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Date : 20200204


Dossier : IMM-2457-19

Référence : 2020 CF 191

Ottawa (Ontario), le 4 février, 2020

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

SANDEEP SINGH SIDHU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  M. Singh Sidhu demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] qui conclut qu’il n’a pas droit à la protection du Canada puisqu’il bénéficie d’une possibilité de refuge intérieur dans son propre pays, dans les villes indiennes de New Delhi, Mumbai ou Kolkata.

[2]  Il s’agit d’une question qui, bien que discutée pendant l’audience devant la Section de la protection des réfugiés [SPR], n’a pas été tranchée par elle puisqu’elle était plutôt d’avis que le demandeur n’avait pas établi de façon crédible que les membres du parti du Congrès de la région du Pendjab seraient une menace pour lui du fait de ses opinions politiques, advenant son retour en Inde.

[3]  La SAR conclut que la SPR a commis certaines erreurs dans son appréciation de la crédibilité du demandeur mais choisit, dans son analyse du dossier, de ne tenir compte que des questions de crédibilité en lien avec la possibilité de refuge intérieur.

[4]  Le demandeur plaide que la SAR a erré dans son analyse de la possibilité de refuge intérieur proposée, et que les autorités policières du Pendjab pourraient le retrouver dans les villes suggérées à partir du système d’enregistrement des locataires de plus en plus consulté en Inde.

II.  Décision contestée

[5]  La SAR a informé le demandeur qu’elle analyserait la question de la possibilité de refuge intérieur, elle lui a communiqué les renseignements les plus récents du cartable national de documentation [CND] et lui a donné l’opportunité de présenter des observations additionnelles sur ce point.

[6]  La SAR analyse d’abord le premier volet du test permettant de conclure à une possibilité de refuge intérieur, soit la possibilité pour le demandeur d’être persécuté dans les villes de New Delhi, Mumbai ou Kolkota, suggérées par la SAR.

[7]  La SAR tient compte des informations contenues au CND, et retient que le système d’enregistrement des locataires existe en Inde, qu’il est appliqué, mais que chaque état a une force policière indépendante qui n’a pas de lien avec les forces policières des autres états. Elle conclut donc que les exigences relatives à l’enregistrement des locataires ne sont pas susceptibles d’amener la police locale à communiquer avec la police du Pendjab. Par ailleurs, la police du Pendjab devrait obtenir une ordonnance d’un tribunal et la coopération de la police de l’état où se trouvent les villes proposées pour retracer un suspect qui s’y serait installé.

[8]  La SAR examine également les informations concernant la base de données informatiques connue sous le nom Réseau de suivi des crimes et des criminels (CCTNS), utilisée par la plupart des postes de police indiens. Elle note néanmoins que les forces policières travaillent toujours en silo et que le CCTNS n’est pas encore fonctionnel à l’échelle du pays. Par ailleurs, on y consigne principalement les crimes majeurs tels la contrebande, le terrorisme et les activités du crime organisé. Puisqu’il n’y a pas de preuve qu’un avis d’infraction criminelle ait été émis contre le demandeur, il y a très peu de chance que son nom y apparaisse.

[9]  La SAR note également que les actes de violence commis à l’encontre du demandeur ont été perpétrés par des membres du parti du Congrès et non par la police. Elle note également que la participation politique du demandeur était minimale et qu’elle date de plus de 6 ans. Il est donc peu probable que les forces policières de son village le rechercheraient ailleurs après toutes ces années d’absence.

[10]  Pour l’ensemble de ces motifs, la SAR conclut que le demandeur ne serait pas exposé à un risque à sa vie ou à sa sécurité advenant son retour dans une des villes indiennes proposées.

[11]  Quant au deuxième volet du test, la SAR note que le demandeur a le fardeau de la convaincre qu’il serait déraisonnable de lui demander de se relocaliser dans l’une des villes indiennes proposées.

[12]  La SAR conclut que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau et qu’il n’a pas démontré qu’il ne pourrait vivre ailleurs en Inde. Il a les compétences de base nécessaires pour se trouver un emploi et serait en mesure de s’adapter à un nouveau milieu de vie. De plus, les principales villes de l’Inde comptent une importante communauté sikhe, ce qui serait de nature à faciliter son intégration.

[13]  Le SAR est donc d’avis que bien que la SPR a commis certaines erreurs dans son analyse de la crédibilité du demandeur, ce dernier n’a pas démontré qu’il y aurait une possibilité sérieuse de persécution ou une menace à sa vie advenant son retour à New Delhi, Mumbai ou Kolkata, ou encore qu’il serait objectivement déraisonnable pour lui de s’installer dans l’une de ces villes.

III.  Question en litige et norme de contrôle

[14]  Cette demande de contrôle judiciaire ne soulève qu’une seule question :

La SAR a-t-elle erré dans son analyse du premier volet du test pour déterminer si le demandeur peut bénéficier d’un refuge intérieur dans son pays?

[15]  La norme de contrôle applicable à l’évaluation par la SAR d’une possibilité de refuge intérieur est, depuis fort longtemps, celle de la décision raisonnable (Figueroa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 521 au para 13). L’arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSS 65 n’a rien changé à cette conclusion.

IV.  Analyse

[16]  Il est bien établi que la protection internationale est une mesure de dernier recours; un demandeur d’asile doit d’abord tenter d’obtenir la protection de son propre pays et, au besoin, se relocaliser dans son pays avant de demander la protection d’un pays tiers (Brahim c Canada (ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté), 2019 CF 503, au para 27).

[17]  Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur ne conteste que la conclusion de la SAR à l’égard du premier volet du test. Il lui incombe donc de démontrer que la SAR a conclu à tort qu’il ne serait pas à risque advenant son retour à New Delhi, Mumbai ou Kolkata.

[18]  Or, je suis d’avis que le demandeur ne s’est pas déchargé de ce fardeau et qu’il n’a pas démontré une possibilité de persécution ou de préjudice advenant son retour dans l’une ou l’autre des villes indiennes proposées.

[19]  Le demandeur plaide essentiellement que la SAR a ignoré une partie importante des informations contenues dans le CND et qu’elle a préféré la version de 2016 à la version plus récente de 2018.

[20]  D’abord, la version de 2018 n’est qu’une mise à jour de la version précédente; elle ne l’annule pas, ni ne la remplace complètement.

[21]  Une lecture attentive des extraits pertinents des deux versions du CND permet de conclure que le registre des locataires, dans lequel les locateurs sont tenus d’enregistrer leurs locataires sous peine de représailles, n’est généralement pas consulté au-delà de l’État dans lequel réside le locataire.

[22]  Par ailleurs, il est vrai qu’au moment de l’enregistrement d’un locataire, les autorités policières locales offrent un service de vérifications des antécédents judiciaires. Cependant, et comme l’a noté la SAR, cette vérification se fait à l’aide d’un autre système, soit le CCTNS. Comme l’a également noté la SAR, ce système contient les informations qui y sont consignées par les divers corps de police à travers le pays. On y consigne essentiellement les Rapports de premières informations (First Information Report ou FIR) se rapportant à une plainte pour crime formulée par la victime. Le FIR contient l’information sur le plaignant, sur l’incident, sur les témoins de l’incident et, le cas échéant, sur le suspect.

[23]  À mon avis, la SAR n’a pas erré en concluant qu’il n’y avait aucune preuve au dossier permettant de conclure que le nom du demandeur se retrouve dans le CCTNS.

[24]  Premièrement, le demandeur a quitté l’Inde avant la mise en place de ce système.

[25]  Deuxièmement, le demandeur allègue être exposé à un risque en Inde du fait de ses opinions politiques, en tant que partisan du parti Akali Dal Amritsar (Mann) et de fils d’un membre clé de ce parti. Il aurait été menacé et agressé par des membres locaux du parti du Congrès en 2012. Il allègue également avoir été arrêté à deux reprises par les forces policières et battu pour avoir dirigé des rassemblements politiques. Les membres du parti du Congrès se seraient présentés chez lui en 2013 après qu’il ait quitté l’Inde. Ils auraient battu son frère à mort. Le père du demandeur aurait tenté en vain d’obtenir l’aide des forces policières.

[26]  Comme il n’y a aucune preuve qu’une plainte pour activité criminelle ait été portée contre le demandeur, il y a très peu de chances que son nom se retrouve au CCTNS. Il y a également très peu de chances que les membres du parti du Congrès du Pendjab, encore moins les autorités policières du Pendjab, le recherchent dans l’une des villes indiennes proposées.

[27]  Quant aux individus qui ne sont pas des criminels répertoriés dans le CCTNS mais qui seraient néanmoins des personnes d’intérêt pour un service de police local, le CND indique que leur nom pourrait se retrouver dans une base de données classifiées propriété du service de police local, et que les divers services de police qui en vont usage ne se partagent pas les informations qui y sont contenues.

[28]  L’argument du demandeur selon lequel le CCTNS, le système d’enregistrement des locataires et un quelconque système classifié contenant une liste d’individus d’intérêt pour un corps policier donné sont tous liés d’une façon ou d’une autre, n’est tout simplement pas supporté par la preuve documentaire objective.

[29]  Dans ces circonstances, je suis d’avis que la SAR a tenu compte de la preuve documentaire dont elle disposait et qu’elle a raisonnablement conclu que le demandeur ne serait pas à risque advenant son retour en Inde, dans l’une des villes proposées.

V.  Conclusion

[30]  Puisque le demandeur peut trouver refuge dans son propre pays, sa demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale pour fins de certification et aucune telle question n’émane des faits de cette cause.


JUGEMENT dans IMM-2457-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée;

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2457-19

 

INTITULÉ :

SANDEEP SINGH SIDHU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 décembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 féVRIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Claude Whalen

 

Pour lE DEMANDEUR

 

Philippe Proulx

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Claude Whalen

Montréal (Québec)

 

Pour lE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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