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Date : 20200206

Dossier : T‑546‑12

Référence : 2020 CF 212

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 6 février 2020

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

BAUER HOCKEY LTD

demanderesse

et

SPORT MASKA INC., faisant affaire sous le nom de CCM HOCKEY

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Les présents motifs portent sur trois requêtes déposées par les parties à une action en contrefaçon de brevet en vue d’exclure, en totalité ou en partie, certains rapports d’experts.

I.  Requête présentée par CCM au titre de l’article 248 des Règles

[2]  Dans sa première requête, la défenderesse, que j’appellerai CCM, demande l’exclusion d’un rapport d’expert qui est fondé sur des renseignements et des documents concernant la perte de bénéfices que la demanderesse, Bauer Hockey Ltd. [Bauer], a refusé de fournir pendant les interrogatoires préalables puisqu’elle a affirmé qu’elle ne demanderait pas de dommages‑intérêts fondés sur la perte de bénéfices. Selon CCM, cela constituerait une violation de l’article 248 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Je rejette la présente requête, car le rapport d’expert en question ne s’appuie pas effectivement sur des documents que Bauer a refusé de divulguer.

A.  Principes généraux

[3]  Tout comme dans les autres ressorts canadiens, les Règles des Cours fédérales prévoient un régime complet relatif à l’interrogatoire préalable, qui comprend l’échange de documents et l’interrogatoire des témoins. Dans Glegg c Smith & Nephew Inc, 2005 CSC 31, au paragraphe 22, [2005] 1 RCS 724, le juge Louis LeBel de la Cour suprême du Canada a décrit comme suit les objectifs que l’étape d’interrogatoire préalable d’une action vise à réaliser :

La procédure d’interrogatoire préalable favorise la divulgation de la preuve dans l’intérêt de la conduite juste et efficace des procès. Son emploi permet ainsi à un plaideur de mieux connaître les fondements de la réclamation présentée contre lui, d’évaluer la qualité de la preuve et, à l’occasion, d’évaluer l’opportunité de maintenir la contestation ou, au moins, de mieux définir le cadre de celle‑ci. Bien employée, cette procédure peut contribuer à accélérer la marche du procès et la résolution des débats judiciaires […]. Dans ce contexte, l’accès à la preuve pertinente demeure inévitablement lié au droit du défendeur de préparer et de présenter une défense pleine et entière. Si la pertinence de la preuve demeure contestée, le juge est appelé à trancher. 

[4]  L’interrogatoire préalable permet également à une partie de connaître la preuve qu’elle doit réfuter (Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2015 CF 1292, au paragraphe 36) et permet de prévenir les situations où une partie est « surprise à l’instruction » (Canada c Lehigh Cement Limited, 2011 CAF 120, au paragraphe 30, citant Bande de Montana c Canada, [2000] 1 CF 267 (1re inst.), au paragraphe 5).

[5]  Ces objectifs ne peuvent pas être réalisés si une partie ne fait pas une divulgation complète pendant l’étape de l’interrogatoire préalable. Afin de dissuader les parties de manquer à leurs obligations à cet égard, l’article 232 des Règles prévoit qu’une partie ne peut se servir d’un document qu’elle n’a pas divulgué pendant l’interrogatoire préalable et l’article 248 des Règles prévoit qu’une partie ne peut pas déposer une preuve de certains faits lorsqu’elle a refusé de répondre à des questions concernant ces faits pendant l’interrogatoire préalable.

B.  Champ d’application

[6]  CCM dépose la présente requête dans le contexte où Bauer a toujours dit que sa demande de dommages‑intérêts ou d’une « indemnité raisonnable » en vertu de l’article 55 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, ch P‑4, se limiterait à une redevance raisonnable et n’inclurait pas la perte de bénéfices. Pendant l’étape de l’interrogatoire préalable, Bauer a refusé de répondre aux questions concernant ses bénéfices.

[7]  Dans ce contexte, Bauer a retenu les services de M. Berkman afin qu’il fournisse des éléments de preuve quant à la redevance raisonnable. Dans son rapport principal, M. Berkman a abordé l’utilisation de [traduction] « points de référence », comme les transactions concernant les brevets en litige, les évaluations de leur valeur ou des transactions comparables. Il a conclu qu’aucune licence comparable ne pouvait aider à l’évaluation d’une redevance raisonnable. Il a par contre invoqué des négociations hypothétiques, une méthodologie bien connue à cette fin. Afin d’établir la volonté minimale d’accepter [VMA] de Bauer, un élément fondamental de cette méthodologie, M. Berkman s’est appuyé sur les bénéfices auxquels Bauer renoncerait en perdant une certaine proportion de ses ventes en faveur de CCM, à la suite de l’octroi d’une licence hypothétique.

[8]  CCM s’oppose aux parties du rapport de M. Berkman qui donnent des opinions fondées sur les bénéfices perdus de Bauer. Elle fait valoir que Bauer tente de présenter des éléments de preuve de ses bénéfices, malgré le fait qu’elle a refusé de répondre à ces questions à ce sujet, contrairement à l’article 248 des Règles.

[9]  Je rejette la requête de CCM. En fait, M. Berkman fonde son évaluation des bénéfices perdus de Bauer sur deux documents qui ont effectivement été produits par Bauer à l’étape de l’interrogatoire préalable. Ces documents donnent ce que Bauer a décrit comme un aperçu [traduction] « d’ensemble » de ses bénéfices. M. Berkman ne s’est appuyé sur aucune autre source d’information à cet égard. Par conséquent, le rapport de M. Berkman ne contrevient pas à l’article 248 des Règles.

[10]  De plus, je n’interprète pas l’engagement de Bauer de ne pas demander une indemnisation au titre des bénéfices perdus comme excluant toute considération de bénéfices perdus dans l’établissement d’une redevance raisonnable. Les dommages‑intérêts au titre de bénéfices perdus et une redevance raisonnable sont généralement considérés comme deux façons distinctes d’évaluer les dommages‑intérêts pour contrefaçon de brevet. Le fait de renoncer au premier n’exclut pas le dernier. L’attente d’un concédant éventuel quant à la perte de bénéfices constitue une considération pertinente dans l’évaluation de sa VMA. À cet égard, CCM insiste sur l’insuffisance de la preuve [traduction] « d’ensemble » des bénéfices perdus invoquée par M. Berkman. Toutefois, cela porte sur la valeur probante de l’opinion de M. Berkman, une question que j’aborderai lorsque je rendrai un jugement sur le fond. Elle ne justifie pas l’exclusion de parties des rapports de M. Berkman en vertu de l’article 248 des Règles.

II.  Requêtes concernant la contre‑preuve

[11]  Bauer et CCM déposent toutes les deux une requête concernant la contre‑preuve de l’expert de la partie adverse, essentiellement pour la même raison, notamment qu’elle n’est pas recevable. Avant d’analyser chaque requête, il est utile de discuter brièvement des principes qui régissent la contre‑preuve.

A.  Principes généraux

[12]  Au cours d’un procès, le demandeur et le défendeur présentent leurs éléments de preuve à tour de rôle. Le demandeur a ensuite la possibilité de présenter une contre‑preuve : alinéa 271(1)c) des Règles. La portée de la contre‑preuve est limitée. La réponse n’a pas pour but de donner le dernier mot au demandeur. Elle vise plutôt à permettre au demandeur de répondre à des questions imprévues qui découlent des éléments de preuve du défendeur. Dans ces cas, le principe contradictoire – le principe selon lequel chaque partie peut contredire les éléments de preuve et les arguments de la partie adverse – ne peut pas être respecté à moins que le demandeur ait la possibilité de présenter d’autres éléments de preuve.

[13]  Toutefois, on ne peut permettre que la portée de la contre‑preuve outrepasse ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif limité. À cet égard, il est souvent dit que le demandeur ne peut pas « scinder sa preuve » : R c Krause, [1986] 2 RCS 466, à la page 473. En effet, les règles qui limitent la portée de la contre‑preuve favorisent les objectifs d’équité et d’efficacité du procès en permettant de garantir que le défendeur connaît la preuve qu’il doit réfuter lorsqu’il présente son moyen de défense et d’éviter une suite sans fin de présentation d’éléments de preuve par les parties : Amgen Canada Inc. c Apotex Inc., 2016 CAF 121, au paragraphe 12; Halford c Seed Hawk Inc., 2003 CFPI 141, au paragraphe 13 [Halford], citant Allcock Laight & Westwood Ltd. c Patten, Bernard and Dynamic Displays Ltd., [1967] 1 O.R. 18 (C.A.).

[14]  Les mêmes principes s’appliquent à l’établissement des rapports d’experts : Janssen Inc. c Teva Canada Limited, 2019 CF 1309.

[15]  À cet égard, les parties conviennent que les principes pertinents ont été bien résumés par le juge Denis Pelletier, qui était alors membre de la Cour, dans Halford, au paragraphe 14 :

1‑ La preuve qui sert uniquement à corroborer une preuve déjà soumise au tribunal n’est pas admissible.

2‑ La preuve qui porte sur une question qui a été soulevée pour la première fois en contre‑interrogatoire et qui aurait dû faire partie de la preuve principale du demandeur n’est pas admissible. Toute autre nouvelle question qui se rapporte à une des questions en litige et qui ne vise pas uniquement à contredire un des témoins de la défense est admissible.

3‑ La preuve qui sert uniquement à réfuter un élément de preuve qui a été présenté en défense et qui aurait pu être présenté dans le cadre de la preuve principale n’est pas admissible.

[4‑] […] Le tribunal acceptera d’examiner la preuve qui est exclue parce qu’elle aurait dû être présentée dans le cadre de la preuve principale, pour déterminer s’il doit admettre cette preuve en vertu de son pouvoir discrétionnaire.

[16]  Avant d’appliquer ces principes à la situation en litige, j’ajouterais simplement que les parties ne devraient pas déposer ce type de requête simplement pour souligner les lacunes perçues dans la preuve d’expert de la partie adverse. Ces lacunes peuvent être examinées au cours du contre‑interrogatoire ou mises en évidence dans les arguments. Les requêtes inutiles ne font qu’entraver le règlement efficace de l’affaire.

B.  Requête de CCM concernant la contre‑preuve

(1)  Rapport de M. Berkman déposé en réponse

[17]  CCM soutient que le rapport en réponse de M. Berkman, daté du 16 décembre 2019, est irrecevable parce qu’il ne répond pas à des éléments de preuve imprévus et qu’il contient de nouveaux éléments de preuve qui pourraient, en fait, permettre à Bauer de scinder sa preuve.

[18]  Tel que je l’ai mentionné ci‑dessus, M. Berkman a donné son opinion quant à une redevance raisonnable. Son premier rapport portait sur les points de référence, ce qui est communément appelé les facteurs énoncés dans la décision AlliedSignal et les négociations hypothétiques.

[19]  En réponse, CCM a déposé le rapport d’expert de Mme Booth qui a critiqué l’analyse fondée sur les négociations hypothétiques de M. Berkman et a fourni sa propre analyse fondée sur les économies réalisées par CMM plutôt que sur les bénéfices perdus de Bauer ou gagnés par CCM. Elle a adopté un autre point de vue quant à la pertinence de certains points de référence examinés par M. Berkman. Il convient également de noter que, dans la section portant sur contexte de son rapport, elle a fourni une comparaison entre les proportions et les prix moyens des patins CCM et Bauer qui faisaient partie des catégories du sport d’élite et de haut niveau, ainsi que du sport récréatif.

[20]  M. Berkman a fourni un rapport en réponse dans lequel il réaffirme la validité de son analyse fondée sur les négociations hypothétiques, critique l’opinion de Mme Booth concernant les points de référence et offre d’autres calculs des prix moyens des patins de chaque catégorie, ainsi qu’une nouvelle analyse de l’évolution, au cours des années, de la proportion de patins fabriqués par CCM qui constitueraient une contrefaçon du brevet de Bauer.

[21]  CCM s’oppose maintenant au rapport en réponse de M. Berkman dans sa totalité. Je suis d’accord avec CCM. À mon avis, M. Berkman cherche simplement à renforcer les éléments de preuve qu’il a déjà présentés ou à fournir de nouveaux éléments de preuve. Mme Booth n’a fourni aucun élément de preuve imprévu auquel M. Berkman devrait être autorisé à répondre. En effet, contrairement à la pratique habituelle en ce qui concerne les rapports en réponse, M. Berkman ne précise pas les opinions exprimées par Mme Booth, le cas échéant, qu’il n’aurait pas pu anticiper.

[22]  Bauer soutient que M. Berkman a le droit de répondre à la solution de substitution qui n’entraîne pas de contrefaçon invoquée par Mme Booth. Toutefois, ce que Mme Booth fait réellement consiste à calculer la volonté maximale de payer [VMP] de CCM en fonction des coûts que celle‑ci économiserait en ayant une licence hypothétique et en utilisant un quart de ce qui constituerait par ailleurs une contrefaçon du brevet de Bauer. Bien que Bauer puisse vouloir contre‑interroger Mme Booth quant à son opinion ou contester ses hypothèses factuelles, ce que Mme Booth a dit respecte les limites de la méthodologie de négociation hypothétique. En conséquence, il était tout à fait prévisible qu’elle présente différentes bases de calcul de la VMA et VMP des parties. M. Berkman aurait dû expliquer dans son rapport principal la raison pour laquelle il estime que les autres méthodes connues pour calculer les VMA et VMP des parties ne sont pas appropriées en l’espèce.

[23]  Bauer fait également valoir que M. Berkman doit répondre aux calculs supposément erronés de Mme Booth du prix moyen ou de la proportion des patins de chaque catégorie. Encore une fois, le simple désaccord avec l’opinion de l’expert de la partie adverse ne donne pas ouverture à un droit de réponse. Si Bauer ne souscrit pas aux calculs de Mme Booth, la question peut être soulevée en contre‑interrogatoire.

[24]  Ainsi, la requête de CCM visant à supprimer le rapport de M. Berkman en réponse sera accueillie.

(2)  Rapport de M. Ross déposé en réponse

[25]  CCM soutient que des parties du rapport en réponse de M. Ross, daté du 16 décembre 2019, sont irrecevables parce qu’elles énoncent simplement le fait qu’il ne souscrit pas à l’opinion de l’expert de Bauer et reprennent sa première opinion.

[26]  Dans le cadre de l’analyse de la comptabilité des bénéfices, il incombe d’abord au demandeur de prouver les recettes tirées par le défendeur des ventes des produits qui constituent supposément une contrefaçon. Il incombe ensuite au défendeur de prouver les coûts qui auraient dû être déduits de ces recettes pour obtenir les bénéfices à payer au breveté : Diversified Products Corp. c Tye‑Sil Corp.,(1990), 32 CPR (3d) 385, à la page 390 (CFPI); Dow Chemical Company c Nova Chemicals Corporation, 2017 CF 350, aux paragraphes 110 et 131, [2018] 2 RCF154. En outre, pour ce qui est de la question concernant la répartition et les solutions alléguées de substitution qui n’entraînent pas de contrefaçon, le fardeau de la preuve incombe au défendeur. Néanmoins, les règles concernant la contre‑preuve s’appliquent, peu importe de savoir à quelle partie incombe le fardeau de la preuve.

[27]  Au nom de Bauer, M. Ross a préparé un rapport d’expert concernant la comptabilité des bénéfices de CCM. M. Ross a traité un certain nombre des éléments de coût et a donné son avis quant à savoir lesquels étaient supplémentaires et, par conséquent, il les a correctement déduits des recettes de CCM. Par la suite, CCM a déposé le rapport d’expert de M. Davidson qui a donné sa propre opinion quant au caractère déductible de divers éléments. M. Ross a ensuite préparé son rapport en réponse, exprimant son désaccord concernant certaines parties de l’opinion de M. Davidson.

[28]  CCM affirme maintenant que certaines parties de ce dernier rapport constituaient une réponse irrecevable parce que M. Ross ne fait que reprendre ses opinions précédentes ou exprimer son désaccord avec M. Davidson. Néanmoins, CCM reconnaît que d’autres parties du rapport de M. Ross en réponse constituent une réplique appropriée. CCM peut avoir raison en partie, même si la base de distinction entre les parties du rapport qui sont appropriées et celles qui ne le sont pas demeure ambiguë.

[29]  Toutefois, je n’ai pas à trancher la question puisque je suis prêt à exercer mon pouvoir discrétionnaire pour admettre le rapport malgré une violation possible des règles concernant la contre‑preuve. La comptabilisation des bénéfices constitue un processus peu fastidieux. Le rapport de M. Ross en réponse me donne un aperçu complet de la position de Bauer à l’égard de chacun des éléments de coût de CCM. Un tel document sera très utile pour comparer les arguments des parties à cet égard. Je n’estime pas que le fait de l’admettre en preuve causera un préjudice à CCM.

C.  Requête présentée par Bauer concernant les rapports en réponse et en réplique

[30]  Bauer conteste certaines parties du rapport d’expert en réplique de Lenny M. Holden, daté du 8 novembre 2019 (« rapport Holden en réplique ») et le rapport d’expert de Antonin Meibock en réponse, daté du 16 décembre 2019 (« rapport Meibock en réponse ») comme constituant une contre‑preuve irrecevable.

(1)  Rapport Holden en réplique

[31]  Afin de situer l’objection de Bauer dans son contexte, il est utile de rappeler certains des éléments de l’ordonnance fixant l’échéancier rendue par mon collègue le protonotaire Richard Morneau le 22 janvier 2018. Les parties devaient échanger une première série de rapports d’experts, dont les rapports de Bauer sur l’interprétation des revendications, de la contrefaçon et des réparations pécuniaires et les rapports de CCM sur l’interprétation des revendications et la validité. Puis, au cours d’un deuxième échange d’une série de documents, les deux parties pouvaient déposer des rapports qui répondent aux rapports de la première série et qui traitent des questions supplémentaires.

[32]  Selon l’ordonnance fixant l’échéancier, Bauer a déposé le rapport de M. Beaudoin, qui portait sur l’interprétation des revendications et la contrefaçon, et CCM a déposé, entre autres, le rapport de M. Holden, qui portait sur l’interprétation des revendications et la validité. Toutefois, le premier rapport de M. Holden ne comportait aucune partie qui portait plus particulièrement sur les éléments essentiels des revendications. M. Holden ne traite précisément de cette question que dans le cadre de son rapport en réponse.

[33]  Je tiens à souligner d’abord que le rapport contesté est un rapport en réponse et non un rapport en réplique. En conséquence, les règles concernant la contre‑preuve ne s’appliquent pas. M. Holden avait le droit de répondre au rapport de M. Beaudoin.

[34]  Bauer s’appuie fortement sur la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Whirlpool Corp. c Camco Inc., 2000 CSC 67, au paragraphe 43, [2000] 2 RCS 1067, où le juge Ian Binnie a déclaré que les questions concernant l’interprétation des revendications devraient être tranchées avant les questions de validité ou de contrefaçon. Toutefois, cette déclaration vise le processus intellectuel, et non la séquence dans laquelle les éléments de preuve sont déposés. En termes simples, l’interprétation des revendications ne doit pas être influencée par des considérations liées à l’invalidité ou à la contrefaçon. Je n’interprète pas les motifs du juge Binnie comme exigeant de fournir des opinions sur l’interprétation des revendications avant les opinions concernant d’autres sujets.

[35]  Par conséquent, la requête de Bauer concernant le rapport de Holden en réplique est dénuée de fondement.

(2)  Rapport Meibock en réponse

[36]  Bauer fait valoir que certaines parties du rapport de M. Meibock en réponse constituent une contre‑preuve irrecevable parce qu’elles portent sur des questions qui auraient dû être soulevées plus tôt. Encore une fois, pour évaluer cet argument, il faut comprendre l’ordre dans lequel les rapports d’experts ont été préparés.

[37]  Au cours de la première série, conformément à l’ordonnance fixant l’échéancier, M. Beaudoin a préparé un rapport concernant l’interprétation des revendications et la contrefaçon. Entre autres, il a donné son avis sur la signification de l’expression [traduction] « montage de botte de patin ». En même temps, M. Meibock a préparé un rapport dans lequel il a abordé l’interprétation des revendications et l’invalidité. Plus particulièrement, il a soutenu que le brevet de Bauer, s’il était interprété d’une certaine manière, était antériorisé par un patin de CCM connu comme Champion 90.

[38]  Au cours de la deuxième série, M. Beaudoin a préparé un rapport qui, entre autres, répondait à l’opinion de M. Meibock sur la question de l’antériorité. M. Beaudoin a exprimé l’avis que le Champion 90 n’avait pas un [traduction] « montage de botte de patin » et, pour cette raison, ne pouvait pas antérioriser le brevet de Bauer. À l’appui de ce point de vue, il a dit que, lorsqu’un quart est fabriqué en plastique moulé par injection, le patin est considéré comme moulé et non monté. En outre, il a indiqué qu’un patin monté pourrait s’adapter au pied du porteur après une période de [traduction] « adaptation », ce qui serait impossible si le quart était fabriqué en plastique, comme le Champion 90. 

[39]  Dans son rapport en réponse, M. Meibock indique qu’il n’aurait pas pu anticiper l’opinion de M. Beaudoin selon laquelle le Champion 90 n’était pas un patin monté. En fait, CCM va jusqu’à dire que M. Beaudoin [traduction] « a changé d’avis » quant à la signification du terme [traduction] « montage ». Bauer nie cela avec véhémence. Quoi qu’il en soit, je suis d’avis que les opinions de M. Beaudoin quant à savoir si le Champion 90 est un patin monté ou moulé ne pouvaient pas être anticipées. Par conséquent, les parties contestées du rapport de M. Meibock constituent une réponse recevable et la requête de M. Bauer sera rejetée.


 

ORDONNANCE dans le dossier T‑546‑12

LA COUR ORDONNE que :

1.  La requête de la demanderesse en vue de faire radier certaines parties des rapports de M. Holden et de M. Meibock est rejetée;

2.  La requête de la défenderesse en vue de faire radier certaines parties des rapports de M. Berkman est rejetée;

3.  La requête de la défenderesse en vue de faire radier le rapport en réponse de M. Berkman est accueillie;

4.  La requête de la défenderesse en vue de faire radier certaines parties du rapport de M. Ross est rejetée;

5.  Étant donné le succès partagé en l’espèce, aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Sébastien Grammond »

 

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16ejour de mars 2020.

Semra Denise Omer, traductrice

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T‑546‑12

 

INTITULÉ :

BAUER HOCKEY LTD c. SPORT MASKA INC., faisant affaire sous le nom de CCM HOCKEY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 FÉVRIER 2020

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS ET DE L’ORDONNANCE :

LE 6 FÉVRIER 2020

 

 

COMPARUTIONS :

François Guay

Jeremy Want

Jean‑Sébastien Dupont

Matthew Burt

Élodie Dion

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jay Zakaib

Frédéric Lussier

Erin Creber

Alexander Camenzind

Cole Meagher 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart and Biggar

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Gowling WLG

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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