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Date : 20200205


Dossier : IMM‑4062‑19

Référence : 2020 CF 205

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 février 2020

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

SELEMAWIT ABRAHAM KIFLOM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle un agent de migration (l’agent) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a conclu que la demanderesse ne faisait pas partie de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ni de celle des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières, suivant les articles 145 et 146 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR), respectivement.

[2]  Pour les motifs exposés ci‑après, la présente demande est rejetée.

Contexte

[3]  La demanderesse, Selemawit Abraham Kiflom, est une citoyenne de l’Érythrée. Elle soutient avoir subi de mauvais traitements après s’être plainte de la durée indéterminée de son service national obligatoire. Elle a ensuite fui l’Érythrée pour le Soudan, où elle se trouve encore. La demanderesse a présenté une demande de résidence permanente à titre de réfugiée au sens de la Convention outre-frontières ou de personne protégée à titre humanitaire outre-frontières. Sa demande a été parrainée par la Canadian International Immigrant and Refugee Support Association, ainsi que par son frère, Mulu‑berhan Kiflom. La demande a été rejetée le 29 mars 2019.

Décision faisant l’objet du contrôle

[4]  Dans une lettre datée du 29 mars 2019, l’agent a déclaré qu’il avait achevé son appréciation de la demande de visa de résidente permanente à titre de réfugiée au sens de la Convention outre‑frontières ou de personne protégée à titre humanitaire outre-frontières présentée par la demanderesse et qu’il avait conclu que cette dernière ne satisfaisait pas aux exigences établies pour immigrer au Canada. L’agent a fait référence au paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), qui prévoit que l’auteur d’une demande doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, et a affirmé que les réponses fournies par la demanderesse à l’entrevue tenue le 18 avril 2018 à Khartoum, au Soudan, avaient soulevé des préoccupations. Plus précisément, la demanderesse a fourni de multiples dates discordantes pour ce qui est de la période où elle était aux études, de la période de son service national et de son départ de l’Érythrée. De plus, la demanderesse a reconnu avoir sciemment fourni des renseignements inexacts à l’entrevue de façon à ce que son témoignage concorde avec les renseignements fournis dans les déclarations écrites consignées dans ses formulaires de demande. L’agent a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les déclarations de la demanderesse étaient plus vraisemblablement fausses que vraies et que ses déclarations n’étaient pas crédibles. L’agent n’était pas convaincu du moment du départ de l’Érythrée ou de l’existence d’une crainte fondée de persécution à l’origine de ce départ. En outre, l’agent n’était pas convaincu du moment où la demanderesse a effectué son service national, ou si ses difficultés liées au service national étaient la raison de son départ de l’Érythrée.

[5]  L’agent a conclu que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences de l’alinéa 139(1)e) du RIPR parce qu’elle ne faisait pas partie de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie des personnes de pays d’accueil (c’est‑à‑dire une personne protégée à titre humanitaire outre-frontières).

[6]  Des motifs additionnels à l’appui de la décision de l’agent sont consignés dans les notes du Système mondial de gestion des cas (les notes du SMGC). D’après les notes du SMGC, l’agent a signalé à la demanderesse la discordance entre les dates fournies dans ses formulaires de demande et celles fournies dans son témoignage. L’agent a aussi pris en note les explications avancées par la demanderesse à cet égard. Selon les notes de l’agent, la demanderesse a signé ses formulaires de demande et déclaré que les renseignements qu’ils contenaient étaient exacts, tout en sachant qu’ils ne l’étaient pas. Elle a ensuite répété les renseignements inexacts à l’entrevue. L’agent a examiné les nouvelles dates fournies par la demanderesse après la constatation des discordances, mais a exprimé la crainte que la demanderesse ait fourni ces renseignements seulement après avoir été mise en présence de ces contradictions. L’agent a conclu que les faux renseignements fournis par la demanderesse à l’entrevue et dans ses formulaires de demande soulevaient des doutes sur l’ensemble de son récit des événements. L’agent n’était pas convaincu que la demanderesse avait répondu véridiquement, suivant le paragraphe 16(1) de la LIPR. L’agent a réitéré qu’il n’était pas convaincu du moment du départ de l’Érythrée ou des raisons de ce départ. De plus, l’agent n’était pas convaincu du moment et de l’endroit où la demanderesse avait effectué son service national en Érythrée et de la fonction qu’elle avait occupée dans le cadre de ce service. En outre, il n’était pas convaincu que la demanderesse craignait la persécution en raison de difficultés liées à son service national. Par conséquent, l’agent a rejeté la demande.

[7]  Par la suite, la demanderesse a demandé un réexamen de la décision de l’agent. Elle a expliqué qu’elle avait commis des erreurs en ce qui a trait aux dates parce que [traduction] « c’était la période la plus difficile de sa vie, alors elle les a oubliées ». L’agent a signalé que cette explication ne concordait pas avec celle que la demanderesse avait fournie à l’entrevue, à savoir qu’elle avait fourni les bonnes dates à la personne qui l’avait aidée à remplir les formulaires, mais cette personne avait ensuite inscrit des dates inexactes dans les formulaires. L’agent a rejeté la demande de réexamen.

Questions en litige

[8]  La demanderesse dresse une liste de sept questions qui, à son avis, doivent être tranchées dans le cadre du contrôle judiciaire. Toutefois, j’estime qu’il y a une question préliminaire, qui pourrait s’avérer déterminante, et une question de fond fondamentale. Les voici :

i.  Question préliminaire : La demanderesse devrait-elle obtenir une prorogation du délai dans lequel elle devait déposer la présente demande?

ii. Le cas échéant, la décision de l’agent était-elle raisonnable?

Norme de contrôle

[9]  Après que les parties ont soumis leurs observations écrites, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov). Par conséquent, à l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, j’ai demandé aux parties si elles souhaitaient soumettre des observations additionnelles découlant de l’arrêt Vavilov et concernant la norme de contrôle applicable en l’espèce.

[10]  Les avocats ont fait valoir, et je souscris à leur avis, que la norme de la décision raisonnable demeure la norme de contrôle appropriée lorsqu’il s’agit d’apprécier le bien-fondé d’une décision rendue par un agent d’immigration. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il existe une présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable lorsqu’une cour contrôle une décision administrative. Cette présomption ne peut être réfutée que dans deux types de situations. La première est celle où le législateur a prescrit expressément la norme de contrôle applicable ou a prévu un mécanisme d’appel d’une décision administrative devant une cour. La deuxième situation est celle où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte (Vavilov, au par. 17). Ni l’une ni l’autre de ces situations ne se présente en l’espèce, si bien que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[11]  Quand une cour de révision examine si une décision est raisonnable, elle se demande si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision « est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au par. 99).

Question préliminaire : La demanderesse devrait-elle obtenir une prorogation du délai dans lequel elle devait déposer la présente demande?

[12]  Le délai dans lequel un demandeur doit déposer une demande de contrôle judiciaire visant une décision d’immigration défavorable est énoncé à l’article 72 de la LIPR :

72 (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est, sous réserve de l’article 86.1, subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :

a) elle ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées;

b) elle doit être signifiée à l’autre partie puis déposée au greffe de la Cour fédérale — la Cour — dans les quinze ou soixante jours, selon que la mesure attaquée a été rendue au Canada ou non, suivant, sous réserve de l’alinéa 169f), la date où le demandeur en est avisé ou en a eu connaissance;

c) le délai peut toutefois être prorogé, pour motifs valables, par un juge de la Cour;

d) il est statué sur la demande à bref délai et selon la procédure sommaire et, sauf autorisation d’un juge de la Cour, sans comparution en personne;

e) le jugement sur la demande et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d’appel.

[13]  La présente affaire a pris naissance à l’extérieur du Canada et, par conséquent, au titre de l’alinéa 72(2)b), la demanderesse était tenue de déposer sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire dans les 60 jours suivant la date où elle a été avisée de la décision défavorable de l’agent. La décision est datée du 29 mars 2019 et la demanderesse ne soutient pas en avoir pris connaissance à une autre date. Cependant, elle n’a pas déposé sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire avant le 28 juin 2019, un mois après l’expiration du délai prévu. Dans sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, la demanderesse a demandé une prorogation de délai au titre de l’alinéa 72(2)c) de la LIPR, en énumérant les quatre facteurs – qui seront analysés ci‑après – que la Cour est tenue de prendre en compte lorsqu’elle examine une telle demande de prorogation.

[14]  La juge en chef adjointe Gagné a accordé l’autorisation de contrôle judiciaire le 30 octobre 2019. Toutefois, la juge Gagné ne s’est pas penchée sur la question de la demande de prorogation de délai.

Position de la demanderesse

[15]  Dans son mémoire initial des faits et du droit, la demanderesse n’a pas abordé l’essentiel de sa demande de prorogation de délai. Elle a tout simplement déclaré qu’elle avait toujours eu l’intention de contester la décision de l’agent, que l’octroi de la prorogation de délai ne causerait aucun préjudice au défendeur et que sa demande était fondée. Elle a aussi déclaré que le dépôt tardif de la demande était expliqué dans deux affidavits, l’un de Gentiana Morina, une étudiante qui travaillait dans le cabinet de l’avocat de la demanderesse (l’affidavit Morina), et l’autre du frère de la demanderesse, Mulu‑berhan Kiflom (l’affidavit Kiflom, conjointement les affidavits), et que le retard était court.

[16]  Dans sa réponse, la demanderesse a répondu aux observations de fond soumises par le défendeur au sujet de la prorogation de délai. Elle soutient que le défendeur ne subirait aucun préjudice en raison de la prorogation de délai parce que le défendeur avait toujours l’obligation de répondre à la demande, que cette dernière comporte ou non un volet lié à la prorogation de délai. La demanderesse soutient qu’elle n’était pas en mesure de soumettre un affidavit pour démontrer son intention constante de contester la décision sous-jacente parce qu’elle est à l’étranger et qu’elle ne sait lire ni l’anglais ni le français. De plus, il serait difficile sur le plan logistique de préparer un affidavit, si bien que la meilleure preuve de son intention constante provient de son frère. La demanderesse laisse entendre que le défendeur pourrait contre-interroger Mulu‑berhan Kiflom au sujet de son affidavit pour obtenir des réponses aux questions sur le dépôt tardif de la demande.

[17]  La réponse de la demanderesse renferme aussi des observations visant à expliquer les raisons avancées dans les affidavits pour le dépôt tardif de la demande. Plus précisément, lorsque Mulu‑berhan Kiflom a transmis à l’avocat de la demanderesse l’instruction d’aller de l’avant avec la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, il n’y avait aucun moyen de savoir que Mulu‑berhan Kiflom était lié à la demanderesse. Enfin, la demanderesse fait valoir que les critères servant à déterminer s’il y a lieu d’accorder une prorogation de délai ne doivent pas être satisfaits isolément. Ces critères doivent plutôt aider la Cour à arriver à une décision globale quant à la meilleure façon de veiller à ce que justice soit rendue pour les deux parties. La demanderesse fait valoir qu’il serait injuste de ne pas lui accorder une prorogation de délai si sa demande est fondée. À cet égard, elle soutient que même si les autres facteurs s’avéraient défavorables, ils ne l’emporteraient pas sur une demande d’autorisation fondée.

Position du défendeur

[18]  Le défendeur relève les facteurs que la demanderesse doit démontrer afin d’obtenir une prorogation de délai, puis aborde chacun d’eux. Le défendeur reconnaît qu’il n’est pas nécessaire que tous les facteurs penchent en faveur de la demanderesse, mais qu’il faut plutôt que la Cour soit convaincue qu’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder une prorogation de délai.

[19]  En ce qui concerne l’intention constante de la demanderesse de poursuivre la demande de contrôle judiciaire, le défendeur soutient que la demanderesse elle-même doit fournir la preuve de cette intention constante et qu’elle ne l’a pas fait (Virdi c Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CAF 38, au par. 3 (Virdi)). De plus, il soutient que l’affidavit Kiflom est insuffisant, car même si son souscripteur affirme que la demanderesse a une intention constante de poursuivre la demande, il ne précise pas s’il en a discuté avec la demanderesse ni comment il le sait. De même, l’affidavit Morina ne précise pas si Mme Morina ou l’avocat de la demanderesse ont correspondu ou parlé avec la demanderesse au sujet de son intention alléguée de poursuivre la demande. Le défendeur reconnaît qu’il n’est parfois pas possible d’obtenir une preuve directe, mais fait valoir qu’il n’y a pas, en l’espèce, d’éléments de preuve à l’appui de la position selon laquelle la demanderesse ne pouvait être jointe ou n’était pas disponible pour souscrire un affidavit ou pour confirmer l’affirmation de son avocat voulant que les difficultés logistiques entourant la préparation d’un affidavit rendaient cette option déraisonnable. Le défendeur souligne qu’un numéro de téléphone cellulaire et une adresse de courriel sont fournis dans la demande d’immigration de la demanderesse. De plus, le défendeur rejette l’argument de la demanderesse selon lequel les lacunes dans sa preuve pourraient être corrigées grâce à un contre-interrogatoire par le défendeur sur l’affidavit Kiflom, et souligne que le fardeau incombe à un demandeur de justifier une prorogation de délai (Tilahun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 815, au par. 9 (Tilahun)).

[20]  En ce qui concerne la justification du retard, le défendeur soutient qu’une partie qui demande une prorogation de délai doit justifier le retard pour toute la période en cause (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Singh, 140 FTR 102, [1997] ACF no 1726, au par. 22 (CF 1re inst.) (QL/Lexis) (Singh)). De plus, il soutient que seul un événement inattendu ou imprévu peut justifier l’octroi d’une demande de prorogation (Nwammadu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 107, au par. 10 (Nwammadu); Chin c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 69 FTR 77, [1993] ACF no 1033, au par. 8 (CF 1re inst.) (QL/Lexis) (Chin)).

[21]  Le défendeur soutient que la raison du retard avancée dans les affidavits Morina et Kiflom est inadéquate. Les raisons fournies par l’avocat de la demanderesse dans la réponse de la demanderesse sont également inadéquates, car ni l’omission de la part de l’avocat de demander des éclaircissements sur les instructions reçues, ni la simple attente de la part de la demanderesse que son avocat aille de l’avant ne constituent des explications raisonnables pour ne pas avoir respecté les délais établis par la loi (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 621, au par. 6; Flores Cabrera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1251, au par. 9).

[22]  Le défendeur fait valoir que la Cour a précédemment et récemment reproché à l’avocat de la demanderesse de ne pas avoir justifié convenablement le dépôt tardif d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (Idu c Canada (Citoyenneté et Immigration) (17 mai 2018), IMM‑658‑18 (CF) (Idu); Ibrahim c Canada (Citoyenneté et Immigration) (7 septembre 2018), IMM‑2507‑18 (CF) (Ibrahim); Tilahun, aux par. 2 à 4, 10 et 13). Étant donné ces mises en garde répétées, la seule issue acceptable dans l’intérêt de la justice est de refuser la prorogation de délai. Le défendeur soutient qu’il subit un préjudice en raison du retard, car il est obligé de répondre à la demande de prorogation de délai (Mante c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 215, au par. 9; (22 février 2019), IMM‑1131‑18 (CF) (Mante)). En outre, répondre à une demande de prorogation de délai, particulièrement une demande qui comporte des lacunes, nécessite du temps et des efforts additionnels que le défendeur aurait épargnés si ce n’était du retard de la demanderesse.

[23]  Enfin, le défendeur soutient que la présente demande est sans fondement parce que la décision de l’agent était raisonnable. De graves incohérences dans les éléments de preuve présentés par la demanderesse minent l’ensemble de sa demande. L’absence de chronologie cohérente dans le récit de la demanderesse est un fondement raisonnable pour la décision de l’agent.

Analyse

[24]  Dans la présente affaire, la juge saisie de la demande d’autorisation ne s’est pas penchée sur la demande de prorogation de délai et, par conséquent, cette question doit être tranchée dans le cadre du contrôle judiciaire (Deng c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 59, au par. 16).

[25]  L’article 72 de la LIPR établit le délai dans lequel les demandes de contrôle judiciaire doivent être déposées et l’alinéa 72(2)c) de la LIPR prévoit qu’un juge de la Cour peut, « pour motifs valables », accorder une prorogation de délai pour déposer et signifier de telles demandes. Le dépôt des demandes dans le délai prescrit est une exigence obligatoire et les prorogations à la suite du dépôt tardif d’une demande de contrôle judiciaire ne sont pas accordées de manière systématique. Elles doivent être justifiées par les demandeurs.

[26]  Dans la décision Pham c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1251 (Pham), le juge Harrington a résumé les principes régissant l’acceptation d’une demande de prorogation de délai :

[27]  Il existe une jurisprudence abondante sur les prorogations de délai en vertu de la LIPR ou en vertu de la Loi sur les Cours fédérales et des Règles des Cours fédérales. La prémisse sous‑jacente est que justice doit être rendue. La Cour d’appel fédérale a statué à maintes reprises qu’une prorogation de délai est discrétionnaire, et qu’elle doit s’appuyer sur les quatre critères suivants :

a. Le requérant a‑t‑il démontré une intention constante de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire?

b. La demande a‑t‑elle un certain fondement?

c. Le requérant a‑t‑il une explication raisonnable pour justifier le délai?

d. La partie adverse subira‑t‑elle un préjudice en raison du délai?

Il n’est pas nécessaire que les quatre critères soient remplis [Canada (Procureur général) c Hennelly, 1999 ACF 846Canada (Procureur général) c Larkman2012 CAF 204, et tout récemment, Thompson c Attorney General of Canada et al2018 CAF 212].

[27]  Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204 (Larkman), la Cour d’appel fédérale énumère les facteurs ci‑dessus et examine leur interdépendance :

[62]  Ces principes orientent la Cour et l’aident à déterminer si l’octroi d’une prorogation de délai est dans l’intérêt de la justice (Grewal, ci‑dessus, aux pages 277 et 278). L’importance de chacun de ces facteurs dépend des circonstances de l’espèce. De plus, il n’est pas nécessaire de répondre aux quatre questions en faveur du requérant. Ainsi, « une explication parfaitement convaincante justifiant le retard peut entraîner une réponse positive même si les arguments appuyant la contestation du jugement paraissent faibles et, de la même façon, une très bonne cause peut contrebalancer une justification du retard moins convaincante » (Grewal, à la page 282). Dans certains cas, surtout dans ceux qui sortent de l’ordinaire, d’autres questions peuvent s’avérer pertinentes. La considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice (voir, de façon générale, l’arrêt Grewal, aux pages 278 et 279; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, au paragraphe 33Huard c. Canada (Procureur général), 2007 CF 195, 89 Admin LR (4th) 1).

[28]  Dans ce contexte, je vais maintenant examiner les facteurs et les circonstances de l’espèce.

i.  Intention constante

[29]  Dans l’arrêt Virdi, le juge Décary de la Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit :

[2]  Il incombait à l’appelant, puisqu’il est le requérant, de prouver les éléments nécessaires pour obtenir la prorogation de délai. En règle générale, cela se fait au moyen d’une déposition par affidavit signée par le requérant lui-même, pouvant faire l’objet d’un contre-interrogatoire.

[3]  Dans la présente affaire, l’appelant n’a pas cru bon de signer son propre affidavit. Il a plutôt demandé à la Cour de conclure qu’il avait une explication raisonnable justifiant son retard, une intention constante de poursuivre le contrôle judiciaire ainsi qu’une cause défendable, et ce, sur l’unique fondement d’un affidavit signé par la secrétaire de son avocat. Cette omission de fournir sa propre déposition à la Cour a, en l’espèce, porté un coup fatal à sa requête.

[Souligné dans l’original.]

[30]  Dans la décision Conteh c Canada (Citoyenneté et Immigration) (2 juillet 2019), IMM‑181‑19, la juge en chef adjointe Gagné s’est fondée sur l’arrêt Virdi lorsque, après nouvel examen, elle a refusé d’accorder une prorogation de délai qui aurait permis à un demandeur de déposer son dossier de demande après l’expiration du délai et, ainsi, mettre en état sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Dans cette affaire, le seul élément de preuve était un affidavit d’un étudiant en droit qui travaillait pour l’avocat du demandeur. La juge Gagné a conclu que la preuve touchant l’intention constante d’un demandeur de poursuivre l’affaire doit provenir du demandeur lui-même, plutôt que de son avocat ou d’un adjoint de son avocat, et que l’omission de produire une telle preuve porte un coup fatal à une demande de prorogation de délai (Virdi, au par. 3). La requête a été rejetée pour ce motif.

[31]  Par conséquent, il y a lieu de s’inquiéter du fait que la demanderesse elle-même n’ait pas déposé de preuve attestant de son intention constante de poursuivre le contrôle judiciaire de la décision sous-jacente.

[32]  Ce sont plutôt les affidavits Morina et Kiflom qui ont été déposés en preuve. Ils donnent très peu de renseignements. L’affidavit Morina mentionne que Mme Morina est une étudiante qui travaille au cabinet de M. David Mattas et que : [traduction] « [l]e 17 avril, nous avons reçu des instructions de Mulu‑berhan Kiflom, nous demandant d’aller de l’avant avec le dossier. Toutefois, ces instructions nous ont été communiquées initialement sous le nom de Mulu‑berhan seulement et nous n’avons pas fait le lien avec le dossier de cette demanderesse ». De plus, ce n’est qu’à la suite d’une demande subséquente concernant l’état d’avancement du dossier, reçue de Mulu‑berhan Kiflom le 27 juin, que le lien s’est fait entre ces deux personnes; la demande d’autorisation a été déposée le lendemain. Ni l’une ni l’autre de ces communications envoyées par M. Kiflom n’ont été produites comme pièces, avec ou sans caviardage visant à supprimer tout renseignement protégé par le secret professionnel de l’avocat.

[33]  Contrairement à l’affidavit Morina, l’affidavit Kiflom aborde l’intention constante de la demanderesse, mais seulement dans la mesure où il y est affirmé que la demanderesse a une intention constante et a toujours eu l’intention de déposer la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. L’affidavit Kiflom ne précise ni comment le souscripteur sait que la demanderesse a une intention constante, ni comment cette intention s’est manifestée. Selon l’affidavit, [traduction] « [e]n avril, j’ai donné l’instruction à David Matas de poursuivre la demande. J’ai donné l’instruction à David Matas le 17 avril, sous le nom de Mulu‑berhan, pour qu’il mette en marche cette demande. » Aucune copie de ces instructions n’a été annexée à l’affidavit, en tant que pièces.

[34]  Le défendeur reconnaît qu’il y a des situations où il n’est pas possible pour un demandeur de souscrire personnellement un affidavit. Je suis du même avis et j’ajoute que cela peut s’avérer particulièrement difficile dans une situation où une personne réfugiée présente une demande depuis l’étranger, habite dans un camp de réfugiés ou se bute à d’autres obstacles qui l’empêchent de fournir un affidavit. Étant donné que l’intérêt de la justice est une considération primordiale au moment de décider s’il faut accorder une prorogation de délai (Larkman, au par. 62), à mon avis, la situation personnelle d’un demandeur est pertinente pour décider si un affidavit personnel est requis en vue de démontrer l’intention constante de poursuivre une démarche.

[35]  En l’espèce, l’avocat de la demanderesse soutient qu’il n’était pas possible d’obtenir un affidavit personnel de la demanderesse en raison de contraintes logistiques, à savoir : elle ne sait lire ni l’anglais ni le français; elle vit dans un pays où elle est étrangère; et la préparation d’un affidavit exigerait un interprète et un notaire. Toutefois, il s’agit seulement des observations de l’avocat. En ce qui concerne l’aptitude de la demanderesse à communiquer en anglais, l’observation de l’avocat ne semble pas être étayée par le dossier dont je dispose. D’après les notes du SMGC, la demanderesse disposait d’un interprète, mais a également parlé en anglais durant son entrevue et l’agent a déclaré que la demanderesse sait lire et parler couramment l’anglais. De plus, la demanderesse a choisi l’anglais comme langue de correspondance dans son Formulaire de demande générique pour le Canada et a signalé dans ce formulaire qu’elle peut communiquer en anglais. En outre, le courriel que la demanderesse a envoyé à l’agent pour demander un réexamen de la décision défavorable sous-jacente est aussi rédigé en anglais. Plus important encore, aucune des observations de l’avocat à ce sujet n’est étayée par un affidavit.

[36]  L’absence d’un affidavit personnel, jumelée au mutisme de l’affidavit Kiflom pour ce qui est de justifier la déclaration selon laquelle la demanderesse a une intention constante de poursuivre le contrôle judiciaire, ou encore de justifier pourquoi elle n’était pas en mesure de soumettre un affidavit personnel, joue en défaveur d’une conclusion selon laquelle la demanderesse a manifesté une intention constante de poursuivre sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Toutefois, cela est tempéré par les affidavits affirmant que le frère de la demanderesse a communiqué avec l’avocat de la demanderesse pour lui demander d’aller de l’avant.

ii.  Explication raisonnable

[37]  Dans l’arrêt Chin, la juge Reed a déclaré que lorsqu’elle était saisie d’une demande de prorogation de délai, elle « cherch[ait] un motif qui échapp[ait] au contrôle de l’avocat ou du requérant, par exemple, la maladie ou un autre événement inattendu ou imprévu » (Chin, au par. 8; voir aussi Singh au par. 16). Plus récemment, dans la décision Nwammadu, la Cour a statué que « [s]eul un événement imprévu qui est hors du contrôle du demandeur peut justifier l’octroi d’une demande de prorogation » (au par. 10). En l’espèce, l’événement qui a entraîné le dépôt tardif était l’omission de la part de l’avocat de reconnaître les instructions et d’y donner suite, omission que l’avocat a attribuée à un malentendu. Par le passé, les tribunaux ont conclu que les omissions d’un avocat ne constituent pas un événement imprévu pouvant justifier une prorogation de délai. Par exemple, dans la décision Ismael c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1191, la juge Kane se penchait sur la question de savoir si l’article 399 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, autorise la Cour à annuler une ordonnance en se fondant sur l’observation de l’avocat selon laquelle il n’a pas représenté adéquatement le demandeur. Dans le cadre de cette analyse, la juge Kane a fait référence à la décision Chin :

49  Dans Chin c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1033 (QL), 69 FTR 77 (Chin), l’avocate du requérant avait manqué le délai pour déposer le dossier de demande, la demande avait été rejetée, et l’avocate avait présenté une requête pour faire annuler l’ordonnance rejetant la demande et pour obtenir une prorogation de délai afin de déposer le dossier de demande. La Cour a conclu que l’explication de l’avocate, selon laquelle elle devait accomplir des tâches concurrentes, n’était pas un motif suffisant pour annuler l’ordonnance, soulignant ce qui suit, au paragraphe 10 :

10  Je sais que les tribunaux hésitent souvent à désavantager les individus parce que leurs avocats n’ont pas agi dans les délais. Par ailleurs, dans les affaires de ce genre, l’avocat agit au nom de son client. L’avocat et le client ne font qu’un. Il est trop facile pour l’avocat de justifier son inobservation des règles en alléguant que son client n’est nullement responsable du retard et que si une prolongation de délai n’est pas accordée, il subira un préjudice. Revenons à la question de l’équité. Il est inéquitable que certains avocats agissent en tenant pour acquis que, sauf imprévu, les délais doivent être respectés et que d’autres présument qu’ils n’ont qu’à plaider la surcharge de travail, ou n’importe quel autre événement contrôlable, et qu’ils obtiendront au moins une prolongation de délai. En l’absence d’une règle expresse s’appliquant dans ces derniers cas, je considère que la première attitude est celle qu’il faut adopter.

50  La justification fournie par la Cour dans Chin s’applique également en l’espèce.

[38]  J’aimerais également signaler que le défendeur a soumis l’ordonnance de madame la protonotaire Ring en date du 17 mai 2018, rendue dans l’affaire Idu, relativement au dépôt tardif d’un dossier de demande. Comme dans la présente affaire, un affidavit de la part de Mme Morina a été déposé pour justifier le retard. Dans cet affidavit, la souscriptrice déclare que le dossier n’a pas été déposé en raison [traduction] « des limites de la capacité opérationnelle de notre bureau, de la charge de travail accrue découlant de l’afflux de réfugiés au Manitoba et à notre bureau, et de la nécessité de traiter tous les dossiers de façon séquentielle et ordonnée ». La protonotaire Ring a conclu : que les demandeurs avaient établi une intention constante de poursuivre la demande; que, aux fins de la requête, elle était prête à présumer que la demande avait un certain fondement; et que le préjudice causé au défendeur n’avait pas été démontré et était mineur. La question centrale était celle de savoir s’il y avait une explication raisonnable pour le retard de plus de cinq semaines. La protonotaire Ring a conclu que la preuve produite par les demandeurs, soit l’affidavit de Mme Morina, n’était pas du tout convaincante, n’était pas étayée par un fondement probatoire adéquat et n’expliquait pas en quoi l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile avait une incidence sur les engagements de l’avocat. Toutefois, malgré de sérieuses lacunes dans la requête des demandeurs, après avoir soupesé les facteurs liés à l’octroi de prorogations, et ayant tenu compte du principe prépondérant selon lequel justice doit être rendue, elle a accueilli la demande de prorogation de délai. Cette décision reposait sur l’idée que les demandeurs ne devraient pas être privés de leurs droits en raison d’une erreur de leur avocat dans une situation où il est possible de réparer les conséquences d’une telle erreur sans causer d’injustice à la partie opposée. La protonotaire Ring a ensuite déclaré ce qui suit :

[traduction]
[15]  Toutefois, je tiens à souligner à l’avocat des demandeurs que la Cour n’acceptera pas ces explications totalement inadéquates à l’avenir. Les demandes d’autorisation dans le domaine de l’immigration sont censées aller de l’avant rapidement. Tout demandeur qui ne respecte pas les délais fixés dans les Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés doit fournir une raison valable justifiant une dérogation à ces délais stricts, y compris une explication appropriée du retard reposant sur une preuve par affidavit qui énonce tous les faits étayant la position du demandeur.

[39]  Le défendeur souligne également que, dans l’ordonnance en date du 7 septembre 2018 que j’ai rendue dans l’affaire Ibrahim, j’ai très clairement signalé que l’absence de toute explication pour justifier un retard, ce qui était le cas dans l’affaire dont j’étais saisie, est aussi inacceptable que de fournir une explication reposant sur la charge de travail de l’avocat, ce qui était le cas dans l’affaire Idu. Le défendeur ajoute que, dans l’affaire Tilahun, le juge Roy a rendu une ordonnance datée du 14 juin 2019 qui faisait référence à l’affaire Idu et à mon ordonnance dans l’affaire Ibrahim. Le juge Roy s’est exprimé très clairement sur ce qu’il a qualifié d’attitude cavalière de la part de l’avocat du demandeur en ce qui a trait aux demandes de prorogation de délai et aux lacunes de la demande qui lui avait été soumise. Il a souscrit à l’avis selon lequel les prorogations de délai sont des mesures exceptionnelles et il devrait y avoir une raison valable justifiant le retard (Tilahun, aux par. 9 et 10, citant Ibrahim).

[40]  Il y a un élément commun dans les affaires Idu, Ibrahim, Tilahun et la présente affaire : l’avocat des demandeurs est le même dans chaque dossier. Par conséquent, l’avocat de la demanderesse aurait été tout à fait conscient des risques associés au dépôt tardif et de la nécessité de démontrer qu’il y avait une explication raisonnable justifiant ce dépôt tardif, fondée sur une preuve par affidavit qui énonce tous les faits étayant la position du demandeur.

[41]  En l’espèce, l’affidavit Morina fournit une explication, à savoir que le bureau de M. Matas a reçu l’instruction d’aller de l’avant le 17 avril, mais cette instruction provenait d’un dénommé Mulu‑berhan et le bureau n’a pas fait le lien avec le dossier de la demanderesse. De plus, le lien ne s’est fait que plus tard, à la suite d’une demande de M. Kiflom concernant l’état d’avancement du dossier, reçue le 27 juin.

[42]  Le défendeur soutient que l’affidavit Morina soulève de nombreuses questions, par exemple pourquoi l’avocat n’a pas demandé à M. Kiflom de lui transmettre une copie de la décision contestée après avoir reçu le premier courriel ou pourquoi l’avocat n’a pris aucune mesure pour établir l’identité de la demanderesse. L’avocat de la demanderesse a présenté des arguments en réponse – plutôt qu’une preuve par affidavit – faisant valoir qu’il n’y avait rien dans le courriel de Mulu‑berhan qui pouvait le lier à la demanderesse, et rien dans la lettre de refus qui pouvait lier Mulu‑berhan à la demanderesse.

[43]  Franchement, les observations de l’avocat de la demanderesse sont peu convaincantes. En présumant, comme l’a suggéré l’avocat de la demanderesse, que les instructions ont été reçues par courriel, il est troublant que ces instructions d’aller de l’avant aient été transmises à l’avocat, puis tout simplement ignorées pendant deux mois, jusqu’à ce que l’expéditeur fasse un suivi, parce que l’avocat n’a pas fait le lien avec un client existant après avoir vu le nom de l’expéditeur du courriel. Cela est d’autant plus troublant que l’avocat de la demanderesse est un avocat chevronné spécialisé en droit de l’immigration et serait très au fait des délais stricts pour le dépôt d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant une décision d’immigration défavorable. De plus, comme je l’ai signalé précédemment, la Cour lui a déjà rappelé que lorsqu’il s’avère nécessaire de soumettre une demande de prorogation de délai, cette demande doit être étayée de manière appropriée. Par ailleurs, les affidavits ne précisent pas si la demanderesse était identifiée ou non dans le courriel. En outre, et c’est ce qui est le plus inquiétant, si les instructions ont été reçues par courriel, il aurait suffi d’appuyer sur le bouton de réponse pour demander des éclaircissements sur le nom de la personne qui souhaitait poursuivre une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Aucune explication n’a été fournie pour expliquer pourquoi cela n’a pas été fait. À mon avis, il ne s’agit pas d’une explication raisonnable du retard.

[44]  De plus, je ne souscris pas à l’observation de l’avocat de la demanderesse, présentée à l’audience, selon laquelle les affidavits répondaient à toutes les questions et il n’y avait rien de plus à ajouter. Je ne souscris pas non plus à l’argument selon lequel si le défendeur avait des questions dont la réponse ne se trouvait pas dans les affidavits, il aurait dû contre-interroger les souscripteurs. Cela ne tient pas compte du fait qu’il incombait à la demanderesse d’établir les éléments nécessaires pour l’octroi d’une prorogation de délai (Virdi, au par. 2), et qu’il est statué sur les demandes selon la procédure sommaire (al. 72(2)d) de la LIPR). En soumettant des affidavits qui soulèvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses, la demanderesse ne s’acquitte pas du fardeau qui lui incombe.

[45]  Le défendeur souligne également que la demande de résidence permanente de la demanderesse incluait son adresse de courriel et son numéro de téléphone cellulaire. J’ajoute qu’elle semble s’être servie de son compte de courriel pour transmettre sa demande de réexamen à l’agent. Toutefois, rien ne prouve qu’elle a pris des mesures pour s’assurer que son avocat dépose la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire dans le délai prévu, ou pour expliquer pourquoi elle n’a pas pris de telles mesures. Seul un événement imprévu qui échappe au contrôle de la demanderesse ou de son avocat peut justifier une prorogation de délai. En l’espèce, la demanderesse n’aurait pas pu prévoir que son avocat ne donnerait pas suite aux instructions qui lui avaient été transmises. Dans cette mesure, il s’agissait d’un événement qui échappait à son contrôle. Toutefois, rien ne prouve non plus qu’après n’avoir reçu aucune réponse à ses instructions, la demanderesse ait pris des mesures de suivi pour s’assurer que la demande avait été déposée dans le délai requis de 60 jours.

[46]  Ce facteur joue en défaveur de la demanderesse. Toutefois, l’omission par son avocat de donner suite aux instructions d’aller de l’avant est un élément à prendre en considération pour décider si, dans l’ensemble, l’intérêt de la justice est servi.

iii Préjudice pour le défendeur en raison du retard

[47]  Se fondant sur l’arrêt 40 Park Lane Circle c Aiello, 2019 ONCA 451 (Park Circle), la demanderesse soutient que le préjudice pertinent est le préjudice découlant du retard, et non le préjudice qui découle du fait de devoir contester la demande de prorogation de délai. Toutefois, ce n’est pas vraiment ce que dit l’arrêt Park Circle. La Cour d’appel de l’Ontario a plutôt déclaré que [traduction] « [d]ans toute affaire où une partie au litige demande au tribunal de faire preuve de compréhension à son égard, la question de savoir si le fait de faire preuve de compréhension entraînerait un préjudice est une considération primordiale ». Dans cette affaire, ce qui était pertinent n’était pas le préjudice qui serait causé par l’état d’avancement de l’appel en question, mais le préjudice découlant du retard d’un jour dans le dépôt de l’avis d’appel (Park Circle, au par. 6).

[48]  À mon avis, afin de répondre à la question de savoir si le retard causera un préjudice pour l’autre partie, on ne peut pas faire abstraction du fait que, si ce n’était du dépôt tardif, le défendeur n’aurait pas eu à formuler des observations en réponse à une demande de prorogation de délai. Et dans une situation où la demande est mal étayée, cela exige du temps et un effort additionnels.

[49]  À cet égard, je signale que la décision Mante portait sur une requête au titre de l’article 399 des Règles qui visait à faire annuler une ordonnance rejetant une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, et portait aussi sur la question de savoir s’il fallait accorder une prorogation de délai pour permettre le dépôt du dossier de demande. Après avoir appliqué les facteurs pertinents à une prorogation de délai, la juge Kane a conclu que le défendeur avait subi un préjudice en raison de l’absence de caractère définitif de l’ordonnance et de l’obligation de répondre à la requête.

[50]  À mon avis, lorsqu’un demandeur est représenté par un avocat et que le défendeur doit consacrer du temps et des ressources additionnels pour répondre à ce genre de demande mal étayée, il s’agit d’une forme de préjudice, quoique mineure.

[51]  Ce facteur joue en défaveur de la demanderesse, mais légèrement.

iv.  Fondement

[52]  Deux des affirmations de la demanderesse peuvent être rejetées sommairement.

[53]  La première est l’observation selon laquelle l’agent a rendu une [traduction] « décision antérieure » et puis, de façon inappropriée et sans justification, a rendu une deuxième décision différente. Cette observation est sans fondement. D’après les notes du SMGC, l’appréciation sur dossier de la demande de résidence permanente n’a soulevé aucune préoccupation. La demanderesse a ensuite été sélectionnée de façon aléatoire pour une entrevue. C’est dans le cadre de cette entrevue que les incohérences entre des dates ont été constatées et, en raison de ces incohérences, l’agent a rejeté la demande. Cela est consigné dans la lettre de décision datée du 29 mars 2019. Contrairement à ce que soutient la demanderesse, l’agent n’a pas renversé ou réexaminé une décision antérieure. L’appréciation initiale inscrite dans les notes du SMGC ne constituait pas une décision. La décision a été rendue seulement à la suite de l’entrevue, après quoi l’avis officiel de cette décision a été transmis à la demanderesse au moyen de la lettre de décision.

[54]  Une deuxième observation est dépourvue de fondement : l’argument de la demanderesse selon lequel l’agent a répondu de manière déraisonnable à sa demande de réexamen. En ne tenant pas compte du fait que l’avis de demande ne fait référence qu’à une décision en date du 1er avril 2019 (vraisemblablement celle en date du 29 mars 2019) et ne fait pas mention de la décision de réexamen qui a été envoyée à la demanderesse par courriel le 25 avril 2019, l’agent a conclu que la demande de réexamen présentée par la demanderesse minait davantage sa crédibilité parce que, dans sa demande de réexamen, elle a avancé une autre explication pour les incohérences entre les dates relevées durant l’entrevue, explication différente de celle donnée à l’entrevue. Il était raisonnable de la part de l’agent de ne pas réexaminer la décision étant donné que la crédibilité était et demeurait une préoccupation déterminante (voir, par exemple, Hussein c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 44, aux par. 55 à 58). Quoi qu’il en soit, la demanderesse a simplement déclaré qu’elle s’était rendu compte, après avoir trouvé un vieux document scolaire, qu’elle s’était trompée dans les dates. Les incohérences entre ses dates avait déjà été relevées et expliquées – différemment – à trois reprises. De plus, elle n’a soumis aucun document, mais a seulement déclaré qu’elle avait trouvé des [traduction] « documents scolaires » qui démontreraient pourquoi elle avait quitté l’Érythrée. Aucune explication n’est avancée pour clarifier comment des documents scolaires pourraient démontrer les raisons de son départ et, de toute manière, le fondement de sa demande d’asile était qu’elle avait dû quitter l’Érythrée parce qu’elle subissait de mauvais traitements après s’être plainte de la durée indéterminée de son service national obligatoire, pour lequel elle n’était pas rémunérée.

[55]  Il reste donc l’observation de la demanderesse selon laquelle l’agent a rendu sa décision sans préciser les contradictions sur lesquelles il s’était fondé, et l’agent a exagéré ces contradictions et fondé le refus sur des considérations ou contradictions qui étaient accessoires à sa demande d’asile. De plus, l’agent aurait commis une erreur en omettant de tenir compte de l’ensemble de sa demande d’asile et, en particulier, du fait qu’elle avait quitté l’Érythrée illégalement.

[56]  Il est bien établi qu’un tribunal ne peut fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité sur des préoccupations et/ou des incohérences accessoires et dénuées d’importance (Salamat c Canada (Commission d’appel de l’immigration), 8 Imm LR (2d) 58, [1989] ACF no 213 (CAF) (QL/Lexis); Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 99 NR 168, [1989] ACF no 444 (CAF) (QL/Lexis); Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924, au par. 23). Toutefois, je ne suis pas convaincue que les incohérences relevées par l’agent soient accessoires ou dénuées d’importance.

[57]  Dans ses observations, le défendeur a résumé les chronologies fournies par la demanderesse dans sa preuve documentaire et à son entrevue. En résumé, les voici :

-  Service national : dans son formulaire de l’Annexe A, la demanderesse a déclaré qu’elle avait effectué son service national de juillet 2013 à juin 2016. Dans son exposé circonstancié, elle a fourni des dates différentes, soit de juillet 2013 à décembre 2015. À son entrevue, elle a déclaré qu’elle avait achevé son service national en juin 2012 et qu’elle avait ensuite poursuivi son service national jusqu’aux derniers jours de 2015, mais elle a plus tard déclaré que son service national avait duré de juin 2012 à juin 2013 jusqu’à ce qu’elle obtienne son diplôme d’études et ensuite de juin 2013 à mai 2016.

-  Études : dans son formulaire de l’Annexe A, la demanderesse a déclaré qu’elle avait fait des études collégiales de septembre 2009 à juin 2010 et ensuite de septembre 2012 à juin 2013. Dans son exposé circonstancié, elle a déclaré s’être inscrite au collège en 2009, avoir abandonné ses études, puis les avoir reprises en juin 2013. À son entrevue, elle a déclaré qu’elle avait fait des études collégiales de juillet 2008 à juillet 2009, qu’elle avait abandonné en 2009 et qu’elle était retournée de janvier 2010 à juin 2012.

-  Fuite de l’Érythrée : dans son formulaire de l’Annexe A, la demanderesse a déclaré qu’elle avait habité à Tesseney, en Érythrée, de juin 2013 à juin 2016; toutefois, ailleurs dans le formulaire, elle a déclaré y avoir habité de juillet 2013 à juin 2016. Elle a aussi déclaré avoir habité à Shagarab, au Soudan, de janvier 2016 à octobre 2016. Elle a signalé que, depuis octobre 2016, elle résidait à Khartoum, au Soudan. Dans son exposé circonstancié, elle a déclaré avoir fui au Soudan en décembre 2015. À son entrevue, elle a affirmé être venue au Soudan en décembre 2015. Questionnée au sujet des renseignements déroutants dans son formulaire de l’Annexe A, elle a déclaré qu’elle était allée à Kassala, au Soudan, en décembre 2015, puis à Khartoum en janvier 2016. Lorsque l’agent a soulevé les dates contradictoires, elle a affirmé être allée au Soudan en mai 2016.

[58]  Le dossier démontre pourquoi l’agent était préoccupé par les [traduction] « multiples dates discordantes » se rapportant aux périodes où la demanderesse était aux études, a effectué son service national et a fui l’Érythrée. Et, contrairement à ce que soutient la demanderesse, l’agent n’exagère pas les incohérences dans les dates fournies par la demanderesse. L’agent signale seulement que ces contradictions existent. Bien que la demanderesse affirme que l’agent [traduction] « nous laisse deviner » les contradictions auxquelles il fait référence dans sa décision, il est en fait possible de les relever clairement dans le dossier.

[59]  De plus, ces contradictions dans les dates ne sont pas accessoires à la demande d’asile de la demanderesse. Sur le plan des faits, sa demande d’asile est simple : elle affirme avoir subi de mauvais traitements après s’être plainte de la durée indéterminée de son service national et de l’absence de rémunération, puis elle s’est enfuie illégalement au Soudan parce qu’elle craignait ces mauvais traitements. L’agent a conclu qu’elle avait fourni des dates discordantes en ce qui concerne ses études, son service national et sa fuite vers le Soudan. Les dates en question se rapportent aux événements qui sont au cœur même de la demande d’asile de la demanderesse – son service national et sa décision de fuir l’Érythrée. À la lumière des renseignements contradictoires fournis par la demanderesse, l’agent n’était pas convaincu pour ce qui est de la période où la demanderesse a effectué son service national, ou de la date et de la raison de sa fuite de l’Érythrée. Par conséquent, même si la demanderesse soutient que la date de sa fuite de l’Érythrée n’avait rien à voir avec le fondement de sa demande d’asile, cela ne tient pas compte du fait que la soumission de renseignements contenant des dates incohérentes a miné la crédibilité de l’ensemble de son récit.

[60]  La conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse n’avait pas répondu véridiquement, comme l’exige le paragraphe 16(1) de la LIPR, était justifiée comme le démontrent les notes du SMGC. Ainsi, l’agent a raisonnablement conclu que les faux renseignements fournis par la demanderesse a mis en doute l’ensemble de son récit.

[61]  Toutefois, la demanderesse soutient aussi que l’agent a omis d’examiner si l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle avait quitté l’Érythrée illégalement était crédible et, s’appuyant sur la décision Ghirmatsion c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 519 (Ghirmatsion), soutient que l’agent a ainsi omis d’examiner cet autre motif de persécution.

[62]  Dans son formulaire de demande d’immigration et son exposé circonstancié, la demanderesse déclare avoir fui l’Érythrée en raison des mauvais traitements qu’elle subissait après s’être plainte de son service national non rémunéré et sans fin. Dans son formulaire, à la question de savoir si elle sera en mesure de retourner dans son pays d’origine, elle a répondu qu’elle avait quitté le pays illégalement et qu’elle serait persécutée et peut-être emprisonnée si elle y retournait. L’appréciation initiale inscrite dans les notes du SMGC, qui n’avait relevé aucune préoccupation relative à la demande, résumait la situation de la demanderesse et, compte tenu des renseignements fournis par la demanderesse dans sa demande et à la lumière des conditions qui sévissaient en Érythrée, l’agent estimait que la demanderesse avait une crainte fondée de persécution en Érythrée [traduction] « en raison de sa désertion ». L’entrevue a eu lieu après la rédaction de cette appréciation initiale.

[63]  Dans l’affaire Ghirmatsion, le demandeur soutenait qu’il avait été emprisonné en Érythrée à cause de ses convictions religieuses, mais qu’il s’était évadé et avait fui au Soudan. Dans le cadre du contrôle judiciaire, il a fait valoir que l’agente avait seulement examiné la question de savoir s’il était exposé à la persécution religieuse, mais son exposé circonstancié précisait qu’il craignait aussi d’être persécuté en raison de son évasion de prison et de sa sortie illégale de l’Érythrée. La juge Snider a déclaré ce qui suit :

[103]  Le défendeur soutient que, d’après son témoignage, l’agente n’a pas jugé le demandeur crédible et que, de la sorte, elle n’avait pas à examiner tous les motifs de persécution pertinents. Cela serait juste si a) les conclusions quant à la crédibilité étaient raisonnables, et b) si ces conclusions faisaient clairement obstacle à tous les autres motifs de persécution.

[104]  Je reconnais que, en général, lorsque est tirée une conclusion défavorable quant à la crédibilité (si elle est raisonnable et prend en compte la preuve), le décideur n’a pas à examiner la demande d’asile plus avant. Si, par exemple, l’agent des visas conclut qu’un demandeur d’asile n’a jamais été emprisonné, il s’ensuit que ne pourra être accueillie la demande de ce dernier fondée sur la crainte d’un retour en prison. Si toutefois le demandeur a mentionné des faits mettant en cause un autre motif de persécution, cet élément de la demande doit toujours être examiné, à moins que l’agent des visas n’ait aussi clairement conclu à son manque de crédibilité.

[105]  Abstraction faite de ma conclusion antérieure selon laquelle les conclusions quant à la crédibilité n’étaient pas raisonnables, je vais maintenant me pencher sur les motifs énoncés et les conclusions tirées par l’agente. En l’espèce, l’agente n’a pas cru que le demandeur ait jamais été détenu. L’agente, toutefois, ne semble avoir aucunement examiné si le demandeur avait quitté l’Érythrée illégalement, et ce, malgré la description par ce dernier de son départ et malgré la preuve documentaire relative au risque couru par ceux qui avaient quitté l’Érythrée illégalement. Cela est confirmé par l’extrait suivant du contre-interrogatoire de l’agente (contre‑interrogatoire d’AnnMarie McNeil, les 22 et 23 mars 2011, Q603‑609) [...]

[106]  Il était loisible à l’agente d’examiner cet autre motif de persécution et de le rejeter; ce n’est toutefois pas ce qu’elle a fait. Elle n’a aucunement expliqué pourquoi elle n’avait pas évalué le risque en cause. Le défendeur demande à la Cour de reconnaître que l’agente n’avait pas à se pencher sur ces autres risques puisqu’elle n’avait pas jugé crédible le récit du demandeur. Ce n’est toutefois pas pour cette raison que l’agente n’a pas examiné ces autres motifs de persécution. Elle n’a pu fournir aucune explication. C’était là une erreur susceptible de contrôle qui justifierait, en soi, l’annulation de la décision de l’agente.

[64]  En l’espèce, le départ de l’Érythrée de la demanderesse est clairement lié à sa désertion du service national, comme le démontre son exposé circonstancié. Elle soutient qu’elle serait en danger à son retour au pays à cause de sa désertion. Toutefois, l’agent n’était pas convaincu pour ce qui est de savoir si ou à quel moment la demanderesse avait effectué son service national, ou si ses difficultés liées au service national étaient la raison de son départ de l’Érythrée, ce qui constituait le fondement de sa crainte de persécution. Faute de crédibilité en ce qui a trait à ces événements, la crédibilité de l’ensemble de la demande d’asile peut être raisonnablement mise en doute, car une conclusion légitime d’absence de crédibilité peut mener au refus d’une demande d’asile (Ghirmatsion, au par. 104; Yasik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 760, au par. 55).

[65]  Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse soutient que son départ illégal de l’Érythrée constitue un motif de persécution distinct dont l’agent a omis de tenir compte. À l’audience, son avocat a fait valoir que le document sur les conditions en Érythrée appuie la thèse que le départ illégal est un motif de persécution distinct.

[66]  La faille de cet argument est que, dans sa demande d’asile, la demanderesse a lié son départ du pays à son service national et que l’agent, se fondant sur ses éléments de preuve contradictoires, a conclu que l’ensemble de son récit manquait de crédibilité. Par conséquent, il n’a pas été établi comment et pourquoi la demanderesse a quitté l’Érythrée, y compris la question de savoir si elle a quitté le pays légalement ou illégalement. De plus, à l’audience, l’avocat de la demanderesse a soutenu que, vu les conditions dans le pays, tout départ de l’Érythrée est illégal; toutefois, les observations écrites de la demanderesse ne font référence à aucun document sur les conditions dans le pays pour appuyer cette position et aucun document ne m’a été soumis à l’audience. La situation est différente de celle de l’affaire Ghirmatsion, où le demandeur a soumis des éléments de preuve documentaire à l’appui.

[67]  Dans ces circonstances, je ne suis pas convaincue que l’agent a commis une erreur, ni que la demande a un certain fondement.

[68]  J’ai examiné attentivement le facteur relatif au fondement parce que, à mon avis, il s’avère déterminant en l’espèce pour la demande de prorogation de délai.

[69]  Examinée dans son ensemble, après la pondération de tous les facteurs à prendre en considération pour décider s’il y a lieu d’accorder une prorogation de délai, et compte tenu de la considération primordiale de l’intérêt de la justice, la demande de prorogation est refusée. Cela s’avère déterminant.

[70]  Toutefois, même si la prorogation de délai avait été accordée, la demande de contrôle judiciaire aurait été rejetée. Mon analyse ci‑dessus concernant le fondement de la demande de contrôle judiciaire démontre également que la demande ne serait pas accueillie sur le fond. De plus, la décision est intelligible, transparente et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4062‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de prorogation de délai est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de mai 2020.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4062‑19

 

INTITULÉ :

SELEMAWIT ABRAHAM KIFLOM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 janVIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 FÉVRIER 2020

 

COMPARUTIONS :

DAVID MATAS

BRENDAN FRIESEN

POUR LA DEMANDERESSE

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DAVID MATAS

AVOCAT

WINNIPEG (MANITOBA)

 

POUR La demanderesse

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

WINNIPEG (MANITOBA)

POUR Le défendeur

 

 

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