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Date : 20200124


Dossier : IMM-3270-19

Référence : 2020 CF 120

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

EMMANUEL KWADWO KYERE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, monsieur Emmanuel Kwadwo Kyere, est un citoyen du Ghana âgé de 39 ans. Il est arrivé au Canada à titre de résident permanent en mars 2008.

[2]  M. Kyere a été reconnu coupable d’agression sexuelle en juin 2017 et condamné à une peine d’emprisonnement de 20 mois (moins une courte période de détention présentencielle). Pendant que M. Kyere purgeait sa peine, une agente de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) lui a rendu visite. Plus tard, l’agente a préparé un rapport fondé sur le paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[3]  Ce rapport recommandait que M. Kyere soit déféré pour enquête devant la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SI] afin de déterminer s’il est interdit de territoire pour grande criminalité au titre de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Un représentant du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le représentant] a souscrit au rapport de l’agente le 14 février 2019 et a renvoyé l’affaire à la SI, sans droit d’appel.

[4]  M. Kyere demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision du représentant, au titre du paragraphe 72(1) de la LIPR. Il demande à la Cour de rendre une ordonnance annulant la décision de le déférer pour enquête, ordonnant à un agent d’accueillir sa demande contre un renvoi pour enquête, ou, à titre subsidiaire, une ordonnance de renvoi de l’affaire à l’ASFC à un autre agent pour un nouvel examen, conformément à la loi. La question est donc de savoir si cette mesure devrait être accordée.

[5]  Pour les raisons suivantes, la demande de contrôle judiciaire de M. Kyere est rejetée.

I.  Contexte

[6]  Lorsque l’agente a interrogé M. Kyere, elle a produit un formulaire [traduction« Rapport d’interdiction de territoire – formulaire des antécédents et renseignements personnels » [le FARP], qui comprenait, entre autres, un [traduction« Rapport d’interdiction de territoire – Questionnaire supplémentaire » [le questionnaire].

[7]  Lors de l’entrevue, l’agente a également remis à M. Kyere une lettre l’informant du but et des résultats possibles du FARP; elle l’a invité à présenter des observations. M. Kyere l’a informée de sa condamnation et des dates de son admissibilité à la libération conditionnelle. Ils ont discuté d’autres questions comme la famille et la résidence de M. Kyere.

[8]  M. Kyere a rempli le FARP et l’a retourné à l’agente au début de novembre 2017. En ce qui concerne les circonstances entourant la condamnation, M. Kyere a écrit ce qui suit dans le questionnaire :

[traduction

La victime et moi étions ensemble de 2011 à 2013, lorsque l’incident a eu lieu, nous avons vécu ensemble à Etobicoke en 2011 et nous avons déménagé à Burlington la même année, tout a changé en 2013, lorsque nous avons commencé à traverser des moments difficiles quand elle s’est sentie peu confiante à l’égard de certaines des femmes de l’église dont j’étais le pasteur à Toronto, nous nous sommes beaucoup disputés à ce sujet pendant un certain temps, jusqu’à ce que nous décidions de nous séparer et de travailler sur la relation à distance. En 2013, je lui ai rendu visite et j’ai rencontré un autre homme dans sa maison et je me suis disputé à ce sujet, ce qui a mené à l’incident pour lequel j’ai été accusé et condamné. J’étais chez elle, à Burlington, en juillet 2013, lorsqu’une voisine a appelé le 911 à cause des longues disputes que nous avions pendant la nuit. [Erreurs d’orthographe et de grammaire dans l’original]

[9]  Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait de la condamnation, M. Kyere a écrit ce qui suit :

[traduction

Je me sens vraiment très honteux et très embarrassé parce que je joue un rôle très important dans ma communauté en tant que pasteur et je me suis ouvert à mes quatre enfants qui me regardent comme un père et un modèle. Beaucoup de personnes ne peuvent toujours pas croire ce qui s’est passé parce que moi et la victime n’avons jamais partagé nos difficultés avec la communauté parce que les gens nous admiraient, particulièrement moi qui était le pasteur d’une église comprenant diverses nationalités. [Erreurs d’orthographe et de grammaire dans l’original]

[10]  Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il devait changer pour éviter tout autre démêlé avec la justice, M. Kyere a écrit : [traduction« Je dois simplement faire des choix justes et bons en tout temps et apprendre à lâcher prise ».

[11]  Enfin, lorsqu’on lui a demandé s’il était inscrit à un programme de réadaptation, il a déclaré qu’il avait [traduction« déjà terminé un programme en quatre sections sur les aptitudes à la vie quotidienne à l’égard des délinquants sexuels qui m’a été recommandé par mon avocat plaidant et [que] le juge m’a également ordonné de m’inscrire au programme sur les délinquants sexuels lors de ma libération » [erreurs d’orthographe et de grammaire dans l’original]. Plus tôt dans le FARP, M. Kyere a ajouté qu’il avait appris [traduction« beaucoup de choses sur la maîtrise de soi, la gestion de la colère et comment créer une relation saine » dans le cadre de ce counseling.

[12]  M. Kyere a peu mentionné l’agression sexuelle ou la victime dans le questionnaire. Il n’a pas indiqué avoir ressenti des remords, et n’a pas mentionné les effets sur la victime. Il n’a pas confirmé s’il y avait des plans de réadaptation, autres que le counseling déjà terminé.

[13]  Le 29 janvier 2019, l’agente a rempli son rapport à l’appui d’une recommandation d’enquête et l’a envoyé au représentant. M. Kyere n’a pas été interrogé ou n’a pas eu la possibilité de répondre aux préoccupations soulevées dans le rapport. Le 14 février 2019, le représentant a renvoyé le rapport à la SI pour qu’elle procède à une enquête.

II.  Affidavit non conforme

[14]  Le défendeur soulève une question préliminaire selon laquelle la pièce B de l’affidavit de M. Kyere est non conforme. Cette pièce contient divers certificats et lettres concernant les efforts de réadaptation de M. Kyere, ainsi que des documents sur sa libération conditionnelle.

[15]  Ces documents n’ont pas été déposés auprès de l’agente et du représentant, et, par conséquent, leur inclusion dans l’affidavit de M. Kyere n’est pas conforme. La pièce devrait être radiée du dossier dont est saisie la Cour en raison de Dayebga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 842, où la Cour a conclu ce qui suit concernant un affidavit non conforme et sa pièce :

[25]  Le demandeur a produit un affidavit dont la Commission ne disposait pas lorsqu’elle a rendu la décision dans la présente affaire. Je ne suis pas disposée à tenir compte de cet élément de preuve. Selon la jurisprudence de la Cour, le contrôle de la décision d’un tribunal doit se faire en fonction de la preuve dont le décideur disposait (voir Fabiano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 1260, [2005] ACF no 1510, aux paragraphes 22 à 25). Par conséquent, l’affidavit souscrit le 17 décembre 2012 ainsi que la pièce qu’il contenait sont radiés.

[16]  La pièce B de l’affidavit de M. Kyere daté du 21 juin 2019 est radiée.

III.  Analyse

[17]  Deux questions de fond requièrent l’attention de la Cour : (i) y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale; (ii) la décision de déférer M. Kyere pour enquête était-elle raisonnable?

A.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[18]  La décision de déférer un résident permanent pour enquête, en vertu de l’article 44 de la LIPR, doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Melendez c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 1363, au par. 11; Faci c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 693, au par. 17; Richter c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 806, au par. 9, conf. par 2009 CAF 73).

[19]  La Cour suprême du Canada a récemment révisé le cadre d’analyse applicable à la détermination de la norme de contrôle applicable à l’égard des décisions administratives sur le fond. Le point de départ est la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au par. 16 [Vavilov]).

[20]  Cette présomption peut être réfutée dans deux types de situations : la première est celle où le législateur a indiqué la norme de contrôle applicable; la deuxième, celle où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte (Vavilov, aux par. 17 et 23; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, au par. 27). Aucune des circonstances en l’espèce ne justifie de s’écarter de la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique.

[21]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable porte sur le processus décisionnel et ses issues. Cette norme commande à la Cour, lorsqu’elle examine une décision administrative, de s’attarder à la présence de motifs internes cohérents ainsi qu’à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité, et de déterminer si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision (Vavilov, aux par. 12, 86 et 99; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

[22]  Si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut pas y substituer l’issue qui serait à son avis préférable, tout comme il n’entre pas dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux par. 59 et 61 [Khosa]).

[23]  En cas d’allégation de manquement à l’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au par. 79; Khosa, au par. 43). La Cour doit déterminer si la démarche ayant mené à la décision faisant l’objet du contrôle était empreinte du degré d’équité requis, eu égard aux circonstances de l’affaire (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au par. 115).

[24]  Une question d’équité procédurale « n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier » (Moreau-Bérubé c Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, au par. 74). La Cour d’appel fédérale a récemment déclaré dans Chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 54, que, « même s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie, cet exercice de révision est [TRADUCTION] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée ».

B.  Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[25]  Selon M. Kyere, le fait que l’agente se soit appuyée sur des éléments de preuve extrinsèques – notamment le rapport de police, le mandat d’emprisonnement, des extraits de la transcription de l’audience et son FARP –, sans lui donner la possibilité de répondre, violait son droit à une audience équitable et constituait un affront à l’équité procédurale en général. Il affirme que l’agente, ou le représentant, aurait dû l’interroger et divulguer les éléments de preuve extrinsèques sur lesquels l’agente s’est fondée dans son rapport, ainsi que lui donner la possibilité de répondre.

[26]  Les arguments de M. Kyere sont erronés.

[27]  Le fait de renvoyer des affaires à la SI en vertu des paragraphes 44(1) et (2) de la LIPR n’entraîne l’application que de peu de droits participatifs en matière d’équité procédurale. Dans Sharma c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 319 [Sharma], le juge de Montigny a expliqué ce point :

[29] [...] je suis d’avis que l’obligation d’équité ne se situe manifestement pas à l’extrémité supérieure du continuum dans le contexte des décisions qui sont prises en application des paragraphes 44(1) et (2) de la Loi. Même en tenant pour acquis qu’un résident permanent a un degré quelque peu supérieur de droits de participation par rapport à un étranger parce que le fait de s’être établi davantage au Canada entraîne des conséquences plus sérieuses en cas de renvoi, je suis convaincu que le processus qui a été suivi en l’espèce satisfait aux exigences de l’équité procédurale. Avant que l’on décide d’établir un rapport, il y a eu un entretien avec l’appelant, et celui-ci a reçu une lettre décrivant la nature de la décision à prendre et on l’a informé qu’il n’aurait aucun droit d’appel si la SI prenait à son endroit une mesure de renvoi. On l’a également invité à présenter des observations écrites et des lettres d’appui, et il s’est prévalu de ces deux options. Les observations et les documents à l’appui qu’il a présentés ont été examinés par l’agente. Tout en gardant à l’esprit que les décisions de rédiger un rapport et de le renvoyer à la SI ne constituent pas une décision définitive quant au droit qu’a l’appelant de rester au Canada, comme cela a été le cas dans l’arrêt Baker, il n’y a aucun doute dans mon esprit que l’on a accordé à l’appelant le genre de droits de participation que justifient les décisions de cette nature.

[...]

[34] Il ressort de toutes les décisions pertinentes de la Cour fédérale qu’il est justifié d’accorder un degré relativement faible de droits de participation dans le contexte des paragraphes 44(1) et (2), et que l’équité procédurale n’exige pas que l’on communique le rapport de l’agent à la personne en cause pour lui donner une autre possibilité de répondre avant que l’affaire soit déférée à la SI en vertu du paragraphe 44(2). Dans la mesure où la personne est informée des faits qui ont déclenché le processus, a la possibilité de présenter des éléments de preuve et de faire des observations, obtient un entretien après qu’on lui a fait part de l’objet de cette mesure et des conséquences possibles, a la possibilité de demander l’assistance d’un avocat et reçoit un exemplaire du rapport avant la tenue de l’enquête, on satisfait aux exigences de l’obligation d’équité. [...]

[28]  En l’espèce, l’agente a interrogé M. Kyere, lui a remis une lettre l’informant de la nature de la décision prise, lui a donné le FARP et lui a fait part des conséquences de ses observations dans le questionnaire. Il s’agit essentiellement de la même procédure que celle qui a été approuvée dans l’arrêt Sharma. L’agente a clairement tenu compte des observations de M. Kyere. Rien dans le rapport de l’agente n’était inconnu de M. Kyere. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

[29]  Ni le rapport de l’agente ni la décision du représentant de renvoyer l’affaire à la SI ne constituent une décision finale quant au droit de M. Kyere de demeurer au Canada en tant que résident permanent. La jurisprudence de la Cour confirme qu’il n’existe habituellement aucune obligation d’interroger une personne visée par un rapport fondé sur le paragraphe 44(1) de la LIPR, pourvu que la personne visée ait la possibilité de présenter des observations et de connaître les arguments présentés contre elle. De plus, il n’existe aucune obligation de divulguer le rapport pour permettre à la personne d’avoir une autre possibilité d’y répondre avant un renvoi en vertu du paragraphe 44(2) (Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, au par. 72 [Hernandez]; Hernandez c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 725, au par. 22; Lee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 158, au par. 31).

C.  La décision de renvoi était-elle raisonnable?

[30]  M. Kyere nie que l’agente l’ait interrogé. À son avis, l’agente a qualifié à tort leur brève rencontre de cinq à dix minutes comme une [traduction« entrevue », ce qui a mené à une conclusion déraisonnable dans la décision de le déférer à la SI pour enquête. M. Kyere laisse entendre qu’une [traduction« entrevue » ne peut pas avoir lieu dans ce court délai. Cet argument n’est pas fondé.

[31]  M. Kyere ne nie pas avoir rencontré l’agente; il ne nie pas non plus la description qu’elle a faite dans le rapport selon laquelle il [traduction« s’est montré coopératif pendant l’entrevue », et il a réitéré à l’agente son souhait de demeurer au Canada. Est-ce important de savoir s’il y a eu une [traduction« entrevue » ou une [traduction« brève rencontre »? Cela n’a aucun effet sur le caractère raisonnable du rapport de l’agente ou sur la décision du représentant de renvoyer le rapport à la SI.

[32]  Selon M. Kyere, l’agente a essentiellement mal évalué les éléments de preuve quant à sa réadaptation. Selon M. Kyere, l’agente a mal indiqué le moment du counseling. Il affirme que l’agente a conclu de façon déraisonnable que le counseling n’avait pas été fructueux.

[33]  Pour déterminer la possibilité de réadaptation de M. Kyere, il était loisible à l’agente de mentionner le counseling de M. Kyere et sa déclaration à un agent de classification du Complexe correctionnel de Maplehurst selon laquelle il n’avait pas besoin d’être envoyé dans un centre de traitement pour suivre un programme intensif. L’agente a expressément qualifié sa déclaration selon laquelle [traduction« la réadaptation qu’il a suivie avant son emprisonnement n’a pas été fructueuse, puisqu’il a dit à un agent de classification de Maplehurst, un mois seulement après le counseling, qu’il était innocent ». Contrairement à ce que prétend M. Kyere, cette déclaration est conforme au calendrier factuel des événements et constitue une conclusion tout à fait raisonnable à tirer. Il était tout aussi raisonnable pour l’agente d’examiner ce dernier counseling dans le contexte des réponses fournies dans son questionnaire et de conclure que M. Kyere a démontré un manque de remords envers la victime.

[34]  M. Kyere affirme que l’agente s’est fondée à tort sur le rapport de police et les accusations qui ont été rejetées. À son avis, le fait que l’agente se soit fondée sur des accusations ou des chefs d’accusation qui ont été rejetés par le tribunal équivaut à une erreur flagrante, qui commande l’annulation de la décision subséquente de renvoyer l’affaire.

[35]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il était loisible à l’agente de se fonder sur le rapport de police et de le consulter. Malgré les efforts déployés par M. Kyere pour faire valoir le contraire, le rapport de l’agente mentionnait à juste titre les accusations – des accusations, et non pas des condamnations. Le fait que les accusations ont été rejetées ne fait pas en sorte que leur mention dans le rapport de l’agente constitue une [traduction« erreur flagrante ». Ailleurs dans le rapport, l’agente a déclaré, explicitement et à juste titre, que les accusations avaient été rejetées.

[36]  La décision visée par le présent contrôle n’est pas le rapport de l’agent, mais plutôt la décision du représentant de renvoyer le rapport à la SI. Le représentant a été informé dans le rapport de l’agente que les accusations avaient été rejetées. À mon avis, le représentant a pris une décision raisonnable de renvoyer l’affaire à la SI en se fondant sur une description exacte du casier judiciaire de M. Kyere, telle qu’énoncée dans le rapport de l’agente.

[37]  Enfin, M. Kyere affirme que l’agente a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité lorsqu’elle a contesté ses affirmations selon lesquelles il était [traduction« très honteux et très embarrassé » par ses actions et qu’il avait [traduction« beaucoup appris sur la maîtrise de soi, la gestion de la colère et comment créer une relation saine ». Cet argument n’est pas fondé.

[38]  L’agente n’a pas [traduction« contesté » la déclaration de M. Kyere selon laquelle il avait honte et était embarrassé. Elle l’a simplement reconnu. L’agente a également reconnu la déclaration de M. Kyere selon laquelle il avait [traduction« beaucoup appris sur la maîtrise de soi, la gestion de la colère et comment créer une relation saine ». Elle n’a pas nié que M. Kyere avait appris ces choses.

[39]  Il n’y a aucune contradiction entre l’apprentissage de la maîtrise de soi, de la gestion de la colère et des outils en matière de relations, et l’absence de remords. On peut apprendre ces choses, tout en continuant de n’avoir aucuns remords. De plus, la honte et l’embarras ne sont pas synonymes de remords. Il est tout à fait possible que M. Kyere ait participé à des séances de counseling, appris des leçons, et éprouvé de la honte et de la gêne, tout en manquant de remords et en montrant une faible possibilité de réadaptation.

D.  Une question devrait-elle être certifiée?

[40]  À l’issue de l’audition de la présente affaire, la Cour a demandé si l’une ou l’autre des parties souhaitait proposer une question à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. L’avocat de M. Kyere a indiqué qu’il souhaitait le faire. J’ai rappelé à l’avocat la directive sur la pratique concernant les questions certifiées contenues dans les Lignes directrices sur la pratique dans les instances intéressant la citoyenneté, l’immigration et les réfugiés (le 5 novembre 2018). Voici le passage pertinent de cette directive :

[...] On s’attend à ce que les parties formulent des observations écrites au sujet de l’alinéa 74a) dans leurs observations écrites ou oralement à l’audience sur le fond. Si une partie entend proposer une question à certifier, la partie opposée doit en être informée au moins cinq (5) jours avant l’audience, dans le but de s’entendre sur le libellé de la question proposée.

[41]  Après discussion, j’ai accordé deux jours à l’avocat de M. Kyere pour présenter de brèves observations écrites sur la question proposée; deux jours, après la réception de la question proposée, ont été accordés à l’avocate du défendeur pour fournir de brèves observations écrites en réponse.

[42]  M. Kyere propose deux questions à des fins de certification :

[traduction

Question 1. Compte tenu de la décision rendue par la Cour suprême dans Baker c Canada (MCI), [1999] 2 RCS 817, un agent d’immigration qui évalue l’interdiction de territoire d’un résident permanent en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, ou un représentant du ministre qui décide de renvoyer une affaire à la Section de l’immigration en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR, a-t-il plus qu’une obligation minimale d’équité envers le résident permanent?

Question 2. L’agent d’immigration qui évalue l’interdiction de territoire d’un résident permanent au titre du paragraphe 44(1) de la LIPR, ou le représentant du ministre qui décide de renvoyer une affaire à la Section de l’immigration en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR, a-t-il l’obligation de tenir une audience lorsqu’une question de crédibilité se pose?

[43]  Selon M. Kyere, ces questions sont des questions graves de portée générale qui soulèvent des questions qui transcendent son intérêt dans la présente affaire. À son avis, chacune des questions serait déterminante pour trancher l’affaire, et ni la Cour d’appel ni la Cour suprême n’ont déjà tranché l’une de ces questions.

[44]  Le défendeur affirme que la Cour ne devrait pas certifier les questions proposées. Selon le défendeur, la Cour d’appel fédérale a déjà, dans l’arrêt Sharma, examiné et tranché la question quant au degré d’équité procédurale auquel a droit un résident permanent dans le contexte des paragraphes 44(1) et (2) de la LIPR.

[45]  Selon le défendeur, le représentant d’un ministre n’est pas tenu d’interroger une personne visée par un rapport fondé sur le paragraphe 44(1), dans la mesure où cette personne connaît les arguments présentés contre elle et où elle a eu la possibilité de présenter des observations. À son avis, aucune des questions proposées à des fins de certification ne satisfait au critère établi pour la certification, car elles ne transcendent pas les intérêts des parties et ne concernent pas des questions de portée ou d’application générale.

[46]  Enfin, le défendeur affirme que les questions proposées ne sont pas déterminantes pour trancher la présente demande.

[47]  Dans Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, la Cour d’appel fédérale a réitéré le critère applicable à la certification d’une question en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR :

[46] La Cour a récemment réitéré, dans l’arrêt Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2017 CAF 130, au paragraphe 36, les critères de certification. La question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. Cela signifie que la question doit avoir été examinée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle-même, et non simplement de la façon dont la Cour fédérale a statué sur la demande. Un point qui n’a pas à être tranché ne peut soulever une question dûment certifiée (arrêt Lai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, 29 Imm. L.R. (4th) 211, au paragraphe 10). Il en est de même pour une question qui est de la nature d’un renvoi ou dont la réponse dépend des faits qui sont uniques à l’affaire (arrêt Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, 485 N.R. 186, aux paragraphes 15 et 35).

[48]  Les questions proposées par M. Kyere ne devraient pas être certifiées parce qu’elles ne sont pas déterminantes, ne transcendent pas les intérêts des parties et ne soulèvent aucune question de portée générale. La jurisprudence a déjà établi le degré d’équité procédurale auquel a droit un résident permanent dans le contexte des paragraphes 44(1) et (2) de la LIPR, tel qu’examiné et déterminé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sharma (au par. 29).

[49]  Le faible degré d’équité procédurale peut être atteint en donnant au résident permanent visé la possibilité de présenter des observations (orales ou écrites) et en fournissant une copie du rapport fondé sur le paragraphe 44(1) afin que des observations pertinentes puissent être présentées (Apolinario c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 1287, au par, 30).

[50]  Il n’est pas non plus nécessaire qu’une personne visée par un rapport fondé sur le paragraphe 44(1) soit interrogée, dans la mesure où cette personne connaît les arguments présentés contre elle et qu’elle a eu la possibilité de présenter des observations (Hernandez, au par. 72).

IV.  Conclusion

[51]  En l’espèce, la décision de renvoyer l’affaire est cohérente, transparente et intelligible en soi. Il est donc justifié, eu égard aux contraintes factuelles et juridiques pertinentes, de rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. Kyere.

[52]  Aucune question de portée générale n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3270-19

LA COUR STATUE que : la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de mars 2020.

Claude Leclerc, traducteur



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