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Date : 20200205


Dossier : IMM-2901-19

Référence : 2020 CF 202

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 5 février 2020

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

AMAN KHAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Aman Khan, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 24 avril 2019 par laquelle une agente principale d’immigration [l’agente] a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire [la demande CH].

[2]  Le demandeur est un citoyen du Pakistan. Il est entré au Canada en septembre 2011 et a présenté une demande d’asile au motif qu’il craignait les talibans pakistanais. La Section de la protection des réfugiés a rejeté sa demande en juillet 2013. Il a par la suite présenté à la Cour une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, laquelle a été rejetée à l’étape de l’autorisation. La demande d’examen des risques avant renvoi du demandeur a aussi été rejetée en mai 2018.

[3]  Le 6 décembre 2018, le demandeur a présenté, depuis le Canada, une demande de résidence permanente fondée sur son établissement et ses liens familiaux au Canada, sur l'absence de toute relation significative à l'étranger, sur les difficultés auxquelles il serait exposé s'il retournait au Pakistan ainsi que sur l'intérêt supérieur de ses six (6) petits-enfants. Sa demande a été rejetée le 24 avril 2019. L’agente a conclu que les considérations d’ordre humanitaire soulevées, examinées dans leur ensemble, étaient insuffisantes pour justifier la dispense visée au paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[4]  Le demandeur fait valoir que la décision est déraisonnable, car l’agente n’a pas adéquatement évalué les difficultés auxquelles il serait exposé en cas de renvoi au Pakistan, son établissement et ses liens familiaux au Canada ainsi que l’intérêt supérieur des enfants touchés.

[5]  Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de la décision raisonnable est présumée être la norme applicable lorsqu’une cour contrôle une décision administrative (Vavilov, par. 10, 16 et 17). Or, aucune des exceptions énoncées dans l’arrêt Vavilov ne s’applique en l’espèce.

[6]  Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La cour de révision doit s’intéresser « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, par. 83) afin de déterminer si elle est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Une attention particulière doit être portée aux motifs écrits du décideur, et ils doivent être interprétés de façon globale et contextuelle (Vavilov, par. 97). Il ne s’agit pas d’une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov, par. 102). Si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci », la cour de révision n’a pas à substituer sa conclusion à celle du décideur (Vavilov, par. 99).

[7]  De plus, il est bien établi qu’une dispense fondée sur des considérations humanitaires est une mesure exceptionnelle et discrétionnaire (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Legault, 2002 CAF 125, par. 15), et que le fardeau d’établir qu’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire est justifiée incombe au demandeur (Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009  CAF 189, par. 45). Qui plus est, si le demandeur ne soumet pas suffisamment de renseignements pertinents à l'appui de sa demande CH, c'est à ses risques et périls (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CAF 38, par. 5 et 8).

[8]  À l’audience, le demandeur a concédé que l’agente n’avait pas tiré de conclusion sur la crédibilité relativement aux risques auxquels il serait exposé s’il retournait au Pakistan. Cependant, le demandeur soutient que l’agente n’a pas évalué le facteur relatif aux difficultés sous l’angle approprié. Selon lui, l’agente aurait dû tenir compte du fait qu’il retournait au Pakistan en tant que personne dont la femme a été tuée par des terroristes en 2014, et qui, jusqu’en 2015, était toujours une cible pour les talibans.

[9]  L’argument du demandeur n’est pas fondé.

[10]  Les motifs de l’agente reflètent les observations présentées par le demandeur au soutien de sa demande CH, ainsi que les éléments de preuve qui lui ont été présentés. Dans ses observations, le demandeur affirme que des terroristes ont tué sa femme en 2014, et il croit que s’il retourne au Pakistan, il en sera encore la cible, et que sa vie sera menacée. Pour étayer la crainte qu’il allègue, il a présenté un rapport de police daté du 30 août 2014 et une lettre de son beau-frère datée du 13 mars 2015. L’agente a examiné ces éléments de preuve, mais a finalement conclu qu’ils ne démontraient pas que les allées et venues du demandeur intéressaient toujours les talibans, ou qu’il serait pris pour cible à son retour au Pakistan. L’agente s’est également penchée sur la situation au Pakistan et a convenu qu’elle est loin d’être favorable. Après avoir souligné qu’une demande de dispense pour des considérations d’ordre humanitaire suppose une évaluation globale des facteurs présentés dans la demande, l’agente a affirmé que ce facteur avait été soupesé en tenant compte des autres éléments dans la demande. Étant donné que le demandeur n’a pas formulé les observations qu’il a présentées au soutien de sa demande CH de la même manière qu’il les a présentées au tribunal, il ne peut reprocher à l’agente de ne pas avoir abordé ses difficultés sous cet autre angle.

[11]  Le demandeur fait également valoir que, dans l’évaluation de son établissement et de ses liens familiaux au Canada, l’agente a miné l’importance de ses liens familiaux en se livrant à des suppositions. Selon lui, l’agente a fait une supposition lorsqu’elle a affirmé que son fils pouvait présenter une demande de parrainage parental s’il le souhaitait, ou demander un super visa qui permettrait au demandeur de séjourner au Canada durant de longues périodes. S’appuyant sur la décision Sidhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2020 CF 133 [Sidhu], de notre Cour, le demandeur soutient que cette affirmation de l’agente était déraisonnable.

[12]  À mon avis, il y a lieu d’établir une distinction entre les remarques de l’agente en l’espèce et celles de l’agent dans l’affaire Sidhu. Dans Sidhu, l’agent avait précisé que [TRADUCTION] « la demanderesse p[ouvait] obtenir le statut de résidente permanente depuis l’étranger par des moyens normaux ». La Cour a conclu que le dossier n’appuyait pas ces remarques, étant donné que l’obtention du statut de résident permanent dépend « d’un tirage au sort et du hasard ». En l’espèce, après avoir tenu compte du contexte dans lequel l’agente a fait ses remarques, j’estime qu’elle n’affirme pas avec certitude que la demande de parrainage parental du fils du demandeur serait accueillie, ni qu’il réussirait à obtenir un super visa pour permettre au demandeur de faire de plus longs séjours au Canada. De plus, je tiens à faire remarquer qu’une autre distinction peut être établie entre la présente espèce et l’affaire Sidhu, car en l’espèce rien ne prouve que le demandeur se soit vu refuser des visas de visiteur par le passé. Je reconnais, comme le fait remarquer le demandeur, que la mesure de renvoi prise contre lui fera probablement en sorte qu’il lui sera plus difficile de revenir au Canada, mais j’estime que cet élément précis des motifs de l’agente n’est pas suffisamment capital ou important pour rendre sa décision déraisonnable (Vavilov, par. 100). Dans son évaluation de l’établissement et des liens familiaux au Canada du demandeur, l’agente a tenu compte de son âge, de la durée de sa présence au Canada, du bénévolat qu’il a effectué, de sa participation au sein de sa collectivité ainsi que des liens solides qu’il entretient avec son fils et la famille de son fils, qui le soutiennent sur les plans financier et affectif. Toutefois, après s’être penchée sur tous ces éléments, l’agente était d’avis que la séparation de la famille n’était pas un motif nécessairement suffisant pour justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Le demandeur n’a pas démontré que l’analyse de l’agente était irrationnelle ou injustifiée au regard des faits et du droit applicable en l’espèce.

[13]  Le demandeur soutient que l’agente a tiré des conclusions incohérentes sur ses relations avec d’autres membres de sa famille au Pakistan.

[14]  Je ne suis pas de cet avis.

[15]  L’agente a souligné à deux (2) reprises le témoignage du fils du demandeur selon lequel les relations entre son père et d’autres membres de sa famille au Pakistan ne sont pas bonnes. En outre, elle a mentionné que le fils du demandeur n’avait fourni aucune précision quant à ces relations. Selon le dossier, les parents, les frères et sœurs ainsi que les autres enfants du demandeur demeurent toujours au Pakistan, et les observations ainsi que les témoignages qu’il a présentés au soutien de sa demande CH ne contiennent que des déclarations non étayées quant aux relations avec ces personnes. Compte tenu de ces faits, il n’était pas déraisonnable pour l’agente de conclure qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve démontrant que les membres de la famille du demandeur ne voudraient pas lui fournir de l’aide à son éventuel retour au Pakistan.

[16]  Enfin, le demandeur fait valoir que l’agente n’a pas évalué adéquatement les répercussions de son départ sur l’intérêt supérieur de ses six (6) petits-enfants. Selon lui, sa présence physique est irremplaçable, et son départ nuira aux enfants sur les plans psychologique et émotionnel.

[17]  Le demandeur ne m’a pas convaincue que la conclusion de l’agente concernant l’intérêt supérieur des enfants est déraisonnable.

[18]  Les motifs de l’agente reflètent les observations et les éléments de preuve qui lui ont été présentés. L’agente a reconnu que le demandeur a six (6) petits-enfants, qu’il joue un rôle important dans leur vie et que des liens ont été tissés entre eux. Elle a en outre reconnu que les enfants apprenaient de lui des valeurs morales, une culture et une langue. Elle a mentionné explicitement que la présence d’un grand-parent contribue de manière positive au développement d’un enfant. Cependant, elle a précisé, à raison, que mis à part leur âge, il y a très peu d’information sur les enfants au dossier. Même si le demandeur a soutenu qu’il passe beaucoup de temps avec ses petits-enfants, qu’il les amène au parc, leur lit des histoires et leur enseigne des valeurs morales et culturelles, il n’y a pas d’autre renseignement ou élément de preuve au dossier permettant de mettre ces affirmations en contexte et d’illustrer l’ampleur de son implication auprès d’eux. Il était donc possible pour l’agente de conclure que la relation entre le demandeur et ses petits-enfants n’était pas caractérisée par un degré de dépendance ou d’interdépendance tel qu’une séparation aurait des répercussions importantes sur l’intérêt supérieur des enfants.

[19]  En conclusion, j’estime que la décision de l’agente, interprétée de façon globale et contextuelle, respecte la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov. La décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, et est justifiée compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes. En outre, les motifs sont transparents et intelligibles. Le demandeur cherche essentiellement à ce que la Cour apprécie à nouveau la preuve examinée par l’agente afin d’en arriver à une conclusion différente. Ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Vavilov, par. 125).

[20]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2901-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. L’intitulé est modifié pour remplacer « le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté » par « le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration »;

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de février 2020.

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2901-19

INTITULÉ :

AMAN KHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 FÉVRIER 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 5 FÉVRIER 2020

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton

POUR LE DEMANDEUR

Nick Continelli

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Poulton Law Office

Société professionnelle

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

(EN BLANC)

(EN BLANC)

 

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