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Date : 20200206


Dossier : IMM‑4145‑19

Référence : 2020 CF 214

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 6 février 2020

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

PARMJIT SINGH

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Section d’appel de l’immigration [la SAI] a rejeté l’appel interjeté par M. Singh à l’encontre de la décision d’un agent selon laquelle il ne s’était pas conformé aux exigences relatives à son obligation de résidence énoncées à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant le maintien de son statut de résident permanent.

[2]  Sauf exception, les résidents permanents doivent être effectivement présents au Canada pendant 730 jours au cours d’une période quinquennale. S’ils ne se conforment pas à cette exigence minimale, un avis d’interdiction de séjour sera rendu, à moins que l’on conclue qu’il existait des motifs d’ordre humanitaire rendant inopposable l’inobservation de leur obligation de résidence. C’est ce qui s’est produit en l’espèce : M. Singh a passé seulement 72 jours au Canada au cours de la période quinquennale visée, et un agent et la SAI ont conclu qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour empêcher la stricte application de la Loi.

[3]  Comme elle était tenue de le faire, la SAI a examiné différents faits relatifs à la situation de M. Singh et a soupesé chacun de ses faits avant de trancher la question de savoir s’il existait des motifs d’ordre humanitaire rendant inopposable l’inobservation de son obligation de résidence.

[4]  D’une part, la SAI a conclu que la période d’absence du Canada exceptionnellement longue constituait un « facteur défavorable important qui pèse contre la prise d’une mesure discrétionnaire ». Il s’agissait du seul facteur défavorable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la SAI.

[5]  D’autre part, la SAI a conclu que les « récents efforts déployés [par le demandeur] pour s’établir constituent un facteur favorable à la prise d’une mesure discrétionnaire » et que le fait que sa famille pourrait faire face à certaines difficultés financières est « minimalement favorable » à la prise d’une telle mesure.

[6]  La SAI a conclu que la demande de citoyenneté en instance du demandeur, son retour à Bahreïn ou en Inde, et l’intérêt supérieur de l’enfant étaient des facteurs neutres.

[7]  De l’avis de la SAI, lorsqu’ils sont soupesés ensemble, ces facteurs démontrent que M. Singh ne s’est pas acquitté du fardeau de prouver qu’il existait des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour faire contrepoids à ses absences.

[8]  Il est convenu que la décision doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable.

[9]  Monsieur Singh soutient que la décision est déraisonnable à deux égards. Premièrement, il affirme qu’il était déraisonnable que la SAI [traduction] « s’appuie substantiellement sur son retour à Bahreïn » malgré la preuve selon laquelle il n’a pas de statut juridique dans ce pays. Deuxièmement, il prétend que la SAI a déraisonnablement conclu qu’il ne subirait aucune difficulté s’il retournait en Inde, et ce, [traduction] « même si des inférences raisonnées ont manifestement été tirées ». Plus précisément, il conteste les conclusions formulées au paragraphe 15 de la décision :

Il a été question de l’endroit où l’appelant irait s’il devait quitter le Canada. L’appelant a dit avoir pu rester à Bahreïn pendant plus de 30 ans sur le fondement d’une autorisation de travail. Il a dit qu’il n’avait plus d’autorisation de travail à Bahreïn, mais qu’il serait en mesure d’en obtenir une nouvelle et de retourner à Bahreïn s’il devait le faire. Autrement, l’appelant serait obligé de retourner en Inde. L’appelant a quitté l’Inde il y a plus de 30 ans, mais il n’a pas présenté d’éléments de preuve suffisants pour établir qu’il subira des difficultés s’il retourne dans ce pays. Le tribunal estime qu’il s’agit d’un facteur neutre dans l’évaluation de la question de savoir si le cas de l’appelant justifie la prise d’une mesure discrétionnaire.

[10]  Je suis d’accord avec M. Singh pour dire que la SAI n’a pas apprécié correctement sa capacité à retourner à Bahreïn. La Cour a statué qu’il est erroné d’apprécier des motifs d’ordre humanitaire en se référant à un pays où le demandeur ne jouit d’aucun statut juridique : Abdullah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 954. Le statut d’une personne doit être évalué en fonction de son droit de s’installer dans un autre pays au moment de l’appréciation. L’appréciation ne peut pas être fondée sur ce qui pourrait se produire à l’avenir.

[11]  En l’espèce, il appert clairement de la preuve versée au dossier que M. Singh n’avait pas le droit de retourner ou d’entrer à Bahreïn lorsque la décision a été rendue.

[12]  Le ministre soutient que ce facteur constituait de toute manière un facteur « neutre » et qu’il n’avait donc aucun poids. Je ne suis pas d’accord. Si la SAI avait tenu compte du fait que le demandeur serait obligé de retourner en Inde si sa demande était rejetée, elle aurait bien pu juger que ce fait était favorable à sa demande et ne constituait pas un facteur neutre. Je tiens à le préciser parce que, comme il est mentionné ci‑après, la SAI a également analysé de façon déraisonnable les difficultés qu’il subirait en Inde.

[13]  Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, au paragraphe 103, la Cour a déclaré qu’une décision sera déraisonnable si, lorsqu’on lit les motifs en corrélation avec le dossier, il est impossible de comprendre le raisonnement du décideur sur un point central.

[14]  J’accepte l’argument du ministre selon lequel le dossier contient peu de renseignements en ce qui a trait aux difficultés que subirait M. Singh s’il devait retourner en Inde, où il n’avait pas résidé depuis plus de 30 ans. Or, M. Singh a clairement dit au tribunal qu’il éprouverait des difficultés financières s’il était obligé de retourner dans ce pays. Lorsqu’on lui a demandé s’il pourra subvenir à ses besoins en Inde, il a répondu : [traduction] « Il n’y a rien en ce moment ». La SAI n’a pas tenu compte du fait que le dossier montre que tous les membres de sa famille immédiate habitent dans un autre pays. Il retournerait donc seul dans son pays d’origine. Sur la foi du dossier, je ne puis être d’accord avec la SAI lorsqu’elle affirme qu’« il n’a pas présenté d’éléments de preuve suffisants pour établir qu’il subira des difficultés s’il retourne dans ce pays ».

[15]  Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier ou d’apprécier à nouveau la preuve; ce rôle incombe plutôt à la SAI. Pour ce faire, la SAI doit appliquer les principes juridiques appropriés et tenir compte de l’ensemble du dossier. Comme la SAI n’a pas tenu compte de l’ensemble du dossier lorsqu’elle a rendu sa décision, celle‑ci doit être annulée.

[16]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑4145‑19

LA COUR STATUE que :

1.  L’intitulé doit être modifié immédiatement afin de désigner le défendeur comme le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et non comme le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada.

2.  La demande est accueillie.

3.  La décision de la Section d’appel de l’immigration est annulée.

4.  La demande doit être examinée à nouveau par un autre membre de la Section d’appel de l’immigration.

5.  Aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de février 2020

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4145‑19

INTITULÉ :

PARMJIT SINGH c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 5 février 2020

jugement et motifs :

le juge ZINN

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 6 février 2020

COMPARUTIONS :

Rajveer S. Atwal

pour le demandeur

Brett J. Nash

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kang & Company

Avocats

Surrey (Colombie‑Britannique)

pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

poUR le défendeur

 

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