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Date : 20001222

Dossier : T-2338-00

OTTAWA (Ontario), le vendredi 22 décembre 2000

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE FRANÇOIS LEMIEUX

Entre :

HERITAGE DUTY FREE SHOP INC.

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

ORDONNANCE

Pour les motifs déposés ce jour, la présente demande d'injonction provisoire est rejetée avec dépens, sous réserve des droits de la demanderesse de présenter une nouvelle demande.

                                                                                                                            « François Lemieux »        

                                                                                                                                                     Juge                      

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.


Date : 20001222

Dossier : T-2338-00

Entre :

HERITAGE DUTY FREE SHOP INC.

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]         Heritage Duty Free Shop Inc. (Heritage) a obtenu un agrément, qui lui a été octroyé en vertu du Règlement sur les boutiques hors taxes (le Règlement) établi sous le régime de la Loi sur les douanes (la Loi), dont la période de validité expirera le 31 décembre 2000. Cet agrément autorise Heritage à exploiter une boutique hors taxes à Douglas (C.-B.), ce qu'elle fait depuis 17 ans.

[2]         Heritage demande deux ordonnances distinctes à la présente Cour à titre de redressement provisoire en attendant l'issue de sa demande de contrôle judiciaire déposée le 15 décembre 2000 :


1)                   une injonction obligatoire ordonnant au ministre du Revenu national (le Ministre) de proroger l'agrément qui lui a été octroyé au-delà du 31 décembre 2000, jusqu'à ce que la demande de contrôle judiciaire ait été entendue; et

2)                   une injonction interdisant au ministre d'octroyer à un tiers un agrément l'autorisant à exploiter une boutique hors taxes au poste frontalier de Douglas (C.-B.).

[3]         Comme il a déjà été noté, Heritage exploite une boutique hors taxes, visée par l'agrément, à Douglas depuis 1983. La boutique a été construite sur des terres de la Couronne fédérale qui ont été louées à Heritage. Toutefois, ces terres ont été remises en 1997 à la bande indienne Semiahmoo (la bande) à l'issue de décisions de la présente Cour et de la Cour d'appel fédérale, assorties d'une cause conditionnelle indiquant que le bail foncier expirerait le 31 décembre 2000.

[4]         Heritage n'a pas réussi à négocier un bail avec la bande pour l'année 2001 et les années suivantes et ses propositions de louer des terres de la Couronne fédérale à proximité de la frontière n'ont pas porté fruit parce que l'Agence canadienne des douanes et du revenu (l'Agence) a soulevé des questions concernant la circulation, le stationnement, le contrôle des marchandises et l'annonce récente d'un projet de réaménagement de l'édifice des douanes situé à cet endroit.


[5]         La dernière proposition d'Heritage a été refusée le 15 novembre 2000. Heritage proposait de louer des locaux à environ trois quarts de mille du poste frontalier et de livrer les achats hors taxes dans un endroit neutre sur une propriété de la Couronne sise au sud de l'endroit où la boutique hors taxes était située et adjacente à l'autoroute menant aux États-Unis. Cette proposition a été refusée en raison de la construction imminente au poste frontalier, des problèmes de circulation et de sécurité, et notamment du fait que [TRADUCTION] « l'emplacement est assez restreint, les places de stationnement y sont limitées et l'entrée proposée [...] se trouve dans un secteur déjà congestionné par la circulation » .

[6]         Heritage n'exploite plus sa boutique hors taxes. Elle a cessé ses activités et fermé ses portes le 12 décembre 2000. J'ai été informé que l'édifice dans lequel la boutique était située a été démoli ou enlevé des terres de la bande.

[7]         C'est le paragraphe qui suit, tiré d'un courriel en date du 27 juin 2000 envoyé par Raymond Bédard, directeur du programme des boutiques hors taxes de l'Agence, à l'un de ses employés, qui a poussé Heritage à demander les ordonnances provisoires :

[TRADUCTION]

Pour ce qui est des nombreuses rumeurs qui circulent concernant les baux, les nouveaux emplacements des boutiques et la possibilité qu'un agrément soit octroyé pour l'exploitation d'une boutique hors taxes au poste frontalier de Douglas (Surrey), l'agrément en vigueur demeurera valide jusqu'à son expiration. Si l'exploitant actuel peut convaincre l'ACDR qu'il respecte tous les critères de renouvellement, notamment qu'il a un site approprié pour sa boutique, l'agrément sera renouvelé. Dans le cas contraire, les mesures appropriées seront prises pour octroyer l'agrément à une autre personne qualifiée.

[8]         Le paragraphe précité du courriel de M. Bédard indiquait également ceci : [TRADUCTION] « Comme vous le savez [...] l'ACDR octroie un agrément par site » .

Analyse


[9]         Les principes régissant la présente demande sont énoncés dans l'arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (P.G.) [1994] 1 R.C.S. 311., Heritage doit établir les trois points suivants : (1) l'existence d'une question sérieuse à juger, qui ne soit ni futile ni vexatoire; (2) le fait qu'elle subira un préjudice irréparable à moins que l'injonction lui soit accordée, préjudice dont elle ne pourrait être indemnisée au moyen de dommages-intérêts; et (3) l'appréciation de la prépondérance des inconvénients.

1)                   Une injonction obligeant le ministre à octroyer l'agrément

[10]       La demande de contrôle judiciaire déposée par Heritage conteste la décision du 15 novembre 2000 rejetant [TRADUCTION] « la demande de la requérante concernant l'agrément visant la boutique hors taxes » , y compris une déclaration selon laquelle le refus de sa proposition de nouvel emplacement et de système de livraison constitue un rejet de sa demande de renouvellement. Dans ses arguments, elle invoque la prise en compte de considérations non pertinentes, l'omission d'examiner les considérations pertinentes, l'entrave à l'exercice du pouvoir discrétionnaire, un mépris de ses attentes légitimes, un objectif non justifié et la mauvaise foi.

[11]       À l'heure actuelle, je ne peux pas dire qu'il n'y a pas de question sérieuse à instruire.

[12]       Toutefois, à mon avis, Heritage n'a pas droit à ce qu'un agrément provisoire lui soit octroyé parce qu'elle n'a pas réussi à me convaincre de l'existence du préjudice irréparable et du fait que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur.


[13]       Je suis d'avis que si la demande de contrôle judiciaire est résolue en sa faveur, elle pourrait être indemnisée de tous les dommages pouvant découler de l'acte illégal par l'octroi de dommages-intérêts d'un montant déterminable.

[14]       Ce qui est plus important, toutefois, la prépondérance des inconvénients penche en faveur du ministre, particulièrement si on tient compte de l'intérêt public. Heritage ne recherche pas le maintien du statu quo puisque le bail de la Couronne concernant le site existant expire le 31 décembre 2000 et que les terres sont remises à la bande. Qui plus est, l'édifice existant est démoli. Un agrément octroyé au moyen d'une ordonnance de la Cour sanctionnerait l'exploitation hors lieux par Heritage d'une boutique dont la base serait située sur les terres de la Couronne. Je ne suis pas disposé à ordonner l'octroi d'un agrément dans ces circonstances. Accorder le redressement recherché par Heritage m'obligerait, à cette étape, à passer outre aux préoccupations de l'Agence concernant l'intérêt public pour ce qui a trait à la circulation et à la sécurité et pourrait entraver le réaménagement des installations de l'Agence sur les terres de la Couronne. Il est préférable de laisser au juge qui entendra la demande de contrôle judiciaire le soin de déterminer le bien-fondé de ces préoccupations, étant donné la preuve contradictoire qui m'a été présentée sur ce point.

[15]       Par ailleurs, si l'agrément octroyé par une ordonnance judiciaire n'est pas lié à la dernière proposition d'Heritage, c'est-à-dire s'il n'est pas rattaché à un site particulier, je suis convaincu qu'une telle ordonnance obligerait le ministre à octroyer un agrément en contravention avec le texte législatif et le Règlement. En vertu des dispositions de la Loi, le site doit être connu. Autrement dit, l'agrément n'est pas accordé de façon indépendante.


(ii)         L'interdiction d'octroyer l'agrément

[16]       L'avocat d'Heritage a fait valoir qu'il était approprié d'accorder une injonction interdisant au ministre, avant que le contrôle judiciaire soit réglé, d'octroyer à un tiers un agrément pour l'exploitation d'une boutique hors taxes au poste frontalier de Douglas parce que, si un agrément était octroyé, Heritage ne pourrait pas en obtenir un, en raison de la politique de l'Agence de n'autoriser qu'une boutique hors taxes par site.

[17]       Je ne suis pas convaincu qu'Heritage a satisfait au critère du préjudice irréparable. La preuve qu'elle a déposée selon laquelle le ministre était sur le point d'octroyer un nouvel agrément à un tiers est spéculative. Qui plus est, le ministre a indiqué, par l'affidavit de Raymond Bédard, déposé à l'appui de la présente demande, qu'il pourrait y avoir des appels d'offres pour l'exploitation d'une boutique hors taxes pour la nouvelle année.

[18]       L'avocat du ministre a fait valoir qu'une telle pratique serait conforme à l'article 2 de la note de service de l'Agence concernant l'agrément d'exploitation d'une boutique hors taxes. La Cour est d'avis qu'un appel d'offres ajouterait de la transparence à la procédure. En outre, l'avocat du ministre a donné à la Cour l'assurance qu'aucun agrément ne serait octroyé à un tiers qui présenterait une proposition semblable à celle d'Heritage et qui a été rejetée par l'Agence le 15 novembre 2000.


Dispositif

[19]       Pour ces motifs, les ordonnances réclamées par Heritage sont rejetées avec dépens, sous réserve des droits d'Heritage de présenter une nouvelle demande devant la présente Cour.

                                                                                                                            « François Lemieux »        

                                                                                                                                                     Juge                      

OTTAWA (Ontario)

le 22 décembre 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL. L., trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DU GREFFE :                               T-2338-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :             HERITAGE DUTY FREE SHOP INC. -c-

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 21 DÉCEMBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE LEMIEUX

DATE :                                                LE 22 DÉCEMBRE 2000

ONT COMPARU :

P. Kane                                                                         POUR LA DEMANDERESSE

A. Préfontane                                                                POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Perley-Robertson, Hil & McDougall LLP

Ottawa (Ontario)                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                           POUR LE DÉFENDEUR

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