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Date : 20200205


Dossier : IMM-3144-19

Référence : 2020 CF 198

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 février 2020

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE : 

LUZ MARIA NATAD SANTIAGO

ROMAN ROY BALDOVINO SANTIAGO

ZAKE DYLAN NATAD SANTIAGO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], à l’égard d’une décision rendue le 21 mars 2019 [la décision], par laquelle par un agent d’immigration [l’agent] a rejeté les demandes de résidence permanente des demandeurs fondées sur des motifs d’ordre humanitaire.

II.  CONTEXTE

[2]  Mme Luz Maria Natad Santiago et son époux, M. Roman Roy Baldovino Santiago, sont citoyens de la République des Philippines. Le couple a deux enfants ensemble : Zake Dylan Natad Santiago, né aux Philippines le 17 septembre 2007; et Zhia Alexa Santiago, née au Canada le 28 février 2017.

[3]  Mme Santiago est arrivée au Canada pour la première fois en 2013 à titre de résidente temporaire munie d’un permis de travail, qui a expiré le 30 novembre 2015. Le permis de travail de Mme Santiago a été renouvelé jusqu’au 4 février 2017. Pendant ce temps, Mme Santiago travaillait pour Glory of India, un restaurant de Calgary.

[4]  Le 4 juin 2016, Mme Santiago s’est rendue aux Philippines pendant plus d’un mois pour rendre visite à sa famille. À son retour au Canada, elle a découvert qu’elle était enceinte de sa fille Zhia. Mme Santiago a donné naissance à Zhia au Canada le 28 février 2017.

[5]  Peu de temps après la naissance de Zhia, soit le 28 mars 2017, la demande de Mme Santiago au titre de l’Alberta Immigrant Nominee Program (AINP) a été refusée pour défaut d’inclure l’étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) sous-jacente. Mme Santiago affirme que son consultant en immigration l’a informée à tort qu’elle n’avait pas besoin d’une EIMT pour présenter une demande au titre de l’AINP. Mme Santiago s’est par la suite vu refuser un permis de travail en mai 2017 parce qu’elle n’avait pas fourni d’EIMT et que le restaurant pour lequel elle travaillait a depuis fermé ses portes.

[6]  Le 30 juin 2017, Mme Santiago s’est vu délivrer un permis d’études, conservant ainsi son statut de résidente temporaire. Toutefois, bien qu’elle ait été acceptée dans un établissement d’enseignement désigné, Mme Santiago n’a pas été en mesure de poursuivre ses études compte tenu du coût des services de garde pour sa fille qui venait de naître. Mme Santiago s’est par la suite vu délivrer un permis de travail valide jusqu’au 5 février 2019, après avoir obtenu un emploi chez Marble Slab Creamery.

[7]  Malheureusement, Mme Santiago a reçu un diagnostic de cancer du sein en mai 2018. On a découvert qu’elle avait une mutation génétique connue sous le nom de TP 53, ce qui rend le cancer beaucoup plus probable. Mme Santiago a subi une double mastectomie en octobre 2018 et a depuis continué de suivre un traitement. Ses médecins s’attendent à ce qu’elle se rétablisse pleinement grâce à une surveillance et à un suivi continus.

[8]  Avant l’intervention chirurgicale de Mme Santiago, M. Santiago est entré au Canada le 7 octobre 2018, muni d’un visa de travail à entrées multiples expirant le 5 février 2019. Les demandeurs affirment que M. Santiago est venu au Canada pour prendre soin de Mme Santiago et de leur fille pendant que Mme Santiago se rétablissait de son opération. Leur fils Zake est resté aux Philippines auprès de la famille élargie.

[9]  En décembre 2018, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. La demande a été rejetée le 21 mars 2019. Les demandeurs n’ont toutefois pris connaissance de la décision que le 2 avril 2019 et reçu les motifs de l’agent que le 8 mai 2019. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire accompagnée d’une demande de prorogation de délai a été déposée auprès de la Cour le 17 mai 2019. Le 29 août 2019, le juge Ahmed a accordé l’autorisation et acquiescé à la demande de prorogation du délai.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[10]  Les demandeurs contestent la décision rejetant leur demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[11]  Essentiellement, l’agent était d’avis, après avoir examiné les facteurs d’ordre humanitaire en l’espèce, que l’octroi de la résidence permanente n’était pas justifié pour des motifs d’ordre humanitaire. L’agent a fait remarquer que présenter une demande pour des considérations d’ordre humanitaire constitue une dispense exceptionnelle et non simplement un autre moyen de demander la résidence permanente au Canada.

[12]  L’agent a commencé par énumérer les facteurs d’ordre humanitaire pertinents à prendre en considération. L’agent a fait remarquer que l’établissement des demandeurs au Canada, l’intérêt supérieur des enfants, le cancer du sein de Mme Santiago et le refus de la demande de Mme Santiago au titre de l’AINP étaient des facteurs pertinents à prendre en considération en l’espèce.

A.  Établissement au Canada

[13]  L’agent a décrit les antécédents de M. et Mme Santiago au Canada, reconnaissant que Mme Santiago travaille au Canada depuis 2013 et y a des amis. Toutefois, l’agent a fait remarquer que M. et Mme Santiago ont fourni peu de raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de retourner aux Philippines. L’agent a fait observer que Mme Santiago était retournée aux Philippines en 2016 et que M. Santiago y a vécu jusqu’en octobre 2018, travaillant pour le gouvernement philippin. L’agent a en outre fait remarquer qu’il s’agit de personnes instruites possédant de l’expérience de travail au Canada.

B.  Intérêt supérieur des enfants

[14]  L’agent a fait observer que M. et Mme Santiago ont deux enfants ensemble. En ce qui concerne Zhia, l’agent a conclu que, compte tenu de son âge et de son degré de dépendance à l’égard de ses parents, il serait dans son intérêt supérieur de demeurer aux soins de ses deux parents. L’agent a reconnu qu’elle pourrait revenir au Canada plus tard étant donné qu’elle est citoyenne canadienne, mais qu’entre-temps, elle bénéficierait de l’aide de ses parents pour s’adapter à sa nouvelle vie aux Philippines. L’agent a fait remarquer qu’elle aurait même l’avantage de rencontrer son frère aîné, Zake.

[15]  En ce qui concerne l’intérêt supérieur de Zake, l’agent a fait observer qu’il aurait avantage à ce que ses parents retournent aux Philippines et à ce qu’il rencontre sa sœur cadette, Zhia.

[16]  L’agent a accordé peu de poids à l’intérêt supérieur des nièces de Mme Santiago, qu’elle avait soutenues financièrement tout au long de leurs études universitaires, étant donné qu’elles ont maintenant obtenu leur diplôme et qu’elles ont probablement plus de 18 ans.

C.  Maladie de Mme Santiago

[17]  L’agent a accordé peu de poids au cancer, à la double mastectomie et au rétablissement de Mme Santiago. L’agent a pris acte de la note du Dr Rene Lafrenière confirmant son diagnostic, son opération et son incapacité de travailler. L’agent a également pris acte de la lettre du Dr Carey Johnson qui, en plus de confirmer l’information fournie par Dr Lafrenière, a fait remarquer que Mme Santiago a besoin d’un suivi et d’autres mesures tout au long de l’année.

[18]  Toutefois, l’agent a fait observer que les deux médecins ont indiqué que l’opération a réussi à éliminer le cancer, mais qu’ils n’ont pas indiqué quand Mme Santiago serait en mesure de retourner au travail. Ils ne disent pas non plus si elle pourrait voyager ou si elle pourrait avoir accès aux soins de santé dont elle a besoin aux Philippines. Par conséquent, l’agent était d’avis que Mme Santiago était en mesure de retourner aux Philippines malgré son diagnostic de cancer du sein, son opération et la nécessité qu’elle se rétablisse.

D.  Refus antérieur de la demande au titre de l’AINP

[19]  Enfin, l’agent a conclu que le refus précédent essuyé par les demandeurs au titre de l’AINP ne les empêchait pas de présenter une nouvelle demande. En outre, l’agent a fait remarquer que les demandeurs pourraient présenter une demande depuis les Philippines, étant donné que les chances d’obtenir la résidence permanente ne sont pas plus grandes si les demandeurs devaient présenter une demande depuis le Canada.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[20]  Les questions soulevées en l’espèce sont les suivantes :

  1. L’agent a-t-il commis une erreur en n’appliquant pas le bon critère juridique dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants?

  2. Si la Cour devait conclure que l’agent a appliqué le bon critère juridique, l’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants?

  3. L’agent a-t-il ignoré à tort les éléments de preuve essentiels concernant les difficultés financières des demandeurs?

  4. L’agent a-t-il correctement évalué l’établissement des demandeurs au Canada?

V.  LA NORME DE CONTRÔLE

[21]  La présente demande a été plaidée avant les récentes décisions de la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66. Le jugement de la Cour a été mis en délibéré. Les observations des parties sur la norme de contrôle ont donc été présentées selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. Toutefois, compte tenu des circonstances de l’espèce et des directives de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 144, la Cour a conclu qu’il n’était pas nécessaire de demander aux parties de présenter des observations supplémentaires sur la norme de contrôle. J’ai appliqué le cadre établi dans l’arrêt Vavilov dans mon examen de la demande. Bien qu’il ait modifié la norme applicable à l’examen par la Cour de la question de savoir si l’agent a commis une erreur en appliquant le critère de l’appréciation de l’intérêt supérieur des enfants, cela n’a pas modifié ma conclusion.

[22]  Dans l’arrêt Vavilov, aux paragraphes 23 à 32, les juges majoritaires ont cherché à simplifier la manière dont un tribunal choisit la norme de contrôle applicable aux questions dont il est saisi. Les juges majoritaires ont exclu l’approche contextuelle et catégorique adoptée dans l’arrêt Dunsmuir au profit de l’instauration d’une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique. Toutefois, les juges majoritaires ont fait observer que cette présomption pouvait être réfutée dans deux types de situations : (1) celle où le législateur a prescrit une norme de contrôle différente (Vavilov, par. 33-52); et (2) celle où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte. C’est le cas pour les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, par. 53-64).

[23]  Le défendeur a soutenu qu’avant la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, la norme de la décision raisonnable s’appliquait à toutes les questions soulevées dans la présente affaire. Les demandeurs semblaient être d’accord dans leur mémoire des arguments, bien qu’ils aient semblé également laisser entendre dans leur réponse que la norme de la décision correcte s’appliquait à la question de savoir si l’agent a commis une erreur en n’appliquant pas le bon critère juridique pour évaluer l’intérêt supérieur des enfants.

[24]  Le 16 janvier 2020, les parties ont été invitées à présenter des observations écrites sur la norme de contrôle applicable à la lumière de la décision Vavilov. Les demandeurs et le défendeur ont tous deux soutenu que la norme de la décision raisonnable s’applique à l’examen par la Cour de toutes les questions en l’espèce.

[25]  Je conviens avec les deux parties que la norme de la décision raisonnable devrait être appliquée à l’examen par la Cour de toutes les questions en litige, étant donné que rien ne réfute la présomption suivant laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce.

[26]  Par le passé, les tribunaux ont souvent conclu que la norme de la décision correcte s’applique aux questions concernant l’application du critère juridique approprié par un décideur. Voir, par exemple, Apura c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 762, par. 21, et Mohammed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 271 [Mohammed]. Toutefois, à la suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, l’application d’un critère juridique par un décideur ne relève d’aucune des exceptions à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable, conférant une dimension constitutionnelle à la question juridique, ou une importance générale ou une « importance capitale pour le système juridique dans son ensemble ». Toutefois, un libellé clair dans un régime législatif applicable et un ensemble important de jurisprudence établissant un certain critère juridique applicable imposeront des contraintes strictes au pouvoir discrétionnaire d’un décideur, et un écart par rapport à un tel régime serait généralement considéré comme déraisonnable en l’absence de motifs convaincants explicites pour justifier cet écart. Voir Vavilov, aux paragraphes 105 à 114, 129 à 132, et notamment au paragraphe 111 :

[111]  Il coule de source que le droit — tant la loi que la common law — limitera l’éventail des options qui s’offrent légalement au décideur administratif chargé de trancher un cas particulier : voir Dunsmuir, par. 47 et 74. Par exemple, le décideur administratif qui interprète la portée de son pouvoir de réglementation dans le but de l’exercer ne peut retenir une interprétation incompatible avec les principes de common law applicables en ce qui concerne la nature des pouvoirs législatifs : voir Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins ‑de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810, par. 45-48. Un organisme chargé par la loi d’évaluer un taux d’imposition applicable conformément à un régime fiscal existant en particulier ne peut non plus faire fi de ce régime ni baser ses calculs sur un système « fictif » qu’il a créé arbitrairement : Montréal (Ville), par. 40. Lorsqu’une relation est régie par le droit privé, il serait déraisonnable de la part du décideur de faire abstraction de ce fait lorsqu’il se prononce sur les droits des parties dans le cadre de cette relation : Dunsmuir, par. 74. De la même manière, lorsque la loi habilitante prévoit l’application d’une norme bien connue en droit et dans la jurisprudence, une décision raisonnable sera généralement conforme à l’acception consacrée de cette norme : voir, p. ex., l’analyse des « motifs raisonnables de soupçonner » dans l’arrêt Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Farwaha, 2014 CAF 56, [2015] 2 R.C.F. 1006, par. 93-98.

[27]  En ce qui concerne l’examen par la Cour des autres questions, l’application de la norme de la décision raisonnable à ces questions est également conforme à la jurisprudence qui existait avant la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov. Voir Ibabu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1068, par. 26; Damian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1158, par. 22.

[28]  Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse portera sur la question de savoir si elle « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, par. 99). La raisonnabilité constitue une norme unique qui varie et qui « s’adapte au contexte » (Vavilov, par. 89, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, par. 59). Ces contraintes d’ordre contextuel « cernent les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solution qu’il peut retenir » (Vavilov, par. 90). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que lorsque la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, par. 100). La Cour suprême du Canada mentionne deux catégories de lacunes fondamentales qui rendent une décision déraisonnable : (1) le manque de logique interne du raisonnement du décideur; et (2) une décision indéfendable « compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision » (Vavilov, par. 101).

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[29]  Voici les dispositions de la LIPR applicables à la présente demande de contrôle judiciaire :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

VII.  ARGUMENTS

A.  Demandeurs

[30]  Les demandeurs soutiennent que la décision comporte de nombreuses erreurs susceptibles de révision. Plus précisément, les demandeurs font valoir que l’agent : (1) a appliqué de manière erronée un critère des difficultés strict pour évaluer l’intérêt supérieur des enfants; (2) a évalué de façon déraisonnable l’intérêt supérieur de Zake et de Zhia en ne s’y étant pas montré « réceptif, attentif et sensible »; (3) a ignoré de façon déraisonnable les éléments de preuve essentiels concernant le rôle de Mme Santiago en tant que pourvoyeur pour ses frères et sœurs et sa mère; et (4) a fait fi de façon déraisonnable des éléments de preuve essentiels quant à l’établissement des demandeurs au profit d’affirmations hypothétiques. Pour ces motifs, les demandeurs soutiennent que le présent contrôle judiciaire devrait être accueilli et que l’affaire devrait être renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

(1)  Critère juridique applicable à l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants

[31]  Les demandeurs soutiennent que l’agent a appliqué le mauvais critère juridique lorsqu’il a évalué l’intérêt supérieur de Zake et Zhia. L’agent a adopté un critère des difficultés strict dans l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants en concluant que l’intérêt supérieur d’aucun des deux enfants ne serait [traduction« gravement compromis » si leurs parents étaient renvoyés du Canada.

[32]  Les demandeurs soutiennent plutôt que l’agent n’a pas procédé à une analyse appropriée de l’intérêt supérieur des enfants, telle qu’elle a été établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, aux paragraphes 34-41, qui exige qu’un décideur accorde un poids considérable à l’intérêt supérieur des enfants et qu’il soit « réceptif, attentif et sensible » à cet intérêt.

[33]  Les demandeurs citent la décision de la Cour dans Etienne c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 937, aux paragraphes 8, 9 et 11, dans laquelle il a été conclu qu’il était incorrect pour l’agent dans cette affaire d’adopter un critère strict des difficultés en exigeant la preuve que le bien-être serait « gravement compromis » dans le cadre d’une évaluation de l’intérêt supérieur.

(2)  Évaluation de l’intérêt supérieur des enfants

[34]  Si la Cour conclut que l’agent a appliqué le critère juridique approprié pour évaluer l’intérêt supérieur des enfants, les demandeurs affirment que l’agent a analysé de façon inadéquate l’intérêt supérieur des enfants. Bien que les demandeurs admettent que leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire comportait peu d’observations relatives à l’intérêt supérieur des enfants, ils affirment que l’agent avait toujours l’obligation de mener une analyse en étant « réceptif, attentif et sensible » aux intérêts de Zake et Zhia. Ils soutiennent que l’analyse de l’agent était inadéquate puisqu’elle contenait plusieurs énoncés de fait, mais qu’elle comportait peu d’analyse, outre une déclaration générale selon laquelle leurs intérêts ne seraient pas [traduction« gravement compromis ».

[35]  Les demandeurs déclarent que l’agent : (1) ne s’est pas montré réceptif à l’intérêt des enfants et n’a même pas déterminé les facteurs à prendre en compte liés à l’intérêt supérieur; (2) ne s’est pas montré attentif dans l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants et n’a pas précisé si le fait de permettre aux demandeurs de rester au Canada était dans l’intérêt supérieur des enfants; et (3) ne s’est pas montré sensible dans l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants puisqu’il n’a pas tenu compte de la façon dont l’état de santé de Mme Santiago aurait une incidence sur l’intérêt supérieur des enfants s’ils étaient forcés de retourner aux Philippines.

(3)  Évaluation des difficultés financières

[36]  Les demandeurs soutiennent que l’agent a également commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve pertinente concernant les difficultés financières auxquelles les demandeurs et leur famille seraient confrontés s’ils devaient retourner aux Philippines. Les demandeurs affirment qu’il était déraisonnable pour l’agent de ne pas tenir compte explicitement du fait que le revenu canadien de Mme Santiago est essentiel pour soutenir sa mère et ses frères et sœurs aux Philippines, surtout depuis la crise cardiaque de sa mère.

[37]  Les demandeurs affirment qu’il est bien établi en droit que le défaut de mentionner des éléments de preuve qui sont essentiels à la demande d’asile d’un demandeur étaye une conclusion selon laquelle les éléments de preuve ont simplement été ignorés ou négligés. Les demandeurs citent à l’appui Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 157 FTR 35, par. 17, ainsi que Salguero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 486, par. 13.

(4)  Évaluation de l’établissement au Canada

[38]  Les demandeurs soutiennent en outre que l’agent a mené une analyse superficielle et sélective de l’établissement des demandeurs au Canada et qu’il n’a pas tenu compte des facteurs pertinents d’après la preuve. La Cour a donné des directives précises concernant les facteurs d’ordre humanitaire qu’un décideur doit prendre en considération lorsqu’il évalue l’établissement d’un demandeur au Canada. Voir Brar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 691, par. 63 à 68 [Brar].

[39]  Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas évalué significativement les liens étroits qu’entretient Mme Santiago avec la collectivité de Calgary, étant donné que les demandeurs ont fourni plusieurs lettres démontrant les liens d’amitié étroits que Mme Santiago a cultivés au Canada. Ils soulignent également le fait que l’agent n’a pas évalué la conduite des demandeurs au Canada et leur respect minutieux des lois canadiennes sur l’immigration.

[40]  En outre, les demandeurs soutiennent que l’agent a indûment ignoré leur établissement au Canada en se fondant sur sa propre opinion selon laquelle d’autres options d’immigration existaient pour les demandeurs, par lesquelles ils pouvaient présenter une demande depuis l’étranger. Les demandeurs soutiennent qu’il s’agit non seulement d’une hypothèse, mais également d’une erreur, puisque Mme Santiago n’obtiendrait probablement pas de permis de travail ou de statut de résident temporaire au Canada, étant donné que son diagnostic de cancer et sa double mastectomie soulèvent la question de l’interdiction de territoire pour motifs médicaux.

B.  Défendeur

[41]  Le défendeur soutient qu’en l’espèce, l’agent n’a pas commis d’erreur susceptible de révision. Une exception en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR est une dispense exceptionnelle et discrétionnaire qui impose à un demandeur un seuil élevé à respecter. Étant donné qu’il incombait aux demandeurs de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour établir leur demande de dispense exceptionnelle, il était raisonnable pour l’agent de rejeter la demande des demandeurs en vue d’obtenir une dispense exceptionnelle compte tenu de la preuve et des observations présentées par les demandeurs. Par conséquent, le défendeur soutient que le présent contrôle judiciaire devrait être rejeté.

(1)  Critère juridique applicable à l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants

[42]  Le défendeur soutient que l’agent a appliqué le critère juridique approprié pour évaluer l’intérêt supérieur des enfants en l’espèce. Le défendeur affirme que l’utilisation de l’expression [traduction« gravement compromis » ne démontre pas que l’agent a utilisé un critère inapproprié. La Cour a déclaré que l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant ne prévoit aucune « formule magique ». L’accent doit plutôt être mis sur la question de savoir si, dans ses motifs, le décideur s’est montré « réceptif, attentif et sensible » aux facteurs soulevés liés à l’intérêt supérieur des enfants (Jaramillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 744, par. 69-74).

(2)  Évaluation de l’intérêt supérieur des enfants

[43]  Le défendeur soutient que l’évaluation qu’a faite l’agent de l’intérêt supérieur des enfants était raisonnable en l’espèce, compte tenu de l’absence d’observations des demandeurs sur ce point. En fait, le défendeur souligne le fait que les demandeurs n’ont même pas mentionné l’intérêt supérieur de Zake dans leur demande et n’ont fait qu’une déclaration générale concernant l’intérêt supérieur de Zhia. Le défendeur souligne qu’en l’absence d’observations significatives sur ce point, l’agent n’était pas tenu d’examiner toutes les éventualités et possibilités futures.

[44]  Le défendeur soutient que la présente affaire se distingue de l’affaire Francois c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 748 et de l’affaire Mohammed, précitée, puisque les décideurs dans ces affaires ont commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve et d’observations plus détaillés que ceux de l’espèce. En effet, le défendeur soutient que la déclaration générale concernant l’intérêt supérieur de Zhia et l’absence d’observations concernant l’intérêt supérieur de Zake rendent cette affaire semblable à l’arrêt Owusu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CAF 38, dans lequel la Cour d’appel fédérale a fait remarquer qu’un décideur ne peut pas être blâmé pour ne pas être « réceptif, attentif et sensible » aux facteurs qu’un demandeur n’a pas soulevés.

(3)  Évaluation des difficultés financières

[45]  Le défendeur affirme que l’agent a tenu compte en fait de l’incidence financière que le retour des demandeurs aurait sur leur famille et soutient que l’agent n’était pas tenu d’énumérer tous les éléments de preuve présentés. Néanmoins, le défendeur fait remarquer que les lettres fournies par les demandeurs sont [traduction« relativement vagues et contiennent très peu de détails concernant le soutien financier dont continue d’avoir besoin leur famille élargie ». Le défendeur souligne le fait que Mme Santiago a même indiqué qu’elle avait cessé d’envoyer de l’argent à sa famille au moment de la demande. Par conséquent, le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer des difficultés financières justifiant l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire prévue au paragraphe 25(1).

(4)  Évaluation de l’établissement au Canada

[46]  Le défendeur soutient que l’évaluation faite par l’agent de l’établissement des demandeurs au Canada était raisonnable et complète. Le défendeur fait remarquer que l’agent a tenu compte en fait des antécédents professionnels et des amitiés des demandeurs, ainsi que des antécédents médicaux de Mme Santiago et de la demande présentée antérieurement au titre de l’AINP. Toutefois, l’agent n’était pas tenu d’énumérer tous les éléments de preuve présentés.

[47]  Les demandeurs ne peuvent pas maintenant soutenir que l’agent était tenu d’examiner des facteurs comme la gestion financière, l’intégration communautaire, les études ou le dossier civil des demandeurs alors que l’agent n’était saisi d’aucune preuve ou observation à ce sujet. Le défendeur cite la décision de la Cour dans Brar, précitée, au paragraphe 66, dans laquelle la Cour a déclaré que « l’évaluation de la demande doit être faite conformément à la preuve présentée à l’agent ».

VIII.  ANALYSE

[48]  Dans la récente affaire Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 265 [Huang], le juge en chef Crampton a présenté le résumé suivant de l’objet et de la portée de l’article 25 de la LIPR :

[17]  L’article 25 de la LIPR offre une dispense exceptionnelle par rapport à ce qui serait, par ailleurs, l’application régulière de cette loi. Pour obtenir cette dispense, il incombe au demandeur d’établir des circonstances qui sont « de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (Kanthasamy), au paragraphe 21, citant Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 IAC 338, à la page 350.

[18]  Pour satisfaire à ce critère, il ne suffit pas d’établir simplement l’existence réelle ou probable de malheurs, par rapport aux citoyens canadiens et aux résidents permanents du Canada. Il s’agit là d’une situation que l’on pourrait voir facilement établie par la plupart des personnes qui sont frappées d’une mesure de renvoi ou qui vivent dans un pays où les normes de vie sont nettement inférieures à celle dont on jouit au Canada. Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada : « [l]’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés » :  arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 23. Dans le même ordre d’idées, le fait de vivre à l’étranger et de demander, sans succès, une dispense pour considérations d’ordre humanitaire comportera forcément son lot de difficultés.

[19]  L’article 25 a été adopté pour répondre aux situations dans lesquelles les conséquences d’une expulsion « affecterai[ent] plus certaines personnes que d’autres […], à cause de certaines circonstances » :  arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 15 [non souligné dans l’original], citant les Procès-verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Politique de l’immigration, fascicule no 49, 1re sess., 30e lég., 23 septembre 1975, à la page 12. C’est donc dire que la personne qui demande la dispense exceptionnelle fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qu’offre la LIPR doit faire la preuve de l’existence réelle ou probable de malheurs ou d’autres considérations d’ordre humanitaire qui sont supérieurs à ceux auxquels sont habituellement confrontées les personnes qui demandent la résidence permanente au Canada.

[20]  Autrement dit, la personne qui demande une dispense pour considérations d’ordre humanitaire doit « établir les motifs exceptionnels pour lesquels on devrait lui permettre de demeurer au Canada » ou être autorisée à obtenir une dispense pour considérations d’ordre humanitaire depuis l’étranger :  Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, au paragraphe 90. Il s’agit juste d’une autre façon de dire que la personne qui demande une telle dispense doit faire la preuve de l’existence de malheurs ou d’autres circonstances qui sont de nature exceptionnelle, par rapport à d’autres personnes qui demandent la résidence permanente depuis le Canada ou l’étranger : Jesuthasan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 142, aux paragraphes 49 et 57; Kanguatjivi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 327, au paragraphe 67.

[…]

[22]  En l’absence de toute obligation de faire la preuve de l’existence réelle ou probable de malheurs ou d’autres considérations d’ordre humanitaire qui sont d’une importance supérieure à ceux auxquels sont habituellement confrontées les personnes qui demandent le statut de résident permanent dans notre pays, l’article 25 risquerait de devenir le régime d’immigration parallèle que la Cour suprême du Canada a explicitement cherché à éviter : arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 23. Dans la mesure où cela rehausserait également le degré de subjectivité présent dans l’application de l’article 25 et la divergence entre les décideurs, on pourrait également s’attendre à ce que cette disposition amoindrisse la certitude et la prévisibilité de la LIPR, et, à terme, la confiance du public envers cette dernière.

[Mis en évidence dans l’original.]

[49]  En l’espèce, outre les éléments de preuve, l’ensemble des observations des demandeurs dans leur demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire se lisait comme suit :

[traduction

Madame, Monsieur,

Vous trouverez ci-joint la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire de LUZ MARIA NATAD SANTIAGO.

Luz Maria Natad Santiago a obtenu le droit d’établissement au Canada à titre de travailleur temporaire le 10 septembre 2013. Elle était tellement heureuse et avait beaucoup de rêves en venant au Canada parce qu’elle était la seule fille qui touchait un revenu dans sa famille. Elle a commencé à travailler dans un restaurant et a travaillé très dur pendant trois ans et demi. Elle a également présenté une demande de résidence permanente au titre de l’AINP. Malheureusement, son statut a expiré alors qu’elle attendait le résultat de l’AINP et sa demande a été refusée.

Elle a rétabli son statut d’étudiante et a également donné naissance à une petite fille au Canada au cours de cette période. Elle était seule ici et il lui était très difficile de prendre soin de son bébé et de gérer ses études en même temps, elle a donc dû abandonner ses études. De plus, elle n’était pas stable financièrement et elle a commencé à chercher une EIMT pour obtenir le permis de travail.

Elle a obtenu une EIMT en 2018 et a également présenté une demande de permis de travail. Elle a repris son emploi après avoir terminé son congé de maternité. Tout se passait bien, elle travaillait et s’occupait aussi de son bébé toute seule, mais la vie n’est pas si facile. Un jour, elle a appris qu’elle souffrait d’un cancer du sein. Elle était dévastée. Ses rêves se sont brisés et elle a commencé à compter ses jours. On lui a diagnostiqué un cancer du sein de stade trois et le médecin lui a conseillé de se faire opérer dès que possible.

Elle était seule au Canada et était la seule à s’occuper de son bébé; elle était donc déboussolée. Il n’a pas été facile pour elle de gérer cette situation par elle-même et, lorsque vous souffrez d’une maladie mettant votre vie en danger, vous avez besoin de quelqu’un pour vous soutenir émotionnellement.

Elle a présenté une demande de permis de travail ouvert au nom de son époux afin qu’il puisse venir ici pour l’aider pendant la phase sombre de sa vie. Son époux a obtenu le visa et l’a bientôt rejointe. Il travaille maintenant.

Elle a subi l’opération et recouvre maintenant la santé de jour en jour.

Selon les médecins, elle ne peut pas travailler pour le moment. Une lettre de l’Alberta Health est jointe.

C’est une femme très travaillante. Elle a travaillé tout le temps que sa santé lui a permis. L’avis d’allégation et le feuillet T4 sont joints.

À la lumière de ce qui précède et dans l’intérêt supérieur de l’enfant canadien, nous vous demandons de lui accorder la résidence permanente afin qu’elle puisse élever son enfant canadien au Canada.

J’espère que l’exposé qui précède sera suffisant.

Si vous avez besoin d’autres renseignements, n’hésitez pas à nous en faire part.

[Mis en évidence dans l’original.]

[50]  Le mieux que l’on puisse dire au sujet de ces observations présentées par le consultant en immigration des demandeurs est qu’elles sont fragmentaires. Ma propre description de ces observations est qu’elles sont loin d’être suffisantes et ne tentent pas d’expliquer ou d’établir pourquoi, si la dispense pour des considérations d’ordre humanitaire n’est pas accordée, les demandeurs seront confrontés à des « malheurs ou d’autres circonstances qui sont de nature exceptionnelle, par rapport à d’autres personnes qui demandent la résidence permanente depuis le Canada ou l’étranger », ou des malheurs qui pourraient facilement être établis « par la plupart des personnes qui sont frappées d’une mesure de renvoi […] dans un pays où les normes de vie sont nettement inférieures à celle dont on jouit au Canada ».

[51]  Les observations indiquent essentiellement que les rêves de Mme Santiago de venir au Canada ont été brisés parce qu’elle a été gravement malade dans un passé récent et a eu de la difficulté à conserver son emploi donc a perdu la stabilité financière, mais qu’elle est normalement [traduction« une femme très travaillante ». Rien n’est dit au sujet de l’enfant qui vit aux Philippines et rien d’important n’est dit au sujet de l’enfant canadienne, à l’exception que Mme Santiago aimerait l’élever au Canada.

[52]  Mme Santiago mérite beaucoup de sympathie pour ses difficultés à subvenir financièrement aux besoins de sa famille canadienne et de sa famille élargie aux Philippines. Toutefois, comme le montrent les observations et le dossier, M. Santiago s’est vu accorder un visa afin qu’il puisse venir au Canada pour l’aider pendant la [traduction« phase sombre de sa vie ». Si elle est renvoyée aux Philippines, rien ne laisse entendre que M. Santiago ne reviendra pas avec elle et qu’il ne lui apportera pas son soutien là-bas.

[53]  L’argument principal de la demande d’asile des demandeurs est que Mme Santiago sera en mesure d’atteindre une meilleure stabilité financière au Canada pour subvenir aux besoins de sa famille que si elle était renvoyée aux Philippines. Cela ne peut guère être qualifié de demande exceptionnelle ou de demande qui place les demandeurs dans une position plus malheureuse que d’autres demandeurs qui viennent d’autres pays où les normes de vie sont nettement inférieures à celle dont on jouit au Canada.

[54]  Mme Santiago mérite sympathie et félicitations. Mais ce mérite ne se traduit pas, à lui seul, par un fondement convaincant pour soutenir une demande fondée sur des conditions d’ordre humanitaire.

[55]  Les observations des demandeurs n’offrant que peu d’aide, l’agent a tenté de s’y retrouver au moyen d’éléments de preuve plutôt fragmentaires et peu concluants pour tenter de trouver des motifs possibles d’accorder une demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire.

[56]  Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs reprochent maintenant à l’agent de ne pas avoir tenu compte d’un éventail de facteurs qu’ils ne lui ont pas présentés, oubliant ainsi qu’il leur incombait de fournir les observations et la preuve à l’appui de leur demande. Dans leurs observations en réponse, les demandeurs ont quelque peu atténué leurs accusations initiales et ont admis qu’il y avait effectivement certaines lacunes dans leurs propres observations. À l’audience que j’ai présidée, les principaux motifs de contrôle présentés par les demandeurs étaient liés au traitement qu’a réservé l’agent aux éléments suivants :

  • (a) les difficultés financières s’ils devaient de retourner aux Philippines;

  • (b) une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant déficiente;

  • (c) le défaut de tenir compte de l’établissement.

[57]  Il est à noter que, dans les observations présentées par les demandeurs à l’agent, on ne peut guère considérer ces questions comme étant abordées. En outre, les demandeurs affirment maintenant que Mme Santiago bénéficie au Canada du soutien d’amis et de la communauté, alors que leurs observations présentées à l’agent indiquent qu’avant l’arrivée de M. Santiago pour lui venir en aide, [traduction« [e]lle était seule au Canada […] » et il n’a « pas été facile pour elle de gérer cette situation par elle-même et, lorsque vous souffrez d’une maladie mettant votre vie en danger, vous avez besoin de quelqu’un pour vous soutenir émotionnellement ».

[58]  L’affirmation des demandeurs revient essentiellement à dire que, malgré le peu d’éléments de preuve qu’ils ont fournis, l’agent était tenu d’examiner un éventail de scénarios possibles qui pourraient résulter du renvoi des demandeurs. En outre, les demandeurs n’expliquent toujours pas pourquoi la situation personnelle de Mme Santiago justifie la dispense exceptionnelle prévue à l’article 25. Comme l’a souligné la Cour dans Garas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1247 :

[46]  Une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas une formule mathématique appliquée dans l’abstrait. L’agent n’a pas la responsabilité d’examiner tous les scénarios qui pourraient possiblement résulter du renvoi du demandeur ou d’examiner des questions essentiellement spéculatives. Le rôle de l’agent est d’évaluer les circonstances spéciales que la partie demanderesse soulève et de déterminer si ces caractéristiques justifient l’application d’une dispense exceptionnelle.

[Souligné dans l’original.]

[59]  Il est clairement établi en droit qu’il incombait aux demandeurs de présenter les facteurs qu’ils voulaient que l’agent prenne en considération, et de fournir suffisamment d’observations et d’élément de preuve pour démontrer qu’ils ont besoin d’une dispense exceptionnelle en vertu de l’article 25 de la LIPR. Voir Daniels c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 469, par. 32.

[60]  Malgré l’absence d’observations significatives, la décision montre que l’agent a fait ce qu’il pouvait de la preuve présentée.

A.  Soutien financier de la famille élargie aux Philippines

[61]  Les demandeurs affirment que l’agent n’a pas tenu compte de la façon dont la famille de Mme Santiago aux Philippines subirait des répercussions si elle y retournait, et que l’agent a ignoré la preuve de leur dépendance financière à Mme Santiago. Cette dernière affirme qu’elle continue de subvenir à leurs besoins et qu’elle est le soutien de la famille.

[62]  Il n’y a aucune mention de cette dépendance financière dans les observations des demandeurs présentées à l’agent, donc l’agent ne pouvait pas savoir que ce facteur était particulièrement important pour les demandeurs d’après leurs observations.

[63]  Dans la lettre personnelle de Mme Santiago adressée à l’agent qu’elle appelle [traduction« Mon séjour au Canada », elle parle de sa famille pauvre et de la façon dont, après avoir fait des études, elle a fourni un soutien financier à sa famille.

[64]  Mme Santiago affirme s’être mariée et avoir donné naissance à son fils aîné en 2007. M. Santiago travaillait, mais [traduction« je voulais l’aider ainsi qu’aider ma mère et réaliser mes rêves », dit-elle. Elle est donc allée à Dubaï et y a travaillé comme aide-domestique, mais [traduction« mon salaire à Dubaï n’était pas suffisant pour subvenir aux besoins de ma famille, de ma mère et de ma nièce qui était au collège à l’époque », affirme-t-elle.

[65]  Le cousin de M. Santiago a trouvé un emploi à Mme Santiago au Canada et elle est arrivée ici en septembre 2013. Elle affirme qu’elle n’a pas pu économiser de l’argent parce que,  [traduction« j’envoyais tout mon salaire à ma famille », précise-t-elle. Elle ne fournit aucune information sur les membres de sa famille qu’elle a aidés, ni sur l’ampleur et les raisons de ce soutien, sauf lorsqu’elle dit :

[traduction

Ma propre famille n’avait pas encore de maison, nous vivons dans la maison de mes beaux-parents, honnêtement, je n’ai pas l’intention d’avoir notre propre maison aux Philippines parce que je veux qu’ils soient avec moi ici au Canada.

[66]  De plus, une fois arrivée au Canada, [traduction« [j]’ai réalisé le souhait de ma mère d’avoir une maison décente et que mes deux nièces obtiennent leur diplôme universitaire, et j’ai suppléé à l’allocation mensuelle de mon époux », précise-t-elle.

[67]  Cela donne à penser que les parents de M. Santiago peuvent loger [traduction« sa propre famille » et que Mme Santiago a fourni une maison décente à sa mère et aidé ses deux nièces à obtenir leur diplôme universitaire, rien de moins.

[68]  En ce qui concerne la situation au moment de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, elle affirme qu’une fois qu’elle a développé un cancer du sein et été incapable de travailler :

[traduction

Je ne reçois aucun revenu du gouvernement. Je ne reçois que l’allocation pour la garde de mon bébé Zhia d’une valeur de 541 dollars par mois et je paye tout, mais malgré cela, moi et mon bébé avons survécu. J’ai toutefois arrêté d’envoyer de l’argent à tout le monde, et ça ne va pas parce que mon frère a fait une crise cardiaque à ce moment-là. Il a besoin de mon aide, d’autant plus qu’il ne pouvait pas marcher et parler jusqu’à maintenant. Parfois, si mon ami me donnait de l’argent, je l’envoyais à ma mère, pour qu’elle puisse lui acheter des médicaments. J’ai remercié les responsables de l’immigration d’avoir permis à mon époux d’être avec moi avant mon opération en octobre 2017. Mon opération s’est bien passée grâce à l’aide de mes amis et de mes prières, et maintenant je suis en processus de guérison. J’espère que, si je vais bien, je pourrai retourner au travail si le gouvernement me donne l’occasion de rester ici.

[69]  La mention du « frère » dans cette lettre semble inexacte. La version manuscrite de cette lettre de Mme Santiago fait référence à sa « mère » et il existe des preuves médicales à l’appui.

[70]  En plus de dire que sa mère a besoin de son aide, on ne nous dit rien des besoins actuels de sa famille ni de ceux qui ont précisément besoin de son soutien, ni de l’ampleur de ce soutien, ou pourquoi ce soutien ne peut être offert si les demandeurs retournent aux Philippines. Si Mme Santiago est en assez bonne santé pour retourner travailler au Canada, alors il n’y a aucune explication quant à la raison pour laquelle elle ne peut pas retourner au travail aux Philippines ni pourquoi M. Santiago et ses beaux-parents ne seront pas là pour aider. Pour le dire franchement, il n’y a vraiment aucune preuve dans cette lettre personnelle que l’agent puisse utiliser pour décider dans quelle mesure un membre de la famille aux Philippines a toujours besoin de l’aide financière de Mme Santiago. En plus de ses contributions sporadiques au coût des médicaments de sa mère, Mme Santiago ne nous dit rien sur la manière dont sa famille aux Philippines a réussi à survivre depuis qu’elle a cessé d’envoyer de l’argent en mai 2017. En fait, elle nous dit que la raison pour laquelle elle s’inquiète est la crise cardiaque de sa mère. Si sa famille aux Philippines était totalement dépendante d’elle, comme elle le prétend maintenant, pourquoi ne serait-elle préoccupée que par sa mère?

[71]  Relativement à cette question, les demandeurs font également mention de la preuve de transferts d’argent envoyés à la famille de Mme Santiago à l’étranger, ainsi que d’autres éléments de preuve qui n’expliquent tout simplement pas les besoins actuels de sa famille aux Philippines. Le résumé des envois d’argent soumis à l’agent montre huit transferts à trois membres de la famille entre le 27 juin et le 20 novembre 2018. Dans sa lettre, Mme Santiago affirme qu’elle a cessé de travailler en mai 2017 et qu’elle ne reçoit pas d’argent du gouvernement, à l’exception de l’allocation pour la garde de son bébé Zhia de « 541 » par mois. Elle dit aussi qu’elle [traduction« paye tout » mais qu’elle a cessé « d’envoyer de l’argent à tout le monde », sauf que parfois son ami lui donne de l’argent qu’elle envoie à sa mère afin qu’elle achète des médicaments. Aucune explication n’a été fournie concernant les envois d’argent de 2018, la façon dont ils ont été financés, les raisons pour lesquelles ils ont été envoyés aux trois personnes désignées, ou la mesure dans laquelle un membre de la famille dépend de ces envois d’argent. Le fait que Mme Santiago envoie de l’argent à sa famille n’établit pas qu’ils ne peuvent pas vivre normalement aux Philippines sans cet argent. Les observations des demandeurs sur cette question sont contradictoires et n’offrent pas suffisamment d’éléments de preuve pour permettre à l’agent de voir la situation telle qu’elle est. Le résumé des envois d’argent présenté à l’agent ne montre aucun montant d’argent envoyé à la mère de Mme Santiago, Conchita Verano Natad (Mme Natad).

[72]  Devant cette insuffisance d’éléments de preuve sur les besoins actuels de sa famille, Mme Santiago affirme maintenant dans la présente demande que :

[traduction

[…] la décision n’a pas tenu compte de l’observation de Mme Santiago selon laquelle elle ne gagnait pas suffisamment d’argent à Dubaï pour subvenir aux besoins de sa famille, ni de sa décision de venir au Canada en tant que travailleuse. La décision n’a pas non plus tenu compte de la preuve concernant la dépendance continue de l’ensemble de la famille élargie de Mme Santiago à l’étranger et de sa famille immédiate au Canada à son soutien financier, ni de la preuve de ses antécédents professionnels continus et de ses finances au Canada. Plus particulièrement, la mère de Mme Santiago a subi une crise cardiaque, parmi les nombreux autres problèmes médicaux et chirurgicaux mentionnés ci-dessus dont était saisi l’agent chargé de l’examen, et elle a besoin d’argent pour ses médicaments, que Mme Santiago a payés.

[73]  En ce qui concerne la famille immédiate de Mme Santiago au Canada, la preuve démontre clairement que M. Santiago est au Canada depuis un certain temps maintenant et rien n’indique comment ils sont soutenus financièrement depuis qu’elle a cessé de travailler en mai 2017.

[74]  Les demandeurs se réfèrent également à trois documents médicaux concernant la mère de Mme Santiago, Mme Natad, et affirment que l’agent n’a pas mentionné cette preuve en ce qui concerne la dépendance financière et le fait que Mme Natad a besoin d’argent pour ses médicaments.

[75]  Toutefois, ni les observations présentées à l’agent ni le résumé des envois d’argent dont l’agent était saisi ne donnent à penser que de l’argent a été envoyé à sa mère; il est donc difficile de voir comment l’agent pouvait évaluer le soutien continu dont sa mère a besoin de la part des demandeurs. Tout ce que la lettre personnelle non assermentée nous dit c’est que [traduction« [p]arfois, si mon ami me donnait de l’argent, je l’envoyais à ma mère […] ». Cette affirmation à l’imparfait ne dit pas que Mme Santiago envoie toujours de l’argent, ni si elle doit toujours en envoyer pour payer les médicaments.

[76]  Je ne vois vraiment aucune preuve réelle de ce que l’avocat affirme être [traduction« la dépendance continue de l’ensemble de la famille élargie de Mme Santiago à l’étranger […] à son soutien financier » (je souligne), ni même de preuve voulant que chaque membre de la famille soit entièrement soutenu financièrement par les demandeurs, ni de la mesure dans laquelle un soutien est nécessaire à l’heure actuelle.

[77]  Compte tenu de cette insuffisance d’observations, de l’absence d’une explication complète de la part de Mme Santiago elle-même et du manque d’éléments de preuve, je ne vois pas comment l’agent aurait pu en dire beaucoup plus qu’il ne l’a fait sur cette question. La mesure dans laquelle Mme Natad a besoin ou reçoit en continu le soutien financier de Mme Santiago n’est pas claire. Dans la lettre personnelle de Mme Santiago, il est dit [traduction« moi et mon autre sœur, nous avons obtenu notre diplôme universitaire avec l’aide et le soutien de nos parents, frères, sœurs et membres de la famille », mais on ne nous dit pas si ce réseau de soutien familial a changé. Quand elle travaillait à Dubaï, [traduction« [m]on salaire à Dubaï n’était pas suffisant pour subvenir aux besoins de ma famille, de ma mère et de ma nièce qui était au collège à l’époque », affirme Mme Santiago, mais elle ne nous dit pas qui dans la famille a actuellement besoin de son soutien ni pour quelles raisons. [traduction« J’ai réalisé le souhait de ma mère d’avoir une maison décente et que mes deux nièces obtiennent leur diplôme universitaire […] », affirme-t-elle; il est donc clair que la situation familiale a changé quelque peu depuis que Mme Santiago est venue au Canada, mais elle n’a pas précisé les besoins actuels. En parlant de sa propre famille immédiate, ajoute-t-elle, [traduction« je n’ai pas l’intention d’avoir notre propre maison aux Philippines parce que je veux qu’ils soient avec moi ici au Canada ». Le fait d’avoir une préférence pour le Canada n’étaye pas les observations selon lesquelles Mme Santiago et sa famille immédiate ne peuvent pas mener une vie décente aux Philippines, ni s’y réinstaller.

[78]  En résumé, l’agent ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve concernant les questions financières pour lui permettre de conclure autre chose que le fait que Mme Santiago et sa famille immédiate retourneraient dans un pays où le niveau de vie est nettement inférieur à celui du Canada. Il ne s’agissait pas d’une preuve suffisante pour établir une raison exceptionnelle devant l’agent qui l’amènerait à conclure autrement qu’il l’a fait.

B.  Intérêt supérieur des enfants

[79]  Les demandeurs affirment que l’agent n’a pas évalué correctement l’intérêt supérieur des enfants. Ils ont soutenu ce qui suit : [traduction« Bien que la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire des demandeurs comporte des observations limitées, l’agent avait tout de même l’obligation d’examiner l’intérêt supérieur des enfants. »

[80]  Sur cette question, les observations fondées sur des considérations d’ordre humanitaire se limitent à ce qui suit :

[traduction

Compte tenu de ce qui précède et de l’intérêt supérieur de l’enfant canadienne, nous vous demandons de lui octroyer la résidence permanente afin qu’elle puisse élever son enfant canadienne au Canada.

[Souligné dans l’original.]

[81]  Il s’agit d’une demande visant la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’un des enfants seulement, probablement parce que les demandeurs estiment que leur enfant plus âgé est mieux loti aux Philippines, du moins pour l’instant.

[82]  Dans sa lettre personnelle, Mme Santiago dit ce qui suit : [traduction« Je n’ai pas l’intention d’avoir notre propre maison aux Philippines parce que je veux [que ma propre famille soit] avec moi ici au Canada. »

[83]  Je crois qu’il est raisonnable de supposer que les demandeurs estiment qu’il est dans l’intérêt des deux enfants que tous les demandeurs demeurent au Canada. Rien de particulier n’est dit au sujet des besoins actuels et futurs des enfants, mais, compte tenu de l’ensemble des observations et des éléments de preuve présentés par les demandeurs, il semble que l’intérêt supérieur des enfants fasse partie de la quête de viabilité économique et d’un avenir plus prometteur au Canada de la famille, ce qui exige que l’enfant plus âgé reste avec les autres membres de sa famille aux Philippines jusqu’à ce que cette quête soit réalisée.

[84]  Dans la plupart des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire où des enfants sont concernés, on peut supposer que l’intérêt des enfants serait mieux servi si l’ensemble de la famille demeurait au Canada, et je ne vois aucune raison de laisser entendre que cette supposition n’a pas été appliquée en l’espèce. Mais l’intérêt supérieur des enfants, bien qu’extrêmement important, ne l’emporte pas sur tous les autres facteurs.

[85]  Devant moi, les demandeurs soutiennent maintenant que l’agent a appliqué une norme élevée en exigeant que l’intérêt supérieur de Zhia (l’enfant canadienne) soit [traduction« gravement compromis ». Ils soutiennent également que l’agent n’a pas tenu compte du fait que les deux enfants dépendent du soutien financier de leurs parents pour leur permettre de grandir dans un climat d’amour et de sécurité au Canada, et qu’il n’a pas tenu compte de l’incidence de l’état de santé de Mme Santiago sur les enfants si elle est renvoyée aux Philippines.

[86]  Le principal argument des demandeurs pour rester au Canada est d’ordre économique. Mme Santiago souhaite rester ici afin de pouvoir soutenir financièrement sa famille immédiate et élargie. Si son état de santé l’empêche de travailler aux Philippines, elle ne sera pas non plus en mesure de travailler au Canada. Quoi qu’il en soit, la preuve médicale dont disposait l’agent ne laissait pas entendre que Mme Santiago ne pouvait pas se rendre aux Philippines ni y travailler.

[87]  M. Santiago a été autorisé à venir au Canada pour aider Mme Santiago lorsqu’elle est tombée malade. La preuve démontre qu’il occupait un emploi aux Philippines, et rien n’indique à l’agent qu’il ne serait pas en mesure de travailler si les demandeurs retournaient aux Philippines. Il n’y a pas non plus de preuve que Mme Santiago ne pourra pas travailler aux Philippines.

[88]  La position fondamentale des demandeurs est qu’il serait plus avantageux pour les enfants si M. Santiago et Mme Santiago demeuraient au Canada et trouvaient du travail ici. Cela est évident et n’a pas besoin d’être précisé par l’agent.

[89]  C’est pourquoi l’agent s’est concentré sur ce qui arriverait aux enfants si la famille était réunie. Il a conclu, pour les raisons invoquées, que les intérêts de Zhia ne seraient pas [traduction« gravement compromis ». Il ne s’agit pas d’un critère; il s’agit simplement d’une déclaration selon laquelle l’incidence sur Zhia ne serait pas grave.

[90]  L’agent a également abordé le seul facteur précis lié à Zhia que les demandeurs ont soulevé dans leurs observations; le fait que Zhia est une enfant canadienne :

[traduction

Mme Santiago et M. Santiago ont deux enfants, Zhia et Zake. Zhia est une petite fille née au Canada. Elle est actuellement âgée de deux ans. C’est surtout sa mère qui s’en est occupée. Je reconnais toutefois qu’en raison du traitement médical de Mme Santiago, M. Santiago participe aux soins de Zhia depuis octobre 2018. Compte tenu de l’âge et du degré de dépendance de Zhia à l’égard de ses parents, j’estime qu’il est dans l’intérêt supérieur de Zhia de rester aux soins de ses deux parents. Je reconnais que, si Mme Santiago et M. Santiago devaient quitter le Canada, Zhia devrait aussi quitter le Canada. Zhia possède actuellement un passeport canadien qui lui permet de voyager à l’étranger. En tant que citoyenne canadienne, elle pourrait revenir au Canada plus tard. J’ajoute qu’au cas où Zhia quitterait le Canada avec ses parents, elle continuera d’avoir ses parents pour l’aider à s’adapter à son nouvel environnement aux Philippines et, plus important encore, elle continuera d’être sous la garde de ses parents. Zhia pourrait également bénéficier de la présence de sa famille élargie maternelle et paternelle et rencontrer son frère aîné Zake. Je ne pense pas que l’intérêt supérieur de Zhia serait gravement compromis si Mme Santiago et M. Santiago ne se voient pas accorder le statut de résident permanent en vertu de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[91]  Bien que les demandeurs n’aient pas demandé que l’intérêt supérieur de Zake soit pris en considération, l’agent était légalement tenu de le faire et a conclu que l’intérêt supérieur de Zake ne serait pas gravement compromis non plus. En fait, Zake en bénéficierait :

[traduction

Zake est actuellement âgé de 11 ans et fréquente l’école. C’est le fils aîné de Mme Santiago et de M. Santiago. Zake vit avec sa famille maternelle aux Philippines. Mme Santiago a laissé Zake aux Philippines pour aller travailler à l’étranger, à Dubaï, et plus tard au Canada. Zake n’a pas vu Mme Santiago depuis son dernier séjour aux Philippines en 2016. Avant ce séjour, Zake a vu Mme Santiago par intermittence alors qu’elle travaillait à l’étranger. Plus récemment, le père de Zake, M. Santiago, est également parti travailler au Canada, laissant Zake derrière lui aux Philippines. J’estime que l’intérêt supérieur de Zake ne serait pas gravement compromis si Mme Santiago et M. Santiago retournaient aux Philippines. En fait, Zake bénéficierait du retour de ses deux parents aux Philippines qui prendront soin de lui et qui seront réunis en tant que famille. Zake pourrait aussi profiter de la rencontre avec sa sœur cadette Zhia.

[92]  Compte tenu des observations et de la preuve dont il disposait, je ne peux conclure à aucune erreur susceptible de révision dans l’analyse qu’a faite l’agent de l’intérêt supérieur des enfants.

C.  La maladie de Mme Santiago

[93]  Les demandeurs affirment que l’agent n’a pas tenu compte de l’état de santé de Mme Santiago. Toutefois, comme l’indique clairement la décision, l’agent se réfère à la preuve médicale présentée et conclut que la preuve médicale n’indique pas qu’elle est inapte à voyager, et que peu d’éléments donnent à penser qu’elle n’aura pas accès aux médicaments ou à un rendez-vous de suivi dont elle pourrait avoir besoin aux Philippines :

[traduction

Peu d’éléments de preuve indiquent que Mme Santiago n’est pas en mesure d’obtenir des soins de santé aux Philippines pour effectuer des contrôles de suivi. Je remarque que les deux médecins ont indiqué que l’opération a réussi à éliminer le cancer. Je ne crois pas que Mme Santiago ne soit pas en mesure de retourner dans son pays d’origine en raison de son diagnostic antérieur de cancer du sein, d’une chirurgie réussie et d’un besoin de guérison. J’accorde peu de poids à ce facteur.

[94]  Dans sa lettre personnelle, Mme Santiago confirme ce qui suit : [traduction« Mon opération s’est bien passée grâce à l’aide de mes amis et de mes prières, et maintenant je suis en processus de guérison. » Rien ne permet de conclure à une erreur susceptible de révision concernant l’état de santé de Mme Santiago ou son incidence sur d’autres facteurs.

D.  Établissement au Canada

[95]  Dans sa lettre personnelle, Mme Santiago affirme ce qui suit : [traduction« J’espère que si je vais bien, je pourrai retourner au travail si le gouvernement me donne l’occasion de rester ici. » Les perspectives d’avenir de Mme Santiago au Canada ne sont qu’un espoir.

[96]  Au moment de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, Mme Santiago ne travaillait pas et ses perspectives d’être autorisée à travailler au Canada étaient incertaines. Elle a raconté qu’en 2017, il était [traduction« vraiment difficile de trouver un employeur qui traiterait l’EIMT à ce moment-là », mais qu’elle s’était vu [traduction« accorder un permis d’études » de sept mois. Toutefois, elle n’est pas allée à l’école pour des raisons financières et parce qu’il n’y avait personne pour s’occuper de sa fille Zhia. Finalement, elle a trouvé du travail en mars 2017 chez Marble Slab Creamery jusqu’à ce qu’on lui diagnostique un cancer du sein. Elle a quitté le travail en mai 2017, de sorte qu’elle n’a reçu aucun soutien du gouvernement, à l’exception d’une allocation pour garde d’enfants de 541 $ par mois. Il semble que la situation se soit améliorée en octobre 2017, lorsque M. Santiago a été autorisé à venir au Canada pour lui offrir du soutien.

[97]  En plus des renseignements sur l’emploi, les demandeurs ont présenté des lettres d’appui de la part d’amis canadiens qui, selon l’avocate, [traduction« ont soutenu la famille lorsque Mme Santiago a reçu un diagnostic de cancer et lors de son rétablissement suivant la double mastectomie ».

[98]  Il convient de souligner que M. Santiago a dû obtenir une autorisation pour entrer au Canada afin d’aider Mme Santiago et que le consultant en immigration des demandeurs a présenté les observations suivantes à l’agent pour décrire la situation en matière de soutien au Canada à la suite du diagnostic de Mme Santiago :

[traduction

Elle était seule au Canada et était la seule à s’occuper de son bébé; elle était donc déboussolée. Il n’a pas été facile pour elle de gérer ces choses par elle-même et, lorsque vous souffrez d’une maladie mettant votre vie en danger, vous avez besoin de quelqu’un pour vous soutenir émotionnellement.

Elle a présenté une demande de permis de travail ouvert à son époux afin qu’il puisse venir ici pour l’aider pendant la phase sombre de sa vie. Son époux a obtenu le visa et l’a bientôt rejointe. Il travaille maintenant.

[99]  Les quelques lettres d’appui d’amis que les demandeurs ont présentées confirment le récit de Mme Santiago et ceux-ci tiennent des propos très positifs à son sujet, mais ne suggèrent rien de plus que le fait qu’ils sont des amis souhaitant que les demandeurs restent au Canada parce que, comme Mme Reginia Junio le dit : [traduction« C’est un rêve pour tous les Philippins ici, au Canada, d’avoir la résidence permanente qu’offre le gouvernement. Ce pays offre une vie et un avenir meilleurs, surtout pour nos enfants. »

[100]  Autrement dit, la preuve d’établissement des demandeurs était très mince. Mme Santiago n’avait plus d’emploi et ses perspectives d’avenir étaient pour le moins précaires. Elle a aussi des amis qui voudraient qu’elle reste.

[101]  L’agent donne un compte rendu complet et détaillé des antécédents professionnels et de la situation d’emploi de Mme Santiago, et mentionne également l’emploi que M. Santiago occupait aux Philippines avant qu’il vienne aider son épouse au Canada. Rien n’indique qu’il ne sera pas en mesure de travailler s’ils retournent aux Philippines. L’agent fait remarquer que les deux demandeurs adultes sont instruits.

[102]  L’agent reconnaît également que Mme Santiago s’est fait des amis au Canada et, compte tenu de la preuve, il n’y a pas grand-chose d’autre à dire sur les relations qu’elle a établies ici.

[103]  Je ne vois rien dans la décision qui laisse entendre que l’agent n’a pas accordé aux facteurs liés à l’établissement le poids qu’ils méritent. Le fait est que les demandeurs ne sont pas bien établis au Canada et, comme le dit l’agent, [traduction« Mme Santiago et M. Santiago n’ont fourni que peu de raisons pour lesquelles ils ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine ».

IX.  Conclusion

[104]  Les facteurs susmentionnés sont les principaux facteurs que l’agent doit soupeser. Il revient à l’agent de déterminer le poids qu’il accorde à la preuve. Compte tenu de la preuve dont disposait l’agent, la conclusion était raisonnable et je ne peux conclure à aucune erreur susceptible de révision qui exige que cette affaire soit réexaminée.

[105]  Comme l’a fait remarquer l’amie des demandeurs, Mme Junio, chaque Philippin rêve de venir au Canada pour [traduction« une vie et un avenir meilleurs, en particulier pour nos enfants ». Les demandeurs ont ce rêve, comme l’indique clairement Mme Santiago dans sa lettre personnelle, mais il ne s’agit pas d’un motif pour justifier la dispense exceptionnelle prévue à l’article 25 de la LIPR. Comme l’a souligné le juge en chef Crampton dans Huang, précitée :

C’est donc dire que la personne qui demande la dispense exceptionnelle fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qu’offre la LIPR doit faire la preuve de l’existence réelle ou probable de malheurs ou d’autres considérations d’ordre humanitaire qui sont supérieurs à ceux auxquels sont habituellement confrontées les personnes qui demandent la résidence permanente au Canada.

[Mis en évidence dans l’original.]

[106]  Les demandeurs ont établi que le niveau de vie aux Philippines est nettement inférieur à celui du Canada, et c’est pourquoi ils veulent que leur famille demeure au Canada. Il s’agit, en fait, de la principale raison de leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, mais il ne s’agit pas d’un motif suffisant pour obtenir une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25.

[107]  Cela ne signifie pas qu’ils doivent abandonner leur rêve. Comme l’agent le souligne, d’autres options d’immigration pourraient s’offrir à eux.

[108]  La décision ne contient, à mon avis, aucune erreur susceptible de révision.

X.  Certification

[109]  Les avocats des parties sont d’avis qu’il n’y a aucune question à certifier en l’espèce et j’en conviens.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3144-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de mars 2020

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3144-19

 

INTITULÉ :

LUZ MARIA NATAD SANTIAGO ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 novembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 février 2020

COMPARUTIONS :

Brenda Lim

 

Pour les demandeurs

 

David Shiroky

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Calgary Legal Guidance

CALGARY (ALBERTA)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

CALGARY (ALBERTA)

 

Pour le défendeur

 

 

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