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Dossier : T-130-18

Référence : 2020 CF 201

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 6 février 2020 

En présence de la protonotaire Angela Furlanetto

ACTION SIMPLIFIÉE

ENTRE :

ALEXANDER STROSS

demandeur

et

TREND HUNTER INC., JEREMY GUTSCHE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  La présente action, déposée en vertu de la procédure simplifiée de la Cour fédérale, est une action en violation du droit d’auteur découlant de l’utilisation non autorisée de six photographies. Le demandeur, Alexander Stross, est un photographe professionnel qui travaille dans le domaine de la photographie depuis 25 ans. Vers 2011, les services de M. Stross ont été retenus par un architecte, Matthew Garcia, pour photographier un projet d’habitation concernant des mini-maisons situées dans un complexe près de la rivière Llano, au Texas (États-Unis). Vingt-cinq photographies ont été produites, dont six sont visées par la présente action (les photographies de la rivière Llano). Selon M. Stross, le projet était d’une grande ampleur et a nécessité de 90 à 100 heures de son temps, ce qui est bien au-delà de ses 10 à 20 heures habituelles. Le droit d’auteur sur les photographies de la rivière Llano, ainsi que d’autres photographies, a été enregistré en février 2012 auprès du Copyright Office des États-Unis.

[2]  La défenderesse, Trend Hunter Inc. (Trend Hunter), est une société d’études de marché qui conseille ses clients sur les tendances de consommation et les stratégies d’innovation. Jeremy Gutsche, le codéfendeur, est le fondateur et président-directeur général de Trend Hunter.

[3]  Trend Hunter exploite le site Web trendhunter.com, une base de données qui génère des données expérimentales pour Trend Hunter en adoptant une approche collaborative en matière de contenu et en mesurant l’interaction des utilisateurs avec ce contenu. Trend Hunter utilise à la fois l’intelligence artificielle et le personnel pour traiter les données générées par trendhunter.com, lesquelles sont ensuite utilisées pour préparer des rapports sur les tendances de consommation pour les clients.

[4]  Le 11 janvier 2017, Trend Hunter a reproduit les photographies de la rivière Llano sur son site Web trendhunter.com dans un article intitulé « Friendly Housing Rows », qui incluait un court article intitulé « “Bestie Row” is a Series of Four Houses Occupied by Best Friends ». L’article « Friendly Housing Rows » est paru en première page de trendhunter.com le jour de sa publication (le 11 janvier 2017) et a ensuite continué d’être affiché en ligne (sans toutefois être promu) sur le site, jusqu’à son retrait, le 27 octobre 2017.

[5]  M. Stross affirme que la reproduction des photographies de la rivière Llano, qui a été faite sans sa permission ou son autorisation, constitue une violation du droit d’auteur. Les défendeurs affirment que leur utilisation des photographies est prévue par les exceptions à la violation du droit d’auteur concernant l’utilisation équitable qui figurent aux articles 29 et 29.2 de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C-42. Les défendeurs font également valoir qu’aucuns dommages-intérêts allégués découlant d’une violation qui aurait été commise n’ont pas été établis et qu’il n’existe aucun élément de preuve établissant la responsabilité personnelle de M. Gutsche.

[6]  Conformément à l’article 299 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, le demandeur et les défendeurs ont chacun produit un affidavit en preuve en l’espèce.

[7]  Le demandeur a déposé un affidavit souscrit sous serment le 3 octobre 2019 (pièce P1 déposée au procès) par Alexander Stross, le demandeur désigné, qui a comparu en contre‑interrogatoire au procès. L’affidavit de M. Stross énonce ses antécédents et son expérience en tant que photographe professionnel et décrit son engagement avec Matthew Garcia qui a mené à la prise des photographies de la rivière Llano. M. Stross joint des copies des photographies de Llano et de l’enregistrement du droit d’auteur délivré par le Copyright Office des États-Unis qui concerne ces photographies. M. Stross fournit également des renseignements sur trois licences qu’il a accordées à l’égard des photographies : deux concernant la collection [traduction« Maison en cascade » et une concernant deux photographies de la rivière Llano qui a été accordée à Playboy Enterprises International Inc. (Playboy Enterprises). M. Stross explique également l’accord commercial en nature conclu avec M. Garcia au sujet des photographies de la rivière Llano et des travaux de conception que M. Garcia a réalisés à sa résidence, lesquels s’élèvent à 15 000 $ US. 

[8]  La défenderesse a déposé l’affidavit de Shelby Lee Walsh, souscrit sous serment le 15 octobre 2019 (pièce D1 déposée au procès). Mme Walsh, qui a comparu en contre‑interrogatoire au procès, est la présidente et chef de la recherche chez Trend Hunter. Mme Walsh a fourni des renseignements généraux sur les activités de Trend Hunter, ainsi que sur l’utilisation de trendhunter.com et de ses algorithmes logiciels afin de générer des données pour Trend Hunter en utilisant du contenu généré par les utilisateurs et en mesurant l’interaction des utilisateurs avec ce contenu. Mme Walsh explique comment les articles sont soumis par les utilisateurs à Trend Hunter, et mis en ligne et liés sur trendhunter.com. Elle fournit le contexte de l’article « Friendly Housing Rows », et de son téléchargement et de son utilisation sur trendhunter.com. Mme Walsh explique également les politiques de Trend Hunter en matière de droit d’auteur, et comment Trend Hunter réalise ses revenus à partir des rapports de recherche, des conférences et du travail personnalisé offerts à ses clients, ainsi que, dans une moindre mesure, de la publicité.

II.  Questions juridiques

[9]  Voici les questions à trancher, telles qu’elles sont énoncées dans l’exposé conjoint des questions en litige des parties :

III.  Alexander Stross est-il le propriétaire du droit d’auteur sur les photographies de la rivière Llano?

[10]  Les défendeurs ne contestent pas le fait que les photographies de la rivière Llano sont protégées par le droit d’auteur ou qu’Alexander Stross est l’auteur de ces photographies. Le litige quant à la propriété porte sur la question de savoir si M. Stross a le droit de présenter sa demande relative à la violation ou si ce droit a été concédé en raison de la licence qu’il a accordée à une agence américaine de défense des droits d’auteur, ImageRights, avec laquelle M. Stross a conclu un [traduction« accord de service de recouvrement avec ImageRights ». 

[11]  L’argument des défendeurs est fondé sur les droits conférés par le paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur, qui prévoit ce qui suit :

3 (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :

a) de produire, reproduire, représenter ou publier une  traduction de l’œuvre;

b) s’il s’agit d’une œuvre dramatique, de la transformer en un roman ou en une autre œuvre non dramatique;

c) s’il s’agit d’un roman ou d’une autre œuvre non dramatique, ou d’une œuvre artistique, de transformer cette œuvre en une œuvre dramatique, par voie de représentation publique ou autrement;

d) s’il s’agit d’une œuvre littéraire, dramatique ou musicale, d’en faire un enregistrement sonore, film cinématographique ou autre support, à l’aide desquels l’œuvre peut être reproduite, représentée ou exécutée mécaniquement;

e) s’il s’agit d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de reproduire, d’adapter et de présenter publiquement l’œuvre en tant qu’œuvre cinématographique;

f) de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique;

g) de présenter au public lors d’une exposition, à des fins autres que la vente ou la location, une œuvre artistique – autre qu’une carte géographique ou marine, un plan ou un graphique – créée après le 7 juin 1988;

h) de louer un programme d’ordinateur qui peut être reproduit dans le cadre normal de son utilisation, sauf la reproduction effectuée pendant son exécution avec un ordinateur ou autre machine ou appareil;

i) s’il s’agit d’une œuvre musicale, d’en louer tout enregistrement sonore;

j) s’il s’agit d’une œuvre sous forme d’un objet tangible, d’effectuer le transfert de propriété, notamment par vente, de l’objet, dans la mesure où la propriété de celui-ci n’a jamais été transférée au Canada ou à l’étranger avec l’autorisation du titulaire du droit d’auteur.

Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d’autoriser ces actes.

[12]  Les défendeurs font valoir que les modalités de l’accord de service de recouvrement conclu avec ImageRights accordaient à ImageRights une licence exclusive au droit du demandeur d’autoriser d’autres personnes à exercer les droits énoncés au paragraphe 3(1). Les défendeurs invoquent la partie 1 de l’accord avec ImageRights, qui prévoit ce qui suit :

[traduction

  • 1. Délégations de pouvoir

1. Par les présentes, vous désignez ImageRights – et ImageRights accepte cette désignation – comme votre représentant exclusif pour le règlement de chaque actif pouvant être recouvré, ce qui peut inclure le droit d’accorder des licences pour les utilisations passées ou futures de chaque actif pouvant être recouvré.

2. Sous réserve de votre approbation préalable des conditions générales de chaque actif pouvant être recouvré, ImageRights aura le pouvoir discrétionnaire, en vertu des présentes, de négocier les conditions spécifiques de tous frais de règlement ou des licences de chaque actif pouvant être recouvré.

3. Sous réserve des conditions énoncées dans les présentes, ImageRights aura le pouvoir et l’autorité, directement et en votre nom, d’aborder et de discuter de toutes les questions connexes avec un ou plusieurs avocats dans le cadre d’un actif donné pouvant être recouvré, y compris, mais sans toutefois s’y limiter, les éléments suivants : i) l’introduction d’un litige ou d’une autre action en justice; ii) l’identité des actifs pouvant être recouvrés impliqués dans un litige ou toute autre action en justice; et (iii) tout règlement, jugement ou autre recours. ImageRights est libre de choisir un tel avocat à sa discrétion, conformément aux modalités énoncées dans les présentes.

[13]  Selon les défendeurs, en désignant ImageRights comme son [traduction« représentant exclusif », M. Stross a concédé le droit exclusif d’accorder des licences, de négocier des conditions de règlement, et de choisir un avocat, d’en retenir les services ou de lui donner des directives dans le cadre d’un litige portant sur son droit d’auteur. Les défendeurs font valoir que l’accord de service de recouvrement conclu avec ImageRights permet de conclure raisonnablement que le demandeur n’est pas le propriétaire exclusif du droit d’auteur sur lequel est fondée sa demande.

[14]  Le demandeur déclare qu’aucun droit exclusif n’a été accordé à ImageRights, et qu’aucune cession des droits de M. Stross prévus aux alinéas 3(1)a) à j) de la Loi sur le droit d’auteur ou du droit de recours n’a jamais été légalement effectuée à ImageRights. 

[15]  Dans son argumentation écrite, le demandeur renvoie à l’article 6 de l’accord de services de recouvrement, qui prévoit ce qui suit :

[traduction

Uniquement aux fins susmentionnées, par les présentes, le client accorde à ImageRights une licence non exclusive et non transférable pour l’utilisation, uniquement pour la durée de l’accord, du logo, des marques de service, des marques de commerce, de la présentation, des images et des logos du client.

[16]  Il renvoie également à l’article 3 de l’accord, sous la rubrique [traduction« Garanties et représentation du client », où M. Stross confirme qu’il est le [traduction« seul propriétaire du droit d’auteur ou le titulaire de licence exclusif [...] à l’égard du contenu fourni ».

[17]  Les éléments de preuve sur l’accord de service de recouvrement sont loin d’être clairs. Je précise que l’accord de service de recouvrement conclu avec ImageRights a été déposé en preuve par les défendeurs lors du contre-interrogatoire de M. Stross dans le cadre d’un interrogatoire sur une réponse donnée à un interrogatoire écrit, dans le cadre duquel on a posé la question suivante à M. Stross : [traduction« Y a-t-il un accord entre vous et ImageRights? Dans l’affirmative, veuillez produire l’accord. » En réponse, M. Stross a fourni deux liens : https://www.imagerights.com/service-agreement et https://www.imagerights.com/terms. Les défendeurs ont imprimé l’accord de service de recouvrement à partir du premier lien et ont demandé à M. Stross de l’identifier lors de son contre-interrogatoire. Le deuxième lien n’a pas été abordé plus loin dans la preuve.

[18]  Au cours de son témoignage, M. Stross semblait avoir peu de renseignements sur l’accord et n’était pas en mesure de confirmer qu’il s’agissait du format de l’accord qu’il avait signé, mais il a confirmé qu’il avait fourni le lien à titre de réponse à la question posée concernant la production de l’accord.

[19]  En ce qui concerne l’accord de service de recouvrement, je ne vois aucun libellé explicite indiquant que l’un quelconque des droits prévus au paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur a été cédé ou concédé exclusivement sous licence à ImageRights. Bien que les éléments de preuve appuient une certaine participation d’ImageRights dans le présent litige, y compris dans le recouvrement des réparations à l’issue du litige, je n’ai aucune raison de conclure que M. Stross ne peut intenter la présente action et faire valoir son droit d’auteur sur les photographies de la rivière Llano. Par conséquent, je conclus que les éléments de preuve étayent la prétention que M. Stross est le propriétaire des photographies de la rivière Llano.

IV.  Trend Hunter a-t-il violé le droit d’auteur de M. Stross sur les photographies de la rivière Llano?

[20]  Il ne fait aucun doute que Trend Hunter a publié les photographies de la rivière Llano sur son site Web. La seule question en ce qui concerne la violation est de savoir si l’utilisation qu’a faite Trend Hunter des photographies de la rivière Llano relève des exceptions à la violation du droit d’auteur concernant l’utilisation équitable prévues aux articles 29 et 29.2 de la Loi sur le droit d’auteur, qui prévoient ce qui suit :

Étude privée, recherche, etc.

29 L’utilisation équitable d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur aux fins d’étude privée, de recherche, d’éducation, de parodie ou de satire ne constitue pas une violation du droit d’auteur.

[…]

Communication des nouvelles

29.2 L’utilisation équitable d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur pour la communication des nouvelles ne constitue pas une violation du droit d’auteur à la condition que soient mentionnés :

a) d’une part, la source;

b) d’autre part, si ces renseignements figurent dans la source :

(i) dans le cas d’une œuvre, le nom de l’auteur,

(ii) dans le cas d’une prestation, le nom de l’artiste‑interprète,

(iii) dans le cas d’un enregistrement sonore, le nom du producteur,

(iv) dans le cas d’un signal de communication, le nom du radiodiffuseur.

[21]  Dans l’arrêt CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13 (arrêt CCH), la Cour suprême du Canada a établi le cadre d’analyse à appliquer à l’égard des exceptions liées à l’utilisation équitable prévues par la Loi sur le droit d’auteur. Le cadre d’analyse implique l’application d’un critère à deux volets. Le premier volet du critère exige que l’on détermine si l’utilisation correspond à une des fins prévues par la Loi sur le droit d’auteur (c’est-à-dire la recherche, l’étude privée, l’éducation, la parodie, la satire ou la communication des nouvelles). Le deuxième volet du critère exige que l’on détermine si l’utilisation est « équitable ». Les exceptions ont été introduites dans la Loi sur le droit d’auteur en tant que « droits d’utilisation » et, par conséquent, il incombe à l’utilisateur d’établir que les dispositions de l’article 29 s’appliquent.

A.  Premier volet du critère relatif à l’utilisation équitable : l’utilisation visait-elle des fins de recherche ou de communication de nouvelles?

[22]  Pour que l’utilisation soit équitable, elle doit viser l’une des fins prévues par la Loi sur le droit d’auteur; en l’espèce, tel qu’il est soutenu, cette fin doit être la recherche ou la communication de nouvelles. Comme convenu par les parties, le seuil du premier volet du critère établi dans l’arrêt CCH est bas et il est considéré que ces fins autorisées doivent être interprétées de façon non restrictive.

[23]  Il faut donner au terme « recherche » un sens large et libéral afin que les droits des utilisateurs ne soient pas indûment restreints, et la recherche ne se limite pas à celle effectuée dans un contexte non commercial ou privé (CCH, au par. 51). Comme il a été observé dans l’arrêt CCH, la recherche visant à conseiller des clients, à donner des avis, à plaider des causes et à préparer des mémoires à l’appui d’avocats qui exercent le droit dans un but lucratif est considérée comme de la recherche au sens de l’article 29.

[24]  En l’espèce, le demandeur soutient que Trend Hunter n’a pas atteint le seuil permettant d’établir que son utilisation était une « recherche ». Comme l’a soutenu le demandeur, bien que Trend Hunter ait qualifié son utilisation de recherche, il s’agit en fait d’analyses de données axées sur le développement d’un produit en analysant les données et en vendant le produit à des clients à des fins lucratives. Je ne suis pas d’accord pour dire que cette distinction ne tient pas compte de l’interprétation du terme « recherche » prévue à cet article. Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que les activités de Trend Hunter ressemblent à une version informatisée d’un groupe d’études de marché qui mesure l’interaction des consommateurs et la réponse aux tendances du marché.

[25]  Mme Walsh décrit Trend Hunter comme [traduction« principalement une entreprise d’études de marché » qui fournit des services de consultation des consommateurs à ses clients au moyen de [traduction« rapports de recherche sur les tendances », de rapports personnalisés, d’ateliers personnalisés et d’une conférence annuelle. Elle décrit le principal outil de recherche de Trend Hunter comme étant [traduction« trendhunter.com, une énorme base de données de 400 000 idées, chacune mesurée à l’aide de milliards de consultations de plus de 150 000 visiteurs en tout temps ». Comme l’a déclaré Mme Walsh aux paragraphes 16 et 17 de son affidavit :

[traduction

16. trendhunter.com génère des données expérimentales pour Trend Hunter en adoptant une approche collaborative en matière de contenu et en mesurant l’interaction des utilisateurs avec ce contenu.

17. Trend Hunter utilise à la fois des algorithmes de recherche fondés sur des logiciels et des chercheurs humains qualifiés pour traiter la grande quantité de données générées par trendhunter.com afin de générer des renseignements sur les tendances de consommation pour ses clients.

[26]  Lorsqu’un contributeur télécharge un article, il doit sélectionner une catégorie pour l’article, lier la source de l’article et lier l’article à d’autres articles figurant déjà sur le site Web de Trend Hunter (au par. 22). Le logiciel de Trend Hunter génère des données sur l’article, y compris le moment où il a été publié, l’utilisateur qui l’a publié, les données géographiques, les données démographiques, ainsi que les mots-clés et les catégories décrivant le contenu de l’article en vue d’établir d’autres liens (au par. 24).

[27]  L’intelligence artificielle est utilisée pour déterminer l’objet de chaque article, créer des liens avec d’autres articles figurant dans le contenu de Trend Hunter et identifier les catégories de contenu et les liens avec les idées (au par. 25).

[28]  Trend Hunter suit également l’interaction des utilisateurs en fonction de paramètres, tels que le nombre de clics, le temps passé à lire chaque article et la façon dont les utilisateurs naviguent d’un article à l’autre (au par. 29).

[29]  Comme il a été souligné dans l’arrêt Société Radio-Canada c SODRAC 2003 Inc., [2015] 3 RCS 615, au paragraphe 66, la Loi sur le droit d’auteur vise à suivre le rythme des progrès technologiques. La définition du terme « recherche » doit être interprétée et examinée en tenant compte de cela. 

[30]  À mon avis, l’utilisation décrite par Mme Walsh est une forme informatisée d’études de marché qui mesure l’interaction et les préférences des consommateurs afin de générer des données pour les clients. Cette utilisation est suffisante pour atteindre le bas seuil nécessaire pour satisfaire au premier volet du critère établi dans l’arrêt CCH.

[31]  Étant donné ma conclusion selon laquelle l’utilisation satisfait à la définition de « recherche » énoncée à l’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si cette utilisation satisfait aussi à la définition de « communication des nouvelles ». Cependant, je remarque que l’un des critères relatifs à la « communication des nouvelles » est la mention de la source du droit d’auteur dans les nouvelles communiquées. Étant donné que la source des photographies de la rivière Llano n’était pas mentionnée dans l’article intitulé « Friendly Housing Rows », à mon avis, l’utilisation en question ne satisfait pas aux exigences de la « communication des nouvelles » énoncées à l’article 29.2 de la Loi sur le droit d’auteur.

B.  Deuxième volet du critère relatif à l’utilisation équitable : l’utilisation est-elle « équitable »?

[32]  Le cœur de l’analyse de l’utilisation équitable est le deuxième volet du critère établi dans l’arrêt CCH : la question du caractère « équitable » de l’utilisation. La question du caractère « équitable » de l’utilisation est une question de fait qui doit être évaluée au regard des circonstances de chaque affaire (Canadian Copyright Licensing Agency c Université York, 2017 CF 669, au par. 252 (Université York)), en tenant compte des six facteurs pertinents suivants : (i) le but de l’utilisation; (ii) la nature de l’utilisation; (iii) l’ampleur de l’utilisation; (iv) les solutions de rechange à l’utilisation; (v) la nature de l’œuvre; (vi) l’effet de l’utilisation sur l’œuvre (CCH, au par. 53).

[33]  Le « caractère équitable » doit être évalué à l’aide d’une analyse holistique de ces facteurs, en établissant un équilibre entre les intérêts et l’utilisation pratique et réelle par l’utilisateur de l’œuvre du propriétaire (Université York, au par. 55).

[34]  Dans l’arrêt Université York, la Cour a conclu que l’évaluation du caractère équitable peut être faite en se fondant sur une utilisation individuelle, ainsi que sur le fondement des politiques ou des pratiques (Université York, au par. 254). En l’espèce, l’allégation de violation du droit d’auteur est fondée sur l’utilisation par Trend Hunter des photographies de la rivière Llano du demandeur; il ne s’agit pas d’une contestation des politiques et des pratiques de Trend Hunter, en général. Par conséquent, un examen des politiques mises en place par Trend Hunter ne sera envisagé que dans le but d’évaluer le contexte et la conduite entourant l’utilisation en question. 

[35]  Le demandeur soutient que [traduction« le caractère équitable de l’utilisation » doit être pris en compte dans l’intérêt public. Comme le soutient le demandeur, chaque arrêt de principe sur l’utilisation équitable (CCH; Alberta (Éducation) c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CSC 37 (Alberta (Éducation)); et Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c Bell Canada, 2012 CSC 36 (SOCAN)) soulève un motif fondé sur l’intérêt public pour conclure que les utilisations en question étaient équitables. Dans l’arrêt CCH, la question était de savoir si les utilisateurs de la Grande Bibliothèque d’Osgoode Hall pouvaient accéder à des ouvrages juridiques sur support papier et les faire réimprimer afin de préparer des avis juridiques et des arguments à l’intention de clients. Le demandeur soutient qu’il était dans l’intérêt public d’autoriser cet accès, puisque la primauté du droit exige que les avocats disposent des renseignements nécessaires pour représenter de façon adéquate leurs clients. Dans l’arrêt Alberta (Éducation), l’appelante soutient que la reproduction de manuels scolaires soulève la question de l’intérêt public pour faire avancer l’éducation et réduire la nécessité d’acheter des manuels en quantités volumineuses afin de les distribuer en classe aux élèves. Le demandeur soutient que l’arrêt SOCAN adopte également une perspective d’intérêt public puisqu’il ne concernait que l’utilisation d’aperçus d’œuvres musicales par les acheteurs lorsque l’achat de chansons complètes nécessitait le versement de redevances aux artistes. À mesure que les artistes obtenaient des redevances pour leurs œuvres, un équilibre approprié a été établi entre les créateurs et les utilisateurs.

[36]  Je conviens que l’intérêt public sous-tend les dispositions de la Loi sur le droit d’auteur relatives à l’utilisation équitable. Comme il est déclaré dans l’arrêt Théberge c Galerie d’Art du Petit Champlain inc., [2002] 2 RCS 336, au paragraphe 30, la Loi sur le droit d’auteur est « un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur ». Il faut tenir compte de cet équilibre dans le cadre de l’évaluation du caractère « équitable » de l’utilisation.

[37]  Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’au regard des circonstances factuelles propres à la présente affaire et des facteurs énoncés dans l’arrêt CCH, l’utilisation en question n’était pas une utilisation équitable et qu’il faut conclure à une violation du droit d’auteur.

(1)  Le but de l’utilisation

[38]  Le premier facteur à examiner est le but de l’utilisation; cette analyse doit être effectuée du point de vue de l’utilisateur (CCH, au par. 54). 

[39]  L’évaluation du but de l’utilisation dans le cadre du deuxième volet du critère est distincte du premier volet du critère et nécessite l’examen du caractère équitable du but ou de l’objectif réel de l’activité autorisée (la recherche) (Université York, au par. 268; Alberta (Éducation), au par. 22). En l’espèce, l’analyse nécessite l’examen du « caractère équitable » de l’autorisation d’inclure les photographies dans un article utilisé dans la recherche de Trend  Hunter pour le but final qui est d’évaluer les résultats de recherche afin de les inclure dans des rapports sur les tendances à l’intention de clients dans un contexte commercial.

[40]  Le but général de la recherche de Trend Hunter est de conseiller les clients sur les tendances du marché et les stratégies en vue d’accroître les possibilités commerciales. Comme l’a déclaré Mme Walsh, Trend Hunter conseille ses clients sur les tendances et les stratégies afin [traduction« d’aider ses clients à développer des idées et des produits novateurs, ainsi qu’à favoriser des attitudes et des pratiques qui favoriseront une plus grande innovation au sein de l’organisation du client » (pièce D1 déposée au procès, au par. 5).

[41]  Le but ultime est donc de nature commerciale, dans l’intérêt de Trend Hunter et de ses clients; il n’y a aucun avantage pour M. Stross et aucun but d’intérêt public plus large associé à l’utilisation des photographies de la rivière Llano par les défendeurs.

(2)  La nature de l’utilisation

[42]  Le deuxième facteur à examiner est la nature de l’utilisation. Pour évaluer la nature de l’utilisation, la Cour doit examiner la façon dont l’œuvre a été utilisée, notamment si plusieurs copies de l’œuvre ont été largement distribuées ou si une seule copie de l’œuvre a été utilisée à des fins légitimes (CCH, au par. 55).

[43]  En l’espèce, les photographies de la rivière Llano ont été jointes à un article thématique général intitulé « Friendly Housing Rows », qui comprenait à la fois des photographies et un article intitulé « “Bestie Row” is a Series of Four Houses Occupied by Best Friends ». L’article incluait des liens vers des articles sources provenant de Country Living et de Apartment Therapy, où les photos ont été trouvées et initialement publiées. L’article intitulé « Friendly Housing Rows » a été publié sur la page d’accueil de trendhunter.com pendant une journée et a ensuite continué d’apparaître sur le site, sans toutefois être promu, jusqu’à son retrait, neuf mois plus tard, le 27 octobre 2017.

[44]  Le demandeur soutient que la distribution par Trend Hunter des photographies sur Internet devrait être considérée comme une distribution large puisque toute personne ayant accès à un ordinateur et à Internet aurait pu obtenir les photographies. Les défendeurs soutiennent que ce facteur doit être examiné dans le contexte de l’avancement technologique. Je souscris à ce principe général. Les éléments de preuve des défendeurs indiquent que l’article intitulé « Friendly Housing Rows » a été vu 168 fois depuis sa publication, ce qui a été jugé insuffisant par Trend Hunter pour utiliser la recherche sur cet article dans un rapport de recherche sur les tendances. En raison de ces éléments de preuve, j’estime que l’utilisation des photographies de la rivière Llano sur trendhunter.com devrait être considérée comme plus large qu’une seule utilisation dans une publicité en format papier, mais insuffisante, en l’espèce, pour être considérée comme une distribution large dans une perspective fondée sur Internet et le nombre de consultations obtenues. 

(3)  L’ampleur de l’utilisation

[45]  Le troisième facteur à examiner est l’ampleur de l’utilisation. Il s’agit d’évaluer à la fois l’ampleur quantitative de l’utilisation et l’importance de l’œuvre présumée contrefaite (CCH, au par. 56).

[46]  Les défendeurs soutiennent que la qualité et la résolution moindres des photographies devraient être prises en compte dans l’examen de ce facteur et interprétées en tant que pourcentage moindre d’utilisation des photographies. Cet argument ne m’apparaît pas convaincant.

[47]  Bien que les photographies utilisées puissent être de qualité moindre, l’ensemble des photographies étaient encore utilisées et identifiables. Par conséquent, je n’estime pas que cet argument soit analogue à celui fourni dans SOCAN, où seules certaines parties d’une chanson étaient préalablement écoutées avant d’être achetées.

(4)  Les solutions de rechange à l’utilisation

[48]  Le quatrième facteur à examiner est la question de savoir si une solution de rechange à l’utilisation était disponible – par exemple, un équivalent non protégé qui pourrait remplacer l’œuvre protégée par le droit d’auteur – et si l’utilisation était raisonnablement nécessaire eu égard à la fin visée (CCH, au par. 57). Le fait que le titulaire du droit d’auteur aurait pu obtenir une licence pour l’utilisation en question n’est pas un argument légitime à examiner en ce qui a trait à ce facteur, car il ne tient pas compte de l’équilibre entre les droits du créateur et ceux de l’utilisateur (CCH, au par. 70).

[49]  En l’espèce, la nature de la recherche de Trend Hunter exige la publication de nombreux articles sur trendhunter.com pour évaluer l’interaction et l’intérêt des utilisateurs. Des photographies et des images accompagnent généralement les articles afin d’attirer l’attention des utilisateurs. En raison du volume d’articles requis pour la recherche et le cadre d’utilisation, la plateforme s’appuie sur des articles qui seront publiés par un grand nombre de contributeurs. Cette capacité des contributeurs à télécharger du contenu sur trendhunter.com est nécessaire au cadre de la plateforme d’études de marché de Trend Hunter.

[50]  À l’appui de son argument quant au caractère équitable de leur utilisation des images, les défendeurs soulignent les objectifs et les mesures de protection qui sont énoncés dans la politique sur le droit d’auteur de Trend Hunter applicable au contenu et à l’utilisation d’images. Cette politique sur le droit d’auteur doit être respectée par tous les fournisseurs de contenu avant que du contenu soit téléchargé sur trendhunter.com.

[51]  La politique prévoit qu’il est interdit de publier du contenu qui enfreint des droits de propriété intellectuelle, et qu’il incombe aux contributeurs de garantir que le contenu qu’ils publient ne constitue pas une violation (pièce D1 déposée au procès, pièce E). Un fournisseur de contenu doit vérifier tout contenu qui comporte un avis de droit d’auteur ou un filigrane, et éviter de l’utiliser. Les pigistes et les rédacteurs reçoivent une formation sur le droit d’auteur, qui comprend les pratiques d’indication des sources d’images qui encouragent l’ajout de crédits d’image pour éviter les violations du droit d’auteur, qui exigent la mention du photographe ou du crédit des images à inclure comme source dans l’article et qui avisent que l’utilisation d’images contenant des filigranes ou des symboles de droit d’auteur devrait être évitée (pièce D1 déposée au procès, pièce F). Le contrat d’entrepreneur indépendant type de Trend Hunter comprend également un addenda concernant le droit d’auteur, qui prévoit, au paragraphe 35, ce qui suit : [traduction« Les images comportant des filigranes ou des symboles de droit d’auteur sont considérées comme des œuvres protégées par le droit d’auteur. Toute utilisation d’images protégées par le droit d’auteur sans l’autorisation de leur propriétaire est considérée comme une violation du droit d’auteur » (pièce D1 déposée au procès, pièce G).

[52]  En plus des vérifications effectuées par le fournisseur de contenu, Trend Hunter dispose également d’écrans de contenu en images pour retirer les images comportant un avis de droit d’auteur ou un filigrane. Un système d’avis et de retrait pour les œuvres protégées par le droit d’auteur, qui est conforme à la Digital Millennium Copyright Act des États-Unis, a également été mis en place. 

[53]  Bien que je convienne que, à première vue, la politique respecte le droit d’auteur sur les images, la politique n’a pas été respectée en l’espèce. De plus, les mesures de protection sont assouplies lorsqu’un contributeur expérimenté, qui a suivi la formation de Trend Hunter et qui a déjà fourni du contenu, télécharge du contenu.

[54]  En l’espèce, lorsque Joey Haar, un contributeur expérimenté et employé de Trend Hunter, a téléchargé les photographies de la rivière Llano sur trendhunter.com et lié son article aux articles sources de Country Living et de Apartment Therapy, il n’a pas remarqué les avis de droit d’auteur associés aux photographies de la rivière Llano. Étant donné que M. Haar était un contributeur expérimenté, sa contribution a été signalée comme étant [traduction« prête à être publiée », n’a fait l’objet d’aucun examen par l’équipe de rédaction et a été immédiatement affichée sur la page d’accueil de trendhunter.com. Les éditeurs de la recherche de Trend Hunter n’ont pas vérifié les documents avant de les publier. Ce n’est que lorsque la mise en demeure concernant l’affichage des photographies a été envoyée que l’avis de droit d’auteur a été identifié et que les photographies ont été retirées du site Web de Trend Hunter (pièce D1 déposée au procès, au par. 52). Bien que les défendeurs aient atténué leurs dommages en retirant les photographies de la rivière Llano du site Web trendhunter.com, la politique sur le droit d’auteur applicable à la publication de contenu sur le site n’a pas été respectée et les photographies de la rivière Llano ont été affichées lorsqu’elles n’auraient pas dû l’être en vertu de la politique et sans l’autorisation de M. Stross.

[55]  Compte tenu du nombre d’articles affichés sur le site Web de Trend Hunter dans un domaine donné, j’estime que les photographies de la rivière Llano n’étaient pas essentielles à la recherche de Trend Hunter et n’auraient pas dû être affichées sur trendhunter.com, conformément à la politique sur le droit d’auteur de Trend Hunter. Comme l’a déclaré Mme Walsh au cours du contre-interrogatoire (transcription, le 23 octobre, de la page 81, ligne 28 à la p. 82, ligne 6) :

[traduction

Q. [...] les rapports de recherche que vous avez produits, les conclusions que vous tirez, les photographies de la rivière Llano ne représentent-elles qu’une petite partie des données qui font partie de ce groupe de données plus vaste que vous analysez?

R. Oui.

Q. Sont-elles statistiquement insignifiantes?

R. Oui.

[56]  Par conséquent, je conclus que des solutions de rechange à l’utilisation étaient disponibles et auraient dû être utilisées en l’espèce.

(5)  La nature de l’œuvre

[57]  Le cinquième facteur à examiner est la nature de l’œuvre et la question de savoir si cette œuvre a été publiée ou était confidentielle (CCH, au par. 58).

[58]  En l’espèce, l’œuvre consiste en des photographies dont l’utilisation était précédemment autorisée par des licences et qui étaient distribuées en ligne. La défenderesse affirme que les photographies étaient déjà [traduction« virales » après la diffusion d’un épisode de l’émission télévisée Today Show sur NBC et la publication d’un article sur Today.com en 2015. Par conséquent, la défenderesse soutient qu’un poids limité devrait être accordé à ce facteur dans le cadre de l’analyse. Le demandeur n’a pas contesté cette qualification, mais a soutenu que la distribution antérieure ne devrait pas être considérée comme une autorisation de l’utilisation en question.

[59]  Je conviens que la nature de l’œuvre est un facteur neutre en l’espèce. À mon avis, le fait que les photographies ont déjà été largement distribuées sur Internet vise à établir l’effet de l’utilisation et la probabilité que la reproduction des photographies sur trendhunter.com ait eu des répercussions moindres sur M. Stross.

(6)  L’effet de l’utilisation sur l’œuvre

[60]  Le sixième facteur à examiner est l’effet de l’utilisation sur l’œuvre et la question de savoir si l’œuvre reproduite a une incidence sur le marché de l’œuvre originale (CCH, au par. 59). Il incombe au titulaire du droit d’établir que l’utilisation en question a un certain effet sur ses activités.

[61]  Il n’est pas contesté que, en l’espèce, la défenderesse n’est pas une concurrente directe du demandeur et qu’elle exploite un autre type d’entreprise. Par conséquent, il n’y a aucun élément de preuve selon lequel l’utilisation par Trend Hunter des photographies de la rivière Llano dans l’article intitulé « Friendly Housing Rows » sur trendhunter.com aurait un effet direct sur M. Stross.

[62]  En outre, l’utilisation réelle n’a pas donné lieu à un gain commercial. L’évaluation des résultats de recherche a révélé que les consommateurs n’avaient aucun intérêt significatif pour l’article. L’article n’a pas généré suffisamment de données entrantes pour être intégré dans un rapport de recherche sur les tendances, de manière plus générale (transcription, le 23 octobre, à la p. 80, lignes 14 à 21). Les éléments de preuve présentés par Mme Walsh étaient que l’article a été vu moins de 200 fois et a généré moins de sept cents en recettes publicitaires (pièce D1 déposée au procès, pièce O, aux par. 56 et 57).

[63]  Le demandeur soutient qu’en réduisant la résolution des photographies de la rivière Llano, la défenderesse a modifié la qualité des photographies et, en retour, a fait diminuer leur valeur. Il soutient que ce type d’utilisation a eu des répercussions négatives sur la possibilité d’obtenir d’autres licences. Cependant, de telles affirmations sont, à mon avis, hypothétiques et devraient avoir un poids limité en l’absence d’éléments de preuve à l’appui.

[64]  Les éléments de preuve présentés indiquent que M. Stross a retiré des licences supplémentaires pour ces photographies. Les dates et les détails des licences n’ont pas été déposés en preuve. Bien que l’avocate du demandeur ait soutenu que la capacité de ce dernier à accorder une licence pour les photographies de la rivière Llano a été touchée par l’utilisation de Trend Hunter, il n’y a aucun élément de preuve direct indiquant que la possibilité d’offrir des licences a diminué à la suite de la publication de Trend Hunter. Compte tenu des éléments de preuve déposés, je ne suis pas en mesure de conclure que la capacité du demandeur à offrir des licences pour les photographies de la rivière Llano a été touchée par l’utilisation en question.

C.  Conclusion sur l’utilisation équitable

[65]  Après avoir examiné les facteurs énoncés ci-dessus, j’estime que l’utilisation qu’a faite Trend Hunter des photographies de la rivière Llano ne constitue pas une utilisation équitable et que Trend Hunter est responsable de la violation du droit d’auteur.

[66]  Le volume de contenu sur lequel Trend Hunter s’est fondée dans ses recherches et la nature de l’interface utilisateur de sa plateforme de recherche exigent que Trend Hunter s’appuie sur ses contributeurs pour se conformer à ses politiques sur le droit d’auteur applicables au téléchargement de contenu. Bien que Trend Hunter ait mis en place des politiques sur le droit d’auteur pour interdire l’utilisation d’images protégées par le droit d’auteur sur trendhunter.com, le caractère équitable des politiques repose sur les pratiques prévues par celles-ci. En l’espèce, la politique n’a pas été respectée par le contributeur de Trend Hunter et les photographies de la rivière Llano ont été affichées sur trendhunter.com, alors que la politique prévoyait qu’elles n’auraient pas dû l’être sans l’autorisation de M. Stross. Bien que l’effet de l’utilisation des photographies de la rivière Llano n’ait pas été démontré directement, d’un point de vue holistique, je ne considère pas que les circonstances et le but ultime de l’utilisation appuient une conclusion d’utilisation équitable en l’espèce. 

V.  Quels sont les dommages subis par M. Stross?

[67]  Selon le paragraphe 35(1) de la Loi sur le droit d’auteur :

Quiconque viole le droit d’auteur est passible de payer, au titulaire du droit qui a été violé, des dommages-intérêts et, en sus, la proportion, que le tribunal peut juger équitable, des profits qu’il a réalisés en commettant cette violation et qui n’ont pas été pris en compte pour la fixation des dommages-intérêts.

[68]  Un demandeur peut choisir de recouvrer des dommages-intérêts préétablis pour violation au lieu de recouvrer des dommages-intérêts en vertu du paragraphe 35(1). Étant donné qu’aucun choix de ce genre n’a été fait en l’espèce, les dommages-intérêts et les profits doivent être déterminés en vertu du paragraphe 35(1).

[69]  Lorsque les dommages, au titre du en vertu du paragraphe 35(1), sont difficiles à quantifier, ils peuvent être évalués en fonction des droits de licence qui auraient autrement été facturés s’il n’y avait aucune violation (Hager c ECW Press Ltd., [1999] 2 CF 287, au par. 75).

[70]  En l’espèce, les éléments de preuve présentés par le demandeur sont limités et portent sur trois licences et une facture pour l’accord commercial conclu avec M. Garcia. Ces documents se trouvent aux pièces C à F de la pièce P1 déposée au procès.

[71]  Deux des licences (pièces C et D) concernent l’utilisation en ligne et en format papier de photographies d’une propriété différente, la [traduction« Maison en cascade », qui est une maison située à Austin, au Texas. Le taux proposé dans le cadre de ces licences variait de 500 $ US par photographie à 1 000 $ US par photographie.

[72]  Le seul contrat de licence relatif aux photographies de la rivière Llano se trouve à la pièce F et fait partie d’un accord conclu entre M. Stross et Playboy Enterprises. La licence indique que Playboy Enterprises a versé 8 000 $ US à M. Stross à titre de règlement, lequel concernait la licence de deux photographies de la rivière Llano. En l’absence d’un autre contexte quant à la totalité du règlement entre ces parties, il est difficile de déterminer ce que représente le montant de 8 000 $ US et si celui-ci comprend une contrepartie additionnelle liée au règlement du différend.

[73]  À la pièce E, M. Stross a fourni la facture de l’accord commercial conclu entre M. Stross et M. Garcia, dans le cadre duquel les travaux de conception architecturale de la résidence de M. Stross ont été échangés pour l’utilisation de sept des photographies de la rivière Llano, qui sont évaluées à 15 000 $ US. Bien que le demandeur qualifie cet arrangement de contrat de licence, les détails de l’arrangement sont loin d’être normalisés et correspondent davantage à un échange de temps.

[74]  Il convient de souligner que, pendant l’interrogatoire préalable, le demandeur a reconnu qu’il avait conclu d’autres contrats de licence concernant l’utilisation des photographies de la rivière Llano sur les sites Web de Business Insider et de Lighter Side of Real Estate; cependant, les détails de ces licences n’ont pas été fournis, bien qu’on ait ordonné leur production (transcription, le 23 octobre, de la p. 89, ligne 26 à la p. 90, ligne 21). 

[75]  Compte tenu des éléments de preuve présentés, j’estime qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir un droit de licence normal pour les photographies de la rivière Llano. Dans ces circonstances, y compris en l’absence d’éléments de preuve établissant des dommages réels, le court délai de publication des photographies et les mesures prises par Trend Hunter pour retirer les photographies dès la réception d’un avis, je n’accorderai qu’un montant symbolique de dommages-intérêts calculé à partir d’un pourcentage du montant par photographie, tel qu’évalué en vertu de l’accord avec M. Garcia, et conformément au peu de détails fournis sur les conditions de licence aux pièces C et D : 500 $ US par photographie pour un total de 3 000 $ US ou 3 983,40 $ CA (montant converti en dollars canadiens à la date du présent jugement).

[76]  En ce qui concerne les profits, les éléments de preuve non contredits de Mme Walsh indiquent que seules des recettes publicitaires minimes ont été générées par le nombre d’utilisateurs ayant visité la page de l’article intitulé « Friendly Housing Rows ». Les profits de cette publicité étaient minimes. En outre, il n’y a aucun élément de preuve justifiant l’octroi de dommages-intérêts punitifs. La violation en l’espèce n’était pas intentionnelle et n’est pas telle qu’elle devrait être punissable en plus des dommages-intérêts déjà accordés. Ainsi, le montant total qui sera accordé au demandeur est de 3 983,40 $ CA.

[77]  Étant donné que le demandeur n’a présenté aucune observation sur la question de l’intérêt, la Cour n’accordera aucun intérêt avant jugement et n’accordera que des intérêts après jugement, non composés, à un taux de 5 % à compter de la date du présent jugement (L.S. Entertainment Group Inc. c Formosa Video Canada Ltd., 2005 CF 1347, aux par. 71 et 72).

VI.  La demande présentée contre Jeremy Gutsche, à titre personnel, devrait-elle être rejetée?

[78]  Le demandeur affirme que Jeremy Gutsche, en tant que président-directeur général et fondateur de Trend Hunter, est également personnellement responsable de la violation du droit d’auteur pour les mêmes utilisations des photographies de la rivière Llano que celles de Trend Hunter.

[79]  Aucun élément de preuve n’a été présenté au procès pour étayer cette allégation ou pour démontrer que M. Gutsche avait personnellement participé à la publication de l’article intitulé « Friendly Housing Rows », qui comprenait les photographies de la rivière Llano. La demande présentée contre M. Gutsche semble être fondée exclusivement sur sa position chez Trend Hunter. En effet, pendant son contre-interrogatoire, M. Stross a admis qu’il n’avait aucune connaissance personnelle de la participation de M. Gutsche aux activités qui constituaient le fondement de la demande pour violation du droit d’auteur (transcription, le 23 octobre, à la p. 24, lignes 15 à 23, et à la p. 27, lignes 7 à 19). 

[80]  La demande présentée contre M. Gutsche est donc rejetée en raison du manque d’éléments de preuve.

VII.  Dépens

[81]  Chaque partie a joint un mémoire de frais à ses observations générales. Les mémoires de frais étaient généralement cohérents; chaque partie demande des montants similaires, calculés selon le tarif B des Règles des Cours fédérales, ainsi que des débours.

[82]  Bien que chaque partie ait proposé des frais conformes au milieu de la fourchette prévue à la colonne III et au milieu de la fourchette prévue à la colonne IV du tarif B, je ne crois pas qu’il y ait un fondement justifiant des frais calculés à un niveau autre que le niveau habituel, à savoir le milieu de la fourchette prévue à la colonne III du tarif B, surtout du fait que la présente affaire a été traitée comme une procédure simplifiée.

[83]  Compte tenu du gain de cause global du demandeur en l’espèce, des dépens de 9 493,94 $ seront accordés au demandeur, ce qui comprend les frais, taxes comprises, calculés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III du tarif B (7 373,25 $ selon le calcul du demandeur), et les débours raisonnables du demandeur, pour lesquels un montant de 2 120,69 $, taxes comprises, est accordé. Comme l’ont fait remarquer les défendeurs, les dépenses engagées par M. Stross pour ses déplacements et sa participation au procès ne sont pas recouvrables (Lundbeck Canada inc. c Canada (Santé), 2014 CF 1049, au par. 91) et ont été déduites du montant des débours.

 




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