus, une mesure d’application de la loi prise en vertu de la disposition pénale ne pourrait pas mener au recouvrement de dommages-intérêts pour les membres du groupe.

[143]  En l’espèce, un recours collectif est préférable à tout autre moyen raisonnablement accessible de régler les réclamations des membres du groupe, compte tenu des objectifs généraux des recours collectifs. Comparativement aux instances individuelles, le recours collectif favorise l’accès à la justice parce que la mise en commun des ressources financières rend possibles les réclamations portant sur des sommes relativement modestes; le régime sans dépens de la Cour protège les parties de l’adjudication de dépens en cas de défaite; et les exigences relatives à la communication d’un avis garantissent que les personnes savent si elles ont le droit de présenter une réclamation (Wenham, par. 86 à 89). L’économie des ressources judiciaires est également favorisée en l’espèce, puisque le recours collectif comportera un seul examen des nombreuses questions de fait et de droit soulevées par la réclamation de M. Lin relativement à l’interprétation et à l’application de la disposition sur le « double étiquetage » et de l’article 36.

[144]  Je conclus que le critère du meilleur moyen est rempli en l’espèce.

E.  Alinéa 334.16(1)e) des Règles : caractère approprié du représentant demandeur

[145]  Le cinquième et dernier critère d’autorisation du recours collectif concerne la capacité de M. Lin d’agir à titre de représentant demandeur qui représenterait adéquatement les intérêts du groupe sans conflit d’intérêts.

[146]  Selon l’alinéa 334.16(1)e) des Règles, le représentant demandeur proposé doit satisfaire aux exigences suivantes : (i) il représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe; (ii) il a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement; (iii) il n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs; (iv) il communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier. Dans l’arrêt Dutton, la CSC a souligné qu’il n’est pas nécessaire que le représentant proposé soit un modèle type du groupe, ni qu’il soit le meilleur représentant possible, mais que le tribunal évaluant le critère devrait « toutefois être convaincu que le représentant proposé défendra avec vigueur et compétence les intérêts du groupe » (Dutton, par. 41).

[147]  Même s’il n’y a pas lieu « d’examiner en détail un plan de litige » à l’étape de l’autorisation parce qu’il « est probable qu’il sera modifié pendant l’instance », le plan doit néanmoins démontrer que le demandeur et son avocat ont réfléchi au déroulement de l’instance et ont tenu compte des complexités de l’affaire et des procédures (Buffalo CF, par. 148; Rae, par. 79 et 80). Aucune « règle ou exigences fixe » n’existe à l’égard des plans de litige, et […] la question de savoir si le contenu de celui-ci est satisfaisant dépendra « de la nature, de la portée et de la complexité » du litige qu’il concerne (Buffalo CF, par. 150; Rae, par. 80). Cependant, il appert de la jurisprudence que le plan de litige doit couvrir les éléments suivants, laquelle liste n’est pas exhaustive : (i) les mesures qui seront prises pour déterminer l’identité des témoins nécessaires, les trouver et recueillir leur preuve; (ii) la collecte des documents pertinents auprès des membres du groupe et d’autres personnes; (iii) l’échange et la gestion des documents produits par toutes les parties; (iv) la remise d’un rapport régulier aux membres du groupe; (v) les mécanismes permettant de répondre aux questions des membres du groupe; (vi) la probabilité qu’un interrogatoire préalable soit tenu auprès de certains membres du groupe et, dans l’affirmative, la procédure envisagée à cette fin; (vii) la nécessité de recourir à des experts et, dans l’affirmative, les mesures à prendre pour les trouver et retenir leurs services; (viii) les mesures envisagées pour résoudre les questions individuelles qui demeureront encore en litige après le règlement des questions communes, le cas échéant; (ix) la façon dont les indemnités et autres formes de réparation seront évaluées ou déterminées une fois que les questions communes auront été tranchées (Buffalo CF, par. 151; Rae, par. 79).

[148]  En ce qui concerne les conflits d’intérêts, une simple possibilité de conflit d’intérêts ne suffit pas pour que l’autorisation soit refusée (Infineon, par. 150 et 151). De plus, un représentant demandeur ne devrait être exclu que si le conflit d’intérêts est tel « qu’il serait impossible que l’affaire survive équitablement » (Infineon, par. 149).

[149]  M. Lin soutient qu’il est un représentant demandeur approprié. Il prétend qu’il connaît le fond des questions, qu’il comprend le rôle d’un représentant demandeur, qu’il a proposé un plan de litige détaillé tenant compte des complexités de l’affaire, qu’il n’a aucun conflit d’intérêts et qu’il a fourni un résumé de son mandat de représentation avec l’avocat. Je suis convaincu que les affidavits de M. Lin contiennent un certain fondement factuel à l’appui de tous ces éléments. Ces éléments de preuve n’ont été ni contestés ni contredits.

[150]  Airbnb répond que M. Lin ne peut pas être le représentant demandeur puisque rien ne démontre qu’il satisfait aux éléments qui, selon elle, devraient être ajoutés à la définition du groupe. Subsidiairement, Airbnb prétend qu’il faudrait créer un sous-groupe pour les voyageurs comme M. Lin, qui ont également été des hôtes, afin d’éviter les conflits d’intérêts. Plus précisément, Airbnb soutient qu’un conflit pourrait survenir, étant donné que certains voyageurs n’auraient peut-être pas réservé un hébergement si les frais de service avaient été affichés sur la page des résultats de recherche.

[151]  Je ne suis pas convaincu par les arguments d’Airbnb sur ce dernier critère d’autorisation. Premièrement, les observations d’Airbnb sur les exigences additionnelles pour que la définition du groupe soit appropriée ont été traitées précédemment. La réclamation de M. Lin vise les voyageurs qui ont fait une réservation sur la plateforme Airbnb, peu importe si la personne n’aurait pas fait de réservation en raison des frais de service additionnels. M. Lin est d’avis que l’infraction de « double étiquetage » donne aux membres du groupe le droit d’obtenir le prix le plus bas, peu importe leur volonté de payer le prix le plus élevé. Deuxièmement, en ce qui concerne les conflits d’intérêts, une simple possibilité de conflit d’intérêts n’empêche pas quelqu’un d’être un représentant demandeur et ne suffit pas pour que l’autorisation soit refusée (Infineon, par. 150 et 151). Un représentant demandeur ne devrait être exclu que si le conflit d’intérêts est tel « qu’il serait impossible que l’affaire survive équitablement » (Infineon, par. 149). Troisièmement, selon le dossier dont je dispose, je ne vois aucun fondement factuel aux observations d’Airbnb au sujet d’un éventuel conflit d’intérêts attribuable au fait que M. Lin est également un hôte sur la plateforme Airbnb. De plus, si cela est nécessaire, le juge du procès sur les questions communes pourra toujours créer un sous-groupe plus tard au cours de l’instance, en se fondant sur la preuve présentée au procès (Daniells c McLellan, 2017 ONSC 3466, par. 40).

[152]  Je ne vois rien qui remet sérieusement en question la capacité de M. Lin de représenter équitablement et adéquatement le groupe ou de remplir le rôle attendu de lui pour ce qui est de donner des instructions à l’avocat et de poursuivre l’instance avec diligence. Il répond à la définition du groupe modifiée, il semble bien comprendre les enjeux et la responsabilité qu’il assume et il a retenu les services d’un avocat d’expérience pour représenter le groupe. Le plan de litige contenu dans le dossier de requête propose un moyen efficace pour le reste du litige. Rien n’indique ou ne laisse supposer que l’affaire ne peut pas progresser équitablement avec M. Lin comme représentant demandeur.

[153]  À mon avis, M. Lin satisfait au cinquième critère d’autorisation.

IV.  Conclusion

[154]  En conclusion, j’estime que, si la définition du groupe est modifiée de la façon exposée précédemment, M. Lin satisfait aux exigences juridiques pour l’autorisation du recours collectif. Par conséquent, j’accueille la requête en autorisation de l’action comme recours collectif, sous réserve de la modification de la définition du groupe. L’ordonnance rendue avec les présents motifs traitera des points mentionnés au paragraphe 334.17(1) des Règles, d’une manière compatible avec les conclusions énoncées dans les présents motifs.

[155]  J’accueille également la requête en ajout d’Airbnb Payments à titre de défenderesse.

[156]  Selon l’article 334.39 des Règles, des dépens ne sont habituellement pas adjugés dans le cadre d’une requête en autorisation. Aucune des parties n’a demandé de dépens, et rien ne justifie de s’écarter du principe établi par l’article 334.39 des Règles et d’adjuger des dépens relativement à la présente requête.


ORDONNANCE dans le dossier T-1663-17

LA COUR ORDONNE :

  1. L’action dont la Cour est saisie est par la présente autorisée comme recours collectif, sous réserve de la modification à apporter à la définition du groupe, énoncée ci-après.

  2. Arthur Lin est nommé représentant demandeur.

  3. Le demandeur propose de définir le groupe de la façon suivante : [traduction« Toutes les personnes résidant au Canada qui, depuis le 31 octobre 2015, ont réservé un hébergement pour toute destination dans le monde à l’aide d’Airbnb, à l’exclusion des personnes qui ont réservé un hébergement principalement à des fins professionnelles. » Le demandeur doit modifier la définition de façon à ce que le groupe soit limité aux personnes qui ont réservé un hébergement qui correspondait aux paramètres d’une recherche antérieure qu’elles ont effectuée sur la page des résultats de recherche de la plateforme Airbnb et pour lequel un premier prix était affiché.

  4. La nature de la réclamation présentée au nom du groupe est la suivante :

La réclamation est fondée sur une violation de l’article 54 de la Loi sur la concurrence.

  1. Le groupe demande la réparation suivante :

La réclamation vise des dommages-intérêts et des frais au titre de l’article 36 de la Loi sur la concurrence.

  1. Les questions devant être autorisées comme questions communes sont les suivantes :

Responsabilité à l’égard du groupe en vertu de l’article 54 de la Loi sur la concurrence

1. Les défenderesses ont-elles clairement exprimé un « premier prix » pour un produit à chacun des membres du groupe dans l’écran des résultats de recherche?

2. Les défenderesses ont-elles clairement exprimé un « deuxième prix » pour le même produit immédiatement avant que chaque membre du groupe confirme ou soumette sa réservation?

3. Le « deuxième prix » est-il plus élevé que le « premier prix » pour tous les membres du groupe?

4. En vertu de l’article 54 de la Loi sur la concurrence, les défenderesses avaient-elles uniquement le droit de facturer le « premier prix »?

5. Les membres du groupe avaient-ils le droit de payer aux défenderesses le « premier prix » en vertu de l’article 54 de la Loi sur la concurrence?

Recouvrement pour le groupe en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence

6. Les membres du groupe ont-ils subi des dommages réels équivalant au « deuxième prix » moins le « premier prix », moins les taxes applicables, ce qui leur donne le droit de réclamer de tels dommages-intérêts en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence?

7. Les défenderesses sont-elles solidairement responsables de leur propre conduite et de celle de chacune des autres?

8. Les membres du groupe ont-ils droit au recouvrement des frais d’enquête et des dépens afférents à la présente instance, y compris les honoraires d’avocat et les débours selon une indemnisation complète?

9. Une évaluation globale des dommages-intérêts peut-elle être effectuée conformément au paragraphe 334.28(1) des Règles?

  1. Les instructions quant à la façon dont les membres du groupe peuvent s’exclure du recours collectif et la date limite pour le faire seront données ultérieurement, dans le cadre du processus de gestion de l’instance.

  2. L’intitulé est modifié de manière à ce que Airbnb Payments UK Limited soit ajoutée comme défenderesse.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de février 2020

Sandra de Azevedo, LL.B.


ANNEXE A

Les paragraphes 334.16(1) et (2) et l’article 334.18 des Règles sont libellés comme suit :

Autorisation

Certification

Conditions

Conditions

334.16 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une instance comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

334.16 (1) Subject to subsection (3), a judge shall, by order, certify a proceeding as a class proceeding if

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

(a) the pleadings disclose a reasonable cause of action;

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

(b) there is an identifiable class of two or more persons;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux-ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

(c) the claims of the class members raise common questions of law or fact, whether or not those common questions predominate over questions affecting only individual members;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

(d) a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact; and

e) il existe un représentant demandeur qui :

(e) there is a representative plaintiff or applicant who

(i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

(i) would fairly and adequately represent the interests of the class,

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

(ii) has prepared a plan for the proceeding that sets out a workable method of advancing the proceeding on behalf of the class and of notifying class members as to how the proceeding is progressing,

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

(iii) does not have, on the common questions of law or fact, an interest that is in conflict with the interests of other class members, and

(iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

(iv) provides a summary of any agreements respecting fees and disbursements between the representative plaintiff or applicant and the solicitor of record.

Facteurs pris en compte

Matters to be considered

(2) Pour décider si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait communs de façon juste et efficace, tous les facteurs pertinents sont pris en compte, notamment les suivants :

(2) All relevant matters shall be considered in a determination of whether a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact, including whether

a) la prédominance des points de droit ou de fait communs sur ceux qui ne concernent que certains membres;

(a) the questions of law or fact common to the class members predominate over any questions affecting only individual members;

b) la proportion de membres du groupe qui ont un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées;

(b) a significant number of the members of the class have a valid interest in individually controlling the prosecution of separate proceedings;

c) le fait que le recours collectif porte ou non sur des réclamations qui ont fait ou qui font l’objet d’autres instances;

(c) the class proceeding would involve claims that are or have been the subject of any other proceeding;

d) l’aspect pratique ou l’efficacité moindres des autres moyens de régler les réclamations;

(d) other means of resolving the claims are less practical or less efficient; and

e) les difficultés accrues engendrées par la gestion du recours collectif par rapport à celles associées à la gestion d’autres mesures de redressement.

(e) the administration of the class proceeding would create greater difficulties than those likely to be experienced if relief were sought by other means.

[…]

[…]

Motifs ne pouvant être invoqués

Grounds that may not be relied on

334.18 Le juge ne peut invoquer uniquement un ou plusieurs des motifs ci-après pour refuser d’autoriser une instance comme recours collectif:

334.18 A judge shall not refuse to certify a proceeding as a class proceeding solely on one or more of the following grounds:

a) les réparations demandées comprennent une réclamation de dommages-intérêts qui exigerait, une fois les points de droit ou de fait communs tranchés, une évaluation individuelle;

(a) the relief claimed includes a claim for damages that would require an individual assessment after a determination of the common questions of law or fact;

b) les réparations demandées portent sur des contrats distincts concernant différents membres du groupe;

(b) the relief claimed relates to separate contracts involving different class members;

c) les réparations demandées ne sont pas les mêmes pour tous les membres du groupe;

(c) different remedies are sought for different class members;

d) le nombre exact de membres du groupe ou l’identité de chacun est inconnu;

(d) the precise number of class members or the identity of each class member is not known; or

e) il existe au sein du groupe un sous-groupe dont les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait communs que ne partagent pas tous les membres du groupe.

(e) the class includes a subclass whose members have claims that raise common questions of law or fact not shared by all of the class members.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

t-1663-17

 

INTITULÉ :

ARTHUR LIN c AIRBNB, INC., AIRBNB CANADA INC., AIRBNB IRELAND UNLIMITED COMPANY, AIRBNB PAYMENTS UK LIMITED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 4 et 5 DÉCEMBRE 2018

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 DÉCEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Simon Lin, avocat adjoint

Jérémie John Martin et

Sébastien A. Paquette, avocat adjoint

 

POUR LE DEMANDEUR

Jill Yates

Patrick Williams

POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Evolink Law Group

Burnaby (Colombie-Britannique)

et

Champlain Avocats

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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