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Date : 2020 01 27


Dossier : IMM-406-19

Référence : 2020 CF 134

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 27 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

MENGZHE LYU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS


I.  Aperçu

[1]  Le présent contrôle judiciaire découle d’une nouvelle décision rendue à l’égard de la demande de résidence permanente de Mme Lyu. La demande de contrôle judiciaire fait suite à une décision rendue précédemment par laquelle la Cour a conclu à un manquement de l’équité procédurale dans le processus initial de la demande de résidence permanente. Cette deuxième fois, Mme Lyu soulève encore des arguments relatifs à l’équité procédurale. Je ne suis pas d’avis que ces arguments entraînent quelque erreur susceptible de contrôle que ce soit. Toutefois, Mme Lyu fait valoir à bon droit que l’agent des visas a commis des erreurs fondamentales entraînant une décision déraisonnable, laquelle exige que l’affaire soit renvoyée, à nouveau, pour qu’une troisième décision soit rendue.

II.  Historique de la demande de Mme Lyu

[2]  Mme Lyu est une citoyenne de la Chine. En 2014, elle a présenté une demande de résidence permanente au Canada, dans le cadre du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral) [le PTQF]. Mme Lyu fait partie du groupe de personnes ayant présenté une demande de contrôle judiciaire, qui a été accueillie, à l’encontre des décisions rendues par le bureau de Hong Kong [le bureau]; le bureau avait refusé leurs demandes de résidence permanente au Canada, au motif qu’elles avaient fait de fausses déclarations relativement à leurs liens avec une entreprise privée située en Chine et connue sous le nom de Beijing Fulai Weide Translation Co Ltd. (qui utilise également les dénominations sociales « Fulai Weide » et « FLYAbroad »). Le juge Southcott a conclu que l’agente initiale [la première agente] avait manqué à son devoir d’équité procédurale en rendant ses décisions sans avoir au préalable signifié aux demandeurs ses doutes à l’égard de leurs réponses aux lettres initiales relatives à l’équité procédurale et sans leur avoir donné la possibilité véritable de s’expliquer (Ge c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 594 [Ge], au para 4).

[3]  L’affaire Ge a été entendue, et une décision a ensuite été rendue, il y a plus de deux ans et demi. Bien que davantage de commentaires sur la décision Ge soient formulés ci‑dessous, il suffit pour l’instant de dire que la demande de résidence permanente de Mme Lyu a été renvoyée au bureau pour qu’un autre agent des visas [le deuxième agent] rende une nouvelle décision.

[4]  La présente demande de contrôle judiciaire de Mme Lyu vise la nouvelle décision [la décision], un autre refus, et découle en grande partie du deuxième entretien qui s’est tenu le 17 octobre 2017 à Hong Kong. L’avis de convocation en vue de ce deuxième entretien avisait Mme Lyu de se préparer à répondre aux questions sur ses qualifications au PTQF et de s’assurer que ses documents étaient à jour.

[5]  Toutefois, une fois de plus, l’entretien était uniquement centré sur les liens de Mme Lyu avec FLYAbroad. Lors de ce deuxième entretien, Mme Lyu a maintenu qu’elle avait eu recours à FLYAbroad uniquement pour les raisons suivantes : (i) la traduction, (ii) l’adressage, et (iii) le dépôt des documents au bureau, et non pas à titre de représentant non autorisé. Mme Lyu a affirmé qu’elle ne se souvenait pas exactement combien elle avait payé en contrepartie de ces services ni de ce qu’elle avait fait de sa facture.

[6]  Au moyen d’une lettre datée du 12 juin 2018, le bureau a avisé Mme Lyu qu’il avait des doutes relativement à sa demande, plus précisément en ce qui concerne ses liens avec FLYAbroad, et le bureau lui a donné l’occasion de produire d’autres observations. L’avocate principale de Mme Lyu (Me Ritter, qui n’a pas été en mesure de plaider le présent contrôle judiciaire) a répondu à cette lettre, le 10 juillet 2018. Me Ritter a présenté de longues observations détaillées, faisant notamment valoir que le deuxième agent avait à nouveau manqué à son devoir d’équité procédurale.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[7]  Dans une lettre datée du 21 novembre 2018, le deuxième agent a refusé la demande que Mme Lyu a présentée dans le cadre du PTQF en concluant que les explications de cette dernière ne dissipaient pas les doutes quant au fait que FLYAbroad n’était pas véritablement un représentant non autorisé. Le passage important des notes du Système mondial de gestion des cas [le SMGC], lequel fait partie de la décision, est libellé ainsi :

[TRADUCTION]

Certes, je comprends que la demanderesse principale semble avoir l’impression qu’elle n’a pas eu recours aux services d’un consultant ou d’un représentant en immigration, puisqu’elle a simplement eu recours aux services de traduction, d’examen des dossiers et de messagerie de Fulai Weide/FlyAbroad, et qu’elle n’avait donc pas besoin de produire le formulaire IMM5476. Le fait est qu’elle a utilisé l’adresse postale de Fulai Weide/FlyAbroad dans son formulaire de demande. Par conséquent, si sa demande avait été approuvée et qu’un visa ou une confirmation de résidence permanente avait été délivré, le bureau aurait envoyé les documents à cette adresse postale‑là. Ainsi, nous permettre de communiquer involontairement des renseignements personnels ou confidentiels de nos clients, sans l’autorisation adéquate, aurait entraîné une erreur dans l’application de cette loi et une violation de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je souligne que le fait d’autoriser Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) à envoyer des renseignements ou des documents confidentiels à une autre personne est clairement indiqué comme quelque chose que ferait un représentant, dans le formulaire IMM5476 et sur le site Internet d’IRCC.

[8]  En juillet 2015, le bureau a effectué une visite des installations de FLYAbroad et a conclu que l’entreprise était exploitée comme une entreprise de consultation en immigration dont les services sont payants. Le deuxième agent avait des doutes quant au fait que Mme Lyu [traduction« avait minimisé et continuait de minimiser ses liens avec FLYAbroad en ne reconnaissant pas qu’il était possible qu’elle ait obtenu plus de services qu’elle ne le prétendait, bien qu’elle ait fourni l’adresse postale de l’entreprise ». Étant donné que Mme Lyu continuait d’utiliser l’adresse de FLYAbroad, et compte tenu de la visite du bureau de Hong Kong dans les installations, le deuxième agent a déduit qu’il était probable que Mme Lyu avait eu des liens plus importants avec FLYAbroad qu’elle ne le prétendait, et il a conclu qu’elle ne s’était pas conformée à l’exigence du paragraphe 16(1) de répondre véridiquement à ses questions.

[9]  Le deuxième agent a conclu que Mme Lyu, lorsqu’elle a été interrogée, n’a pas divulgué qu’elle avait eu recours à un représentant pour préparer sa demande, ni dans le formulaire IMM5576 du gouvernement, ni dans sa réponse aux questions qui lui ont été posées pendant l’entretien. Ainsi, l’agent a conclu qu’elle n’avait pas dit la vérité sur cette question et a refusé la demande se fondant sur les articles 11 et 16 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] :

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

[...]

[...]

 

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

16 (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

IV.  Analyse

[10]  Mme Lyu soutient que : (1) l’avis de convocation portait atteinte à son droit à l’équité procédurale; (2) l’agent a rendu une décision déraisonnable sur la foi de la preuve. Les parties conviennent que ces deux questions litigieuses sont respectivement soumises à la norme de la décision correcte et à celle de la décision raisonnable, selon le cadre d’analyse récemment établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. L’arrêt Vavilov traite peu de la première norme de contrôle, il prend acte des arrêts de principe sur la norme de contrôle applicable aux questions relatives à l’équité procédurale, et il maintient le statu quo quant à la norme de la décision correcte (au para 23). Pour être raisonnable, la décision doit en posséder les caractéristiques, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et être justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci (au para 99). Il incombe au demandeur d’en démontrer le caractère déraisonnable (au para 100).

A.  Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale

[11]  Mme Lyu soutient que l’avis de convocation ne renvoyait pas au véritable doute, à savoir ses liens avec FLYAbroad, comme cela ressort du fait que c’était le seul élément central des questions du deuxième agent. Mme Lyu affirme que cela l’a empêché de se préparer adéquatement en vue de l’entretien. Elle a fait référence à la convocation comme étant une manœuvre [traduction« de diversion », en ce sens qu’elle croyait aller à l’entretien pour répondre aux questions sur ses qualifications dans le cadre du PTQF, mais elle a été surprise par une avalanche de questions sur son recours aux services de FLYAbroad. Elle maintient que, si elle avait connu le véritable but de l’entretien, elle aurait pu mieux s’y préparer, notamment en se remémorant les frais payés en contrepartie des services qu’elle avait reçus et en demandant sa facture.

[12]  Mme Lyu soutient qu’il est interdit qu’un agent retienne stratégiquement des renseignements de sorte qu’un demandeur ne sache pas quelle preuve il doit réfuter et ne puisse pas participer utilement à l’entretien. Elle fait observer que ce droit est un principe qui a été considéré comme sacré, même dans le contexte de la sécurité nationale où les agents de l’immigration sont tenus de divulguer autant que possible les allégations et les preuves d’interdiction de territoire, de sorte qu’un demandeur est « en mesure de participer utilement à l’entretien » (AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 134 [AB], au para 66). En d’autres termes, bien que l’obligation d’équité procédurale puisse être minime, un agent ne peut pas tromper un demandeur, comme ce fut le cas ici.

[13]  Je fais observer que l’obligation d’équité procédurale due à Mme Lyu dans le cadre de l’entretien mené à l’étranger en vue de l’obtention de sa résidence permanente se trouve à l’extrémité inférieure du spectre (Gur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1275, aux para 16 et 17). La lettre que Mme Lyu a reçue était une lettre type qui n’a pas été rédigée sur mesure pour correspondre à sa situation.

[14]  Compte tenu de ces deux réalités (le critère peu exigeant auquel sont soumis les entretiens du bureau des visas combiné à la lettre type), je conclus qu’il n’y a pas eu de tromperie. Quoi qu’il en soit, la jurisprudence a établi qu’un agent des visas peut divulguer la preuve extrinsèque (comme les renseignements au sujet de FLYAbroad) pendant l’entretien et donner l’occasion de clarifier la situation après l’entretien (Kunkel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 347, au para 11).

[15]  En bref, au moment du deuxième entretien, Mme Lyu connaissait bien le contexte, l’historique et les faiblesses de son dossier, et, précisément, les doutes pesant sur FLYAbroad qui ont mené à cet entretien. Il aurait donc dû être évident pour Mme Lyu que son historique avec FLYAbroad serait un sujet d’intérêt étant donné que, lors du précédent contrôle judiciaire, le juge Southcott a clairement indiqué qu’il ne statuait pas sur le fond de l’affaire, mais plutôt sur les éléments de l’affaire touchant à l’équité. Il a alors accueilli la demande de contrôle judiciaire, au motif que la première agente avait fondé sa décision sur des doutes dont les demandeurs n’avaient pas été informés et pour lesquels ils n’avaient donc pas eu de possibilité de s’expliquer.

[16]  En ce qui concerne la décision que Mme Lyu invoque principalement, dans l’affaire AB, l’agente s’est appuyée sur des éléments de preuve extrinsèques qui n’ont pas été divulgués au demandeur lors de l’entretien pour en définitive rejeter sa demande de résidence permanente. Le juge Noël a décidé que cela constituait un manquement aux droits du demandeur à l’équité procédurale. L’historique et la procédure dans la décision AB, examinés dans un contexte de sécurité nationale, étaient remarquablement distincts de ce qui s’est passé en l’espèce, en particulier parce que, dans la décision AB, lors de l’entretien, le demandeur ignorait la nature des doutes et tous les éléments de preuve documentaires et extrinsèques qui ont été utilisés contre lui.

[17]  C’était loin d’être le cas en l’espèce. Mme Lyu : (i) était au courant de la situation concernant FLYAbroad depuis la lettre initiale (juin 2015) relative à l’équité procédurale, et (ii) avait pleinement accès aux éléments de preuve en question, notamment les éléments de preuve extrinsèques relatifs à l’enquête sur FLYAbroad qui ont été produits lors du litige précédent, comme cela ressort du dossier dont dispose la Cour; de plus, elle avait également (iii) eu l’occasion de dissiper les doutes exprimés dans la deuxième lettre relative à l’équité procédurale.

[18]  Mme Lyu est allée à l’entretien bien informée et munie des éléments de preuve documentaire et contextuelle, y compris la décision détaillée du juge Southcott concernant la question litigieuse. Elle connaissait la preuve qui pesait contre elle. De plus, elle a eu l’occasion de combler toute lacune dans la lettre relative à l’équité procédurale après l’entretien (voir la décision Haider c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 686, aux para 18 à 22). Ces facteurs ont permis de s’acquitter de l’obligation d’équité procédurale relativement peu élevée.

[19]  Dès le début de la présente décision, j’ai mentionné que la Cour suprême a formulé des commentaires très succincts sur l’équité procédurale dans l’arrêt Vavilov, et évoqué entre autres les commentaires qu’avait formulés la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt qui faisait l’objet de l’appel. Dans cet arrêt, le juge Stratas, rédigeant pour le compte de la majorité, a conclu que même si la lettre adressée à l’appelant « avait pu contenir plus d’information pour lui permettre de formuler ses observations, je ne donnerais toujours pas suite à la plainte [de l’appelant] relative à l’équité procédurale », s’il « a réussi à se renseigner sur les faits à réfuter et il a été en mesure de présenter des arguments valables » (Vavilov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 132, au para 17).

[20]  Mme Lyu affirme qu’elle se serait préparée différemment en vue de l’entretien si elle avait su quelles questions lui seraient posées. Pourtant, comme le défendeur l’a fait valoir, elle a eu l’occasion de présenter des éléments de preuve additionnels en réponse à la lettre de juin 2018 relative à l’équité procédurale (comme la preuve concernant ses liens avec FLYAbroad, des reçus pour les services qu’elle avait reçus ou des déclarations de témoins supplémentaires), mais elle ne l’a pas fait.

[21]  En raison de ce qui précède, je n’interviendrai pas sur le fondement du manquement à l’équité procédurale. Toutefois, l’issue de la présente affaire est différente, compte tenu du raisonnement déraisonnable formulé dans la décision, comme je l’expliquerai ci‑dessous.

B.  La décision était déraisonnable

[22]  Mme Lyu soutient que le deuxième agent a tiré des conclusions défavorables quant à sa crédibilité sur la foi d’un raisonnement spécieux, sans tenir compte de la preuve. Le défendeur répond qu’il y avait suffisamment de motifs permettant de douter de l’honnêteté de Mme Lyu, ce qui a résulté en une décision raisonnable.

[23]  Dans l’arrêt Vavilov, le cadre d’analyse révisé de la norme de la décision raisonnable exige que, dans le cadre du contrôle judiciaire, la cour de révision « s’intéresse avant tout aux motifs » de la décision : Vavilov, au para 84, voir aussi l’arrêt Société canadienne des postes Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, au para 26. Avant tout, une décision raisonnable doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti ». (Vavilov, au para 85).

[24]  Selon la décision, Mme Lyu ne disait probablement pas la vérité parce qu’elle ne reconnaissait pas [traduction« qu’il était possible qu’elle ait obtenu plus de services qu’elle ne le prétendait », bien qu’elle ait continué à utiliser l’adresse postale de l’entreprise. Toutefois, le deuxième agent n’indique pas ce que ces [traduction« autres services » pouvaient être. Comme le démontrent les éléments de preuve, Mme Lyu est une femme instruite, qui a occupé un emploi très important en tant que responsable de la santé, de la sécurité et de l’environnement pendant plusieurs années, après avoir obtenu son baccalauréat et elle a ensuite obtenu une maîtrise dans son domaine de spécialisation auprès d’une université britannique. Elle a étudié en anglais. [Elle a produit des critères de qualification à ses tests d’anglais standardisé avec sa demande au PTQF]. L’agent n’a tout simplement pas expliqué pourquoi ou comment Mme Lyu ne disait pas la vérité.

[25]  En outre, la décision manque de cohérence interne et aboutit à la conclusion selon laquelle Mme Lyu n’a pas dit la vérité sur ses liens avec FLYAbroad du fait : (1) de la visite du bureau dans les installations, qui a confirmé que les activités de FLYAbroad comprenaient des services de consultation en immigration payants; (2) de l’utilisation continue de l’adresse postale de l’entreprise par Mme Lyu dans sa demande. Toutefois, ces éléments ne constituent pas une preuve convaincante que Mme Lyu avait eu recours aux services de l’entreprise en tant que représentant non autorisé. Le deuxième agent a lui-même admis qu’il [traduction« ne remettait pas en cause la capacité de [Mme Lyu] à recueillir des renseignements et des documents pour sa demande ». Il ressort également de la décision que, selon la propre perception de Mme Lyu, [traduction« elle n’a pas utilisé les services d’un consultant ou d’un représentant en immigration ».

[26]  La décision ne parvient pas à concilier cette évaluation avec le doute exprimé selon lequel Mme Lyu [traduction« continuait de minimiser ses liens [...] en ne reconnaissant pas qu’il était possible qu’elle ait obtenu plus de services qu’elle ne le prétendait ». Le deuxième agent ne peut pas l’emporter sur tous les plans. Après avoir accepté qu’il ne remettait pas en cause les capacités de Mme Lyu, et après avoir relevé que Mme Lyu croyait qu’elle n’avait pas eu recours aux services de l’entreprise à des fins de consultation en immigration, mais plutôt pour (i) la traduction, (ii) la collecte, et (iii) l’envoi de documents, l’agent avait l’obligation de justifier sa conclusion.

[27]  Comme Mme Lyu le fait valoir, la décision donne à penser qu’il n’y avait aucun moyen de convaincre le deuxième agent qu’elle disait la vérité, malgré l’absence de tout élément de preuve convaincant qui établissait que Mme Lyu avait eu recours aux services de FLYAbroad en tant que représentant non autorisé, et malgré l’absence de preuve que Mme Lyu aurait eu besoin des services de l’entreprise au‑delà de ce qu’elle prétendait, compte tenu de ses compétences linguistiques et professionnelles démontrées et objectivement vérifiables.

[28]  Le deuxième agent a commis une autre erreur en concluant que Mme Lyu aurait dû présenter le formulaire IMM5476 (recours aux services d’un représentant) indiquant que FLYAbroad la représentait. Premièrement, comme le juge Southcott l’a expliqué au paragraphe 23 de la décision Ge, elle n’avait aucune obligation de remplir ce formulaire pour un représentant non autorisé :

Dans son exposé supplémentaire des arguments, le défendeur ne remet pas en cause la position des demandeurs comme quoi, au début du processus de demande, ils n’avaient aucune obligation législative de divulguer la prestation de conseils par un représentant non autorisé. Lors de l’audition des demandes, le défendeur a de plus reconnu que ni la LIPR ni le RIPR n’exigent expressément la divulgation de cette information.

[29]  Comme je l’ai expliqué ci‑dessus, les affirmations de Mme Lyu, selon lesquelles elle a eu recours aux services de FLYAbroad uniquement pour la traduction, le regroupement des services et la logistique, sont certainement cohérentes : (i) avec ses capacités professionnelles et linguistiques, (ii) avec le fait que le deuxième agent [traduction] « ne remettait pas en cause la capacité de [Mme Lyu] à recueillir les renseignements et les documents pour sa demande », et (iii) avec les directives contenues dans le formulaire IMM5476 lui‑même, qui énonce avant toute autre chose ce qui suit :

Vous n’êtes pas obligé d’embaucher un représentant, le choix vous revient. Personne ne peut garantir l’approbation de votre demande. Tous les formulaires et les informations dont vous avez besoin pour soumettre une demande sont disponibles sans frais au www.cic.gc.ca.

[...]

Remarque : Vous devez utiliser ce formulaire pour désigner un représentant rémunéré ou non rémunéré pour agir en votre nom auprès de CIC et de l’ASFC. Vous devez également utiliser ce formulaire pour : 1) aviser CIC si les coordonnées de votre représentant changent, 2) si vous désirez annuler la désignation de votre représentant actuel afin de vous représenter vous‑même, ou 3) si vous désirez annuler la désignation de votre représentant actuel et en désigner un nouveau.

[Non souligné dans l’original.]

[30]  Pour terminer, je ferais preuve de négligence si je n’offrais pas quelques observations à la lumière de la dernière question litigieuse soulevée par Mme Lyu, qui a aussi soulevé les éléments débattus dans la première décision découlant de sa demande de contrôle judiciaire précédente. Dans la décision Ge, le juge Southcott a souligné que l’enquête du bureau a aussi porté sur les communications avec un couple qui avait eu recours aux services de FLYAbroad et qui, dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, « prétend avoir été victime des activités frauduleuses d’un consultant fantôme » (au para 8), en ce sens que FLYAbroad lui a donné des conseils en contrepartie d’un paiement sur les lois et politiques canadiennes en matière d’immigration, l’a aidé à remplir ses formulaire, et lui a fourni un modèle pour répondre à la lettre relative à l’équité procédurale.

[31]  Premièrement, il y avait certes l’élément de preuve d’un couple qui « prétend avoir été victime » de FLYAbroad (innocemment ou non) en tant que consultant fantôme et de ses activités frauduleuses, mais cela ne signifie pas que toute personne ayant eu recours à leurs services, comme Mme Lyu, a eu des liens avec l’entreprise de la même manière ou dans la même mesure. En réalité, d’autres éléments de preuve obtenus dans le cadre de l’enquête du bureau qui faisaient aussi partie du dossier démontraient qu’au moins un autre demandeur avait eu recours aux services de FLYAbroad à des fins très limitées, exactement comme Mme Lyu affirme l’avoir fait (y compris l’organisation et le dépôt).

[32]  En fin de compte, le présent jugement ne devrait en aucune façon être interprété comme s’il s’agissait de fermer les yeux sur le recours aux consultants ou aux représentants fantômes. Au contraire, la Cour — autant que n’importe lequel des programmes d’immigration au Canada, qu’il soit fédéral ou provincial (ou peut‑être bientôt municipal) — rejette le recours à de telles pratiques, lesquelles sont également une exploitation du système judiciaire du Canada, comme elles le sont relativement aux programmes d’immigration. Cependant, le plus important c’est que ces entités et ces personnes non déclarées et sans permis finissent par causer du tort à leurs clients avant tout. Pour ces motifs, le plus tôt nous trouverons des moyens de mettre un terme aux pratiques non autorisées d’immigration au Canada, notamment par l’entremise de représentants fantômes, le mieux ce sera. Cela permettra non seulement de promouvoir l’accès à la justice et de préserver l’intégrité des programmes d’immigration, mais de façon tout aussi importante, cela permettra de protéger la clientèle qui est souvent composée d’immigrants ou de réfugiés vulnérables.

V.  Conclusion

[33]  D’après l’arrêt Vavilov, « la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel — comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde » (au para 104). Les présents motifs se fondent sur des erreurs manifestes et un raisonnement tautologique qui ne « se tient » pas et est en totale contradiction avec la décision Ge, laquelle avait en premier lieu renvoyé le dossier pour qu’il soit examiné à nouveau. Bien qu’il n’y ait pas eu de manquement à l’équité procédurale, la décision est déraisonnable, elle manque de cohérence et de justification quant aux faits. Par conséquent, Mme Lyu s’est acquittée de son fardeau, la demande est accueillie et le dossier sera renvoyé, encore une fois, à un autre agent pour qu’il le traite; le nouvel agent tiendra compte des présents motifs, ainsi que de ceux rendus par le juge Southcott dans la décision Ge.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑406‑19

LA COUR DÉCLARE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée pour nouvel examen à un autre agent, lequel devra prendre en considération les présents motifs, ainsi que les motifs énoncés par le juge Southcott dans la décision Ge.

  3. Aucune question n’a été présentée aux fins de certification et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-406-19

 

INTITULÉ :

MENGZHE LYU C LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 janvier 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge DINER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 27 janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

Lisa Winter-Card

 

Pour la demanderesse

 

Alex C. Kam

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Czuma, Ritter

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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