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                                                                                                                               Date : 20010720

                                                                                                                          Dossier : T-1777-99

                                                                                                  Référence neutre : 2001 CFPI 819

ENTRE :

                                 LA NATION WAYZHUSHK ONIGUM

demanderesse

et

DOROTHY KAKEWAY

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Muldoon

1. Introduction


[1] Il s'agit d'une demande que la demanderesse, la nation Wayzhushk Onigum, a présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa forme modifiée, en vue du contrôle judiciaire de la décision rendue le 6 septembre 1999 par M. J.F.R. Taylor, arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, dans sa forme modifiée. L'arbitre a accordé à la défenderesse Dorothy Kakeway la somme de 20 400 $ au titre du salaire en guise et lieu de préavis de licenciement.

2. Énoncé des faits

[2]    Le chef et le conseil actuels de la nation Wayzhushk Onigum ont été élus le 2 décembre 1997. Dans le cadre d'un examen de la gestion par un tiers effectué par le chef et le conseil, chaque contrat de travail individuel passé avec la bande a été examiné et la défenderesse a été licenciée. La défenderesse a déposé une plainte en vertu du paragraphe 240(1) du Code canadien du travail et un arbitre a été désigné en vertu du paragraphe 242(1) du Code.


[3]                 Le 22 juillet 1999, l'arbitre a informé par écrit les deux parties qu'il avait fixé la date de l'audience au 5 août 1999. Peu de temps après, sur les instructions du chef Skead, la réceptionniste du bureau de la bande, Irene Skead, a pris des dispositions en vue de faire ajourner l'audience au 31 août 1999. L'arbitre a confirmé ce changement en envoyant aux parties un avis modifié d'audience daté du 30 juillet 1999. L'avis d'audience qui a été envoyé à la demanderesse était adressé au chef Steve Skead. Le 31 août 1999, soit le jour de l'audience, personne n'a comparu pour le compte de la demanderesse au lieu et à l'heure indiqués. Le chef et tous les employés du bureau de la bande assistaient à une rencontre avec le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, à Sioux Narrows. La bande n'était donc pas représentée à l'audience. Les événements qui se sont déroulés par la suite ont été relatés par l'arbitre à la première page de sa décision :

[TRADUCTION] [4] Je dois au départ noter que, même si la date et l'heure de l'audience ont expressément été fixées de façon à rendre service à la défenderesse et uniquement après que j'eus parlé par téléphone à un représentant de la bande et qu'il m'eut assuré que, si l'audience avait lieu le 31 août 1999 à 14 h (plutôt qu'à la date que j'avais proposée), cela lui convenait. J'ai confirmé la date et l'heure de l'audience en envoyant une lettre au chef de la bande défenderesse et à la plaignante. Personne n'a comparu pour le compte de la bande au lieu et à l'heure prévus. J'ai attendu vingt minutes et j'ai essayé de communiquer avec le bureau de la bande par téléphone, mais personne n'a répondu. J'ai donc procédé à l'audition de la preuve des deux premiers témoins désignés ci-dessous et je me suis initialement vu obligé de me fonder, en ce qui concerne la position prise par la bande, sur l'explication fournie par écrit à Développement des ressources humaines Canada par Mme Linda Copenace, directrice de l'exploitation de la bande, au sujet du licenciement de Mme Kakeway. Cette lettre explicative, en date du 9 février 1999, est ainsi libellée :

Comme on le sait bien, la nation Wayzhushk Onigum est assujettie à la gestion par un tiers, Ininew Financial Services.

Cet état de choses est attribuable au fait que la nation Wayzhushk Onigum fait face à de grosses difficultés financières par suite de la mauvaise gestion, du fait que l'on n'a pas fait rapport sur les fonds qui étaient alloués à la Première nation ainsi que du fait que le chef, le conseil et l'administration qui étaient antérieurement en place avaient mal utilisé les fonds.

Tout cela a obligé la bande à être placée sous la tutelle d'un tiers, et tous les programmes ont fait l'objet de restrictions.

Dorothy Kakeway touchait un salaire journalier de 94 $ pour effectuer un parcours d'autobus scolaire de deux heures. Cette dépense excédait de beaucoup le budget qui nous était alloué et, puisque nous devions effectuer des compressions dans tous les secteurs, nous avons décidé de regrouper tous les services de transport dont la bande avait besoin.

De plus, la bande n'avait jamais passé de contrat de transport avec Dorothy Kakeway.

Nous avons également alors signifié un avis au conseil scolaire Keewatin-Patricia, qui a pris en charge les services de transport scolaire des élèves de la Première nation.

Si vous voulez obtenir des renseignements supplémentaires, veuillez communiquer avec moi au 807-548-5663.


[5] Même si aucun représentant de la bande défenderesse n'a daigné comparaître à l'audience le 31 août, et après être retourné à Winnipeg ce soir-là sans avoir pu communiquer avec une personne s'occupant de l'administration de la bande, j'ai téléphoné au bureau de la bande le lendemain matin afin de donner aux représentants de la bande une autre possibilité d'expliquer la position de cette dernière au sujet de la demande ici en cause. On m'a dit que le chef Steve Skead était absent. J'ai demandé à parler à la directrice de l'exploitation de la bande, Mme Linda Copenace, et on m'a dit qu'elle était occupée, mais qu'elle me rappellerait bientôt. Étant donné que Mme Copenace ne m'avait pas rappelé, j'ai de nouveau appelé à la fin de l'après-midi et j'ai réussi à lui parler. Je lui ai demandé pourquoi personne n'avait comparu à l'audition de l'appel. Elle a répondu qu'elle avait été malade et qu'elle venait juste de retourner au travail le matin même (le 1er septembre); elle m'a informé que le chef avait dû s'absenter, avec tous les autres chefs de la région, pour assister à une rencontre importante avec le ministre fédéral des Affaires indiennes. Elle « supposait que quelqu'un aurait dû m'appeler » . Elle n'a pas nié avoir reçu la lettre dans laquelle je confirmais le lieu, la date et l'heure de l'audience.

[6] Les faits sont simplement les suivants :

a)              Le chef Skead n'avait pas dû s'absenter pour assister à une rencontre importante avec le ministre. Il avait assisté à une cérémonie d'ouverture ou à une cérémonie d'inauguration officielle du nouvel immeuble du conseil des ressources de Lake of the Woods, à Sioux Narrows. Cette réunion n'avait rien de soudain ou d'imprévu, puisqu'elle avait été organisée plusieurs semaines auparavant et que les invitations avaient été envoyées à la mi-juillet. Le ministre était certes présent, mais il n'y a pas eu de « rencontre » de la nature d'une consultation.

b)              Contrairement à ce qu'elle a allégué, Linda Copenace n'était pas chez elle, au lit ou ailleurs, à 14 h le 31 août. Elle assistait en fait à l'inauguration, aux frais de la bande, avec le chef et avec tous les autres membres du personnel du bureau de la bande, soit environ une douzaine de gens, y compris le concierge et d'autres employés de niveau supérieur.

[7] Les faits susmentionnés m'ont d'abord été relatés par la plaignante, Mme Kakeway, dont le mari avait assisté à la réunion, à Sioux Narrows. J'ai parlé à M. Kakeway, qui a confirmé ces faits. Étant donné que le témoignage de M. Kakeway aurait pu être jugé partial, j'ai parlé à l'adjoint de M. Clifford Bob, directeur du conseil des ressources de Lake of the Woods, qui a de nouveau confirmé ces faits; à ma demande, il a également consulté le livre d'invités et m'a assuré que Mme Copenace avait signé ce livre pour indiquer qu'elle était présente à Sioux Narrows le 31 août.

[8] Le fait que Mme Copenace n'a pas pu expliquer sans mentir l'absence des représentants de la bande à l'audition de l'affaire vicie tout autre élément de preuve qu'elle m'a présenté, au point que, lorsque la preuve fournie par Mme Copenace diffère de celle des témoins de la plaignante, je retiens la preuve de ces derniers plutôt que celle de Mme Copenace.


[4]                 À la page 5 de la décision, après avoir parlé de la preuve fournie par la défenderesse, l'arbitre a parlé de la preuve orale et écrite qui avait été soumise pour le compte de la demanderesse par la directrice de l'exploitation de la bande, Mme Copenace :

[TRADUCTION] [19] Lorsque j'ai parlé à Mme Copenace le 1er septembre, je lui ai d'abord demandé si la lettre du 4 février 1999 représentait encore la position prise par la bande au sujet du licenciement de Mme Kakeway. Elle a répondu par l'affirmative.

[20] Je l'ai informée que, contrairement à son assertion, à savoir que « la bande n'avait jamais passé de contrat de transport avec Dorothy Kakeway » , on m'avait remis l'original de pareil contrat et que Mme Eleanor Skead avait témoigné que le contrat avait été approuvé au moyen d'une résolution du conseil de la bande (la RCB). Mme Copenace a exprimé des doutes au sujet de l'existence ou de la validité de cette résolution. Toutefois, même si je retiens le témoignage de Mme Eleanor Skead sur ce point, je conclus que la question de savoir si le contrat initial auquel Mme Kakeway était partie avait été approuvé par une RCB officielle n'est pas pertinente aux fins du différend dont je suis ici saisi [...]

[21] En parlant à Mme Copenace, le 1er septembre, je l'ai informée de l'assertion de Mme Kakeway selon laquelle elle n'avait pas été avisée que la bande devait bientôt changer d'attitude au sujet de la question du transport scolaire, et encore moins de son licenciement imminent. En réponse, Mme Copenace m'a envoyé des copies de plusieurs lettres destinées à étayer la position de la bande [...]

[5]                 À la page 12 de sa décision, l'arbitre a conclu que la défenderesse avait fait l'objet d'un congédiement injuste d'une façon dure et humiliante, sans préavis, sans motif valable et sans explication. Il a dit que la façon dont on avait procédé au congédiement avait causé beaucoup de chagrin et d'embarras à la défenderesse puisqu'elle avait perdu son statut et sa crédibilité au sein de la petite communauté. Après avoir examiné l'arrêt Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701, de la Cour suprême et les effets qu'avait la conduite de mauvaise foi d'un employeur, l'arbitre a statué que la demanderesse devait verser à la défenderesse douze mois de salaire, ou 20 400 $, en guise et lieu de préavis.


3. Les points litigieux

[6]                 La demanderesse invoque les motifs ci-après énoncés à l'appui de l'annulation de l'ordonnance rendue par l'arbitre :

a.    L'arbitre n'a pas observé les principes d'équité procédurale lorsqu'il a tenu l'audience sans que la demanderesse y participe;

b.    L'arbitre a excédé sa compétence et n'a pas observé l'équité procédurale lorsqu'il a mené une enquête ex parte; et

c.    L'arbitre a commis une erreur en calculant le montant du salaire accordé en guise et lieu de préavis puisqu'il n'a pas tenu compte du fait que la défenderesse devait assurer l'entretien et les réparations de son véhicule, ce qui avait pour effet de réduire son salaire net annuel.

4. L'absence de la demanderesse à l'audience

[7]                 La demanderesse soutient que l'équité procédurale lui a été déniée parce que le chef Skead n'était pas présent à l'audience en vue de témoigner pour le compte de la bande. Elle affirme que l'arbitre aurait dû ajourner l'audience.


[8]                 Cette prétention comporte deux arguments. En premier lieu, la demanderesse affirme que le chef, par suite des machinations des employés du bureau de la bande, n'a jamais reçu l'avis d'audience. En second lieu, elle soutient que la conduite préjudiciable de la directrice de l'exploitation, Linda Copenace, a amené l'arbitre à se prononcer à l'encontre de la bande. Les effets de ces deux arguments peuvent-ils logiquement ou équitablement être imposés à la défenderesse? Les prétentions de la demanderesse laissent entendre que le chef Skead a toujours voulu participer à l'audience et que sa présence était essentielle au règlement équitable du différend dont l'arbitre était saisi. Toutefois, le chef était absent.

Absence de préavis


[9]                 La demanderesse affirme que le chef Skead n'a été mis au courant de l'audience qu'au moment où il a reçu les motifs de la décision, environ une semaine après l'audience. Toutefois, la réceptionniste du bureau de la bande, Irene Skead, déclare dans son affidavit en date du 11 novembre 1999 qu'elle avait informé le chef de la nouvelle date d'audience peu de temps après s'être entendue par téléphone avec l'arbitre à ce sujet (paragraphe 7 et paragraphes suivants). Pendant le contre-interrogatoire, elle a déclaré que le chef Skead avait expressément demandé que l'audience ait lieu à cette date. Irene Skead dit qu'en recevant la lettre de confirmation de l'arbitre en date du 30 juillet 1999, elle a placé une copie de la lettre sur le bureau du chef Skead et qu'elle a inscrit la date dans le calendrier de bureau de celui-ci (paragraphes 8 et 10). Elle déclare également avoir porté la lettre à l'attention de Linda Copenace.

[10]            Irene Skead affirme qu'elle a rappelé à plusieurs reprises la date de l'audience au chef Skead, mais que celui-ci ne lui a jamais demandé de faire changer la date. Elle déclare avoir de nouveau rappelé au chef que l'audience devait avoir lieu le matin même de l'audience, mais il lui a répond que [TRADUCTION] « ce n'était pas important » (paragraphes 9 et 10). Le chef Skead nie avoir été informé de la date de l'audience, et il nie avoir dit que l'audience n'était pas importante.

[11]            Dans son affidavit, le chef Skead déclare qu'en apprenant que l'audience avait été reportée au 31 août 1999, soit le même jour que la rencontre avec le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien à Sioux Narrows, il a [TRADUCTION] « demandé qu'un membre du personnel du bureau de la bande » prenne des dispositions pour que la date de l'audience soit reportée. Il ne dit pas expressément à qui il a demandé de le faire. De plus, pendant le contre-interrogatoire, l'avocat de la défenderesse a effectivement démontré que le chef Skead ne se rappelle pas précisément avoir fait cette demande. Étant donné que l'audition de l'affaire devant la Cour, le 2 mai 2001, n'a duré qu'une demi-journée, la transcription est peu abondante, mais elle est dans l'ensemble importante. Les faits relatifs à l'audience qui a eu lieu devant l'arbitre le 31 août 1999, lesquels sont relatés aux pages 56 à 71, sont révélateurs.


[12]            Le chef Skead n'a jamais assuré le suivi de la demande qu'il avait faite pour que la date de l'audience soit reportée, mais il a plutôt supposé que sa directive, en admettant qu'il en ait donné une, avait été suivie. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il n'avait pas remarqué que la date de l'audience était encore inscrite dans son calendrier, il a fait remarquer qu'il avait trois calendriers et qu'on les avait enlevés de son bureau, mais il ne se rappelait pas à quel moment on les avait enlevés. Quant à la question de savoir pourquoi il n'avait jamais reçu la lettre qu'Irene Skead, selon ce qu'elle dit, avait laissée sur son bureau, le chef Skead a répondu que d'habitude Irene Skead portait les lettres à l'attention de la personne concernée, et ce, peu importe le destinataire de la lettre. Il supposait qu'Irene Skead avait porté la lettre à l'attention de Linda Copenace, et il supposait qu'Irene Skead avait informé Linda Copenace du changement de date. Toutefois, Linda Copenace a déclaré qu'habituellement, Irene Skead transmettait le courrier au chef et au conseil et à personne d'autre.


[13]            La crédibilité du chef Skead laisse à désirer. Dans son affidavit, le chef Skead déclare que les employés licenciés enlevaient ou détruisaient bien souvent délibérément leurs dossiers, ce qui avait notamment été le cas pour Dorothy Kakeway. Aucune preuve n'a été présentée pour démontrer que les employés licenciés étaient coupables de sabotage. En outre, pendant le contre-interrogatoire, il est devenu apparent que le chef Skead n'avait en fait jamais vu ces dossiers et qu'il avait en fait supposé qu'ils existaient. Il ne se rappelait pas avoir vu le dossier de Dorothy Kakeway. En outre, il a supposé que le personnel du bureau de la bande versait les documents appropriés dans les dossiers appropriés. Malgré ce manque de connaissance personnelle, il a néanmoins déclaré dans son affidavit que les employés licenciés détruisaient les documents.

[14]            L'alinéa 242(2)b) du Code canadien du travail prévoit que l'arbitre fixe lui-même sa procédure, sous réserve de l'obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations. La demanderesse affirme que l'alinéa 242(2)b) confère le droit d'être avisé de la date de l'audience, le droit de présenter des observations orales pendant l'audience et le droit de demander un ajournement pour un motif valable. Il s'agit de droits légitimes, qui dépendent dans une large mesure, aux fins de leur exercice, de la conduite même de la partie en cause.

[15]            La demanderesse soutient que lorsqu'une partie n'a pas été avisée de la tenue d'une audience, le refus d'ajourner l'audience constitue une violation du principe audi alteram partem et constitue un déni d'équité procédurale. À l'appui de cet argument, elle mentionne la décision Roché Percée Coal Mines Union, Local 1623 c. Manalta Coal Ltd. (1990) 84 Sask. R. 212, et plus précisément le passage suivant tiré de l'arrêt Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643 :


[...] la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l'audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n'appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d'hypothèses sur ce qu'aurait pu être le résultat de l'audition.

[16]            On peut difficilement contester cet énoncé du droit, mais il est possible de faire une distinction à l'égard de la décision Roché Percée Mines Union, Local 1623, précitée. En effet, selon la preuve non contredite dont disposait la cour dans cette affaire, l'un des participants n'avait jamais été informé de la date et du lieu de l'audience. Or, en l'espèce, la preuve démontre que la bande et le chef lui-même avaient de fait été avisés de la date de l'audience.

[17]            La demanderesse cite l'arrêt Jim Patrick Ltd. c. United Stone & Allied Products Workers of America (1959), 21 D.L.R. (2d) 189 (C.A. Sask.), à l'appui de la thèse selon laquelle un déni d'équité procédurale est commis lorsque le mandant n'est pas au courant de l'audience et qu'il ne donne pas d'instructions au sujet des observations à présenter. Toutefois, il est également possible de faire une distinction à l'égard de l'arrêt Jim Patrick Ltd., précité, parce que les deux administrateurs de la société en cause avaient déclaré sous serment qu'ils ne savaient rien de l'audience tenue par la Labour Relations Board. Par contre, dans ce cas-ci, la preuve démontre que plusieurs employés du bureau de la bande étaient au courant de l'audience.


[18]            Enfin, la demanderesse mentionne l'arrêt Re Sreedhar c. Outlook Union Hospital Board et al. (1972), 32 D.L.R. (3d) 491 (C.A. Sask.), à l'appui de la thèse selon laquelle les règles d'équité procédurale sont violées lorsqu'une décision est rendue sans que la partie touchée soit autorisée à y assister et à présenter sa preuve. Il est possible de faire une distinction à l'égard de l'arrêt Re Sreedhar, précité, parce que, dans ce cas-là, les règlements de l'hôpital prévoyaient que le membre qui faisait l'objet d'accusations pouvait comparaître devant le conseil d'administration de l'hôpital pour se défendre. Or, dans ce cas-ci, l'alinéa 242(2)b) du Code canadien du travail prévoit que l'arbitre fixe lui-même sa procédure, sous réserve de l'obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations. En l'espèce, l'arbitre a de fait donné à chaque partie la possibilité de présenter des éléments de preuve avant et après l'audience.

[19]            La demanderesse soutient que l'équité procédurale est violée lorsqu'une partie demande à son mandataire d'obtenir un ajournement et que, parce que ses instructions ne sont pas suivies, une décision défavorable est rendue sans que la partie concernée puisse soumettre sa preuve. En premier lieu, dans ce cas-ci, il n'est pas certain que le chef Skead ait ordonné qu'un ajournement soit demandé. En second lieu, c'est la directrice de l'exploitation de la bande, Linda Copenace, qui a présenté la preuve à l'arbitre.


[20]            L'incompétence interne de la bande, lorsqu'il s'est agi de se préparer aux fins de l'audience, ne constitue pas une absence d'avis. Plusieurs membres de la bande étaient au courant de la date de l'audience, y compris Irene Skead et Linda Copenace. Il est contesté que le chef Skead ait réellement demandé que la date soit changée, mais il est clair que le chef Skead n'a jamais fait le suivi afin de s'assurer que sa directive était observée. La Cour ne retient pas la prétention de la demanderesse selon laquelle l'équité procédurale a été violée à cause de la mauvaise administration interne de la bande.

Mesures prises par la directrice de l'exploitation

[21]            La demanderesse soutient que, pendant la période pertinente, la directrice de l'exploitation de la bande, Linda Copenace, était chargée de coordonner la réponse donnée par la bande à la suite de la plainte. Elle affirme que Mme Copenace ne s'est pas acquittée de ses obligations, et ce, à son détriment. Plus précisément, Mme Copenace n'a pas assisté à l'audience, et elle a induit l'arbitre en erreur après l'audience. La demanderesse soutient qu'à cause de la conduite de Mme Copenace, la bande s'est vu refuser la possibilité de présenter des observations à l'arbitre.

[22]            La demanderesse soutient que le chef Skead était chargé de superviser le fonctionnement du bureau de la bande et que Linda Copenace était chargée de responsabilisés précises telles que le traitement de la réponse donnée par la bande à la suite de la plainte. Le chef Skead a déclaré qu'à son avis, son travail consistait à faire en sorte que [TRADUCTION] « les gens fassent leur travail » . Toutefois, Linda Copenace nie qu'il lui ait incombé de s'occuper des questions d'emploi. Elle affirme qu'elle devait principalement s'occuper des créanciers de la bande et qu'elle ne prenait jamais de décisions en matière de gestion ou de contrats de travail.


[23]            Linda Copenace déclare avoir été au courant de la plainte déposée par Dorothy Kakeway et avoir présenté une réponse pour le compte de la bande. Toutefois, elle déclare avoir déposé la réponse parce que le chef n'était pas présent au bureau de la bande pour répondre au téléphone à ce moment-là. Elle affirme n'avoir jamais reçu d'instructions précises au sujet de ce qu'elle devait faire à l'égard de la plainte. Elle déclare n'avoir jamais été en cause lorsqu'il s'était agi de fixer les dates d'audience et ne pas avoir été informée des changements de date. Elle ne s'est jamais entretenu de l'affaire avec le chef et il n'a jamais été question du fait qu'elle aurait peut-être à témoigner à l'audience. Elle supposait que le chef s'occupait lui-même de l'affaire.

[24]            Le chef Skead a déclaré qu'il supposait que Linda Copenace faisait son travail, ce qui comprenait à son avis la coordination de la réponse donnée par la bande à la suite de la plainte. Toutefois, il n'a jamais expressément informé Mme Copenace de cette responsabilité. En fait, il ne s'est jamais entretenu de l'affaire avec elle, ne serait-ce que pour confirmer qu'il assisterait à l'audience. Il n'est pas ingénieux pour le chef Skead de dire que Linda Copenace ne faisait pas son travail puisqu'il ne semblait pas faire le sien non plus. Selon ce qu'il a lui-même dit, son travail consistait à faire en sorte que Linda Copenace s'acquitte de ses tâches. Une brève rencontre aurait confirmé qu'aucune mesure n'était prise. En l'absence de discussion entre le chef et Linda Copenace, la demanderesse ne peut pas sérieusement alléguer que le blâme est entièrement imputable à cette dernière.


Preuve soumise par la demanderesse

[25]            Le chef Skead affirme maintenant qu'il a toujours eu l'intention d'assister à l'audience puisque sa présence était essentielle. Il a déclaré que [TRADUCTION] « les gens s'attendaient pour une raison ou une autre à ce qu'il soit là » , et il fait remarquer que la lettre de l'arbitre lui était adressée. Toutefois, il n'a jamais rencontré qui que ce soit pour discuter de l'audience, et la lettre qu'il mentionne est une lettre qu'il nie avec véhémence avoir vue avant l'audience. Enfin, il déléguait régulièrement ce type de responsabilité à d'autres personnes. Ses actions ne sont pas celles d'une personne qui voulait participer à cette procédure, et les prétentions qu'il a faites après coup ne sont pas crédibles.

[26]            La demanderesse cherche à ce qu'on lui pardonne les actions de la directrice de l'exploitation, Linda Copenace, qui était ostensiblement autorisée à présenter des observations pour le compte de la bande. C'était elle qui avait initialement soumis la réponse de la bande; dans l'avis d'audience, il était expressément fait mention de sa participation; le chef Skead a supposé qu'elle s'occupait de l'affaire; de plus, c'est elle qui a répondu à l'arbitre après l'audience. Rien ne montrait d'une façon apparente que Linda Copenace n'était pas autorisée à agir pour le compte de la bande.


[27]            En sa qualité de représentante de la bande, Linda Copenace et l'arbitre se sont entretenus de l'affaire le 1er septembre 1999. À la suite de cette conversation, Mme Copenace a communiqué avec la directrice des services d'éducation de la bande, Margaret Skead, et a rassemblé les documents pertinents, qu'elle a ensuite transmis à l'arbitre. La demanderesse ne saurait laisser entendre que Linda Copenace avait agi par malveillance parce qu'elle n'avait pas consulté le chef au sujet des observations, alors que le chef ne s'était jamais intéressé à l'affaire. Le fait que la bande n'est pas satisfaite de son rendement est une question interne. L'arbitre a donné à la demanderesse la possibilité de présenter des éléments de preuve, ce qu'elle a fait, et la décision de l'arbitre démontre qu'il a minutieusement analysé les observations.

Résumé

[28]            La preuve démontre que la bande n'a pas comparu à l'audience à cause de sa propre mauvaise gestion. L'omission de la bande de présenter des observations à l'audience résultait de l'inattention du personnel administratif, et notamment du chef et de la directrice de l'exploitation.


[29]            L'alinéa 242(2)b) du Code canadien du travail prévoit que l'arbitre fixe lui-même sa procédure, sous réserve de l'obligation de donner à chaque partie toute possibilité de présenter des éléments de preuve et des observations. Une partie qui n'assiste pas à une audience à cause de sa propre mauvaise gestion ne peut pas par la suite se plaindre qu'elle n'a pas eu la possibilité de présenter sa preuve. L'arbitre signale qu'il a eu une conversation téléphonique avec Linda Copenace au sujet de l'existence d'un contrat de travail et qu'il a reçu plusieurs documents au sujet de l'affaire en cause. Étant donné la conduite adoptée par la bande dans ce cas-ci, et puisque l'arbitre a reçu la preuve des deux parties, la Cour conclut que les règles d'équité procédurale n'ont pas été violées.

5. Enquête ex parte

[30]            La demanderesse soutient que les actions de l'arbitre après l'audience constituent une enquête ex parte qui a eu pour effet de lui refuser le droit à une audience équitable. La demanderesse mentionne l'arrêt Kane c. Conseil d'administration de l'Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105 à l'appui de sa position. Dans l'affaire Kane, précitée, un président d'université qui avait imposé une suspension s'était présenté à l'audition de l'appel en sa qualité de membre du conseil d'administration et avait fourni des renseignements additionnels au conseil après la clôture de l'audience, même s'il n'avait pas participé aux discussions et même s'il n'avait pas voté. Le conseil a confirmé la suspension. Monsieur le juge Dickson a dit ce qui suit, à la page 1113 :


5. C'est un principe fondamental de notre droit qu'à moins d'être autorisée à agir ex parte de façon expresse ou nettement implicite, une juridiction d'appel ne doit pas avoir d'entretiens privés avec les témoins [...] ou, a fortiori, entendre des témoignages en l'absence de la partie dont la conduite contestée fait l'objet de l'examen. Cette partie doit, selon lord Denning dans Kanda v. Government of the Federation of Malaya, [...] [TRADUCTION] « ... connaître la preuve réunie contre [elle]. [Cette dernière] doit être informé[e] des témoignages et des déclarations qui l'intéressent et avoir la possibilité de les rectifier ou de les contredire... quiconque appelé à rendre une décision ne doit pas recueillir des témoignages ou entendre des arguments d'une partie dans le dos de l'autre. » [...]

[...]

6. La Cour ne cherchera pas à savoir si la preuve a de fait joué au détriment de l'une des parties; il suffit que cette possibilité existe. [...] En l'espèce, la Cour ne peut conclure qu'aucun préjudice n'était possible car elle ne sait pas quels éléments de preuve ont réellement été fournis par le président Kenny après l'ajournement pour le dîner. [...] Nous ne sommes pas concernés ici par la preuve de l'existence d'un préjudice réel mais plutôt par la possibilité ou la probabilité qu'aux yeux des gens raisonnables, il existe un préjudice.

[31]            L'arbitre estimait que Linda Copenace ne disait pas la vérité lorsqu'elle lui a parlé, le 1er septembre 1999, et il a fait une inférence défavorable à son encontre. Linda Copenace affirme avoir été mal comprise, n'avoir jamais dit à l'arbitre qu'elle était malade le jour de l'audience et n'avoir jamais dit que la rencontre, à Sioux Narrows, avait été organisée soudainement. La Cour ne peut pas souscrire à la description des actions de l'arbitre donnée par la demanderesse, à savoir qu'il s'agit d'une enquête ex parte, mais il existait néanmoins de la confusion au cours de la conversation téléphonique qui a eu lieu le 1er septembre 1999. L'arbitre a expliqué ses actions à la page 2 de sa décision et, même si les mesures qu'il a prises étaient raisonnables eu égard aux circonstances, il aurait dû fournir à Linda Copenace la possibilité de répondre avant de faire une inférence défavorable. Ceci dit, l'arbitre a uniquement examiné la preuve documentaire pour arriver à sa décision, et il n'a pas appliqué l'inférence qu'il avait faite à l'encontre de la demanderesse.


[32]            Dans l'affaire Association canadienne de télévision par câble c. American College Sports Collective of Canada, Inc., [1991] 3 C.F. 626 (C.A.), une demande avait été présentée en vue de faire annuler une décision de la Commission du droit d'auteur. À l'issue de l'audience, le commissaire dissident avait obtenu certains renseignements additionnels; aucun de ces renseignements n'était défavorable à la demanderesse. La demanderesse a soutenu que le principe audi alteram partem avait été violé en raison de l'obtention, en dehors du cadre des audiences, d'éléments de preuve auxquels elle n'avait pas eu l'occasion de répondre.

[33]            La Cour d'appel fédérale a rejeté la demande, en statuant que le principe audi alteram partem n'avait pas été violé. Même si les actes du commissaire dissident pouvaient être imputés à la Commission dans son ensemble, une erreur attribuable à la Commission serait sans conséquence et ne devrait pas justifier l'annulation de la décision. La Cour a statué que la Commission avait agi équitablement envers la demanderesse et qu'il devait y avoir une possibilité réelle que le résultat soit différent. La plupart des renseignements obtenus par le commissaire dissident ne faisaient que répéter ou compléter ce qui s'était dit aux audiences et n'avaient pas eu d'influence sur la décision de la majorité. Pour que la Cour conclue que le principe audi alteram partem a été violé, il devait être établi que la Commission s'était dans une certaine mesure fondée sur les renseignements. La Cour a statué qu'une ou même plusieurs erreurs de droit sans conséquence, qui pourraient ne rien changer au résultat, ne l'oblige pas à annuler une décision.


[34]          La Cour d'appel fédérale s'est reportée à l'arrêt Kane c. Conseil d'administration de l'Université de la Colombie-Britannique, précité, à la page 648; elle a dit qu'un tribunal ne chercherait pas à savoir si la preuve jouait au détriment de l'une des parties lorsqu'elle pourrait l'avoir fait. En d'autres termes, le tribunal cherche à savoir si la preuve peut avoir joué au détriment de l'une des parties. L'existence d'un préjudice réel ou d'une possibilité de préjudice suffit pour constituer une violation du principe audi alteram partem.

[35]            À la page 650, la Cour d'appel fédérale a dit ce qui suit :

[39] Le principal facteur qui milite contre l'argument de la requérante réside toutefois dans le fait qu'il n'y a pas la moindre preuve que les renseignements obtenus par M. Latraverse ont eu une influence quelconque sur la décision de la Commission, c'est-à-dire sur la décision des commissaires majoritaires. Deux des commissaires majoritaires ont semblé savoir que M. Latraverse avait obtenu des renseignements complémentaires, sans pour autant en connaître la teneur. Dans la décision de la Commission, on ne fait pas la moindre allusion, directe ou indirecte, à des éléments de preuve obtenus en dehors du cadre des audiences. M. Latraverse a tout simplement pris l'initiative d'une démarche qui ne semble nullement avoir influencé l'opinion de la majorité.

[40] Non seulement aucun tribunal n'a statué que les activités indépendantes d'un commissaire dissident peuvent, pour cette seule raison, vicier les délibérations de la majorité, mais je pense que la décision rendue par la présente Cour dans l'arrêt Canadien Pacifique appuie la thèse selon laquelle une partie requérante doit établir que la Commission « s'est fiée au moins dans une certaine mesure à l'information » en question (à la page 757). En l'occurrence, rien ne permet de tirer cette conclusion, bien au contraire.

[41] Une dernière précision mérite peut-être d'être donnée: l'existence d'une ou même de plusieurs erreurs de droit sans conséquence, qui pourraient ne rien changer au résultat, n'oblige pas la Cour à annuler une décision aux termes de l'alinéa 28(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale. Dans l'arrêt Schaaf c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1984] 2 C.F. 334, à la page 342, le juge Hugessen de la Cour d'appel, après avoir cité le paragraphe 28(1), a fait le commentaire suivant:

À mon avis, il s'agit là de rien d'autre qu'une disposition attributive de compétence. Elle confère à la Cour le pouvoir d'annuler les décisions entachées de l'un des vices mentionnés, sans pour autant lui imposer l'obligation de le faire dans chaque cas.


C'est ce qui se dégage aussi, d'après moi, de la formulation de l'article 52 qui énonce les possibilités qui s'offrent à la Cour dans le cadre d'une demande fondée sur l'article 28. L'article 52 débute de la façon suivante: « La Cour d'appel peut ... » . Ces mots créent manifestement une faculté et rien n'indique que la Cour est tenue d'agir chaque fois qu'elle conclut à l'existence d'une erreur de droit.

Ce n'est pas là dire que la Cour peut refuser d'exercer la compétence que lui attribuent les articles 28 et 52; c'est simplement que les termes de la Loi ne l'obligent pas à accorder le redressement sollicité s'il n'y a pas lieu de le faire. On peut sans doute prétendre que la Loi confère certains droits au requérant, mais elle le fait par l'attribution de pouvoirs à la Cour et il appartient exclusivement à celle-ci de déterminer si, dans un cas d'espèce, ces pouvoirs doivent être exercés.

Selon moi, la Commission n'a commis aucune erreur de droit en contrevenant à la règle audi alteram partem en l'espèce, mais dans l'hypothèse où les actes de M. Latraverse pourraient, pour une raison ou pour une autre, être imputés à la Commission dans son ensemble, je pense qu'une erreur attribuable à la Commission serait sans conséquence, constituerait un simple manquement à la procédure, et ne devrait pas justifier l'annulation de la décision. Dans toutes les causes citées, il fallait qu'il y ait une réelle possibilité que le résultat soit modifié.

[42] Comme l'a dit le juge Dickson (alors juge puîné) dans Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, à la page 631 :

8. En conclusion, la simple question à laquelle il faut répondre est celle-ci: compte tenu des faits de ce cas particulier, le tribunal a-t-il agi équitablement à l'égard de la personne qui se prétend lésée? Il me semble que c'est la question sous-jacente à laquelle les cours ont tenté de répondre dans toutes les affaires concernant la justice naturelle et l'équité.

Il ne fait aucun doute que dans la présente espèce, la Commission a agi équitablement envers la requérante.


[36]            L'arrêt Rudolph Hans Schaaf c. MEI, [1984] 2 C.F. 334 (C.A.), qui a été cité par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Association canadienne de télévision par câble, précité, se rapportait à une demande d'annulation d'une mesure d'expulsion. Après avoir informé le demandeur qu'il aurait la possibilité de présenter des preuves et de faire des observations, l'arbitre a refusé d'accepter la reconnaissance du demandeur de l'exactitude de l'allégation faite contre lui et a pris une mesure d'expulsion sans accorder au demandeur la possibilité de présenter des preuves ou de faire des observations. Le demandeur a allégué que l'arbitre avait commis une erreur de droit en ce sens qu'il n'avait pas suivi la procédure établie par la loi. La question dont la Cour d'appel fédérale était saisie était de savoir si la Cour, ayant conclu à l'existence d'une erreur de droit, était tenue d'annuler la décision même s'il s'agissait d'une erreur insignifiante qui n'avait eu aucune incidence sur la décision. La Cour a rejeté la demande. Monsieur le juge Hugessen a statué que l'arbitre avait commis des erreurs de droit, mais que ces erreurs n'avaient eu aucune incidence sur l'issue de l'enquête; Monsieur le juge Mahoney souscrivait à son avis. La Cour a statué que le paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale n'était rien d'autre qu'une disposition attributive de compétence. Cette disposition conférait à la Cour le pouvoir d'annuler les décisions, sans pour autant lui imposer l'obligation de le faire dans chaque cas. La loi conférait certains droits au demandeur, mais elle le faisait par l'attribution de pouvoirs à la Cour, et il appartenait à celle-ci de déterminer si, dans un cas particulier, ces droits devaient être exercés.

[37]            Après avoir examiné les faits de l'affaire, le juge Hugessen a dit ce qui suit à la page 341 :

Toutefois, je tiens pour incontestable que ces erreurs n'ont pu avoir et n'ont eu aucun effet sur l'issue de l'enquête. Compte tenu de l'aveu fait par l'avocat, aveu que M. Schaaf a lui-même confirmé, l'esprit humain, si inventif soit-il, est tout simplement impuissant à concevoir une preuve ou un argument qui aurait pu amener l'arbitre à une décision différente.

Le paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale habilite cette Cour à examiner et à annuler les décisions du type dont il s'agit en l'espèce. [...]

[...]

À mon avis, il s'agit là de rien d'autre qu'une disposition attributive de compétence. Elle confère à la Cour le pouvoir d'annuler les décisions entachées de l'un des vices mentionnés, sans pour autant lui imposer l'obligation de le faire dans chaque cas.

C'est ce qui se dégage aussi, d'après moi, de la formulation de l'article 52 qui énonce les possibilités qui s'offrent à la Cour dans le cadre d'une demande fondée sur l'article 28. L'article 52 débute de la façon suivante: « La Cour d'appel peut... » Ces mots créent manifestement une faculté et rien n'indique que la Cour est tenue d'agir chaque fois qu'elle conclut à l'existence d'une erreur de droit.


Ce n'est pas là dire que la Cour peut refuser d'exercer la compétence que lui attribuent les articles 28 et 52; c'est simplement que les termes de la Loi ne l'obligent pas à accorder le redressement sollicité s'il n'y a pas lieu de le faire. On peut sans doute prétendre que la Loi confère certains droits au requérant, mais elle le fait par l'attribution de pouvoirs à la Cour et il appartient exclusivement à celle-ci de déterminer si, dans un cas d'espèce, ces pouvoirs doivent être exercés.

Tout autre point de vue, à ce qu'il me semble, mènerait à des absurdités qui n'ont pu être dans les intentions du législateur. La présente espèce en est un bon exemple. J'ai qualifié d'erreur de droit l'opinion de l'arbitre qu'il ne pouvait tenir compte de l'aveu de M. Schaaf quant à l'exactitude des allégations faites contre lui. Si cela avait été son unique erreur et si l'arbitre, après avoir entendu les témoins produits par l'agent chargé de présenter le cas, avait, conformément aux articles 32 et 34 du Règlement, accordé à M. Schaaf et à son avocat la possibilité d'apporter des preuves et de présenter des arguments, on ne saurait sérieusement prétendre que cette erreur devrait entraîner l'annulation de la décision. À mon avis, la situation ne change pas du fait que d'autres erreurs, tout aussi insignifiantes, viennent s'ajouter à la première. Qu'on les prenne séparément ou ensemble, elles n'ont pu avoir aucune incidence sur l'issue de l'enquête. Pour reprendre les termes de l'alinéa 28(1)b), ce ne sont pas des erreurs commises lorsqu'on « a rendu » la décision.

[...]

[...] Selon moi, les considérations qui ont amené les cours à conclure au caractère discrétionnaire de ces recours s'appliquent de la même façon au recours prévu par l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. L'exercice légitime de ce pouvoir discrétionnaire en l'espèce entraînera inévitablement le refus du recours sollicité pour le motif que l'erreur invoquée n'est qu'une irrégularité de procédure qui ne tire pas à conséquence.

[38]            Dans la décision Popov c. MEI (1994), 75 F.T.R. 93 (1re inst.), après avoir examiné les arrêts Schaaf, précité, et Association canadienne de télévision par câble, précité, Madame le juge Reed a dit ce qui suit à la page 96 :

[22] La Cour d'appel fédérale a appliqué l'arrêt Schaaf non seulement dans les affaires d'irrégularité en matière de procédure mais également aux affaires qui portent sur une erreur de droit relative à un point important. Par exemple, dans l'arrêt Ramirez c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1992] 2 C.F. 306, le juge MacGuigan a conclu aux pages 323 et 324 :

Le passage précité ne permet pas de discerner clairement le critère juridique appliqué par la section pour statuer que l'appelant était un complice... La section, [...], a invoqué cette notion de façon si générale et appliqué une norme si vague qu'il nous faut conclure qu'elle a commis une erreur de droit, annuler sa décision et lui renvoyer l'affaire pour redétermination, à moins qu'il ne soit possible d'affirmer qu'aucun tribunal correctement instruit, utilisant la méthode d'interprétation appropriée, n'aurait pu parvenir à une conclusion différente. ...


[39]            Dans la décision Samhat c. MEI (1994), 80 F.T.R. 315 (1re inst.), une demande avait été présentée en vue du contrôle judiciaire d'une décision rendue par un tribunal de la section du statut de réfugié. Madame le juge Simpson a accueilli la demande, même si le tribunal avait commis des erreurs susceptibles de révision. Le juge a cité les arrêts Sorobey c. Canada (Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique), [1987] 1 C.F. 219 (C.A.) et Association canadienne de télévision par câble, précité, et elle a statué ce qui suit à la page 318 :

[16] Toutefois, la question n'est pas de savoir s'il y a eu erreur, mais de décider si cette erreur a des conséquences importantes ou déterminantes. Autrement dit, il s'agit de savoir si je suis convaincue qu'en l'absence de cette erreur la décision de la Commission aurait été la même.

[40]            Dans la décision Dubé c. Lepage (1997), 3 Admin. L.R. (3d) 99 (C.F. 1re inst.), Monsieur le juge Teitelbaum a dit ce qui suit, à la page 113 :

[45] À mon avis, donc, le Directeur a erré dans son interprétation de l'alinéa 7(3)e) de la Loi en écrivant que "le partage sera refusé seulement dans les circonstances exceptionnelles....". Toutefois, cette erreur est assez modeste et pourrait ne rien changer au résultat. Je conclus donc qu'en dépit de l'erreur de droit, le contrôle judiciaire n'est pas justifié en l'espèce.

[41]            Après avoir examiné le principe énoncé dans l'arrêt Association canadienne de télévision par câble, précité, le juge ajoute ce qui suit, à la page 114 :

[46] La Cour a régulièrement appliqué le principe cité ci-haut qu'une erreur de droit sans conséquence, qui pourrait ne rien changer au résultat n'oblige pas la Cour à annuler une décision... Le juge Reed a également noté à la page 248 de la cause Popov que ce principe est applicable « non seulement dans les affaires d'irrégularité en matière de procédure mais également aux affaires qui portent sur une erreur de droit relative à un point important » .

[47] À mon avis, l'erreur de droit commise par le Directeur est un exemple d'une erreur sans conséquence, qui pourrait ne rien changer au résultat. Le Directeur a écrit dans sa décision, "..je ne suis pas convaincu que le partage est injuste à cause des répercussions financières auprès de M. Dubé". Autrement dit, malgré le fait que le Directeur invoquait les circonstances exceptionnelles, la décision est basée sur la question du caractère injuste ou non du partage. [...]

[42]            Enfin, dans la décision Nooshinravan c. MCI, 2001 CFPI 598, [2001] A.C.F. no 909 (QL), Monsieur le juge Blanchard dit ce qui suit :


[11] Le demandeur allègue que l'agente des visas a manqué à l'équité procédurale en poursuivant l'entrevue dans l'ascenseur une fois l'entrevue officielle terminée. Dans son affidavit du 15 janvier 2000, le demandeur fait la déclaration suivante :

[TRADUCTION] Je suis alors parti; j'ai rencontré l'agente des visas dans l'ascenseur. Il y avait une autre personne dans l'ascenseur et l'agente des visas lui a demandé de me demander ce qu'est la « sculpture sur bois » . J'ai répondu que l'on se sert de ses mains et de machines pour la conception de produits en bois.

[43]            Après avoir examiné l'arrêt Association canadienne de télévision par câble, précité, le juge ajoute ce qui suit :

[12] À mon avis, le même raisonnement devrait s'appliquer en l'espèce. Une conversation, dans un ascenseur, n'équivaut pas à un manquement à l'équité procédurale si le demandeur ne peut pas démontrer que la conversation était de fait une continuation de l'entrevue et qu'elle a influé d'une façon défavorable sur la décision de l'agente des visas. Le demandeur n'a pas démontré que l'agente des visas s'était fondée sur les renseignements qu'elle avait censément obtenus dans l'ascenseur et que la chose avait de quelque façon influé sur sa décision, de sorte que ce présumé événement est sans conséquence.

[44]            La Cour a examiné les motifs de l'arbitre au complet et elle conclut que les arrêts susmentionnés s'appliquent en l'espèce. L'arbitre a eu tort de ne pas permettre à Linda Copenace de faire valoir son point de vue au sujet de la façon dont il considérait leur conversation. Toutefois, en arrivant à ses conclusions, l'arbitre examine simplement les documents qui ont été soumis par Linda Copenace, et il n'applique pas l'inférence qu'il a faite contre elle. Le fait que l'arbitre n'a jamais de nouveau parlé à Linda Copenace constitue simplement une erreur de droit théorique qui n'aurait rien changé au résultat de l'audience. Comme il en a été fait mention dans l'arrêt Association canadienne de télévision par câble, précité, il n'existait pas de possibilité réelle que la chose influe sur le résultat. Par conséquent, la Cour refuse d'intervenir en se fondant sur ce motif.


6. Montant adjugé

[45]            Enfin, la demanderesse soutient que la décision de l'arbitre est manifestement déraisonnable parce que l'arbitre n'a pas déduit certaines dépenses qui auraient réduit le montant net gagné par la défenderesse si ses services professionnels avaient été fournis au cours de cette période. La demanderesse soutient que l'arbitre n'a pas tenu compte du fait que, selon une condition de travail, la défenderesse devait en tout temps fournir un véhicule approprié, et que tous les frais relatifs aux permis, aux assurances, au financement, à l'huile, à l'essence, à l'entretien, au nettoyage et aux réparations devaient être payés par la défenderesse à l'aide du salaire que la bande lui versait.

[46]            La défenderesse soutient qu'un arbitre qui agit en vertu de l'article 242 du Code canadien du travail se voit conférer un large pouvoir lorsqu'il s'agit de trouver une réparation à la suite d'un congédiement injuste. La Cour est d'accord avec la défenderesse. La clause privative très forte figurant à l'article 243 du Code criminel du travail prévoit que les décisions de l'arbitre désigné en vertu de l'article 242 du Code canadien du travail sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires :

Caractère définitif des décisions

243. (1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

Interdiction de recours extraordinaires

(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire - notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto - visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.


[47]            Il est bien établi que la norme de contrôle, lorsqu'il s'agit de modifier la décision rendue par un arbitre en matière de dommages-intérêts en vertu de l'article 243 du Code canadien du travail, est celle de la décision manifestement déraisonnable. Cette norme a récemment été confirmée dans plusieurs décisions de la Cour, notamment : Fraser c. Banque de Nouvelle-Écosse (2000), 186 F.T.R. 225 (1re inst.), Gauthier c. Banque du Canada (2000), 191 F.T.R. 219 (1re inst.), Roe c. Rogers Cablesystems Ltd. (2000), 4 C.C.E.L. (3d) 170 (C.F. 1re inst.) et Charles c. la bande indienne du Lac la Ronge (2000), 192 F.T.R. 100 (1re inst.).

[48]            L'arbitre a cité les conditions de travail de la défenderesse à la page 7 de sa décision :

[TRADUCTION] Selon une condition de travail, la défenderesse devait en tout temps fournir un véhicule approprié, et tous les frais relatifs aux permis, aux assurances, au financement, à l'huile, à l'essence, à l'entretien, au nettoyage et aux réparations devaient être payés par Mme Kakeway à l'aide du salaire que la bande lui versait.

[49]            Étant donné que l'arbitre a examiné en détail le contrat de travail de la défenderesse et qu'il a conclu que les facteurs énoncés dans l'arrêt Wallace s'appliquaient en l'espèce, la Cour ne croit pas que l'octroi de douze mois de salaire en guise et lieu de préavis dans le cas d'une personne qui est employée depuis 17 ans soit manifestement déraisonnable. De fait, cette décision semble tout à fait raisonnable et la Cour refuse d'intervenir.


7. Conclusion

[50]            La demande est rejetée. Les dépens entre parties sont adjugés à la défenderesse, Mme Kakeway; à défaut d'entente entre les parties, ils doivent être taxés au maximum de la fourchette de la colonne IV du tarif B des Règles de la Cour.

« F. C. Muldoon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad.a.


                                                                                                            Date : 20010720

                                                                                                      Dossier : T-1777-99

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2001

En présence de Monsieur le juge Muldoon

ENTRE :

                                 LA NATION WAYZHUSHK ONIGUM

demanderesse

et

DOROTHY KAKEWAY

défenderesse

ORDONNANCE

La demande que la demanderesse a présentée en vue de faire annuler la décision de l'arbitre J.F. Reeh Taylor, en date du 6 septembre 1999, est rejetée, les dépens entre parties devant être payés à la défenderesse par la demanderesse au taux maximum de la colonne IV du tarif B des Règles de la Cour.

« F. C. Muldoon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad.a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      T-1777-99

INTITULÉ :                                                                     LA NATION WAYZHUSHK ONIGUM

c.

DOROTHY KAKEWAY

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 2 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                   Monsieur le juge Muldoon

DATE DES MOTIFS :                                                  le 20 juillet 2001

COMPARUTIONS :

M. Darcie Yale                                                                  POUR LA DEMANDERESSE

M. Bernd Richardt                                                             POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D'Arcy & Deacon

Winnipeg (Manitoba)                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Compton, Shewchuk

MacDonell, Ormiston, Richardt &

Fregeau

Kenora (Ontario)                                                               POUR LA DÉFENDERESSE

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