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Date : 20021231

Dossier : IMM-6457-02

Référence neutre : 2002 CFPI 1330

Ottawa (Ontario), le 31 décembre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

HWAN YOUNG HWANG, EN YOUNG HWANG HUH,

HYE WON HWANG et WON KI HWANG

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Les demandeurs - Hwan Young Hwang (le demandeur principal), son épouse, son fils et sa fille - demandent à la Cour de surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi prise contre eux, qui est prévue pour le 1er janvier 2003, afin qu'ils puissent présenter une demande d'établissement fondée sur des considérations d'ordre humanitaire en vertu de l'article 25 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Je suis d'avis de faire droit à leur demande pour les motifs exposés ci-dessous.

[2]                 Les demandeurs sont des citoyens de la Corée. Ils ont été admis au Canada à titre de visiteurs en 1997. Le demandeur principal a rencontré un consultant en immigration peu de temps après l'arrivée de sa famille afin d'obtenir une autorisation d'emploi. Ce consultant, sa soeur et ses associés ont été arrêtés en 1998 et accusés de différents crimes, notamment de fraude. La Gendarmerie royale du Canada (la GRC), qui était chargée de l'enquête, a fait savoir au demandeur principal qu'il devait témoigner au procès du consultant en immigration et de ses coaccusés. Elle a confisqué les passeports des demandeurs et a dit au demandeur principal qu'il ne pourrait pas retourner en Corée avant d'avoir témoigné.

[3]                 Les demandeurs ont obtenu des autorisations d'emploi et des autorisations d'étude avec l'aide de la GRC. Ils ont tiré profit de ces autorisations. Ainsi, le demandeur principal a commencé à travailler comme directeur artistique pour un journal de langue coréenne de Toronto. Il est aussi devenu membre d'une église coréenne et a participé aux activités de celle-ci. Sa fille a obtenu son diplôme d'un collège communautaire et son fils est sur le point d'entreprendre ses études dans un autre collège. Les demandeurs ne sont pas restés inactifs depuis leur arrivée au Canada.


[4]                 Les demandeurs ont présenté différentes demandes au défendeur afin de demeurer au Canada. En février 2000, ils ont présenté une demande d'établissement fondée sur des considérations d'ordre humanitaire, qui a été rejetée par un agent d'immigration agissant au nom du défendeur au mois d'août suivant. En juillet 2001, la GRC a fait savoir au demandeur principal que sa présence au Canada n'était plus requise et qu'il avait jusqu'au mois de mars 2002 pour quitter le Canada. Les demandeurs ont alors revendiqué le statut de réfugié, ont assisté à l'audition de leur revendication en mars 2002 et ont appris, au mois de juin suivant, que celle-ci avait été rejetée.

[5]                 Pendant qu'ils attendaient qu'une décision soit rendue relativement à leur revendication du statut de réfugié, les demandeurs ont déposé, aux bureaux du défendeur situés à Buffalo, dans l'État de New York, une demande de résidence permanente à titre de membres de la catégorie des immigrants indépendants. En février 2002, ils ont appris que celle-ci avait été rejetée parce que leur chèque était périmé puisqu'il avait été émis depuis plus de six mois lorsque la personne ou les personnes chargées du traitement de la demande l'avait reçu.

[6]                 Après ces procédures et le rejet de la demande qu'ils ont présentée dans le cadre du programme d'examen des risques avant renvoi (qui, sous le régime de la LIPR, remplace la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié), les demandeurs ont été enjoints de se présenter à l'un des bureaux du défendeur appelé le Centre d'exécution de la loi du Toronto métropolitain (le CELTM), le 9 décembre 2002, avec en main des billets d'avion leur permettant de se rendre en Corée au plus tard le 5 janvier 2003. Les demandeurs se sont conformés à cette demande.


[7]                 Les demandeurs prétendent que leur situation a changé depuis que la décision relative à leur dernière demande fondée sur des considérations d'ordre humanitaire a été rendue. Ainsi, le revenu du demandeur principal a augmenté, son épouse a maintenant un travail et son fils et sa fille poursuivent leurs études. Ils sont aussi plus attachés au Canada et ont moins de liens avec la Corée qu'auparavant. Ce sont ces faits qu'ils entendent invoquer au soutien d'une nouvelle demande fondée sur des considérations d'ordre humanitaire. Ils demandent qu'il soit sursis à l'exécution de la mesure de renvoi prise contre eux afin qu'ils puissent présenter une telle demande.

[8]                 Le critère qui s'applique en l'espèce a été élaboré dans la décision Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.). Selon ce critère, un sursis sera accordé si le demandeur soulève une question sérieuse à trancher, s'il démontre qu'il subirait un préjudice irréparable si le sursis n'était pas accordé et si la prépondérance des inconvénients favorise l'octroi du sursis.

[9]                 Une question sérieuse existe en l'espèce. Compte tenu des circonstances exceptionnelles vécues par les demandeurs depuis leur arrivée au Canada, la façon dont le défendeur a exercé ou a omis d'exercer son pouvoir discrétionnaire constitue une question sérieuse. La question de savoir s'il y a lieu d'accorder le droit d'établissement pour des considérations d'ordre humanitaire est sérieuse également. Ces questions ne sont ni frivoles ni vexatoires, et elles devraient faire l'objet d'un examen complet avant qu'une décision soit prise à leur égard.


[10]            Je ne suis pas d'accord avec le défendeur quand il dit que le critère relatif à l'existence d'une question sérieuse est plus rigoureux en l'espèce parce que la mesure interlocutoire que souhaitent obtenir les demandeurs correspond à la mesure de redressement permanente qu'ils cherchent à obtenir en définitive. L'ordonnance que l'on me demande de rendre ne fera que retarder l'exécution de la mesure de renvoi. Il ne s'agit pas de réviser la mesure de renvoi ou d'octroyer le droit d'établissement pour des considérations d'ordre humanitaire, ce que les demandeurs souhaitent obtenir.

[11]            Les demandeurs ont démontré qu'ils subiraient un préjudice irréparable si le sursis ne leur était pas accordé et qu'ils étaient contraints de retourner en Corée. Ils ont fait des efforts considérables pour s'intégrer dans leur collectivité depuis leur arrivée au Canada. La durée de leur séjour au Canada a été, du moins au début, déterminée par des facteurs indépendants de leur volonté, à savoir l'obligation imposée au demandeur par la GRC de demeurer au Canada afin de témoigner contre son consultant en immigration. Je ne suis pas d'accord avec le défendeur quand il affirme que les demandeurs étaient libres de retourner en Corée et de revenir au Canada lorsque le demandeur principal devrait témoigner, puisque les demandeurs ont démontré que leurs passeports avaient été confisqués.


[12]            Pendant leur séjour au Canada, les demandeurs ont travaillé afin d'améliorer leur condition et ont contribué grandement à leur collectivité. Les forcer à partir en laissant derrière eux ce qu'ils ont accumulé détruirait le fruit des efforts qu'ils ont faits au cours des cinq dernières années. Ce serait comme si ces années avaient été gaspillées ou n'avaient rien apporté. Ce sont les représentants du gouvernement du Canada qui sont responsables de la situation dans laquelle se sont trouvés les demandeurs pendant leur séjour au Canada, et ceux-ci ont fait ce qu'ils pouvaient dans les circonstances. Il serait injuste que le gouvernement mette abruptement fin au séjour des demandeurs au Canada, un séjour qu'il a lui-même prolongé. En outre, les demandeurs subiraient alors une perte qu'aucune mesure de réparation, même des dommages-intérêts pécuniaires, ne saurait compenser.

[13]            Il ne fait aucun doute également que la prépondérance des inconvénients favorise l'octroi du sursis demandé. Le défendeur ne prétend pas que l'un ou l'autre des demandeurs constitue une menace pour le Canada ou que leur présence dans ce pays est nuisible d'une autre façon. La situation que les demandeurs ont vécue au Canada et celle dans laquelle ils se retrouveraient s'ils devaient retourner en Corée sont beaucoup plus graves que tous les inconvénients et les frais administratifs que le défendeur subira s'il continue à étudier leur cas. Malgré ce que prétend l'avocate du défendeur, rien dans le dossier n'indique que le renvoi rapide des demandeurs est justifié par l'intérêt public.

[14]            Monsieur le juge Cullen (tel était alors son titre) a indiqué ce qui suit, au paragraphe 55 de la décision Arduengo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 3 C.F. 468 :

[...] L'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire lorsque, pour quelque raison que ce soit, l'intérêt de la justice l'exige. Toute suspension ordonnée en vertu de cet article peut ultérieurement être annulée à la discrétion de la Cour.

[15]            Je crois qu'il s'agit en l'espèce d'un cas dans lequel l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire est justifié. En conséquence, j'ordonne qu'il soit sursis à l'exécution de la mesure de renvoi prise contre les demandeurs.


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Pour les motifs exposés ci-dessus, il est sursis à l'exécution de la mesure de renvoi prise par M. Hughes Simard, laquelle devait avoir lieu le 1er janvier 2003, afin de permettre le dépôt d'une demande d'établissement fondée sur des considérations d'ordre humanitaire en application de l'article 25 de la LIPR. Cette demande doit être déposée dans les 45 jours suivant le prononcé de la présente ordonnance, à défaut de quoi le sursis sera annulé. Si la demande est déposée dans ce délai, le sursis demeurera en vigueur jusqu'à ce qu'elle fasse l'objet d'une décision, sous réserve de la présentation d'une demande de contrôle judiciaire.

             « Michel Beaudry »            

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  IMM-6457-02

INTITULÉ :                                                 HWAN YOUNG HWANG,

EN YOUNG HWANG HUH,

HYE WON HWANG ET WON KI HWANG et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Ottawa (Ontario), par conférence téléphonique

DATE DE L'AUDIENCE :                      Le 30 décembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         Monsieur le juge Beaudry

DATE DES MOTIFS :                               Le 31 décembre 2002

COMPARUTIONS :

Wennie Lee                                                                                        POUR LES DEMANDEURS

Mary Matthews                                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wennie Lee                                                                                        POUR LES DEMANDEURS

North York (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada             

Toronto (Ontario)

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