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Date : 20200129


Dossier : IMM‑3669‑19

Référence : 2020 CF 157

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

BALKAR SINGH SAMRA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Monsieur Balkar Singh Samra, le demandeur, est citoyen de l’Inde. Il sollicite le contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], à l’égard d’une décision rendue par le Haut‑commissariat du Canada en Inde le 29 mai 2019, par laquelle sa demande de permis de travail présentée dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires a été rejetée. Le demandeur sollicite l’annulation de la décision et le renvoi de l’affaire à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision. Si la Cour accueille la demande, le demandeur voudrait aussi obtenir l’autorisation de soumettre des documents supplémentaires à l’appui de sa demande. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[3]  En mai 2019, le demandeur a présenté une demande de permis de travail au Canada à titre de plombier. Le code 7251 de la Classification nationale des professions [la CNP] précise les tâches d’un plombier, et fournit des orientations pour évaluer si une personne répond aux exigences.

[4]  Dans sa demande, le demandeur a fourni une offre d’emploi au titre du code 7251 provenant d’une entreprise de plomberie de la Colombie‑Britannique, ses résultats à l’examen de l’IELTS, son certificat national de compétences en plomberie de l’Inde, ainsi que ses antécédents de travail en plomberie, à savoir un an à temps partiel pour une entreprise, environ deux ans comme travailleur autonome, puis une autre année pour une entreprise.

[5]  Un agent a rejeté sa demande le 29 mai 2019. Après avoir résumé la preuve, l’agent a conclu, selon les documents et les renseignements au dossier, que le demandeur [Traduction« n’a pas démontré qu’il serait en mesure d’exercer comme il se doit les tâches de la profession ». En outre, selon les notes versées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], l’agent n’était pas convaincu, à la lumière des éléments de preuve, que le demandeur était [Traduction« un résident temporaire de bonne foi qui quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée ».

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[6]  Le demandeur formule ainsi les questions en litige :

  1. L’agent a‑t‑il entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, agi sans tenir compte de la preuve ou fourni des motifs insuffisants pour rejeter la demande de permis de travail?
  2. L’agent a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en omettant de tenir une entrevue avec le demandeur, ou en rendant une décision sans avoir consciencieusement analysé les documents accompagnant la demande?

[7]  Le défendeur soutient que la décision est raisonnable et respecte l’équité procédurale.

[8]  Par conséquent, voici, selon moi, les questions en litige :

(A) La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

(B) La décision était-elle équitable sur le plan de la procédure?

[9]  En l’espèce, la norme de contrôle présumée est la norme de la décision raisonnable. Par conséquent, la décision dans son ensemble sera examinée suivant la norme de la décision raisonnable, puisque je ne vois aucune raison d’écarter cette norme dans le contexte d’un permis de travail. Les deux caractéristiques d’une décision raisonnable sont qu’elle est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], par. 16–17 et 101–102).

[10]  Une cour de révision n’a pas à faire preuve de déférence à l’égard du décideur lorsqu’elle examine des questions d’équité procédurale (Yankson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 1608, par. 14).

IV.  Observations et analyse

A.  La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

(1)  La position du demandeur

[11]  À la lecture des observations écrites du demandeur, je ne vois aucun argument précis sur le fait que l’agent a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Le demandeur cite plusieurs affaires en matière de permis de travail, dans lesquelles on affirme ce qui suit : il est raisonnable d’exiger d’un candidat qu’il réponde aux exigences d’un emploi donné, mais il est déraisonnable de ne pas prendre en compte jusqu’à un certain point l’orientation professionnelle dont le demandeur bénéficierait (Portillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 866 [Portillo]). La possibilité d’améliorer sa situation financière ou de vivre une expérience professionnelle ne peut, en soi, constituer un motif valable pour refuser un permis de travail (Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872 [Chhetri]). Bien que l’incitation économique à rester au Canada soit une considération raisonnable, la majorité des demandeurs ont une raison économique de venir au Canada, de sorte qu’il n’est pas facile d’établir une corrélation avec le fait qu’ils risquent de rester au‑delà de la période de séjour autorisée  (Rengasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2009 CF 1229, par. 14). Le défaut de l’agent de tenir compte des éléments de preuve pertinents présentés par le demandeur rend erronées les inférences factuelles et juridiques, ce qui peut rendre les conclusions déraisonnables (Wijesinghe c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2010 CF 54 [Wijesinghe]). Généralement, les agents ne sont pas en position d’évaluer les aptitudes professionnelles d’un demandeur (Randhawa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1294, par. 12 [Randhawa])

[12]  Le demandeur fait valoir qu’il répond aux exigences de l’emploi car il a obtenu la note requise à l’IELTS et il possède une vaste expérience de travail dans l’industrie. Il soutient que l’agent n’a pas suffisamment expliqué pourquoi il n’aurait pas pu exécuter les fonctions requises.

(2)  La position du défendeur

[13]  Selon le défendeur, la décision était raisonnable. Le demandeur n’a pas pu démontrer qu’il répondait aux exigences du code 7251de la CNP, car ses études et son expérience professionnelle accusaient des lacunes — il avait suivi un programme d’un an, et il détenait seulement quatre ans d’expérience, et non cinq. En outre, l’agent a noté que le demandeur n’avait pas donné suffisamment de renseignements quant aux tâches exécutées pour lui permettre de conclure qu’il pouvait effectuer le travail.

[14]  Le défendeur soutient que l’agent est présumé avoir soupesé et pris en considération la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis, à moins que le demandeur démontre le contraire (Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2016 CF 793, par. 17 [Rahman]). L’agent n’a pas l’obligation de mentionner chaque élément de preuve, et n’a pas à donner des motifs détaillés au demandeur ni un « résultat intermédiaire » concernant sa demande (Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132, par. 16 et 31 [Sulce]; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c TerreNeuveetLabrador (Conseil du Trésor) 2011 CSC 62, par. 16).

[15]  De plus, le défendeur distingue la présente affaire de la plupart des précédents cités par le demandeur. Premièrement, l’espèce diffère de Portillo et Chherti, où les agents ont utilisé leurs propres normes pour déterminer l’admissibilité du demandeur. Deuxièmement, Wijesinghe ne s’applique pas car, contrairement à la situation dans cette affaire, en l’espèce, le demandeur n’est pas surqualifié pour un poste. Troisièmement, contrairement à l’affaire Dhanoa, l’agent en l’espèce ne s’est pas fondé sur des stéréotypes quant aux raisons pour lesquelles le demandeur voudrait venir au Canada. Enfin, l’espèce se distingue de Randhawa car l’agent n’a pas intégré ses propres normes aux exigences de la CNP.

[16]  En somme, le demandeur ne répondait tout simplement pas aux exigences de la CNP. Par conséquent, il était raisonnable de rejeter sa demande.

(3)  Analyse

[17]  Une demande sera rejetée si l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé : Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 :

200 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), et de l’article 87.3 de la Loi dans le cas de l’étranger qui fait la demande préalablement à son entrée au Canada, l’agent délivre un permis de travail à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments ciaprès sont établis :

200 (1) Subject to subsections (2) and (3) — and, in respect of a foreign national who makes an application for a work permit before entering Canada, subject to section 87.3 of the Act — an officer shall issue a work permit to a foreign national if, following an examination, it is established that

[…]

[…]

(3) Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger dans les cas suivants :

(3) An officer shall not issue a work permit to a foreign national if

a) l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé ;

(a) there are reasonable grounds to believe that the foreign national is unable to perform the work sought;

[18]  Dans ce contexte et comme le souligne le défendeur, peu d’exigences s’appliquent à l’agent dans le cadre de la décision. Il n’a pas à engager un dialogue avec le demandeur concernant les lacunes que comporte sa demande, ni à donner des motifs détaillés (Sulce, par. 16 et 31). En outre, l’agent est présumé avoir pris en considération la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis (Rahman, par. 17).

[19]  Dans Vavilov, la Cour suprême du Canada a clairement fait savoir qu’une décision doit être adéquatement motivée. Il ne suffit pas que la décision soit justifiable, elle doit être justifiée. Le décideur doit démontrer qu’il a tiré sa conclusion à la suite d’une analyse rationnelle. Un manquement à cet égard peut mener à conclure que la décision est déraisonnable (Vavilov, par. 101 à 104).

[20]  Le demandeur n’a pas sérieusement soutenu que l’agent a entravé son pouvoir discrétionnaire, et, selon moi, on ne peut pas tirer une telle conclusion d’après le dossier. Je souligne que l’agent semble avoir fait preuve d’ouverture à l’égard des éléments de preuve soumis, car il a énuméré les documents du demandeur dans ses notes relatives à la décision.

[21]  Je suis convaincu par l’argument du défendeur selon lequel bon nombre des précédents cités par le demandeur sont différents et ne s’appliquent pas en l’espèce.

[22]  Cependant, j’estime que la décision de l’agent est déraisonnable car il s’agit principalement d’un exposé des éléments de preuve qui lui ont été présentés suivi d’une conclusion. Il n’y a pas d’analyse. Bien qu’il soit certainement possible de supposer que le demandeur ne répondait pas aux exigences pour l’obtention d’un permis de travail, cela n’est pas mentionné dans la décision, ni dans les notes versées dans le SMGC, sous forme d’analyse. Cela n’est mentionné qu’à titre de conclusion. Il n’y a pas de lien approprié entre une analyse et une conclusion.

[23]  En lisant les motifs et la conclusion comme un tout, cette décision ne répond pas au critère du raisonnement logique énoncé dans Vavilov. Des motifs détaillés ne sont pas requis, mais il doit tout de même y en avoir plus que dans cette décision; il doit y avoir une explication quant à savoir pourquoi l’agent en est arrivé à la conclusion qu’il a rendue.

B.  La décision était‑elle équitable sur le plan de la procédure?

(1)  La position du demandeur

[24]  Le demandeur soutient que l’agent [Traduction« a fait des suppositions à propos des études du demandeur, de son expérience professionnelle et de sa capacité à travailler convenablement ». Par conséquent, selon lui, l’agent aurait dû le convoquer en entrevue. Il cite un passage de Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 782 qui explique comment les compétences linguistiques d’un demandeur peuvent être évaluées au moyen « d’une entrevue, d’un examen officiel ».

(2)  La position du défendeur

[25]  Le défendeur soutient que le degré d’équité procédurale est peu élevé dans ce contexte, et que l’agent n’a pas à informer le demandeur des lacunes relevées dans sa demande ou dans les documents fournis à l’appui de cette dernière. L’agent doit seulement donner au demandeur l’occasion de répondre aux doutes concernant la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis à l’appui de la demande (Lazar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 16, par. 20 et 21).

[26]  Selon le défendeur, il n’y avait pas de doute concernant la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis par le demandeur. Ainsi, il n’y avait pas lieu de le convoquer en entrevue.

(3)  Analyse

[27]  Je suis convaincu par l’argument du défendeur. Il n’y avait pas de doute concernant la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de la preuve, donc aucune entrevue n’était requise.

V.  Conclusion

[28]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il n’est pas accordé au demandeur de déposer de nouveaux documents.

[29]  Aucuns dépens ne sont adjugés et il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3669‑19

LA COUR STATUE :

  1. que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision;

  2. qu’il n’y a aucune question à certifier et que la présente affaire n’en soulève aucune;

  3. qu’aucune ordonnance n’est rendue à l’égard des dépens.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de février 2020

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3669‑19

INTITULÉ :

BALKAR SINGH SAMRA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 DÉCEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 29 JANVIER 2020

COMPARUTIONS :

Manjit Walia

POUR LE DEMANDEUR

 

Erica Louie

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Walia Law Group

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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