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Date : 20191210


Dossier : T-1049-18

Référence : 2019 CF 1582

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

RE/MAX, LLC

demanderesse

et

SAVE MAX REAL ESTATE, INC.

ET RAMAN DUA

défendeurs

ORDONNANCES ET MOTIFS

[1]  Les défendeurs interjettent appel d’une ordonnance rendue le 24 mai 2019 par la protonotaire Kathleen Ring, alors juge responsable de la gestion de l’instance (ordonnance de production). La protonotaire Ring a ordonné à M. Darryl Bilodeau, l’avocat externe de la société des défendeurs, de produire certains documents, et a autorisé la demanderesse à poursuivre son contre-interrogatoire de M. Bilodeau concernant les questions découlant de tout document produit. La protonotaire Ring a conclu que les défendeurs avaient renoncé au secret professionnel de l’avocat en permettant à M. Bilodeau de déposer, en leur nom, un affidavit (affidavit de M. Bilodeau) sur des questions de fond en litige entre les parties.

[2]  L’appel interjeté par les défendeurs au moyen d’une requête est fondé sur le paragraphe 51(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).

[3]  Pour les motifs qui suivent, l’appel est rejeté.

I.  Contexte

[4]  Le 31 mai 2018, la demanderesse a intenté une action contre les défendeurs pour usurpation de marques de commerce et commercialisation trompeuse. Les défendeurs ont déposé leur défense le 27 juillet 2018, et les parties ont échangé des affidavits de documents à la fin de 2018. 

[5]  La demanderesse soutient que l’affidavit de documents des défendeurs omet de communiquer un large éventail de documents. Par conséquent, le 18 janvier 2019, la demanderesse a déposé une requête afin d’obtenir une ordonnance exigeant que les défendeurs produisent des documents supplémentaires (la requête en production).

[6]  Le 20 février 2019, les défendeurs ont déposé une requête en disjonction en vertu de l’article 107 des Règles (la requête en disjonction).

[7]  En vue de l’utiliser comme élément de preuve à l’appui de la requête en production et de la requête en disjonction, les défendeurs ont déposé l’affidavit de M. Bilodeau, qui a été établi sous serment par M. Bilodeau le 20 février 2019. L’affidavit de M. Bilodeau est le seul affidavit présenté par les défendeurs à l’appui des requêtes.

[8]  M. Bilodeau est un avocat autorisé à exercer le droit en Ontario et un agent de marques de commerce agréé au Canada. M. Bilodeau a agi à titre d’avocat externe de la société des défendeurs pendant près de 10 ans. Il a également préparé et déposé des demandes de marque de commerce pour les défendeurs, y compris en déposant et en gérant des demandes de marque de commerce pour SAVE MAX et SAVE MAX & DESIGN.

[9]  Dans son affidavit, M. Bilodeau atteste ses avis et ses opinions à l’égard d’un certain nombre de questions de droit portant sur le fond, y compris sa compréhension de la demande de la demanderesse contre les défendeurs, le fondement sur lequel la Cour s’appuierait pour statuer sur les allégations de la demanderesse, le caractère suffisant de la production de documents par les défendeurs et le bien-fondé de la requête en disjonction des défendeurs. Je présente un résumé détaillé de l’affidavit de M. Bilodeau aux paragraphes 34 à 39 du présent jugement.

[10]  Le 1er mars 2019, la demanderesse a contre-interrogé M. Bilodeau. Au cours du contre‑interrogatoire, M. Bilodeau a confirmé qu’il a fourni son avis à l’égard d’un certain nombre de questions susmentionnées. Invoquant le secret professionnel, l’avocat des défendeurs s’est opposé aux questions posées à M. Bilodeau, qui portaient sur le fondement de ses avis et la façon dont ils ont été formés, ainsi que sur ses consultations avec l’avocat plaidant des défendeurs, tout document créé par M. Bilodeau et toute communication avec les défendeurs au sujet de ses avis.

[11]  Le 22 mars 2019, la demanderesse a déposé une requête afin d’obtenir une ordonnance autorisant la poursuite de son contre-interrogatoire de M. Bilodeau et exigeant la divulgation des communications et des documents découlant de l’affidavit de M. Bilodeau. Le 24 mai 2019, la protonotaire Ring a rendu l’ordonnance de production, accueillant ainsi la requête de la demanderesse.

[12]  Le 31 mai 2019, les défendeurs ont déposé la présente requête, interjetant appel de l’ordonnance de production.

II.  L’ordonnance de production

[13]  L’analyse de la requête de la demanderesse effectuée par la protonotaire Ring a commencé par la reconnaissance du fait que le secret professionnel de l’avocat est un principe fondamental du système de justice canadien. Elle a confirmé la position des défendeurs selon laquelle le secret professionnel est un privilège qui appartient au client et que seul le client peut y renoncer, que ce soit expressément ou implicitement. Cependant, la protonotaire Ring a invoqué une série d’affaires dans lesquelles les tribunaux ont statué qu’un client renonce au secret professionnel de l’avocat si son avocat établit sous serment, en son nom, un affidavit sur une question de fond. Elle a déclaré ce qui suit :

[traduction]

[14]  En ce qui concerne le premier argument des défendeurs, j’accepte en principe que le secret professionnel de l’avocat soit un privilège qui appartient au client et que seul le client puisse y renoncer. Cependant, les tribunaux ont toujours statué qu’un client est réputé avoir renoncé au secret professionnel de l’avocat si son avocat établit sous serment, en son nom, un affidavit sur une question de fond : Murao c Blackcomb Skiing Enterprises Ltd Partnership, 2003 BCSC 558, au paragraphe 83; Cheung c 518402 BC Ltd, 1999 CanLII 2654; Casino Tropical Plants Ltd c Rentokil Tropical Plant Services Ltd, 1998 CanLII 3866 (C.S. C.-B.), au paragraphe 16 [Casino Tropical Plants]; Hanna c Hanna et al. (1986), 53 OR (2d) 251, 1996 CanLII 2828 (C.S. Ont.) [Hanna].

[14]  La protonotaire Ring a cité la décision rendue dans le jugement Hanna c Hanna et al. (1986), 53 OR (2d) 251 (C.S. Ont.), dans laquelle le protonotaire Cork a déclaré que les actions intentées par un avocat au nom d’un client dans le cadre d’un litige lient le client, car l’avocat n’agit que comme intermédiaire légal [traduction] « à l’égard des renseignements fournis par l’avocat au nom du client qu’il représente »:

[traduction]

[…] Par conséquent, à ces fins, je suis convaincu que l’affidavit en question, produit par l’avocat, est essentiellement celui du client que l’avocat représente; c’est pourquoi, étant donné la présentation de l’affidavit, je suis convaincu que, quel que soit le secret professionnel associé aux communications entre l’avocat et son client, qui ont été énoncées dans cet affidavit, on a maintenant renoncé à celui-ci en raison de la présentation de l’affidavit, au moins en ce qui concerne les faits et les questions soulevés dans l’affidavit.

[15]  La protonotaire Ring a conclu que M. Bilodeau a établi sous serment, au nom des défendeurs, un affidavit sur des questions de fond quant aux requêtes en production et en disjonction. M. Bilodeau a exprimé son avis au sujet du caractère suffisant de la production de documents par les défendeurs, et a fait valoir, en se fondant sur un certain nombre de facteurs, que la disjonction pourrait mener à la disposition la plus expéditive et la plus économique des demandes de la demanderesse.

[16]  La protonotaire Ring a conclu que les défendeurs avaient renoncé au secret professionnel de l’avocat à l’égard des documents et des dossiers que possède ou contrôle M. Bilodeau et qui se rapporte aux questions abordées dans l’affidavit de M. Bilodeau.

[17]  Je reproduis dans son intégralité l’ordonnance rendue par la protonotaire Ring au paragraphe 40 du présent jugement. En résumé, la protonotaire Ring (1) a ordonné à M. Bilodeau de produire la totalité de la correspondance, des avis et des notes en sa possession qui se rapportent aux questions abordées dans l’affidavit de M. Bilodeau; et (2) a autorisé la demanderesse à poursuivre son contre-interrogatoire de M. Bilodeau au sujet de toute question découlant des documents qu’il devait produire.

III.  Questions en litige

[18]  Les défendeurs soulèvent deux questions dans leur appel de l’ordonnance de production :

  1. Les défendeurs ont-ils renoncé au secret professionnel de l’avocat en présentant l’affidavit de M. Bilodeau?

  2. Dans l’affirmative, la protonotaire Ring a-t-elle commis une erreur concernant la portée de la production envisagée dans l’ordonnance de production?

IV.  Norme de contrôle

[19]  Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux appels d’ordonnances discrétionnaires de protonotaires est énoncée dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, aux paragraphes 66 et 79. Ces ordonnances doivent être examinées selon la norme civile d’appel (Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33) comme suit : (1) la norme de la décision correcte pour les questions de droit et les questions mixtes de fait et de droit lorsqu’il y a un principe juridique isolable; et (2) l’erreur manifeste et dominante pour les conclusions de fait et les questions mixtes de fait et de droit.

[20]  Le présent appel porte sur la façon dont la protonotaire Ring a appliqué la loi aux faits entourant le statut et le rôle de M. Bilodeau vis-à-vis des défendeurs, le contenu de l’affidavit de M. Bilodeau et la portée de la production ordonnée par la protonotaire Ring. Il n’y a aucune question de droit pure ou isolable en l’espèce. Par conséquent, en l’absence d’une erreur manifeste et dominante, la Cour doit respecter les conclusions de la protonotaire Ring.

V.  Analyse

1.  Les défendeurs ont-ils renoncé au secret professionnel de l’avocat en présentant l’affidavit de M. Bilodeau?

Observations des défendeurs

[21]  Les défendeurs soutiennent que la protonotaire Ring a commis une erreur en concluant que la présentation d’un affidavit par un avocat entraîne une renonciation complète au secret professionnel et en ne tenant pas compte du fait que la jurisprudence pertinente prévoit que seul le secret professionnel associé aux communications entre l’avocat et le client mentionnées dans l’affidavit est renoncé. Les défendeurs soutiennent également que la protonotaire Ring a tiré des conclusions de fait qui n’étaient pas étayées par le dossier. Notamment, ils soutiennent qu’il n’y avait aucun élément de preuve à l’appui du fait que l’affidavit de M. Bilodeau a été établi sous serment en leur nom, qu’ils avaient ordonné à M. Bilodeau de déposer un affidavit en leur nom, ou qu’ils avaient exprimé leur intention de renoncer au secret professionnel de l’avocat.

Observations de la demanderesse

[22]  La demanderesse soutient que la protonotaire Ring n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en concluant que les défendeurs ont renoncé au secret professionnel de l’avocat en présentant l’affidavit de M. Bilodeau. La demanderesse se fonde sur la jurisprudence citée par la protonotaire Ring et affirme qu’un client renonce au secret professionnel lorsque son avocat établit sous serment, en son nom, un affidavit sur une question de fond. La demanderesse soutient que M. Bilodeau agissait clairement au nom des défendeurs et que, à titre d’agent, il a pris leur place pour fournir des éléments de preuve sur le fond à l’appui de leurs arguments dans le cadre des requêtes en production et en disjonction.

Analyse

[23]  Je conclus que la protonotaire Ring n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en concluant dans l’ordonnance de production que les défendeurs ont renoncé au secret professionnel de l’avocat en exigeant que M. Bilodeau, leur avocat, dépose son affidavit en leur nom.

[24]  La loi est bien établie à cet égard. Lorsqu’un avocat établit sous serment, au nom d’un client, un affidavit sur une question de fond, le client est réputé avoir renoncé au secret professionnel de l’avocat à l’égard des faits et des questions soulevés dans l’affidavit (Murao c Blackcomb Skiing Enterprises Limited Partnership, 2003 BCSC 558, au paragraphe 83). Le protonotaire Cork de la Cour suprême de justice de l’Ontario a formulé une excellente explication du principe dans le jugement Hanna (cité par la protonotaire Ring) :

[traduction]

L’avocat des défendeurs fait valoir devant moi que, bien entendu, le secret professionnel appartient au client, et non pas à l’avocat, et que cette renonciation devrait être faite par le client, et non pas par son avocat. Je l’accepte en principe, mais j’ajoute que, selon ma compréhension, dans des circonstances comme celles en l’espèce, l’avocat agit et représente le client; les mesures prises par l’avocat au nom du client ou par ce client dans le cadre du litige lient ce client, et l’avocat, dans le cadre du litige, n’agit qu’en tant qu’intermédiaire légal à l’égard des renseignements fournis par l’avocat au nom du client qu’il représente. Je ne crois pas qu’il soit approprié qu’un tribunal tente d’isoler le rôle de l’avocat des intérêts du client, du moins en ce qui concerne le tribunal, voire même également le défendeur. Par conséquent, à ces fins, je suis convaincu que l’affidavit en question, produit par l’avocat, est essentiellement celui du client que l’avocat représente, c’est pourquoi, étant donné la présentation de l’affidavit, je suis convaincu que, quel que soit le secret professionnel associé aux communications entre l’avocat et son client, qui ont été énoncées dans cet affidavit, on a maintenant renoncé à celui-ci en raison de la présentation de l’affidavit, au moins en ce qui concerne les faits et les questions soulevés dans l’affidavit.

[25]  En établissant sous serment un affidavit sur des questions de fond en litige entre les parties, l’avocat est entré dans l’arène (Casino Tropical Plants Ltd c Rentokil Tropical Plant Services Ltd, [1998] BCJ no 1098 (C.S. C.-B.)), et les renseignements fournis par l’avocat sont considérés comme des renseignements venant du client. Les problèmes engendrés par cette ligne de conduite ont été réglés par le juge Addy dans le jugement Lex Tex Canada Ltd c Duratex Inc, [1979] 2 CF 722, une affaire dans laquelle l’avocat de la défenderesse a déposé un affidavit sur des questions de fond et a refusé de répondre à des questions concernant le contenu de l’affidavit au cours du contre-interrogatoire, invoquant le secret professionnel de l’avocat (Lex Tex, aux pages 723 et 724) :

[4]  Le droit d’une partie de contre-interroger complètement un témoin cité à comparaître par la partie adverse sur toute question ayant trait à son témoignage et d’obtenir des réponses à ces questions constitue l’un des principes les plus fondamentaux de notre système judiciaire. Un droit tout aussi fondamental et encore plus jalousement préservé par nos tribunaux est celui de toute personne d’être assurée que les communications faites à son procureur relativement à tout sujet d’ordre juridique ne seront pas divulguées.

[5]  L’espèce démontre clairement, et de façon éloquente, combien il est contraire aux règles pour le procureur d’une partie engagée dans une procédure judiciaire de faire une déclaration sous serment ou de témoigner oralement au nom de son client relativement à toute question au sujet de laquelle il a été consulté. Les tribunaux de common law ont reconnu cette règle depuis fort longtemps; mais il semble que, depuis peu, cette dernière soit tombée, jusqu’à un certain point, en désuétude, du moins en ce qui concerne les procédures interlocutoires, au motif, surtout, qu’il est beaucoup plus pratique pour le procureur de faire de telles déclarations.

[6]  Quel qu’en soit le motif, il est tout à fait irrégulier et inacceptable de la part d’un procureur de faire une déclaration sous serment (et ce, même dans le cadre d’une procédure interlocutoire) lorsque cette déclaration porte sur des questions de fond, car il s’expose ainsi à être contre-interrogé sur des questions faisant l’objet du privilège procureur-client. […]

[26]  J’ai examiné chacune des observations des défendeurs concernant les conclusions tirées par la protonotaire Ring dans l’ordonnance de production, le contenu de l’affidavit de M. Bilodeau et la preuve au dossier dont je suis saisie. Je remarque d’abord que la protonotaire Ring n’a pas conclu qu’il y avait eu renonciation complète au secret professionnel de l’avocat en raison de la présentation de l’affidavit de M. Bilodeau. Elle a seulement conclu que les défendeurs avaient renoncé au secret professionnel à l’égard des documents et des dossiers que possède ou contrôle M. Bilodeau et qui se rapportent aux questions abordées dans l’affidavit. J’aborderai les arguments des défendeurs quant à la portée de l’ordonnance de production dans la prochaine section du présent jugement.

[27]  Deuxièmement, il ne fait aucun doute que l’affidavit de M. Bilodeau a été déposé au nom des défendeurs. Leur affirmation selon laquelle il n’y avait aucun élément de preuve corroborant le fait que M. Bilodeau agissait en leur nom est sans fondement. M. Bilodeau a agi et continue d’agir à titre d’avocat auprès des défendeurs. Son seul rôle dans l’établissement sous serment de l’affidavit était de renforcer les arguments que les défendeurs ont présentés à l’appui des requêtes en production et en disjonction. Selon la jurisprudence, il n’est pas nécessaire que la demanderesse établisse que les défendeurs avaient précisément ordonné à M. Bilodeau d’établir sous serment ou de déposer un affidavit. Étant donné l’absence de toute prétention des défendeurs selon laquelle M. Bilodeau agissait à leur insu et sans leur consentement, la présentation de l’affidavit parle de lui-même. 

[28]  Troisièmement, les défendeurs soutiennent qu’il n’y a aucun élément de preuve selon lequel ils avaient l’intention de renoncer au secret professionnel de l’avocat en déposant l’affidavit de M. Bilodeau. La protonotaire Ring a abordé cet argument dans l’ordonnance de production. Comme l’a expliqué le protonotaire Cork dans le jugement Hanna, la renonciation au secret professionnel a été établie lorsque les défendeurs ont présenté l’affidavit de M. Bilodeau. Les mesures prises par M. Bilodeau sont celles des défendeurs et la demanderesse n’est pas tenue de démontrer de façon indépendante une renonciation implicite ou expresse. Le recours des défendeurs à des affaires qui confirment, en général, l’importance du secret professionnel de l’avocat et les exigences à satisfaire pour permettre à un tribunal de conclure à une renonciation (voir, par exemple, Banque canadienne Impériale de commerce c La Reine, 2015 CCI 280; Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44) n’est pas convaincant compte tenu de la jurisprudence qui établit l’exception au principe général : une renonciation expresse au secret professionnel de l’avocat en présentant l’affidavit d’un avocat se rapportant à des questions de fond. 

[29]  Quatrièmement, les défendeurs soutiennent que l’affidavit de M. Bilodeau a été déposé à l’égard de deux requêtes de nature procédurale et qu’il ne peut donc pas être considéré comme abordant des questions de fond. Je ne suis pas de cet avis. L’affidavit inclut une analyse approfondie des questions de droit et de fait en litige entre les parties. Le fait que l’affidavit de M. Bilodeau a été déposé en réponse à des requêtes de nature procédurale n’est pas déterminant quant à son contenu. M. Bilodeau entre effectivement dans l’arène et fournit des éléments de preuve sous la forme de son affidavit.

[30]  Cinquièmement, les défendeurs soutiennent que les parties se sont toujours appuyées sur les affidavits des avocats dans le cadre du présent litige, sans soulever de question quant à la renonciation au secret professionnel de l’avocat. Cet argument ne tient pas compte de la distinction essentielle entre les affidavits des avocats qui portent sur des questions procédurales ou non litigieuses et ceux qui portent sur des questions de fond.

[31]  Enfin, les défendeurs font valoir que la protonotaire Ring a commis une erreur en omettant de déterminer s’il était juste de conclure qu’ils avaient renoncé au secret professionnel en présentant l’affidavit de M. Bilodeau. Encore une fois, je ne suis pas de cet avis. Le principe selon lequel une partie renonce au secret professionnel de l’avocat en présentant son avocat comme témoin est lui-même fondé sur des facteurs d’équité, comme le reconnaît la protonotaire Ring dans l’ordonnance de production :

[traduction]

[17]  Ce principe juridique vise à empêcher une partie d’intégrer l’avocat comme déposant, puis de soulever la défense du secret professionnel à l’égard des questions relatives aux communications entre l’avocat et le client, car cela empêcherait véritablement la partie qui interroge de procéder à un contre-interrogatoire sérieux dans le cadre d’une requête que la partie est tenue de défendre : Hanna, supra.

[32]  En résumé, l’affidavit de M. Bilodeau énonce les avis juridiques et les conclusions de M. Bilodeau concernant le caractère suffisant de la production de documents par les défendeurs et le bien-fondé de leur requête en disjonction. Il a été déposé au nom des défendeurs et aborde en détail les questions de fond en litige entre les parties. Je conclus que les défendeurs ont renoncé au secret professionnel de l’avocat à l’égard des faits et des questions soulevés par M. Bilodeau dans son affidavit. La protonotaire Ring n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en tirant cette conclusion.

2.  La protonotaire Ring a-t-elle commis une erreur concernant la portée de la production envisagée dans l’ordonnance de production?

Résumé de l’affidavit de M. Bilodeau

[33]  Je commencerai par résumer le contenu de l’affidavit de M. Bilodeau pour fournir le contexte de mon analyse de l’argument des défendeurs selon lequel la portée de la production ordonnée par la protonotaire Ring était trop large.

[34]  M. Bilodeau commence la partie importante de son affidavit en déclarant ce qui suit :

[traduction]

3.  J’ai examiné l’affidavit de documents établi sous serment par les défendeurs en l’espèce, et je peux confirmer que tous les documents pertinents contenus dans mon dossier et ceux relatifs aux questions en litige relatives à la responsabilité ont été divulgués.

[35]  Il énumère les documents déjà produits par les parties (les enregistrements de leurs marques de commerce respectives et des photos de l’affichage de la société défenderesse) et mentionne une recherche dans le registre canadien des marques de commerce qui a révélé l’existence de huit autres enregistrements employant le terme « MAX » en lien avec des services immobiliers.

[36]  M. Bilodeau a résumé la thèse centrale de la demanderesse dans sa déclaration, à savoir que les défendeurs font la promotion de services immobiliers et offrent de tels services au Canada, faisant concurrence à la demanderesse, et que les marques de commerce des défendeurs prêtent [traduction] « à confusion par leur similarité avec la marque RE/MAX ». M. Bilodeau déclare ce qui suit :

[traduction]

7.  Après avoir examiné l’affidavit de documents signifié par les défendeurs, il ne semble pas y avoir d’autres documents pertinents à une disposition adéquate des allégations d’usurpation et de commercialisation trompeuse de la demanderesse, et il ne semble manquer aucun document qui serait pertinent quant à cette disposition.

[37]  M. Bilodeau est d’avis que les faits essentiels et pertinents requis pour statuer sur les allégations de la demanderesse se trouvaient entièrement dans les documents déjà produits. Il a déclaré que, pour examiner les allégations d’usurpation et de commercialisation trompeuse de la demanderesse, la Cour doit d’abord déterminer le degré de similarité entre l’affichage des défendeurs et les marques de commerce de la demanderesse. Ce n’est que si l’affichage des défendeurs est identique ou très similaire aux marques de commerce de la demanderesse que les autres facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13, deviendront pertinents.

[38]  M. Bilodeau a ensuite entrepris une analyse détaillée du degré de similarité entre les marques de commerce de la demanderesse et chaque type d’affichage utilisé par les défendeurs. Il a tiré plusieurs conclusions concernant les éléments dominants de l’affichage des défendeurs. En ce qui concerne les autres facteurs énumérés au paragraphe 6(5), M. Bilodeau souligne à nouveau que la recherche dans le registre canadien des marques de commerce a révélé l’existence d’au moins huit autres enregistrements employant le terme « MAX » en lien avec des services immobiliers.

[39]  Les derniers paragraphes de l’affidavit de M. Bilodeau sont formulés comme suit :

[traduction]

10.  Compte tenu de la nature des allégations formulées par la demanderesse, du nombre limité de documents requis pour statuer sur ces allégations et de l’intention des défendeurs de procéder à la disposition de ces allégations au moyen d’une requête en jugement sommaire, il est probable qu’une disjonction des questions relatives à la responsabilité et de celles relatives aux dommages‑intérêts mène à la disposition la plus juste, la plus expéditive et la plus économique du présent litige sur le fond.

11.  La divulgation de renseignements financiers demandée par la demanderesse n’est pas nécessaire pour trancher la question relative à la responsabilité. Il n’y a aucun chevauchement entre les éléments de preuve requis pour déterminer la responsabilité et les éléments de preuve subséquents nécessaires pour déterminer les dommages-intérêts.

L’ordonnance

[40]  L’ordonnance rendue par la protonotaire Ring après son analyse dans l’ordonnance de production était la suivante :

[traduction]

LA COUR STATUE que :

1.  La demanderesse a la permission de poursuivre le contre‑interrogatoire de M. Bilodeau en ce qui a trait à toute question découlant des documents que M. Bilodeau doit produire conformément au paragraphe 2 de la présente ordonnance;

2.  au moment du contre-interrogatoire ou avant, M. Bilodeau produit les catégories de documents suivantes, dans la mesure où ces documents sont en sa possession ou sous son contrôle et où ils se rapportent [à] des questions qui sont traitées dans l’affidavit de M. Bilodeau établi sous serment le 20 février 2019 :

a)  toute correspondance qui comprend un avis écrit, formel ou informel, y compris un avis fourni par courriel, qu’il a préparé concernant les allégations formulées par la demanderesse ou les défendeurs dans le cadre de la présente instance, y compris au sujet de la commercialisation trompeuse et de l’usurpation de marques de commerce, ainsi que toute défense à cet égard,

b)  toute correspondance qui comprend un avis écrit, formel ou informel, y compris un avis fourni par courriel, qu’il a préparé concernant, ou relativement à, la probabilité de confusion entre les marques visées par le litige,

c)  toute correspondance qui comprend un avis écrit, formel ou informel, y compris un avis fourni par courriel, qu’il a préparé concernant, ou relativement à, la similarité entre les marques visées par le litige,

d)  toute correspondance qui comprend un avis écrit, formel ou informel, y compris un avis fourni par courriel, qu’il a préparé concernant la disjonction du litige,

e)  des notes ou tout autre document que M. Bilodeau a conservés relativement à tout avis qui a été fourni dans un format autre qu’un avis écrit,

f)  tout document qui établit les faits et le droit invoqués par M. Bilodeau pour former son (ou ses) avis, conformément aux alinéas a) à d).

Observations des défendeurs

[41]  Les arguments présentés par les défendeurs à l’audience du présent appel portaient sur la portée de l’ordonnance de production et comportent deux volets : (A) l’ordonnance de production exige la production de documents qui vont au-delà du contenu substantiel de l’affidavit de M. Bilodeau; et (B) la protonotaire Ring a omis de distinguer l’analyse et les avis fournis par M. Bilodeau à titre de personne ayant une expertise en matière de droit des marques de commerce et son rôle à titre d’avocat des défendeurs.

[42]  Les défendeurs soutiennent d’abord que la protonotaire Ring a commis une erreur en concluant que la présentation d’un affidavit par M. Bilodeau a suffi à établir une large renonciation au secret professionnel de l’avocat à l’égard de tous les documents et dossiers que possède ou contrôle M. Bilodeau et qui se rapportent à des questions abordées dans son affidavit. Les défendeurs soutiennent que l’affidavit de M. Bilodeau doit être interprété dans le contexte des requêtes en production et en disjonction. Le contenu substantiel de l’affidavit ne concerne que les deux requêtes et ne s’étend pas à toutes les communications que M. Bilodeau a eues avec les défendeurs au cours de son mandat. Plus précisément, ils soutiennent que l’alinéa 2a) de l’ordonnance est trop large, puisque les questions visées à l’alinéa ne sont pas pertinentes quant aux requêtes en production et en disjonction.

[43]  Deuxièmement, les défendeurs soutiennent que, si la présentation de l’affidavit de M. Bilodeau a donné lieu à une renonciation au secret professionnel, toute renonciation ne doit se limiter qu’aux déclarations faites dans l’affidavit et qu’elle ne s’étend pas aux communications de M. Bilodeau avec les défendeurs. Ils soutiennent que la protonotaire Ring a confondu l’expertise de M. Bilodeau et les avis juridiques qu’il aurait pu donner à son client. Les défendeurs affirment ce qui suit :

[traduction]

5.  Les défendeurs soutiennent que la juge responsable de la gestion de l’instance, Ring, a commis une erreur de droit, notamment en ce sens que sa principale conclusion semble être fondée sur l’avis selon lequel, « lorsqu’un avocat établit sous serment un affidavit au nom de son client, la jurisprudence indique clairement que le client sera réputé avoir renoncé au secret professionnel », sans tenir compte du fait que la décision sur laquelle elle s’est fondée pour appuyer cette conclusion (Hanna) indiquait expressément que seules les communications entre l’avocat et son client mentionnées dans un affidavit déposé par l’avocat entraîneraient une renonciation au secret professionnel à l’égard de ces communications particulières (plutôt que de toutes les communications).

Observations de la demanderesse

[44]  La demanderesse soutient que la portée de l’ordonnance de production n’est pas indûment large, puisque l’analyse des requêtes en production et en disjonction effectuée par M. Bilodeau dans son affidavit comprend une évaluation des allégations formulées par la demanderesse à l’appui de l’action. La demanderesse reconnaît les contraintes établies par les tribunaux dans les jugements Hanna et Murao, selon lesquelles la portée de toute renonciation au secret professionnel de l’avocat doit se limiter aux questions soulevées dans l’affidavit visé. La demanderesse fait valoir le fait que la portée de la production ordonnée par la protonotaire Ring en l’espèce est nécessairement plus large que celle envisagée par les tribunaux dans ces affaires parce que les éléments de preuve et les avis fournis par M. Bilodeau sont beaucoup plus larges.

[45]  La demanderesse affirme que M. Bilodeau a été présenté comme témoin des faits. Il a témoigné dans son affidavit au sujet de ce qui suit : les documents produits par les parties, les critères juridiques pertinents aux requêtes en production et en disjonction et à la disposition des allégations sous-jacentes de la demanderesse, les éléments de preuve nécessaires pour satisfaire à ces critères, y compris la pertinence de tout renseignement financier, et ses avis juridiques concernant l’application des critères juridiques aux faits de l’affaire. Les défendeurs demandent à la Cour de se fier aux avis juridiques de M. Bilodeau pour statuer sur les requêtes. La demanderesse soutient que les défendeurs ne peuvent pas empêcher le contre-interrogatoire de M. Bilodeau sur les questions de fond qu’il aborde dans son affidavit, y compris ses conclusions de faits et ses avis juridiques, et la question de savoir s’il a communiqué ces avis à son client.

Analyse

[46]  Je conclus que la protonotaire Ring n’a commis aucune erreur manifeste et dominante à l’égard de la portée de la production et du contre-interrogatoire prévus par l’ordonnance de production. En tant qu’auteur d’un affidavit sur des questions de fond en litige dans le cadre de l’action intentée par la demanderesse, M. Bilodeau a pris la place de son client et a créé une controverse entre les parties. Il a donné son avis juridique sur des questions essentielles au litige entre les parties à l’appui des positions des défendeurs dans les requêtes en production et en disjonction.

A.  Le contenu substantiel de l’affidavit de M. Bilodeau

[47]  La production ordonnée par la protonotaire Ring ne s’étend qu’aux documents que possède ou contrôle M. Bilodeau et qui se rapportent aux questions abordées dans son affidavit. Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que les questions abordées dans l’affidavit de M.  Bilodeau se rapportent aux requêtes en production et en disjonction, mais c’est là que réside le problème dans leur argument. Les [traduction] « questions abordées » par M. Bilodeau dans son évaluation de la production et de la disjonction comprennent son analyse des allégations d’usurpation et de commercialisation trompeuse de la demanderesse et de son recours aux stratégies proposées par les défendeurs (requête en jugement sommaire; disjonction) pour défendre l’action de la demanderesse. 

[48]  Les défendeurs soutiennent que M. Bilodeau a donné son avis sur des questions se rapportant à la production et à la disjonction, et que la protonotaire Ring a commis une erreur en déclarant que, puisqu’il a fourni des avis étroits, la Cour peut présumer que tout ce qu’il a exprimé est équitable. Les observations soulèvent deux questions. Premièrement, la protonotaire Ring n’a pas conclu que tous les aspects des communications de M. Bilodeau avec les défendeurs étaient soumis à la production et au contre-interrogatoire. L’ordonnance se limite aux documents et à tout contre-interrogatoire subséquent se rapportant aux questions abordées dans l’affidavit de M. Bilodeau. Dans la mesure où M. Bilodeau a en sa possession ou sous son contrôle des documents et des avis se rapportant à son mandat, de façon plus générale, large à l’égard des défendeurs, ceux-ci ne sont soumis ni à la production ni au contre-interrogatoire.

[49]  Deuxièmement, les déclarations et les avis énoncés par M. Bilodeau dans son affidavit ne peuvent pas être qualifiés d’étroits. La liste qui suit énonce les conclusions de fait, les analyses et les avis juridiques mentionnés dans l’affidavit de M. Bilodeau et, dans chaque cas, le ou les paragraphes de fond pertinents de l’ordonnance de la protonotaire Ring :

  • - M. Bilodeau a produit tous les documents pertinents dans son dossier et les documents portant sur des questions relatives à la responsabilité ont été divulgués.

  • Ordonnance, alinéas 2a), b), c) et d)

  • - La thèse centrale de la demanderesse dans le litige est que les défendeurs exercent des activités immobilières au Canada en concurrence avec la demanderesse et que les marques de commerce des défendeurs prêtent à confusion par leur similarité avec celles de la demanderesse.

  • Ordonnance, alinéas 2a) et b)

  • - Après avoir examiné l’affidavit de documents des défendeurs, aucun autre document n’est pertinent pour statuer convenablement sur les allégations d’usurpation et de commercialisation trompeuse de la demanderesse.

  • Ordonnance, alinéas 2a) et b)

  • - Les faits essentiels et pertinents nécessaires pour statuer convenablement sur les allégations de la demanderesse se trouvent entièrement dans les documents déjà produits.

  • Ordonnance, alinéas 2a), b) et c)

  • - En vue de statuer sur les allégations d’usurpation et de commercialisation trompeuse de la demanderesse, la Cour devra d’abord déterminer le degré de similarité entre l’affichage de la société défenderesse et les marques de commerce de la demanderesse. Ce n’est que si cet affichage est jugé identique ou très similaire aux marques de commerce de la demanderesse que les autres facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce deviendront pertinents.

  • Ordonnance, alinéas 2a), b) et c)

  • - M. Bilodeau effectue une analyse détaillée du degré de similarité entre l’affichage de la société défenderesse et les marques de commerce de la demanderesse, ainsi que des éléments les plus dominants de l’affichage de la société défenderesse.

  • Ordonnance, alinéa 2c)

  • - M. Bilodeau renvoie aux autres facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce.

  • Ordonnance, alinéas 2a) et b)

  • - Compte tenu des allégations de la demanderesse, du nombre limité de documents requis pour statuer sur ces allégations et de l’intention des défendeurs de procéder par voie de requête en jugement sommaire, il est justifié de disjoindre les questions relatives à la responsabilité et celles relatives aux dommages-intérêts.

  • Ordonnance, alinéas 2a) et d)

  • - La divulgation de renseignements financiers demandée par la demanderesse n’est pas nécessaire pour trancher la question relative à la portée de la responsabilité.

  • Ordonnance, alinéas 2a) et d)

[50]  L’alinéa 2e) de l’ordonnance exige la production de notes ou d’autres documents contenus dans les dossiers de M. Bilodeau concernant tout avis non écrit qu’il a fourni au sujet des questions abordées dans son affidavit, et l’alinéa 2f) exige la production de tout document sur lequel il s’est fondé pour fournir les avis visés aux alinéas 2a) à d) de l’ordonnance. La production visée aux alinéas 2e) et f) se limite au contenu substantiel de l’affidavit de M. Bilodeau.

[51]  La protonotaire Ring n’a commis aucune erreur manifeste et dominante à l’égard des catégories de documents et de communications visés par la production. Elles sont conformes aux questions abordées dans l’affidavit de M. Bilodeau et à la jurisprudence qui traite de la renonciation au secret professionnel à l’égard des faits et des questions soulevés dans l’affidavit en question.

B.  Rôle de M. Bilodeau

[52]  Le deuxième argument des défendeurs est que la Cour doit séparer les connaissances factuelles et l’expertise de M. Bilodeau de ses relations avec eux. Les défendeurs soutiennent que, s’ils renoncent au secret professionnel de l’avocat, la Cour peut ordonner la production de notes ou de recherches de M. Bilodeau a effectué pour former les avis énoncés dans son affidavit, mais que la renonciation ne devrait pas s’étendre aux documents, aux communications et aux avis que M. Bilodeau a pu fournir aux défendeurs. Les défendeurs affirment que les affidavits des avocats en cause dans les jugements Hanna et Murao traitaient des communications que chacun des avocats en question avait eues avec leurs clients et de la perte du secret professionnel à l’égard de ces communications. En revanche, M. Bilodeau n’a aucunement mentionné des communications avec les défendeurs dans son affidavit.

[53]  J’estime que l’argument des défendeurs n’est pas convaincant. L’affidavit de M. Bilodeau est le seul élément de preuve déposé par les défendeurs à l’égard des requêtes en production et en disjonction. Leur argument, s’il était accepté, protégerait efficacement les défendeurs contre les conséquences de leur renonciation au secret professionnel et empêcherait la demanderesse d’effectuer un examen sérieux de la pertinence de leur production de documents et du fondement de leurs arguments à l’appui de la disjonction.

[54]  Les défendeurs considèrent M. Bilodeau comme un témoin expert et minimisent le fait qu’il est l’avocat externe de leur société et un agent de marques de commerce. Cependant, M. Bilodeau a établi sous serment son affidavit en tant qu’avocat et représentant des défendeurs. Dans le premier paragraphe de l’affidavit, M. Bilodeau déclare qu’il a agi à titre d’agent de marques de commerce pour la société défenderesse et, [traduction] « qu’à ce titre, [il] conna[ît] les questions sur lesquels porte la présente déclaration ». Il n’a pas été présenté comme témoin expert indépendant. Le fait que M. Bilodeau s’est appuyé sur son expertise professionnelle pour formuler les avis qu’il a exprimés dans son affidavit ne suffit pas à distinguer les mesures qu’il a prises de celles des défendeurs.

[55]  Je reviens à l’explication donnée par le protonotaire Cork dans le jugement Hanna quant aux motifs et quant aux effets de la renonciation au secret professionnel lorsqu’un avocat établit sous serment, au nom d’un client, un affidavit sur des questions de fond. Le protonotaire Cork a déclaré que l’avocat devient l’intermédiaire à l’égard des renseignements fournis par l’avocat au nom du client qu’il représente. Dans ces circonstances, la Cour ne devrait pas distinguer le rôle de l’avocat des intérêts du client, puisque l’affidavit de l’avocat est essentiellement celui du client.  

[56]  Contrairement aux affidavits en cause dans les jugements Hanna et Murao, M. Bilodeau n’a pas indiqué dans son affidavit qu’il avait communiqué ses avis aux défendeurs ni que ces derniers lui avaient communiqué leurs avis et leurs positions, mais cette distinction n’est pas déterminante. Les renseignements et les avis communiqués par M. Bilodeau dans son affidavit sont les renseignements et les avis des défendeurs. En ce qui concerne leur opposition à toute autre production de documents, M. Bilodeau et les défendeurs ont indiqué ce qui suit :

  • (1) M. Bilodeau a produit tous les documents pertinents de son dossier;

  • (2) les documents portant sur les questions relatives à la responsabilité ont été divulgués;

  • (3) il ne semble pas y avoir d’autres documents pertinents pour statuer sur les allégations d’usurpation et de commercialisation trompeuse de la demanderesse, et il ne semble manquer aucun document;

  • (4) les faits essentiels et pertinents nécessaires pour statuer sur les allégations de la demanderesse se trouvent entièrement dans les documents déjà produits;

  • (5) la divulgation de renseignements financiers demandée par la demanderesse n’est pas nécessaire pour trancher la question relative à la responsabilité.

[57]  Afin de conclure qu’aucune autre production n’est requise de la part des défendeurs, M. Bilodeau doit nécessairement leur avoir communiqué son analyse juridique, ainsi qu’avoir examiné les dossiers et les documents des défendeurs et discuté avec eux de la nécessité d’une production ultérieure. En ce qui concerne la disjonction, M. Bilodeau et les défendeurs ont déclaré dans l’affidavit que M. Bilodeau examine les allégations de la demanderesse, le nombre limité de documents requis pour évaluer les allégations et la stratégie proposée par les défendeurs visant à procéder par jugement sommaire. M. Bilodeau et les défendeurs ont sans aucun doute discuté de ces questions. Quoi qu’il en soit, selon la demanderesse, la communication entre l’avocat et le client est présumée. M. Bilodeau est l’intermédiaire à l’égard des avis et des positions des défendeurs. 

[58]  Je conclus que le contenu des consultations et des communications de M. Bilodeau avec les défendeurs au sujet des conclusions de fait et des avis juridiques énoncés dans l’affidavit de M. Bilodeau n’est plus assujetti au secret professionnel de l’avocat. Les défendeurs s’appuient sur les avis de M. Bilodeau comme s’ils étaient les leurs afin d’avoir gain de cause dans le cadre des requêtes en production et en disjonction, mais d’empêcher la production et le contre‑interrogatoire concernant les mêmes avis. Ils tentent d’utiliser l’affidavit et le principe du secret professionnel de l’avocat pour attaquer et se défendre. Par souci d’équité, la demanderesse doit être en mesure de mettre à l’essai la solidité de l’analyse, des avis et des conclusions énoncées dans l’affidavit de M. Bilodeau afin de protéger son droit à une production intégrale et de formuler adéquatement sa position quant à la disjonction.

[59]  Les défendeurs se sont placés dans une position peu enviable, dénoncée par le juge Addy dans le jugement Lex Tex. Ils ont soulevé les avis de leur avocat et le fait qu’ils se sont fondés sur ceux-ci. La protonotaire Ring n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en concluant que les défendeurs ne peuvent plus protéger M. Bilodeau contre la production de documents et un contre-interrogatoire en ce qui a trait aux questions qu’il atteste dans son affidavit. 

VI.  Conclusion

[60]  L’appel est rejeté.

VII.  Dépens

[61]  Dans ses observations écrites, la demanderesse demande des dépens élevés en raison de la prémisse selon laquelle le présent appel n’aurait pas dû être interjeté. Bien que je rejette l’appel, je ne suis pas convaincue par l’argument de la demanderesse. Dans leurs observations écrites, les défendeurs s’appuient sur des arguments juridiques similaires à ceux présentés devant la protonotaire Ring. Dans observations orales, ils ont présenté des arguments sur le fond qui contestent non seulement le principe juridique sur lequel est fondée l’ordonnance de production, mais aussi la portée de cette ordonnance. À cet égard, ils ont adapté leurs arguments en appel en fonction des erreurs qui, selon eux, ont été commises par la protonotaire Ring.

[62]  Lors de l’audience, les parties ont convenu que la partie ayant gain de cause devrait avoir droit à des dépens d’une somme de 2 000 $ à 3 000 $. Je suis d’accord avec les parties pour dire qu’une somme forfaitaire à titre de dépens est appropriée dans le présent appel.

[63]  Conformément à l’article 400 des Règles, j’adjuge des dépens de 2 500 $ à la demanderesse, payables quelle que soit l’issue de la cause.


ORDONNANCE dans le dossier T-1049-18

LA COUR STATUE que :

  1. L’appel de l’ordonnance de communication est rejeté.

  2. Un montant forfaitaire de 2 500,00 $, à titre de dépens, est accordé à la demanderesse, lequel est payable quelle que soit l’issue de la cause.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17jour de janvier 2020.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1049-18

 

INTITULÉ :

RE/MAX, LLC c SAVE MAX REAL ESTATE, INC. ET RAMAN DUA

 

REQUÊTE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 18 SEPTEMBRE 2019 À OTTAWA (ONTARIO) ET À VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 10 DÉCEMBRE 2019

 

OBSERVATIONS ORALES ET ÉCRITES :

Mathew D. Brechtel

Karen F. MacDonald

Madeleine A. Hodgson

 

Pour lA demanderesse

 

Joseph W.L. Griffiths

Matthew Glass

 

Pour les défendeURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour lA demanderesse

 

Equilibrium Law

Avocats plaidants

Ottawa (Ontario)

 

Pour les défendeURS

 

 

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