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Date : 20050406

Dossier : IMM-2057-05

Référence : 2005 CF 450

Ottawa (Ontario), le 6 avril 2005

En présence de Madame la juge LAYDEN-STEVENSON                                    

ENTRE :

                                                          JOYCELYN CEBALLO

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                                       LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La demanderesse demande une ordonnance de sursis de son renvoi prévu pour la fin de la journée, en attendant la décision relative à sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision rendue le 1er avril 2005 par un agent d'exécution qui a refusé de reporter son renvoi, ou, subsidiairement, une ordonnance de sursis de son renvoi pour une période de 30 jours.


[2]                On sait que la demanderesse doit, dans ce cas, remplir le critère à trois volets énoncé dans Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.). Comme l'enjeu de la demande de contrôle judiciaire est la décision de ne pas reporter le renvoi, la Cour doit se demander non seulement si une question sérieuse est soulevée, mais aussi analyser plus en détail le fond de la demande et la vraisemblance de son succès (voir Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 3 R.C.F. 682 (C.F. 1re inst.).

[3]                La demanderesse vit au Canada depuis plus de 31 ans. Elle a quatre enfants nés au Canada, âgés de 14, 18, 19 et 22 ans, et deux petits­-enfants. Sa mère est atteinte de la maladie d'Alzheimer et réside dans une maison de repos de Toronto. Ses trois soeurs et son frère sont citoyens canadiens ou résidents permanents du Canada, quoique son frère fasse le va et vient entre le Canada et La Trinité. Son conjoint de fait, de nature violente, purge deux peines de prison à perpétuité pour meurtre. Son fils de 19 ans a, lui aussi, été accusé, avec un comparse, de deux meurtres avec préméditation. Aucune date n'a été fixée pour l'enquête préliminaire.


[4]                La demanderesse a été reconnue coupable de 21 chefs d'accusation et est accusée de deux infractions pénales qui seront retirées par le ministère public si elle est expulsée du pays. Le 6 janvier 2000, la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SAI) a rendu une ordonnance reportant l'exécution de la mesure de renvoi, datée du 10 mars 1999, à certaines conditions, et prévoyant la révision de l'ordonnance le 6 janvier 2005.    Les conditions de l'ordonnance supposaient, entre autres, que la demanderesse s'abstienne de consommer ou de vendre des substances illicites, qu'elle ne crée pas de désordre et qu'elle adopte une bonne conduite. En dehors des accusations actuelles, qui doivent encore faire l'objet de poursuites, la demanderesse a, entre le 6 juin 2001 et le 29 décembre 2004, accumulé cinq autres condamnations pour vol de moins de 5 000 dollars et deux pour possession de biens obtenus par des moyens criminels. Le 22 juillet 2004, la SAI a annulé l'ordonnance de sursis et rejeté l'appel de la demanderesse. Celle-ci a demandé la résidence permanente pour raisons humanitaires (demande CH) le 23 mars 2005.

[5]                La demanderesse allègue que l'agent d'exécution a commis une erreur en ne tenant pas compte a) des répercussions de son renvoi sur la capacité de son fils à se défendre contre les accusations de meurtre qui pèsent sur lui, ce qui constituerait une violation des droits que lui garantit la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), et b) de l'intérêt de l'enfant de 14 ans, qui doit être dûment évalué avant le renvoi.


[6]                Je ne suis pas convaincue qu'il existe une question sérieuse à trancher. Concernant la première erreur alléguée, le seul élément de preuve relatif au fils est la correspondance de son avocat en date du 22 mars 2005, où celui-ci déclare que [traduction] « la demanderesse est un témoin nécessaire et important pour la défense [de son client] et fera l'objet d'une assignation à comparaître à l'audience préliminaire et au procès » , et la correspondance de l'adjoint de l'avocat, datée du 1er avril 2005, où celui-ci déclare que l'avocat sera en vacances jusqu'au 7 avril 2005 et qu'on ne peut le joindre, qu'il veut que la demanderesse témoigne, qu'il existe d'autres moyens de la faire témoigner (en dehors de sa présence), mais qu'il veut avoir la possibilité de vérifier si ces moyens respectent les droits garantis par la Charte à son client, qu'il veut interroger la demanderesse sur sa déposition et qu'il a besoin de 30 jours pour prendre les dispositions légales qui conviennent pour garantir la présence de la demanderesse au procès.

[7]                Rien ne nous éclaire sur la nature des éléments de preuve proposés. Comme la demanderesse était incarcérée lorsque les meurtres présumés ont été commis, il y aurait lieu, me semble-t-il, de préciser en quoi elle peut contribuer à la défense de son fils. Rien ne permet de penser que la demanderesse ne pourrait pas fournir un résumé de son témoignage à l'adjoint de l'avocat de son fils ni qu'il lui serait impossible de discuter avec l'avocat de son fils, par téléphone, dans les mois qui viennent, avant une enquête préliminaire dont la date n'est pas encore fixée. Le défendeur fait remarquer que le paragraphe 24(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), prévoit la délivrance de permis de séjour temporaire dans les circonstances qui le justifient et que la Cour n'est pas la tribune qui convient pour faire valoir des arguments concernant les présumées violations du droit de son fils à une défense pleine et entière contre les accusations dont il fait l'objet. Et je suis d'accord avec cette proposition.

[8]                Par ailleurs, la demanderesse tente d'invoquer la présumée violation des droits d'une tierce personne pour faire valoir sa cause. Ce genre de méthode a été rejeté par la Cour suprême du Canada dans R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128, et dans Canada (Ministre de la Justice) c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575. Le fait que le tiers soit son fils adulte n'a aucune importance. Cet argument ne soulève pas de question sérieuse.


[9]                Concernant la deuxième erreur présumée, le fait que l'on n'ait pas évalué l'intérêt de l'enfant de 14 ans n'est pas déterminant, selon moi, quant à l'existence d'une question sérieuse. La demanderesse invoque Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 C.F.1341, mais cette décision appelle une distinction. Dans cette affaire, la demande CH avait été déposée plusieurs mois avant les dispositions relatives au renvoi soient prises. Dans la présente espèce, la demande CH a été déposée moins de deux semaines avant la date de renvoi prévue et malgré l'annulation du sursis au renvoi en juillet 2004. Dans le premier cas, la preuve attestait un rapport d'interdépendance entre l'enfant et le parent. Dans le second, on ne voit guère de preuve de ce rapport, en dehors des sorties au cinéma ou au restaurant. Dans le premier cas, le parent n'avait pas d'antécédents criminels, tandis que le contraire est vrai dans le cas qui nous occupe. Dans le premier cas, la preuve révélait l'existence du rôle du parent dans la vie de l'enfant et les difficultés que le renvoi susciterait. Dans le second, on n'a qu'une affirmation générale sur la violation des droits de l'enfant.


[10]            Plus important encore, l'agent d'exécution a tenu compte de l'intérêt de la jeune fille de 14 ans et a fait remarquer que la demanderesse avait connu au moins 11 périodes d'incarcération au cours de la vie de sa fille, dont deux périodes très longues. De plus, le dossier indique que l'enfant a été placée dans des foyers d'accueil durant de longues périodes. On ne peut pas dire que l'agent d'exécution n'ait pas tenu compte de l'enfant. Je fais remarquer, malgré ces circonstances, que la documentation versée au dossier par l'avocat indique que l'enfant est en neuvième année, qu'elle réussit bien à l'école, qu'elle participe à un programme postscolaire, qu'elle a récemment gagné le concours « Loretto Idol » de son école et qu'elle étudie sérieusement. Je comprends la situation de la demanderesse, mais je ne suis pas convaincue qu'elle a fait la preuve de l'existence d'une question sérieuse à cet égard.

[11]            Même si je l'étais, on n'a pas fait la preuve de l'existence d'un tort irréparable. Exception faite du rapport du psychologue, en date du 5 avril 2005 (dont l'agent d'exécution n'avait pas été saisi), rien ne vient s'ajouter à la preuve dont je viens de faire état. Dans ce rapport, le psychologue décrit ce que je considère comme des réactions normales à la perspective du renvoi : tristesse, larmes, inquiétude. Le psychologue rappelle l'importance cruciale du soutien et des conseils des parents dans le développement psychologique normal de l'enfant, mais il ne dit rien des conséquences négatives de la situation jusqu'ici, sans compter les séparations répétées de l'enfant et de sa mère. Il précise que l'enfant vit avec ses soeurs aînées, et je fais également remarquer qu'il n'a manifestement pas envisagé la possibilité que l'enfant parte avec sa mère. Selon moi, le rapport du psychologue n'ajoute pas grand-chose à la preuve. Enfin, je considère que la requête subsidiaire (un sursis de 30 jours) contredit la position de la demanderesse concernant le tort irréparable qui serait causé à sa fille.


[12]            La prépondérance des inconvénients penche du côté du défendeur, au sens où l'obligation du ministre n'est pas « simplement [...] une question de commodité administrative, il s'agit plutôt de l'intégrité et de l'équité du système canadien de contrôle de l'immigration, ainsi que de la confiance du public dans ce système » : voir Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 C.A.F. 261. Le paragraphe 48(2) de la LIPR prévoit qu'une mesure de renvoi est exécutoire dès que les circonstances le permettent. Les crimes commis par la demanderesse militent contre elle. L'argument selon lequel elle n'est et ne sera pas un danger pour la population parce qu'elle est incarcérée sape ses prétentions concernant l'intérêt de son enfant, s'agissant de deux des volets du critère que sont la question sérieuse et le tort irréparable.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE la requête soit rejetée.

            « Carolyn A. Layden-Stevenson »          

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                                                             

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2057-05

INTITULÉ :                                        JOYCELYN CEBALLO c. SGC

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                5 avril 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Madame la juge Layden-Stevenson

DATE DES MOTIFS :                       6 avril 2005

COMPARUTIONS :

Leigh Salsberg                                       POUR LA DEMANDERESSE

Kareena R. Wilding                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates                                     POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


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