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Date : 20200128


Dossier : IMM-2705-19

Référence : 2020 CF 147

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

AMIR HAMZA NASHIR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [SAI] a rejeté l’appel du demandeur et a conclu que la mesure de renvoi prise contre ce dernier était valide [la décision]. La mesure de renvoi a été prise parce que la Section de l’immigration [SI] a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR].

II.  Faits

[2]  Le demandeur est un citoyen de l’Afghanistan âgé de 33 ans. Il est devenu résident permanent du Canada en juillet 2015 grâce au parrainage de son épouse. La SAI signale que le demandeur a été reconnu coupable de 18 infractions criminelles, dont la première – voies de fait et vol d’une valeur inférieure à 5 000 $ – s’est produite environ trois mois après qu’il eut obtenu le droit d’établissement au Canada.

[3]  Le demandeur a été déclaré interdit de territoire sur le fondement d’une seule de ces infractions [l’infraction ayant donné lieu à un rapport], infraction pour laquelle il a été reconnu coupable d’agression armée avec un téléphone cellulaire aux termes de l’alinéa 267a) du Code criminel, LRC 1985, ch C-46. L’agression armée est punissable d’un emprisonnement maximal de dix ans. La victime était la petite amie du demandeur. Ce dernier a été condamné à une peine d’emprisonnement d’une journée et à 23 jours de détention présentencielle, peine assortie de deux années de probation, d’une ordonnance d’interdiction/saisie d’une durée de 10 ans et d’une amende de 100 $.

[4]  Les événements liés à l’infraction sont les suivants. En avril 2016, le demandeur a commencé à fréquenter une femme qu’il a rencontrée en ligne. En mai 2016, le demandeur s’est rendu au domicile de la femme en question, où celle-ci vivait avec son fils de jeune âge issu d’une union antérieure. Lors d’une altercation entre le demandeur et la femme, le demandeur a pris le téléphone cellulaire de la femme et, lorsqu’elle a tenté de le récupérer, il l’a frappée à la bouche avec le téléphone. Le demandeur a également agressé l’enfant lorsque ce dernier a tenté d’aider sa mère, mais aucune accusation n’a été portée à cet égard.

[5]  En janvier 2017, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] a recommandé que le demandeur soit déféré pour enquête en raison de ses antécédents criminels au Canada, compte tenu notamment de l’infraction ayant donné lieu à un rapport et de la gravité croissante de ses infractions criminelles [document d’examen du cas et de recommandation]. L’agent de l’ASFC a signalé que le demandeur avait fait l’objet de 13 déclarations de culpabilité en 2015 et en 2016, avant sa déclaration de culpabilité pour l’infraction ayant donné lieu à un rapport, et que, le 25 janvier 2017, de nouvelles accusations ont été portées pour voies de fait, non-respect d’une ordonnance de probation et possession d’une substance désignée (crack).

[6]  De plus, bien que le demandeur se soit vu ordonner de suivre un programme sur la violence conjugale, il a manqué trois séances et a été exclu du programme.

[7]  Le demandeur a agi pour son propre compte à l’audience devant la SI, qui s’est déroulée en mars 2017. La SI a jugé que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité et a pris une mesure de renvoi contre lui. Le demandeur a interjeté appel de la mesure de renvoi devant la SAI. Il a retenu les services d’un avocat pour le représenter à l’audience devant la SAI, qui s’est déroulée en janvier 2019.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[8]  Dans sa décision, rendue en mars 2019, la SAI a confirmé la mesure de renvoi. Dans le cadre de cet appel, le demandeur a soutenu que toutes les déclarations de culpabilité, à l’exception des deux premières, étaient des [traduction] « mensonges » fondés sur des plaidoyers de culpabilité découlant de mauvais conseils de son criminaliste. Il a affirmé qu’il ne savait pas qu’il pouvait être renvoyé du Canada pour l’agression armée sur la femme, soit l’infraction ayant donné lieu à un rapport. Il a également fait valoir des motifs d’ordre humanitaire qui justifient, selon lui, la prise de mesures spéciales; la SAI a rejeté ces prétentions.

[9]  La SAI a tenu compte du témoignage du demandeur selon lequel il n’avait pas commis l’infraction ayant donné lieu à un rapport ni les autres infractions, à l’exception de deux.

[10]  La SAI a examiné les éléments de preuve documentaires décrivant les circonstances de l’infraction ayant donné lieu à un rapport, dont le sommaire de la Couronne préparé par le Service de police régional de Waterloo, daté du 12 mai 2016, et un rapport de l’agente de probation et de libération conditionnelle du demandeur en poste au bureau des probations et des libérations conditionnelles de Mississauga, daté du 17 octobre 2018 [rapport de l’agente de libération conditionnelle].

[11]  La SAI a dressé la liste non exhaustive des facteurs à prendre en compte, qui sont énoncés dans Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4, et approuvés dans Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, et Al Sagban c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 4. Dans sa décision, la SAI a évalué un certain nombre de facteurs jugés appropriés dans les circonstances.

[12]  Dans le cadre de son analyse de la gravité de l’infraction, la SAI a également renvoyé au témoignage du demandeur. On peut à juste titre dire que cette preuve était contradictoire et incohérente à bien des égards. La version que le demandeur a donnée des événements différait de celle rapportée dans le sommaire de la Couronne, et était résumée ainsi par la SAI :

[15]  Selon le témoignage de l’appelant, l’infraction ayant donné lieu au rapport n’était pas sa première infraction au Canada. Sa première infraction date de 2015, environ cinq ou six mois après son arrivée au Canada. S’il avait su qu’il ferait l’objet d’une mesure de renvoi, il n’aurait pas plaidé coupable à l’infraction ayant donné lieu au rapport. Il aurait contesté l’accusation. Toutefois, ce n’est que plus tard qu’il a pris connaissance de la mesure de renvoi, au moment où les autorités de l’immigration sont venues le voir pendant sa détention, après son plaidoyer de culpabilité. Le criminaliste de l’appelant ne lui avait donné aucun conseil concernant les conséquences possibles sur son statut d’immigrant d’un plaidoyer de culpabilité à l’infraction ayant donné lieu au rapport. Le criminaliste de l’appelant lui avait dit que s’il voulait subir un procès, cela nécessiterait trois ou quatre mois ou même davantage et que durant cette période l’appelant resterait emprisonné si personne ne versait de caution, tandis que si l’appelant plaidait coupable, il ne purgerait que 20 ou 25 jours d’emprisonnement. Parce que l’appelant ne voulait pas rester en prison pendant quatre mois, et parce qu’il n’avait personne en mesure de verser une caution, il n’a pas contesté et a plutôt plaidé coupable à l’infraction ayant donné lieu au rapport, même s’il n’avait pas commis cette infraction.

[16]  En contre-interrogatoire, l’appelant a confirmé que la femme de Kitchener avait menti parce qu’elle voulait qu’ils forment un couple. Il avait dit à la police qu’elle faisait du chantage, avait inventé une histoire concernant une agression et avait téléphoné à la police parce qu’elle voulait qu’ils soient en couple. L’appelant a confirmé qu’il était la victime des mensonges de cette femme. Quand il a refusé d’être en couple avec elle, celle‑ci a déposé de fausses accusations contre lui. Il se trouve dans cette situation à cause des mensonges répandus par la femme de Kitchener. Si elle avait su qu’il ferait l’objet d’une mesure de renvoi, elle ne l’aurait jamais fait.

[13]  La SAI a conclu que l’infraction ayant donné lieu à un rapport ne se situe pas à l’extrémité du spectre où se trouvent les infractions très graves en raison de la peine relativement clémente infligée. La SAI a toutefois déclaré que la déclaration de culpabilité pour agression armée – l’infraction ayant donné lieu à un rapport – s’inscrit dans une succession de conflits conjugaux qui joue fortement contre le demandeur. La SAI a noté ce qui suit :

[45]  Je dispose de nombreux éléments de preuve se rapportant aux multiples déclarations de culpabilité au criminel prononcées après les deux premières infractions survenues en 2015 pour lesquelles l’appelant a assumé une certaine responsabilité, y compris les déclarations de culpabilité subséquentes dont l’épouse de l’appelant – dont il est aujourd’hui séparé – était la victime. Tout au long de son témoignage, l’appelant a nié ou minimisé ses actions. Tout au long de son témoignage, l’appelant a blâmé son épouse, la famille de son épouse et la femme de Kitchener pour ses accusations criminelles et ses déclarations de culpabilité. L’appelant a également blâmé les autorités de l’immigration et son criminaliste pour sa décision de plaider coupable aux accusations, pour ses déclarations de culpabilité subséquentes aux deux premières infractions en 2015, et pour la prise d’une mesure de renvoi contre lui à la suite de l’infraction ayant donné lieu au rapport. Selon son témoignage, l’appelant avait plaidé coupable aux accusations parce qu’il n’avait personne pour payer sa caution et parce qu’il voulait passer le moins de temps possible en prison. Il a affirmé avoir enfreint ses conditions de probation par mégarde (son épouse lui avait téléphoné et il était allé la voir). Bien qu’il ait affirmé avoir des remords, il assume peu de responsabilités, sinon aucune, pour ses inconduites. J’estime qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve convaincants démontrant que l’appelant a de véritables remords pour les infractions, y compris l’infraction ayant donné lieu au rapport. J’accorde peu de valeur probante aux prétendus remords de l’appelant et je conclus que ce facteur ne milite pas pour la prise de mesures spéciales dans le cadre de l’analyse des motifs d’ordre humanitaire.

[14]  La SAI a examiné d’autres facteurs d’ordre humanitaire, à savoir la « [p]ossibilité de réadaptation », la « [p]ériode passée au Canada », le « [d]egré d’établissement au Canada / soutien au sein de la collectivité », la « [f]amille au Canada, bouleversements que le renvoi occasionnerait pour la famille, et soutien de la famille au Canada », l’« [i]mportance des difficultés qui seraient causées à l’appelant s’il retournait dans son pays de nationalité » et l’« [i]ntérêt supérieur de l’enfant ».

[15]  La SAI a conclu comme suit :

CONCLUSION

[88]  De l’avis du conseil de l’appelant, compte tenu des difficultés auxquelles l’appelant serait exposé s’il était renvoyé en Afghanistan, le tribunal devrait lui accorder un sursis de trois ans à l’exécution de la mesure de renvoi, pour lui donner la chance de se conformer aux conditions rattachées à ce sursis.

[89]  Le conseil du ministre a soutenu que l’appel devait être rejeté et que l’appelant se servait de son renvoi potentiel en Afghanistan comme bouclier. De l’avis du ministre, tous les autres facteurs d’ordre humanitaire sont nettement défavorables – l’appelant n’a démontré aucune capacité de réadaptation, persiste dans ses activités criminelles et enfreindra les conditions de son sursis.

[90]  Je ne pense pas qu’un sursis à la mesure de renvoi soit la décision appropriée en l’espèce. Pour en arriver à la décision qu’un sursis à la mesure de renvoi n’est pas approprié, j’ai pris en considération les antécédents criminels de l’appelant au Canada, ses manquements antérieurs aux conditions qui lui étaient imposées, ses possibilités de réadaptation très limitées et son risque élevé de récidive. Les déclarations de culpabilité de l’appelant démontrent un comportement répété d’inconduites envers son épouse dont il est maintenant séparé. Les déclarations de culpabilité de l’appelant pour bris de conditions témoignent de son refus de se conformer aux conditions imposées ou de son incapacité à s’y conformer. L’appelant affirme avoir enfreint ces conditions par mégarde. L’appelant n’a participé à aucune forme de thérapie ou de counseling soutenus. Il nie avoir des problèmes de colère ou de toxicomanie et, en date de la présente audience, il n’a pris aucune mesure pour obtenir du counseling en matière de maîtrise de la colère ou de toxicomanie. Il continue de blâmer son épouse, la famille de cette dernière et la femme de Kitchener pour ses démêlés avec les autorités de l’immigration et le système de justice pénale. Il ressort de la preuve que les possibilités de réadaptation de l’appelant sont très limitées. La preuve à ma disposition est insuffisante pour établir que l’appelant a pris quelque mesure que ce soit pour régler les problèmes qui peuvent être sous-jacents à sa criminalité et, par conséquent, la preuve est insuffisante pour établir que l’appelant disposerait des outils nécessaires pour se conformer aux conditions imposées si un sursis lui était accordé.

[91]  Bien que les difficultés auxquelles l’appelant serait exposé s’avèrent un facteur favorable, les facteurs défavorables dans la présente affaire sont importants et accablants. Les difficultés qu’éprouverait l’appelant en Afghanistan sont éclipsées par : l’absence de véritables remords de l’appelant pour l’infraction ayant donné lieu au rapport, ainsi que pour ses infractions antérieures et subséquentes; son risque élevé de récidive; ses possibilités de réadaptation très limitées; la brève période qu’il a passée au Canada; son faible degré d’établissement au Canada; et son absence d’attaches familiales au Canada. Je conclus que l’appelant n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, compte tenu de l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché, qu’il y a des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales, vu les autres circonstances de l’affaire.

IV.  Questions en litige

[16]  Le demandeur soulève trois points :

  • 1) la SAI s’est appuyée sur des déclarations non prouvées comme si elles étaient des conclusions de fait, commettant ainsi des erreurs de droit et de fait;

  • 2) la SAI n’a pas tenu compte de la preuve concernant les plaidoyers de culpabilité;

  • 3) l’évaluation de la SAI des difficultés en Afghanistan comportait une erreur de droit et était déraisonnable.

[17]  À mon avis, ces points nous ramènent tous à la question de savoir si la décision est raisonnable. J’examinerai chacun d’eux.

V.  Norme de contrôle

[18]  La présente demande de contrôle judiciaire a été entendue peu après qu’eurent été rendus les arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, motifs de la majorité rédigés par le juge en chef Wagner [Vavilov], et Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, motifs de la majorité rédigés par le juge Rowe [Postes Canada], de la Cour suprême du Canada. Les parties ont présenté leurs observations initiales conformément au cadre d’analyse établi dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. En l’espèce, j’appliquerai le cadre d’analyse applicable aux normes de contrôle établi dans Vavilov et Postes Canada, ce qui n’entraîne aucune iniquité étant donné que j’ai invité avant l’audience les parties à présenter des observations concernant l’application de l’analyse relative à la norme de contrôle énoncée dans Vavilov.

[19]  En ce qui concerne la norme de contrôle, dans Postes Canada, le juge Rowe a affirmé que Vavilov a établi un cadre d’analyse révisé pour déterminer la norme de contrôle applicable aux décisions administratives. Le point de départ est une présomption d’application de la norme de la décision raisonnable. Cette présomption peut être réfutée dans certaines circonstances, mais aucune n’est présente en l’espèce. Par conséquent, la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[20]  Le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable est à la fois rigoureux et adapté au contexte : Vavilov, au paragraphe 67. Appliquant le cadre d’analyse établi dans Vavilov à Postes Canada, le juge Rowe explique ce qui est nécessaire pour conclure qu’une décision est raisonnable, et ce qu’un tribunal doit faire lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable :

[31]  La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32]  La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33]  Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100). En l’espèce, ce fardeau incombe au Syndicat.

[21]  Il convient de souligner que les motifs ne doivent pas être évalués au regard d’une norme de perfection. En outre, dans le contexte antérieur à Vavilov, le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable n’est pas une « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » :

[91]  Une cour de révision doit se rappeler que les motifs écrits fournis par un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Le fait que les motifs de la décision « ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire » ne constitue pas un fondement justifiant à lui seul d’infirmer la décision : Newfoundland Nurses, par. 16. On ne peut dissocier non plus le contrôle d’une décision administrative du cadre institutionnel dans lequel elle a été rendue ni de l’historique de l’instance.

[…]

[100]  Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Il ne conviendrait pas que la cour de révision infirme une décision administrative pour la simple raison que son raisonnement est entaché d’une erreur mineure. La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable.

[…]

[102]  Pour être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique. Il s’ensuit qu’un manquement à cet égard peut amener la cour de révision à conclure qu’il y a lieu d’infirmer la décision. Certes, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » : Pâtes & Papier Irving, par. 54, citant Newfoundland Nurses, par. 4. Cependant, la cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’« [un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, [...] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait » : Ryan, par. 55; Southam, par. 56.

VI.  Observations et analyse

A.  Déclarations de culpabilité

[22]  Le demandeur soutient que la SAI a commis des erreurs susceptibles de contrôle en se fiant aveuglément à des déclarations non prouvées comme s’il s’agissait de faits et en omettant d’expliquer pourquoi elle avait préféré les déclarations non prouvées à d’autres éléments de preuve, y compris son témoignage. Le demandeur critique le fait que la SAI s’est fiée au sommaire de la Couronne préparé à l’égard de l’infraction ayant donné lieu à un rapport. Il conteste les paragraphes suivants de la décision :

[8]  Les circonstances de l’infraction ayant donné lieu au rapport, une infraction pour agression armée survenue le 11 mai 2016 à Kitchener et dont l’appelant a été déclaré coupable le 12 août 2016, étaient les suivantes : il s’agit d’un incident touchant l’appelant, une femme adulte que l’appelant avait rencontrée sur un site de rencontres Kijiji, ainsi que le fils de 10 ans de cette dernière. Voici un résumé de l’affaire tiré du dossier de la Couronne :

[TRADUCTION]

Le présent compte rendu a trait à l’enquête policière sur une querelle de ménage survenue à 19 h 30, le mercredi 11 mai 2016 entre la victime, [nom expurgé], âgée de 49 ans, et son ex-copain, Amir NASHIR âgé de 30 ans […]. L’incident s’est produit à la résidence [de la victime] […].

La victime et l’accusé se sont rencontrés par l’entremise d’un réseau d’amitié sur Kijiji le 24 avril 2016, se sont mis à échanger des messages, puis ont commencé à se fréquenter à peine une semaine plus tard. Ils n’ont pas d’enfant ensemble; toutefois, la victime a un fils de 10 ans issu d’une relation antérieure qui est aussi une victime et témoin de cette altercation. L’alcool n’était pas un facteur dans cet incident.

Il s’agit de la première querelle de ménage signalée entre l’accusé et la victime. La victime affirme qu’il n’y a pas eu d’altercations antérieures entre eux et qu’elle comprend pourquoi l’accusé a agi ainsi. L’accusé craint que les responsables de l’immigration et son épouse apprennent qu’il entretient une relation extra-conjugale. […]

Le mercredi 11 mai 2016, à la suite de leur conversation, la victime se sentait mal pour l’accusé et a convenu de se rendre en voiture à Mississauga pour aller le chercher. La victime a rencontré l’accusé dans un centre commercial linéaire […] et est rentrée à la maison avec son fils et avec l’accusé.

Plus tard en soirée, la victime et l’accusé se trouvaient dans la chambre à coucher de la victime lorsque l’accusé est devenu agité à l’endroit de [nom expurgé], car il pensait que [nom expurgé] prenait des photos du couple avec le téléphone cellulaire de la victime. L’accusé s’est emparé du téléphone cellulaire, souhaitant examiner son contenu. La victime a tenté de récupérer son cellulaire et, pendant qu’ils se chamaillaient, l’accusé a frappé la victime près de la bouche avec le cellulaire. Le fils de la victime, [nom expurgé], a tenté d’intervenir et l’accusé l’a repoussé. [Nom expurgé] a poussé l’accusé contre la commode. L’accusé a dit à [nom expurgé] d’« aller chier » et l’a poussé violemment sur le lit. [Nom expurgé] a tenté de tenir la porte fermée pendant que la victime disait à l’accusé de partir. L’accusé est parvenu à entrer de force dans la chambre à coucher, où il a continué de crier après la victime et son fils. Après l’altercation, l’accusé a demandé à la victime de lui donner de l’argent. La victime a refusé, en disant qu’elle n’avait pas d’argent et qu’elle était déjà en retard dans le paiement du loyer. Toutefois, la victime est partie avec l’accusé et lui a remis 17,00 dollars pour qu’il puisse rentrer chez lui en autobus. […]

En ce moment, l’accusé vit à l’extérieur de la région et ses activités quotidiennes sont inconnues; par conséquent, la police demande un mandat pour procéder à son arrestation. Durant une conversation avec l’accusé, la victime a mentionné qu’elle allait aviser la police et l’accusé lui a répondu quelque chose comme « je n’ai pas peur de la police ».

[…]

[20]  [...] Cependant, la déclaration de culpabilité de l’appelant pour agression armée à l’endroit d’une ancienne copine, qui semble s’inscrire dans une tendance aux conflits conjugaux, joue fortement contre lui.

[…]

[90]  [...] Les déclarations de culpabilité de l’appelant démontrent un comportement répété d’inconduites envers son épouse dont il est maintenant séparé. [...]

[Non souligné dans l’original.]

[23]  Le demandeur fait remarquer que la SAI disposait d’une autre preuve qui lui fournissait une autre version de l’histoire, à savoir son témoignage, dans le cadre duquel il a nié sa culpabilité et blâmait son avocat pour lui avoir donné des conseils incomplets. Le demandeur soutient qu’en raison de l’absence de conclusion de fait tirée par des tribunaux pénaux, et malgré ses plaidoyers de culpabilité à l’égard de l’infraction ayant donné lieu à un rapport et de toutes ses autres déclarations de culpabilité au criminel sauf deux, la SAI a commis une erreur de droit en préférant des éléments de preuve documentaires écrits non prouvés à son témoignage, sans fournir les motifs de cette préférence.

[24]  Le demandeur s’appuie sur la décision Rajagopal c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 523 [Rajagopal], dans laquelle le juge Mosley a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 39 à 43 :

[39]  Il était de toute évidence loisible à la SAI de déterminer le poids à accorder aux éléments de preuve portés à sa connaissance et de se fier à ces éléments de preuve si elle les jugeait pertinents, crédibles et dignes de foi. Il était par ailleurs certainement loisible aussi à la SAI d’écarter les explications données par le demandeur au sujet des faits constitutifs de son infraction et de préférer ceux qui été allégués dans le constat de police.

[40]  Ceci étant dit, le demandeur plaide en l’espèce que la SAI a commis une erreur parce qu’elle a mal qualifié les éléments de preuve en se fondant sur l’hypothèse erronée que le constat de police exposait les faits sur lesquels le plaidoyer était fondé. À l’appui de cet argument, le demandeur souligne le fait qu’après avoir analysé la version des faits du demandeur, la SAI a déclaré : « Toutefois, je constate que l’appelant a plaidé coupable à l’accusation décrite dans le rapport et, partant, je préfère cette version des faits au témoignage de l’appelant et conclus qu’elle reflète ce qui s’est passé, selon la prépondérance des probabilités » [non souligné dans l’original]. La SAI ajouté qu’elle n’était pas en mesure de vérifier la déclaration de culpabilité.

[41]  De prime abord, on ne sait pas avec certitude si la déclaration précitée de la SAI que j’ai soulignée constitue une conclusion de fait ou une hypothèse suivant laquelle le plaidoyer de culpabilité doit nécessairement correspondre aux faits allégués dans le constat de police.

[42]  Pour satisfaire à la norme de la décision raisonnable, les motifs de la SAI doivent, dans l’ensemble, pouvoir résister à un examen assez poussé. Toutefois, comme je l’ai déjà fait observer, le caractère raisonnable de la décision de la SAI dépend à ce point de cette seule conclusion pour qu’on en conclue que le caractère raisonnable de la décision dépend effectivement de ce seul et unique point sous-jacent.

[43]  Il semble, lorsqu’on examine cet énoncé particulier, que c’est la partie qui est soulignée qui constitue le raisonnement suivi par la SAI pour expliquer pourquoi elle préfère le contenu du constat au témoignage du demandeur. Malgré le fait qu’il lui aurait été loisible de tirer une telle conclusion, la SAI ne pouvait régulièrement en faire une hypothèse. Ce faisant, elle a mal qualifié la nature du constat de police. Le constat renfermait des allégations consignées par le policier au cours de son enquête sur la plainte et non les conclusions de fait tirées par le tribunal qui avait reconnu la culpabilité du demandeur et lui avait infligé une peine. Bien que la SAI eusse pu citer des éléments de preuve ou des témoignages pour appuyer l’argument suivant lequel, selon la prépondérance des probabilités, le constat de police qualifiait probablement de façon exacte les faits constitutifs de l’infraction, la SAI ne l’a pas fait. Il n’appartient pas à la Cour de revenir sur la preuve ou de l’évaluer de nouveau pour justifier les conclusions de la SAI.

[Souligné dans l’original.]

[25]  Le demandeur soutient que la SAI n’a pas tenu compte de la preuve concernant les plaidoyers de culpabilité. Il invoque Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hua, 2001 CFPI 722, motifs rédigés par le juge O’Keefe [Hua]. Dans cette affaire, le ministre avait demandé le contrôle judiciaire d’une décision de la SAI et soutenu que la SAI avait outrepassé sa compétence, car elle n’était pas en mesure de vérifier la déclaration de culpabilité et, en fait, elle avait conclu que le défendeur n’avait pas commis les infractions, malgré son plaidoyer de culpabilité et sa déclaration de culpabilité :

[5]  Au mois d’août 1997, huit accusations ont été portées contre le défendeur, notamment des accusations de contacts sexuels, d’agression sexuelle et d’incitation à des contacts sexuels, ces infractions ayant censément été commises entre le 1er mai et le 4 août 1997. Il y avait censément quatre victimes. Le 15 octobre 1998, le défendeur a plaidé coupable au deuxième chef d’accusation concernant une victime. Il s’est vu infliger une peine d’un an avec sursis et a été soumis à la probation pour une période de deux ans. Toutes les autres accusations ont été retirées par la Couronne.

[6]  Le défendeur maintient que les allégations ont été faites en vue d’amener les jeunes à justifier le vol et qu’il a plaidé coupable parce que son avocat lui avait conseillé de le faire et parce qu’il voulait éviter des frais.

[…]

[34]  Le demandeur soutient que le Tribunal a excédé sa compétence en vérifiant le plaidoyer de culpabilité qui a donné lieu à la déclaration de culpabilité prononcée au criminel et à l’imposition d’une peine contre le défendeur. Il est certain que pareille déclaration est admissible dans une affaire civile subséquente telle que la présente espèce. Toutefois, l’accusé peut expliquer pourquoi il a fait l’objet d’une déclaration de culpabilité lorsque l’affaire est entendue au civil ou encore il est possible d’atténuer l’effet de cette déclaration. Dans la décision Cromarty c. Monteith (1957), 8 D.L.R. (2d) 112 (C.S.C.-B.), à la page 114, le juge Wilson a dit ce qui suit :

[traduction] Dans Wigmore on Evidence, 3e éd., art. 1066, l’auteur dit ce qui suit : « Il semble possible de présenter le plaidoyer qu’un accusé a présenté dans une affaire pénale dans une affaire civile subséquente. »

À mon avis, M. Phillipps a énoncé le droit correctement. Le plaidoyer de culpabilité est recevable en preuve à titre d’aveu fait contre ses intérêts, mais il n’est pas concluant. Il doit en être tenu compte de la même façon que tout autre aveu qu’un plaideur fait, et la preuve des circonstances dans lesquelles cet aveu a été fait doit être reçue afin de pouvoir déterminer l’importance qu’il convient de lui accorder. Le fait que l’aveu a été fait dans une procédure judiciaire est un facteur à prendre en considération, mais toute présomption susceptible de découler de cette circonstance pourrait être réfutée par la preuve, par exemple si le plaidoyer a été obtenu par la fraude ou au moyen de menaces. À mon avis, le défendeur peut également être entendu dans une audience civile subséquente, et il peut affirmer que l’aveu résulte d’une mauvaise interprétation du droit (voir Roscoe’s Evidence in Civil Actions, 20e éd., p. 65, et Newton v. Liddiard (1848), 12 Q.B. 925, 116 E.R. 1117, qui y est cité). Cependant, je crois qu’une fois que l’aveu a été consigné au dossier, il incombe au plaideur de prouver l’existence des circonstances qui en atténuent l’effet apparent. […]

[Non souligné dans l’original.]

[26]  En toute déférence, je suis d’avis que ces affaires ne sont d’aucun secours pour le demandeur.

[27]  Le demandeur avait le fardeau de « prouver l’existence des circonstances qui […] atténuent » l’effet apparent des plaidoyers de culpabilité, comme il en a été conclu dans Hua, au paragraphe 34. Cela est encore plus vrai lorsque les demandeurs sont représentés par un avocat, comme c’était le cas pour le demandeur devant la SAI.

[28]  Bien que le demandeur affirme que son criminaliste était incompétent, la Cour n’a relevé aucune plainte déposée contre lui au Barreau de l’Ontario, comme il est exigé lorsque la Cour est saisie d’une allégation d’incompétence : voir Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 530, motifs rédigés par le juge Russell, au paragraphe 60 :

[60]  Bien que les demandeurs s’insurgent contre le fait que la SPR ait cherché à savoir s’ils avaient porté plainte au Barreau du Haut‑Canada (le Barreau) au sujet de leur ancien conseil, le défendeur cite des décisions de notre Cour suivant lesquelles le demandeur d’asile doit aviser son ancien représentant de toute allégation d’incompétence le concernant et lui accorder la possibilité de répondre. Les demandeurs ont également l’obligation de porter plainte devant l’organisme dont relève leur ancien représentant (voir Nunez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 555; Shirvan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 1509; Kizil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 137; Mutinda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 365; Gonzalez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 1274; Thamotharampillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CF 438).

[29]  En l’espèce, le demandeur a déclaré qu’il avait plaidé coupable à l’infraction ayant donné lieu à un rapport pour éviter d’être emprisonné, sur les conseils de son avocat. Il a affirmé que dernier ne lui avait pas parlé des conséquences en matière d’immigration de son plaidoyer et qu’il n’aurait pas plaidé coupable s’il les avait sues. La SAI a entendu et, comme on l’a vu, a fidèlement rapporté cet élément de preuve.

[30]  Toutefois, il ressort à mon avis clairement de la décision que, bien que le témoignage du demandeur ait été examiné par la SAI, cette dernière a choisi de ne pas s’y fier. Il est bien établi qu’il appartient à la SAI, et non à la Cour, de décider du poids à accorder aux éléments de preuve, comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale dans Balathavarajan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 340, au paragraphe 12.

[31]  À mon avis, cet aspect de la demande soulève simplement un désaccord quant à l’appréciation de la crédibilité et au poids accordé aux éléments de preuve.

[32]  Lorsqu’elle tient une audience, la SAI est selon moi dans la même position que la Section de la protection des réfugiés [SPR] en ce qui a trait à l’appréciation et à l’évaluation de la preuve. Il est bien établi que l’analyse des conclusions de fait et la prise de décisions quant à la crédibilité constituent l’essentiel de l’expertise de la SAI, tout comme elles relèvent de l’expertise de la SPR : Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1992 CarswellNat 555, [1992] ACF no 481 (CAF), par. 1. La Cour d’appel fédérale a examiné cette question relativement à la SPR dans Siad c Canada (Secrétaire d’État), 1996 CanLII 4099, [1997] 1 CF 608 (CAF), où la Cour d’appel fédérale a conclu que la SPR et, j’ajouterais, la SAI :

[…] se trouve[nt] dans une situation unique pour apprécier la crédibilité d’un demandeur du statut de réfugié. Les décisions quant à la crédibilité, qui constituent « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » doivent recevoir une déférence considérable à l’occasion d’un contrôle judiciaire, et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve.

[33]  Dans ses observations à cet égard, le demandeur demande essentiellement à la Cour de réexaminer la preuve et de remplacer l’issue de cet examen par celui qui serait à son avis préférable, malgré les directives de la Cour suprême allant dans le sens contraire : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, par. 61 [Khosa], et Vavilov, par. 125. Il n’appartient pas à la cour de révision d’apprécier à nouveau la preuve.

[34]  De plus, le Parlement a décidé que la SAI n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve : voir l’alinéa 175(1)b) de la LIPR :

Fonctionnement

Proceedings

175 (1) Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section d’appel de l’immigration :

175 (1) The Immigration Appeal Division, in any proceeding before it,

[…]

b) n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

(b) is not bound by any legal or technical rules of evidence; and

[…]

[35]  L’alinéa 175(1)b) fournit un fondement supplémentaire et solide au droit de la SAI de se fonder sur les éléments de preuve documentaires écrits, à savoir le sommaire de la Couronne préparé par le Service de police régional de Waterloo, le rapport de l’agente de libération conditionnelle et le document d’examen du cas et de recommandation préparés au sujet l’infraction ayant donné lieu à un rapport et les antécédents criminels du demandeur. Voir l’affaire Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 12, où on a donné préséance à des rapports de police plutôt qu’à la déclaration du demandeur et où, comme je l’examinerai ensuite, le témoignage du demandeur était, en partie, non crédible.

[36]  Il est également important de dire que, dans l’évaluation de la crédibilité du demandeur – ce qui était la principale préoccupation en l’espèce – le témoignage du demandeur devant la SAI a suscité de sérieux doutes sur sa crédibilité autres que ceux liés à la déclaration de culpabilité ayant donné lieu à un rapport. À mon avis, le demandeur a fourni une preuve très incohérente non seulement quant à la question de savoir s’il était violent avec sa conjointe, mais aussi quant à sa consommation de drogues et d’alcool. À cet égard, la SAI avait des motifs raisonnables fondés sur la crédibilité pour rejeter la preuve qu’il a présentée :

[63]  Je dispose d’éléments de preuve provenant de l’agente de probation et de libération conditionnelle de l’appelant selon lesquels l’appelant présente un risque élevé de récidive. Il blâme son épouse pour ses démêlés répétés avec le système de justice pénale, a continuellement commis de nouvelles infractions contre elle et accepte très peu de responsabilité pour ses inconduites. Il ne croit pas avoir besoin de counseling, car il nie avoir des problèmes de toxicomanie, contrairement aux déclarations constantes de son épouse. Il n’est pas disposé à suivre des programmes de counseling. Ses perspectives de réadaptation sont extrêmement limitées. À mon avis, l’appelant n’est pas crédible quand il affirme qu’il consomme peu de drogues. À la lumière de tout ce qui précède, j’estime que les éléments de preuve ne permettent pas d’établir qu’il existe des possibilités de réadaptation en l’espèce. Il s’agit d’un facteur défavorable à l’appelant dans l’analyse des motifs d’ordre humanitaire.

[Non souligné dans l’original.]

[37]  La SAI a également conclu – ce qui lui était certainement loisible de faire eu égard au dossier – que le demandeur avait « une tendance aux conflits conjugaux ». La SAI a conclu – de façon raisonnable, à mon avis – que cette tendance à la violence conjugale lui était aussi défavorable :

[20]  Le délit d’agression armée est passible d’une peine maximale de 10 ans d’emprisonnement. En comparaison, l’appelant a reçu une peine d’un jour en prison et de 23 jours de détention présentencielle, assortie de deux années de probation et d’une ordonnance d’interdiction/saisie d’une durée de 10 ans. Étant donné la peine légère imposée à l’appelant, je conclus que l’infraction ayant donné lieu au rapport ne se situe pas à l’extrémité du spectre où se trouvent les infractions très graves. Cependant, la déclaration de culpabilité de l’appelant pour agression armée à l’endroit d’une ancienne copine, qui semble s’inscrire dans une tendance aux conflits conjugaux, joue fortement contre lui.

B.  Difficultés

[38]  Je ne suis pas d’accord avec l’affirmation du demandeur selon laquelle la SAI a commis une erreur dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire en n’accordant pas plus de poids au facteur des difficultés en raison de son allégation selon laquelle il était un toxicomane. À cet égard, j’estime que la SAI a compris les observations du demandeur, mais a simplement conclu que la preuve était insuffisante pour accueillir son appel. En contestant la conclusion de la SAI concernant les difficultés, le demandeur se trouve encore une fois à demander à la Cour de réexaminer la preuve et de remplacer l’issue de cet examen par celui qui serait à son avis préférable, malgré des directives contraires de la Cour suprême dans les arrêts Khosa et Vavilov, précités.

[39]  En réponse à l’argument du demandeur selon lequel la SAI a appliqué la mauvaise norme lors de son examen des difficultés, le défendeur affirme que la Cour a toujours fait preuve de cohérence dans sa formulation du principe selon lequel un demandeur doit démontrer un lien entre le risque généralisé dans un pays et le risque personnalisé auquel il ferait face. À cet égard, le défendeur s’appuie sur Dorlean c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1024, motifs rédigés par le juge Shore, aux paragraphes 35 et 36 :

[35]  La jurisprudence de cette Cour a confirmé à maintes reprises que les demandes CH doivent faire état d’un certain risque personnalisé concernant un demandeur en particulier (Lalane c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 6, 338 FTR 224; Ye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1072, au para 10). La Cour rappelle les observations dans Lalane, ci-dessus :

[38]  L’allégation des risques au sein d’une demande CH doit être un risque particulier et personnel au demandeur. Le demandeur a le fardeau de démontrer un lien entre cette preuve et sa situation personnelle. Autrement, chaque ressortissant d’un pays en difficulté devrait recevoir une évaluation positive de sa demande CH, peu importe sa situation personnelle en cause, ce qui n’est pas le but et l’objectif d’une demande CH. En conclure ainsi constituerait une erreur à l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 25 de la LIPR et délégué notamment à l’agent d’ERAR par le Ministre […].

[…]

[36]  Il doit nécessairement y avoir un lien entre les preuves corroborant le risque généralisé et celles concernant le risque devenu personnalisé. Il revient donc au demandeur de démontrer un lien entre le risque et sa situation personnelle. Même si un risque généralisé pouvait être prouvé dans le présent cas, cela ne serait pas assez pour obtenir une réponse favorable à la demande CH (voir Paul c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1300, [2010] 1 RCF 232; Ramotar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 362; Chand c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 964).

[Soulignement omis.]

[40]  En toute déférence, la SAI a tenu compte d’une multitude de facteurs d’ordre humanitaire et les a raisonnablement appréciés pour parvenir à sa décision. La SAI a évalué les éléments de preuve de façon claire et transparente et s’est acquittée de son obligation de fournir des motifs détaillés lorsque les conséquences peuvent menacer la vie, la liberté, la dignité ou la subsistance du demandeur advenant son retour en Afghanistan.

VII.  Conclusion

[41]  En résumé, la Cour conclut que les motifs de la SAI démontrent une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. Après examen de la décision de façon globale, et non comme une chasse au trésor à la recherche d’erreurs, et en accordant une « attention respectueuse » au processus de raisonnement et à son issue, je conclus que la décision est justifiée, transparente et intelligible. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

VIII.  Question certifiée

[42]  Aucune partie n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans IMM-2705-19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, qu’aucune question de portée générale n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour d’avril 2020


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2705-19

 

INTITULÉ :

AMIR HAMZA NASHIR c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 JANVIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 28 JANVIER 2020

 

COMPARUTIONS

Felix Chakirov

POUR LE DEMANDEUR

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

FC Legal

Avocats

Mississauga (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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