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Date : 20050914

Dossier : IMM-5518-05

Référence : 2005 CF 1267

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DE MONTIGNY

ENTRE :

ADAM IDRISS GAKOU

demandeur

et

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                Le demandeur, M. Adam Idriss Gakou, est un citoyen du Mali. Il est arrivé au Canada le 4 avril 2002 et il a demandé l'asile au motif qu'il était homosexuel, dans un pays où l'homosexualité est illégale. La Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande dans une décision datée du 22 octobre 2002, en raison du fait qu'elle doutait de la crédibilité du demandeur et parce qu'il avait passé trois mois aux États-Unis avant de venir au Canada, sans y demander l'asile. La Cour a par la suite rejeté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision.


[2]                En 2003, le demandeur a présenté une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.

[3]                En 2004, le demandeur a rencontré son épouse actuelle, Mme Fanta Diane, laquelle est résidente permanente au Canada. Ils se sont mariés le 19 juin 2005. L'épouse du demandeur a introduit une demande de parrainage.

[4]                Le 17 août 2005, sa demande d'ERAR (examen des risques avant renvoi) a été rejetée, essentiellement en raison du fait qu'aucun nouvel élément de preuve n'avait été présenté pour établir que le demandeur serait en danger s'il retournait au Mali.

[5]                Le 31 août 2005, on a avisé le demandeur qu'il serait renvoyé du Canada le 14 septembre 2005. C'est pourquoi il a présenté une demande visant à obtenir un sursis à l'application de cette mesure d'expulsion.

[6]                Après avoir examiné les dossiers de requête des parties et avoir entendu les avocats, le 13 septembre 2005, au moyen de la téléconférence, j'en suis venu à la conclusion que la requête devrait être rejetée pour les motifs suivants. Je dois appliquer le critère à trois volets avant d'accorder un sursis, tel que l'a énoncé la Cour suprême du Canada dans l'arrêt RJR - MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; [1994] A.C.S. no 17 (QL), et la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Toth c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302; [1988] F.C.J. no 587 (QL). Par conséquent, il faut répondre à trois question : 1) Existe-t-il une question sérieuse à juger? 2) Le plaideur sollicitant le sursis a-t-il démontré qu'il subirait un préjudice irréparable si le sursis n'était pas accordé? 3) Laquelle des deux parties subirait le plus grand préjudice du fait de l'octroi ou du refus du sursis à l'exécution en attendant qu'il soit statué sur le fond relativement à la demande sous-jacente.

[7]                En ce qui concerne la question sérieuse, il y avait une certaine confusion quant à savoir si la demande sous-jacente, visant à obtenir l'autorisation et le contrôle judiciaire, contestait la mesure de renvoi en soi, auquel cas elle serait tardive, ou le refus de faire droit à la demande faite par l'avocat du demandeur de reporter le renvoi. Dans ce dernier cas, la demande était quelque peu prématurée puisque l'agent d'exécution de l'Agence des services frontaliers du Canada a communiqué le refus de reporter à l'avocat du demandeur deux jours après le dépôt de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire!

[8]                De toute manière, je dois conclure qu'aucune question sérieuse n'a été soulevée à l'égard de cette décision. Il convient de se rappeler que, dans le cas d'une demande de sursis à l'exécution de la décision d'un agent de renvoi, la Cour ne doit pas se contenter de trancher la question de savoir si une question sérieuse est soulevée, mais elle doit aller plus loin et examiner le fond de la demande et la vraisemblance qu'elle soit accueillie. Comme le juge Pelletier l'a expliqué dans la décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 148, ce seuil plus élevé est justifié lorsque le résultat de la requête interlocutoire équivaudra essentiellement à une décision définitive sur l'action.

[9]                L'avocat du demandeur a prétendu que l'agent de renvoi n'avait pas tenu compte de la demande CH ni de la situation personnelle du demandeur (en particulier son mariage ainsi que le soutien affectif et financier qu'il apporte à son épouse). L'absence de preuve selon quoi l'agent a exercé équitablement son pouvoir discrétionnaire avant d'exécuter la mesure de renvoi constituerait, selon lui, une question sérieuse.

[10]            Le paragraphe 48(2) de la LIPR prévoit ceci : « L'étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent. » On s'entend généralement pour dire que cela ne laisse que peu de pouvoir discrétionnaire à l'agent de renvoi : Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 936 (QL).

[11]            Il y a également un consensus selon lequel le simple fait qu'il existe une demande CH ne peut empêcher l'exécution d'une mesure de renvoi. « Décider autrement, comme l'a à juste titre fait remarquer le juge Noël, reviendrait en fait à permettre aux demandeurs de surseoir automatiquement et unilatéralement à l'exécution de mesures de renvoi valablement prises en déposant la demande appropriée et ce, selon leur volonté et à leur loisir. Cette conséquence n'est certainement pas celle visée par le législateur. » (Francis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), IMM-156-97).

[12]            Comme je l'ai déclaré dans la décision Munar c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (2005 CF 1180), « [...] on ne peut pas exiger des agents de renvoi qu'ils se livrent à un examen approfondi des motifs humanitaires que l'on doit examiner dans le cadre d'une évaluation CH. Ceci constituerait non seulement une « demande préalable » CH, comme le dit le juge Nadon dans l'affaire Simoes, mais il y aurait double emploi jusqu'à un certain point avec la vraie évaluation CH. Ce qui est plus important encore, c'est que les agents de renvoi n'ont aucune compétence ou autorité déléguée pour décider d'une demande de résidence permanente présentée en vertu de l'article 25 de la LIPR. Ils sont employés par l'Agence des services frontaliers du Canada, qui est sous la responsabilité du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, et non par le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration. Ils n'ont pas la formation requise pour faire une évaluation CH. »

[13]            En l'espèce, l'agent d'exécution a déclaré qu'il avait examiné la demande de l'avocat du demandeur, mais qu'il en était néanmoins venu à la conclusion qu'un report de l'exécution de la mesure de renvoi était inapproprié. Je ne vois pas ce qu'aurait ajouté un affidavit de cet agent déclarant qu'il avait rendu sa décision de manière équitable. Il n'y a aucune raison de croire qu'il n'a pas dûment tenu compte la situation personnelle du demandeur avant de tirer sa conclusion.

[14]            De plus, et en dépit du fait qu'il n'appartient pas à l'agent de renvoi ni à la Cour d'apprécier la demande CH de M. Gakou, son manque de crédibilité peut certainement être pris en compte. Comme l'a souligné le défendeur, M. Gakou a tenté une première fois de venir au Canada en tant que visiteur en 2001, mais on a refusé de lui accorder un visa. Moins d'un an plus tard, il est entré illégalement au Canada après avoir passé trois mois aux États-Unis. Il a demandé l'asile en se fondant sur son homosexualité, mais la Section de la protection des réfugiés a conclu qu'il n'était pas crédible. Il s'est ensuite marié. Pourtant, sa demande CH est essentiellement fondée sur sa prétendue homosexualité. Compte tenu de tout ce qui précède, le demandeur ne m'a pas convaincu que l'agent de renvoi avait été inéquitable et qu'il n'avait pas accordé suffisamment de poids à sa demande CH lorsqu'il avait décidé de ne pas reporter son expulsion.

[15]            Quoi qu'il en soit, le demandeur doit avoir gain de cause sur l'ensemble des trois volets du critère Toth. Son avocat n'a pourtant pas été en mesure de présenter des éléments de preuve de préjudice selon lesquels la séparation de la famille du demandeur déborderait les conséquences normales de l'expulsion. Comme le juge Evans l'a récemment écrit : « La question est donc de savoir, au vu de la preuve dont je suis saisi, si, en raison de la séparation, les conséquences du renvoi sur M. Tesoro et sa famille échapperont aux "conséquences normales d'une expulsion". Ce critère semble être plus difficile à satisfaire pour M. Tesoro que celui relatif aux conséquences suffisamment graves sur les liens familiaux pour constituer plus qu'un "simple inconvénient" » : Tesoro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 148; [2005] A.C.F. no 698 (QL), au paragr. 35.

[16]            Enfin, le demandeur est renvoyé aux États-Unis. Rien dans la preuve présentée à la Cour n'indique que l'épouse du demandeur, si le mariage est authentique, ne pourra pas le visiter là-bas. Rien dans la preuve n'indique non plus que le demandeur ne sera pas en mesure de travailler aux États-Unis en attendant que la Cour rende une décision sur sa demande d'autorisation sous-jacente.

[17]            Compte tenu de ce qui précède, les inconvénients que pourrait subir le demandeur par suite de son renvoi du Canada ne l'emportent pas sur l'intérêt public que le ministre défendeur cherche à préserver lors de l'application de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, en particulier son intérêt à exécuter les mesures d'expulsion dès que les circonstances le permettent.

[18]            Par conséquent, la requête du demandeur visant à obtenir le sursis à l'exécution du renvoi est rejetée.

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-5518-05

INTITULÉ :                                                                ADAM IDRISS GAKOU

                                                                                    c.

                                                                                    LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU

                                                                                    CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          OTTAWA (ONTARIO)

                                                                                    (PAR TÉLÉCONFÉRENCE)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 13 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :                                               LE 14 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Joel Etienne                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Jeremiah Eastman                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joel Etienne, avocat                                                       POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


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