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Date : 20200204


Dossier : IMM‑466‑19

Référence : 2020 CF 194

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 février 2020

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

OLUFUNKE ADUKE OGUNSEITAN ET

WAHEED OBAFEMI OLOPADE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], d’une décision datée du 14 décembre 2018 [la décision contestée] par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la SAI] a fait droit à l’appel des défendeurs concernant la décision d’un agent d’immigration de refuser leur demande de parrainage.

II.  LE CONTEXTE

[2]  Les défendeurs sont des citoyens du Nigéria. Mme Ogunseitan est arrivée au Canada en 2003 et a demandé l’asile sur le fondement de son orientation sexuelle, car elle s’identifiait en tant que lesbienne. Dans sa demande d’asile, elle a déclaré qu’elle n’avait jamais été mariée, que les hommes ne l’avaient jamais intéressée et qu’elle fuyait le Nigéria parce que sa famille la forçait à se marier avec un homme, après avoir découvert son orientation sexuelle. Sa demande d’asile a fini par être refusée, car le décideur a conclu que les allégations de mariage forcé faites par la défenderesse n’étaient pas crédibles, même s’il croyait qu’elle était une lesbienne.

[3]  Le 17 mai 2004, Mme Ogunseitan a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, puis elle a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi en novembre 2010. Dans ces demandes, elle a déclaré encore une fois qu’elle n’avait jamais été mariée et a précisé qu’elle craignait d’être persécutée au Nigéria en tant que lesbienne. En mai 2012, sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été approuvée, et elle est devenue résidente permanente du Canada le 9 janvier 2013.

[4]  Toutefois, avant de se voir octroyer la résidence permanente, Mme Ogunseitan a été présentée à M. Olopade par un ami commun, en 2011. Le témoignage de Mme Ogunseitan révèle que sa relation avec M. Olopade était purement platonique au départ, mais qu’elle a fini par se transformer en relation amoureuse en avril 2013, peu après que Mme Ogunseitan est devenue résidente permanente du Canada. Les défendeurs se sont mariés le 14 juin 2014.

[5]  Le 2 février 2015, Mme Ogunseitan a présenté une demande dans le but de parrainer M. Olopade et ses enfants à charge aux fins de la résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial. Dans cette demande, Mme Ogunseitan a de nouveau déclaré qu’elle n’avait jamais été mariée.

[6]  Après avoir examiné la demande de parrainage des défendeurs, l’agent d’immigration s’est dit préoccupé par l’authenticité du mariage et le statut juridique de l’un des enfants de M. Olopade, que ce dernier avait déclaré avoir adopté légalement. En septembre 2015, une lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée par courriel à M. Olopade pour lui demander d’autres renseignements et documents, y compris l’ordonnance d’adoption de l’enfant qui aurait été adopté, ainsi que le certificat de décès de la Commission nationale de la population (National Population Commission ou NPC) de son épouse précédente, dont le décès avait été mentionné dans la demande de parrainage. Les défendeurs n’ont pas répondu à la lettre relative à l’équité procédurale.

[7]  Le 4 mai 2016, l’agent d’immigration a retiré la prétendue fille adoptive de M. Olopade de la demande de parrainage parce qu’elle avait été considérée comme un membre de la famille inadmissible. L’agent d’immigration a par la suite refusé la demande des défendeurs au titre du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR], au motif qu’ils n’avaient pas établi que leur mariage était authentique.

[8]  L’agent d’immigration a souligné les éléments suivants dans sa décision de refus :

  1. le défaut des défendeurs de répondre à la lettre relative à l’équité procédurale;

  2. le certificat de décès inhabituel et peu fiable fourni à l’égard de l’ancienne épouse de M. Olopade;

  3. le fait que les défendeurs ont passé peu de temps ensemble et les éléments de preuve limités concernant toute communication entre eux;

  4. le fait que Mme Ogunseitan est devenue une résidente permanente du Canada parce qu’elle craignait de retourner au Nigéria, mais qu’elle y est retournée à de multiples occasions pour rendre visite à M. Olopade après qu’elle a obtenu sa résidence permanente au Canada;

  5. le défaut des défendeurs de faire suffisamment la preuve du fait qu’ils vivraient ensemble dans une relation conjugale si la demande était accueillie.

[9]  Les défendeurs ont interjeté appel devant la SAI de la décision de l’agent d’immigration et fourni un certificat de décès concernant l’ancienne épouse de M. Olopade, que la NPC a délivré en se fondant uniquement sur l’affidavit de ce dernier.

[10]  Il a par ailleurs été découvert que Mme Ogunseitan avait été légalement mariée, de novembre 1996 à février 2014, à M. Olusola Michael Balogun, un ancien citoyen du Nigéria qui a réussi à obtenir l’asile au Canada en 2005, du fait qu’il était lui aussi homosexuel. Le mariage précédent de Mme Ogunseitan a été découvert quand son ex‑époux a présenté leur certificat de divorce dans le cadre d’une demande visant à parrainer une Nigériane qu’il avait épousée en 2015.

[11]  La SAI a instruit l’appel des défendeurs le 7 septembre 2018. À l’audience, le demandeur a fait ajouter une fausse déclaration au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR comme autre motif de refus.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[12]  Le 14 décembre 2018, la SAI a fait droit à l’appel des défendeurs. Elle a conclu que ces derniers avaient été en mesure de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que leur mariage était « authentique et qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège » sous le régime de la LIPR. Ainsi, M. Olopade a été reconnu en tant que membre valide de la catégorie du regroupement familial, et la décision de l’agent d’immigration de refuser leur demande de parrainage a été annulée.

A.  Les fausses déclarations faites par Mme Ogunseitan

[13]  La SAI a analysé les fausses déclarations faites par Mme Ogunseitan dans sa demande de résidence permanente concernant ses antécédents matrimoniaux afin d’établir si elles risquaient d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR, dans le contexte de la demande de parrainage en cause. Plus précisément, la SAI s’est demandé si les fausses déclarations avaient « irréparablement entaché » la crédibilité de Mme Ogunseitan, de même que celle des éléments de preuve présentés aux fins de cette demande, et si, par conséquent, elles rendaient les défendeurs interdits de territoire au titre de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[14]  Même si la SAI a souligné que les fausses déclarations faites précédemment par Mme Ogunseitan soulevaient de graves préoccupations concernant la crédibilité de cette dernière, elle a conclu que les défendeurs étaient crédibles. Cette conclusion était attribuable en grande partie aux témoignages clairs et convaincants qu’ils ont présentés devant la SAI.

[15]  La SAI a déclaré que la question à trancher concernait la demande de parrainage actuelle. Par conséquent, les « fausses déclarations faites […] dans le passé […] ne peuvent entraîner à elles seules un rejet ». Comme 15 années se sont écoulées depuis l’arrivée de Mme Ogunseitan au Canada, la SAI a conclu qu’elle ne pouvait pas supposer que les défendeurs mentaient en ce qui a trait à leur demande actuelle simplement à cause des fausses déclarations précédentes de Mme Ogunseitan.

[16]  La SAI a souligné qu’elle demeurait sceptique quant à certains éléments du témoignage de Mme Ogunseitan et à son explication concernant les fausses déclarations. Toutefois, elle a décidé que les fausses déclarations n’entachaient pas irréparablement la crédibilité générale de Mme Ogunseitan ni les éléments de preuve les plus pertinents pour établir l’authenticité du mariage en l’espèce. La SAI a également souligné que les fausses déclarations devaient être analysées conformément aux lignes directrices et aux directives sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre [OSIGEG], qui reconnaissent les diverses expressions et l’évolution de l’identité sexuelle d’une personne.

[17]  Pour ces motifs, la SAI a conclu que toute fausse déclaration faite par Mme Ogunseitan concernant ses antécédents matrimoniaux n’a entraîné aucune erreur dans l’application de la LIPR. Cela s’explique par le fait que l’agent d’immigration s’est concentré principalement sur les motifs de M. Olopade et sur l’authenticité du mariage des défendeurs plutôt que sur les relations antérieures de Mme Ogunseitan. La SAI admet que l’agent d’immigration aurait sûrement posé des questions, mais elle a conclu qu’il était peu probable que le premier mariage de Mme Ogunseitan ait eu une incidence sur la demande de parrainage en cause. Ainsi, elle a conclu que la demande de parrainage ne devrait pas être rejetée en raison d’une interdiction de territoire pour fausses déclarations au titre de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

B.  L’authenticité du mariage

[18]  La SAI s’est ensuite demandé si M. Olopade était un époux aux fins de la demande de parrainage, au sens du paragraphe 4(1) du RIPR. Comme elle avait conclu que le témoignage des défendeurs était crédible, la SAI a jugé que les préoccupations de l’agent d’immigration n’étaient pas fondées. Premièrement, la SAI a souligné qu’il était plus probable que le contraire que les défendeurs n’aient pas reçu la lettre relative à l’équité procédurale, car « [i]l était évident à l’audience [que Mme Ogunseitan] avait à cœur de poursuivre l’appel » et qu’il était donc peu probable qu’elle ait omis de fournir des renseignements qui l’aideraient à atteindre son objectif.

[19]  Deuxièmement, la SAI a conclu que les notes de l’agent d’immigration contenaient des incohérences au sujet de l’ancienne épouse de M. Olopade. Elle a déclaré que ses notes énonçaient d’abord que l’ancienne épouse de M. Olopade était décédée et que le certificat de décès de cette dernière avait été versé au dossier, mais qu’ensuite elles mettaient en doute le décès. Eu égard à cette contradiction, la SAI s’est dite convaincue que l’ancienne épouse de M. Olopade était décédée et que le mariage des défendeurs était valide sur le plan juridique.

[20]  Troisièmement, la SAI a conclu que les défendeurs ont passé suffisamment de temps ensemble et qu’ils ont fourni des éléments de preuve satisfaisants concernant leurs communications mutuelles, qui montrent l’authenticité de leur mariage. La SAI a souligné les visites annuelles au Nigéria effectuées par Mme Ogunseitan dans le but de passer du temps auprès de M. Olopade et de ses enfants, depuis 2014, ainsi que les éléments de preuve concernant des communications par voie électronique entre les défendeurs, de mars à septembre 2018. La SAI a également souligné que les défendeurs auraient pu montrer des communications semblables sur une période plus longue, si les éléments de preuve documentaire recueillis aux fins du dossier n’avaient pas été perdus, sans faute de la part des défendeurs.

[21]  Quatrièmement, la SAI était d’avis que les éléments de preuve appuyaient la position selon laquelle les défendeurs vivraient probablement ensemble dans une relation conjugale si la demande était accueillie. La SAI fait mention des témoignages des défendeurs concernant les enfants de M. Olopade et leur besoin d’une figure maternelle, ainsi que des photographies des défendeurs durant des rassemblements familiaux.

[22]  Pour ces motifs, la SAI a reconnu l’authenticité du mariage des défendeurs et, par conséquent, a conclu que M. Olopade faisait partie de la catégorie du regroupement familial.

IV.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[23]  En l’espèce, les questions en litige sont les suivantes :

  1. La SAI a-t‑elle commis une erreur en appliquant le critère juridique relatif aux fausses déclarations au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR?

  2. La SAI a‑t‑elle commis une erreur en ne concluant pas que les défendeurs sont interdits de territoire au titre de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR?

  3. La SAI a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le mariage des défendeurs est authentique, aux termes du paragraphe 4(1) du RIPR?

V.  LA NORME DE CONTRÔLE

[24]  La présente demande a été débattue avant que la Cour suprême ne rende ses arrêts récents Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66. Le jugement de la Cour en l’espèce a été mis en délibéré. Les observations des parties sur la norme de contrôle ont donc été présentées en fonction du cadre d’analyse de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. Toutefois, compte tenu des circonstances en l’espèce et des directives données par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 144, la Cour a conclu qu’il était nécessaire de demander aux parties de formuler des observations supplémentaires sur la norme de contrôle. J’ai appliqué le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov à mon examen de la demande. Même si le cadre a changé la norme applicable à mon examen de la question de savoir si la SAI a commis une erreur en appliquant le critère relatif aux fausses déclarations au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, ma conclusion reste la même.

[25]  Aux paragraphes 23 à 32 de l’arrêt Vavilov, la majorité des juges a cherché à simplifier la façon dont les tribunaux choisissent la norme de contrôle applicable aux questions dont ils sont saisis. Elle a rejeté l’approche contextuelle et catégorique adoptée dans l’arrêt Dunsmuir en faveur d’une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique. Toutefois, la majorité a souligné que cette présomption peut être réfutée : 1) lorsque le législateur prescrit clairement une autre norme de contrôle (Vavilov, aux par. 33 à 52) et 2) dans les cas où la primauté du droit exige l’application de la norme de la décision correcte, par exemple à l’égard des questions constitutionnelles, des questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et des questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, aux par. 53 à 64).

[26]  Avant l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada, le demandeur a fait valoir que la norme de contrôle applicable pour établir si la SAI a commis une erreur en appliquant le critère juridique relatif aux fausses déclarations au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR était celle de la décision correcte, et il a cité la décision Musabyimana c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 50, au par. 22 [Musabyimana]. Le demandeur et les défendeurs semblaient également s’entendre sur le fait que la norme de la décision raisonnable s’appliquait à l’examen de l’analyse par la SAI des fausses déclarations au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR faites par Mme Ogunseitan, ainsi que de son analyse concernant le mariage des défendeurs au titre du paragraphe 4(1) du RIPR.

[27]  Le 16 janvier 2020, les parties ont été appelées à formuler des observations écrites sur la norme de contrôle applicable à la lumière de l’arrêt Vavilov. Les deux parties ont soutenu que la norme de la décision raisonnable s’applique maintenant à l’examen par la Cour de toutes les questions en litige en l’espèce. Plus particulièrement, le demandeur a affirmé que la Cour devrait se pencher sur l’application par la SAI du critère juridique relatif aux fausses déclarations non plus selon la norme de la décision correcte, mais plutôt selon la norme de la décision raisonnable, sauf si la Cour est d’avis qu’il s’agit d’une question « d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble ». Néanmoins, le demandeur a soutenu que, dans un cas comme dans l’autre, la demande devrait être accueillie.

[28]  Je suis d’accord avec les deux parties sur le fait que la norme de la décision raisonnable devrait être appliquée à mon examen de toutes les questions en litige en l’espèce, car rien ne réfute la présomption d’application de cette norme.

[29]  Dans le passé, les tribunaux ont souvent estimé que la norme de la décision correcte s’appliquait aux questions de savoir si un décideur avait appliqué le bon critère juridique. Voir, par exemple, la décision Musabyimana, au par. 22. Toutefois, en conséquence de l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada, l’application d’un critère juridique par un décideur ne fait plus partie des exceptions à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable, sauf si la question juridique présente une dimension constitutionnelle ou qu’elle revêt une portée générale ou une « importance capitale pour le système juridique dans son ensemble ». Toutefois, la clarté du libellé d’un régime législatif applicable et l’importance de l’arsenal jurisprudentiel établissant un certain critère juridique applicable imposeront des contraintes rigoureuses au pouvoir discrétionnaire d’un décideur, et le fait de s’en écarter serait généralement considéré comme déraisonnable, faute de motifs explicites et convaincants. Voir l’arrêt Vavilov, aux par. 105 à 114 et 129 à 132, notamment le paragraphe 111 :

[111]  Il coule de source que le droit — tant la loi que la common law — limitera l’éventail des options qui s’offrent légalement au décideur administratif chargé de trancher un cas particulier : voir Dunsmuir, par. 47 et 74. Par exemple, le décideur administratif qui interprète la portée de son pouvoir de réglementation dans le but de l’exercer ne peut retenir une interprétation incompatible avec les principes de common law applicables en ce qui concerne la nature des pouvoirs législatifs : voir Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810, par. 45‑48. Un organisme chargé par la loi d’évaluer un taux d’imposition applicable conformément à un régime fiscal existant en particulier ne peut non plus faire fi de ce régime ni baser ses calculs sur un système « fictif » qu’il a créé arbitrairement : Montréal (Ville), par. 40. Lorsqu’une relation est régie par le droit privé, il serait déraisonnable de la part du décideur de faire abstraction de ce fait lorsqu’il se prononce sur les droits des parties dans le cadre de cette relation : Dunsmuir, par. 74. De la même manière, lorsque la loi habilitante prévoit l’application d’une norme bien connue en droit et dans la jurisprudence, une décision raisonnable sera généralement conforme à l’acception consacrée de cette norme : voir, p. ex., l’analyse des « motifs raisonnables de soupçonner » dans l’arrêt Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Farwaha, 2014 CAF 56, [2015] 2 R.C.F. 1006, par. 93‑98.

[30]  En ce qui concerne l’examen par la Cour des questions restantes, l’application de la norme de la décision raisonnable à ces questions correspond également à la jurisprudence antérieure à l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada. Voir, par exemple, les décisions Pretashi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1105, au par. 26, et Basanti c  Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1068, au par. 13.

[31]  Au moment d’examiner une décision en fonction de la norme de la décision raisonnable, l’analyse consiste à déterminer si la décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au par. 99). La raisonnabilité est une norme unique qui varie et « qui s’adapte au contexte » (Vavilov, au par. 89, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 59). Ces contraintes d’ordre contextuel « cernent les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solutions qu’il peut retenir » (Vavilov, au par. 90). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si « [la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100). La Cour suprême du Canada mentionne deux types de lacunes fondamentales qui rendent une décision déraisonnable : 1) le manque de logique interne du raisonnement du décideur; et 2) le caractère indéfendable d’une décision « compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur [celle‑ci] » (Vavilov, au par. 101).

VI.  LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[32]  Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes pour la présente demande de contrôle judiciaire :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40(1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40(1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

b) être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations;

(b) for being or having been sponsored by a person who is determined to be inadmissible for misrepresentation;

c) l’annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d’asile ou de protection;

(c) on a final determination to vacate a decision to allow their claim for refugee protection or application for protection; or

d) la perte de la citoyenneté :

(d) on ceasing to be a citizen under

(i) soit au titre de l’alinéa 10(1) a) de la Loi sur la citoyenneté, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 8 de la Loi renforçant la citoyenneté canadienne, dans le cas visé au paragraphe 10(2) de la Loi sur la citoyenneté, dans sa version antérieure à cette entrée en vigueur,

(i) paragraph 10(1)(a) of the Citizenship Act, as it read immediately before the coming into force of section 8 of the Strengthening Canadian Citizenship Act, in the circumstances set out in subsection 10(2) of the Citizenship Act, as it read immediately before that coming into force,

(ii) soit au titre du paragraphe 10(1) de la Loi sur la citoyenneté, dans le cas visé à l’article 10.2 de cette loi,

(ii) subsection 10(1) of the Citizenship Act, in the circumstances set out in section 10.2 of that Act, or

(iii) soit au titre du paragraphe 10.1(3) de la Loi sur la citoyenneté, dans le cas visé à l’article 10.2 de cette loi.

(iii) subsection 10.1(3) of the Citizenship Act, in the circumstances set out in section 10.2 of that Act.

[33]  Les dispositions suivantes du RIPR sont pertinentes pour la présente demande de contrôle judiciaire :

Mauvaise foi

Bad faith

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

b) n’est pas authentique.

(b) is not genuine.

VII.  LES ARGUMENTS DES PARTIES

A.  Les arguments du demandeur

[34]  Le demandeur fait valoir que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie pour les raisons suivantes : 1) la SAI n’a pas appliqué le bon critère juridique au moment d’analyser l’interdiction de territoire pour fausses déclarations prévue au paragraphe 40(1) de la LIPR; 2) l’analyse par la SAI des fausses déclarations en cause était déraisonnable; et 3) l’analyse par la SAI de l’authenticité du mariage des défendeurs était déraisonnable.

(1)  L’application du critère juridique relatif aux fausses déclarations

[35]  Le demandeur affirme que la SAI n’a appliqué que la moitié du critère exigé par le paragraphe 40(1) de la LIPR lorsqu’elle a analysé l’interdiction de territoire pour fausses déclarations. Selon lui, le paragraphe 40(1) de la LIPR oblige le décideur à évaluer si la fausse déclaration a entraîné ou risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Cette interprétation est confirmée dans la décision Geng c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 1155, au par. 33 [Geng]. Or, le demandeur souligne qu’en l’espèce la SAI n’a concentré son analyse que sur la question de savoir si les fausses déclarations avaient entraîné une erreur dans l’application de la LIPR et qu’elle n’a pas cherché à savoir si elles risquaient d’en entraîner une.

[36]  Même si le demandeur admet que la SAI a exposé le bon critère juridique au début du paragraphe 13 de sa décision, dans le cadre de son analyse, elle a seulement vérifié si les fausses déclarations avaient entraîné une erreur. Le demandeur souligne plus précisément le paragraphe 28 de la décision contestée, où la SAI déclare qu’elle n’était « pas convaincue que le manque de franchise de l’appelante dans la présente demande de parrainage au sujet de son mariage antérieur ou de ses relations lesbiennes passées a entraîné une erreur dans l’application » de la LIPR, tout en admettant qu’il « est impossible d’affirmer qu’aucune question n’aurait été posée » si les relations antérieures de Mme Ogunseitan avaient été communiquées comme il se doit.

[37]  Aux yeux du demandeur, la déclaration de la SAI selon laquelle des questions auraient été posées si les fausses déclarations n’avaient pas été faites montre que la SAI n’a pas évalué si les fausses déclarations risquaient d’entraîner une erreur. La Cour a affirmé clairement que, dans les cas où les fausses déclarations en question rendent une erreur possible ou auraient provoqué d’autres enquêtes, les motifs sont suffisants pour justifier une interdiction de territoire pour fausses déclarations (Geng, précité, au par. 33, et Li c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 87, aux par. 13 à 18 [Li]).

[38]  Ainsi, comme la SAI n’a pas appliqué le bon critère juridique en matière d’interdiction de territoire pour fausses déclarations au sens de l’article 40 de la LIPR, le demandeur fait valoir que cette erreur justifie à elle seule que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

(2)  Le caractère raisonnable de l’analyse des fausses déclarations

[39]  Le demandeur fait également valoir que l’analyse par la SAI des fausses déclarations faites par Mme Ogunseitan était déraisonnable parce que la SAI a limité la portée de son analyse à la demande de parrainage actuelle et qu’elle n’a pas, de toute façon, mis les fausses déclarations dans leur contexte, comme il se doit, au moment d’établir leur caractère substantiel par rapport à la demande actuelle.

[40]  Le demandeur souligne que le caractère substantiel d’une fausse déclaration ne se limite pas à un moment donné particulier du processus de demande et doit être examiné dans le contexte du moment de la présentation erronée sur un fait (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 401, au par. 77 [Patel]; Kazzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 153, au par. 38 [Kazzi]).

[41]  En l’espèce, le demandeur soutient que la SAI était tenue d’évaluer si les fausses déclarations risquaient d’entraîner une erreur dans la décision concernant la demande de résidence permanente de Mme Ogunseitan, qui a été accordée pour des motifs d’ordre humanitaire en grande partie parce que cette dernière craignait de retourner au Nigéria en tant que lesbienne. Le fait que Mme Ogunseitan était encore mariée à un homme au moment de sa demande de résidence permanente contredit directement les éléments de preuve produits, selon lesquels elle était une lesbienne qui n’avait jamais été mariée ou que les hommes n’avaient jamais intéressée. Le demandeur fait valoir que cette analyse étroite de l’interdiction de territoire pour fausses déclarations est déraisonnable.

[42]  De plus, le demandeur affirme que, même si l’analyse des fausses déclarations est acceptée, malgré sa portée étroite, la SAI a déraisonnablement omis de tenir compte du caractère substantiel des fausses déclarations antérieures par rapport à la demande de parrainage actuelle. Il fait valoir qu’il était déraisonnable pour la SAI de faire fi du fait que les fausses déclarations étaient suffisamment importantes pour influer sur le processus dans son ensemble; Mme Ogunseitan n’aurait pas pu parrainer M. Olopade si elle n’avait pas obtenu son statut de résidente permanente. La Cour a déclaré qu’il n’est pas nécessaire qu’une fausse déclaration soit déterminante pour qu’elle soit substantielle (Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, au par. 28). Par conséquent, puisqu’il est encore probable que l’information non divulguée aurait donné lieu à d’autres enquêtes ou questions, les fausses déclarations étaient substantielles en l’espèce.

[43]  Le demandeur fait également valoir qu’il était déraisonnable pour la SAI de décider si les fausses déclarations avaient entraîné une erreur dans l’application de la LIPR en se contentant de consulter les notes de l’agent d’immigration, puisque ce dernier n’était pas au courant de l’information non divulguée par Mme Ogunseitan.

(3)  L’authenticité du mariage des défendeurs

[44]  Enfin, le demandeur affirme que la SAI a évalué déraisonnablement l’authenticité du mariage des défendeurs en commettant les erreurs suivantes : 1) en concluant que les notes de l’agent d’immigration contenaient une contradiction quant au certificat de décès de l’ancienne épouse de M. Olopade; 2) en accordant de la valeur au certificat de décès de la NPC fourni par M. Olopade sans aborder les préoccupations du demandeur; et 3) en concluant que les défendeurs n’avaient pas reçu la lettre relative à l’équité procédurale.

[45]  Le demandeur affirme qu’un examen attentif des éléments de preuve montre qu’il n’existe aucune contradiction dans les notes de l’agent d’immigration. Ce dernier a d’abord mentionné qu’il avait reçu un certificat de décès des défendeurs et, par la suite, qu’il avait envoyé une lettre relative à l’équité procédurale demandant précisément un certificat de décès de la NPC. Enfin, il a conclu que le certificat de décès fourni au départ n’était [traduction] « pas un certificat de décès habituel ni un certificat délivré par l’État ». Le demandeur fait valoir que les notes montrent l’évolution des préoccupations de l’agent d’immigration concernant la crédibilité du certificat de décès, plutôt qu’une incohérence.

[46]  Le demandeur indique également qu’il était déraisonnable pour la SAI d’accorder de la valeur au certificat de décès de la NPC sans aborder les préoccupations du demandeur concernant l’authenticité de ce certificat. En l’espèce, ces préoccupations découlaient du fait que le certificat de décès en question avait été délivré peu après le refus de la demande, qu’il était fondé uniquement sur l’affidavit de M. Olopade et qu’il est facile d’obtenir des renseignements non authentiques au Nigéria. Par conséquent, le demandeur affirme qu’il était déraisonnable pour la SAI de ne pas tenir compte de ces préoccupations importantes au moment d’accorder de la valeur au certificat de décès de la NPC.

[47]  Enfin, le demandeur affirme que les éléments de preuve n’appuient pas la conclusion de la SAI selon laquelle les défendeurs n’ont pas reçu la lettre relative à l’équité procédurale, puisque ces derniers ont pris des mesures pour obtenir un certificat de décès de la NPC le 12 juillet 2016, soit immédiatement après le rejet de la demande de parrainage par l’agent d’immigration, le 4 mai 2016. Le demandeur soutient que, si les défendeurs n’avaient pas reçu la lettre relative à l’équité procédurale, ils n’auraient su que ce document était requis que près d’un an plus tard (en mars 2017), au moment où les notes de l’agent d’immigration ont été versées dans le dossier d’appel de la SAI.

B.  Les arguments des défendeurs

[48]  Les défendeurs font valoir ce qui suit : 1) une évaluation de la décision dans son ensemble révèle que la SAI a évalué si les fausses déclarations risquaient d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR; 2) Mme Ogunseitan n’a pas fait de fausses déclarations concernant ses antécédents matrimoniaux, et, quoi qu’il en soit, ces antécédents ne sont pas importants, puisque sa demande était fondée sur son orientation sexuelle, et non pas sur son état matrimonial; et 3) l’évaluation par la SAI du mariage des défendeurs était raisonnable, compte tenu des éléments de preuve qui avaient été présentés au décideur.

(1)  L’application du critère juridique relatif aux fausses déclarations

[49]  Les défendeurs font valoir que, si la décision de la SAI est examinée dans son ensemble, il est évident que la SAI a appliqué pleinement le critère juridique prévu au paragraphe 40(1) de la LIPR au moment d’évaluer l’interdiction de territoire pour fausses déclarations. Les défendeurs soulignent plus précisément les paragraphes 26 à 28 de la décision, de même que le paragraphe 13, qui est ainsi libellé :

[…] j’estime que les fausses déclarations [des défendeurs] n’ont pas entraîné d’erreur dans l’analyse de la demande de parrainage de l’époux ni dans l’examen du paragraphe 4(1) du Règlement. De façon générale, même s’il ne faut pas avaliser ou récompenser les fausses déclarations [des défendeurs], celles-ci ne suffisent pas à faire rejeter l’appel.

(2)  Le caractère raisonnable de l’analyse des fausses déclarations

[50]  Les défendeurs affirment d’abord que Mme Ogunseitan n’a pas fait de fausses déclarations concernant ses antécédents matrimoniaux quand elle a déclaré qu’elle n’avait jamais été mariée, et ce, pour les raisons suivantes : 1) Mme Ogunseitan est considérée comme n’ayant jamais été mariée sous le régime des lois coutumières nigérianes, puisqu’elle a remboursé la dot; 2) elle devait inscrire son état matrimonial actuel sur les formulaires de demande d’asile, de résidence permanente et fondée sur des motifs d’ordre humanitaire; et 3) selon Statistique Canada, le terme « célibataire » désigne une personne qui n’a jamais été mariée, ou dont le mariage a été annulé et qui ne s’est pas remariée. Par conséquent, les défendeurs soutiennent que Mme Ogunseitan n’a pas fait de fausses déclarations concernant ses antécédents matrimoniaux, car sa réponse était [traduction] « techniquement exacte », et qu’elle ne peut donc pas être considérée comme étant interdite de territoire pour fausses déclarations.

[51]  Quoi qu’il en soit, les défendeurs font valoir que, même si la Cour concluait que Mme Ogunseitan a fait de fausses déclarations concernant ses antécédents matrimoniaux, ces fausses déclarations ne sont pas substantielles. Ils affirment que la demande de résidence permanente de Mme Ogunseitan était fondée sur sa crainte d’être persécutée et emprisonnée au Nigéria en raison de son orientation sexuelle, et non pas de son état matrimonial. Par conséquent, les antécédents matrimoniaux de Mme Ogunseitan n’étaient pas pertinents pour sa demande de résidence permanente, à moins que des [traduction] « stéréotypes dépassés ou erronés concernant les personnes LGBTQ+ » soient appliqués.

[52]  Les défendeurs soulignent que la SAI a eu raison de ne pas catégoriser l’orientation sexuelle de Mme Ogunseitan. Ils affirment qu’elle l’a fait conformément aux lignes directrices et aux directives sur l’OSIGEG, qui préviennent les arbitres que « la dynamique et les caractéristiques [des personnes LGBTQ+ ne] sont [pas] les mêmes dans toutes les cultures ». Ainsi, les défendeurs affirment que l’analyse qu’a faite la SAI des fausses déclarations est raisonnable, puisque le fait que Mme Ogunseitan a déjà été mariée n’invalide en aucune manière sa déclaration d’appartenance à la communauté LGBTQ+.

[53]  À l’appui de cet argument, les défendeurs citent la déclaration faite par la Cour dans la décision Lipdjio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 28, au par. 18, où elle souligne que l’homosexualité n’est « ni vérifiable ni quantifiable », ainsi que la décision Mizoji c Canada (Citoyenneté et Immigration), (2015) dossier TB3‑03790, au par. 16 (CA CISR), où la SAI conclut que « le fait qu’une personne a vécu une relation homosexuelle n’empêche pas qu’elle vive une relation hétérosexuelle authentique plus tard, et vice versa ».

(3)  L’authenticité du mariage des défendeurs

[54]  Enfin, les défendeurs font valoir que l’analyse par la SAI de l’authenticité de leur mariage était raisonnable. Ils soulignent que, comme l’a déclaré la SAI, les notes de l’agent d’immigration sont contradictoires en ce qui concerne le certificat de décès. Ils font également valoir qu’il était raisonnable pour la SAI de ne pas avoir analysé explicitement les préoccupations du demandeur relativement au certificat de décès de la NPC, car elle ne disposait d’aucun élément de preuve appuyant ces préoccupations.

[55]  De plus, les défendeurs affirment que la conclusion de la SAI selon laquelle ils n’ont pas reçu la lettre relative à l’équité procédurale était raisonnable, puisque la lettre avait été envoyée à l’adresse de courriel de M. Olopade plutôt qu’à celle de Mme Ogunseitan et que c’est l’adresse de cette dernière qui figurait dans la demande. Les défendeurs admettent avoir pris connaissance de la lettre une fois que leur demande a été refusée, ce qui les a ensuite incités à obtenir le certificat de décès de la NPC.

C.  La réplique du demandeur

[56]  Le demandeur réplique qu’aucun élément de preuve ne montre que le premier mariage de Mme Ogunseitan a été annulé. Au contraire, le fait qu’elle a dû divorcer en 2014 prouve qu’elle était encore légalement mariée quand elle a prétendu ne jamais l’avoir été. De plus, le demandeur fait valoir qu’une preuve d’experts est requise pour qu’il soit possible de se fonder sur le droit coutumier étranger (Xiao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 195, aux par. 24 et 25). Ainsi, l’argument des défendeurs selon lequel les déclarations de Mme Ogunseitan étaient [traduction] « techniquement exactes » n’est pas valide.

[57]  Le demandeur justifie également la décision de l’agent d’immigration d’envoyer la lettre relative à l’équité procédurale à l’adresse de courriel de M. Olopade par le fait que les documents requis concernaient le décès de son épouse précédente, documents qu’il aurait dû avoir en sa possession.

VIII.  ANALYSE

A.  Introduction

[58]  J’accepte les affirmations du demandeur selon lesquelles la décision contestée doit être annulée et l’affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI pour réexamen. La décision contestée est entièrement déraisonnable.

B.  Question préliminaire concernant le dossier certifié du tribunal

[59]  Pour des raisons qui ne sont pas tout à fait claires, le dossier certifié du tribunal [le DCT] fourni par la SAI en l’espèce ne contenait qu’une copie de la décision contestée et les transcriptions pertinentes. La SAI a affirmé être incapable de situer le dossier original de l’affaire qui comprenait tous les éléments de preuve.

[60]  Sans égard au DCT lacunaire de la SAI, je conclus que je peux tout de même instruire la demande sur le fond, car les documents dont j’ai besoin pour le faire sont à la disposition de la Cour, au dossier du demandeur. Autrement dit, les documents requis pour statuer sur la demande sont accessibles à la Cour aux fins d’examen. Voir la décision Patel, précitée, au par. 30, et la décision Aryaie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 469, aux par. 19 à 29. Les avocats du demandeur et des défendeurs souscrivent à cette conclusion.

C.  L’application du critère relatif aux fausses déclarations

[61]  Il est évident que la SAI a appliqué un critère juridique relatif aux fausses déclarations qui s’écarte déraisonnablement de celui qui est établi à l’alinéa 40(1)a) et qui a été confirmé au fil des ans dans la jurisprudence. Dans sa décision, la SAI ne justifie pas le fait de s’être écartée de ce critère juridique. L’essentiel de l’approche qu’elle a adoptée par rapport aux fausses déclarations est contenu dans les paragraphes de la décision suivants :

[13]  Il y a des éléments de preuve montrant que l’appelante a peut-être fait une présentation erronée sur un fait important ou une réticence sur ce fait dans sa demande de résidence permanente, mais la question que je dois trancher est de savoir si ces fausses déclarations risquaient d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi aux fins de sa demande de parrainage, qui est l’objet du présent appel. Si j’envisage la question selon la perspective restreinte de la SAI devant un appel en matière de parrainage de l’époux, j’estime que les fausses déclarations de l’appelante n’ont pas entraîné d’erreur dans l’analyse de la demande de parrainage de l’époux ni dans l’examen du paragraphe 4(1) du Règlement. De façon générale, même s’il ne faut pas avaliser ou récompenser les fausses déclarations de l’appelante, celles-ci ne suffisent pas à faire rejeter l’appel.

[…]

[22]  L’aspect le plus troublant du présent appel tient aux interactions de l’appelante avec des responsables de l’immigration au Canada et à ses démarches connexes bien avant de rencontrer le demandeur. La conseil du ministre affirme que l’appelante a adressé d’importantes fausses déclarations aux responsables de l’immigration dans le passé pour obtenir un statut au Canada, et que ces fausses déclarations minent grandement sa crédibilité en l’espèce. Je comprends un peu cet argument et je l’ai examiné attentivement.

[23]  La Section du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de l’appelante en 2003 en raison, du moins en partie, de préoccupations concernant sa crédibilité. Le tribunal a trouvé des portions du témoignage de l’appelante contradictoires, invraisemblables, intéressées et inventées. Cette évaluation n’inspire pas confiance en la véracité des propos de l’appelante. Néanmoins, la décision en l’espèce doit être fondée sur les éléments de preuve concernant des circonstances survenues 15 ans après l’arrivée de l’appelante au Canada. Beaucoup de choses ont changé et se sont produites dans sa vie depuis. De fausses déclarations faites par l’appelante dans le passé, même prouvées de façon concluante en l’espèce, ne peuvent entraîner à elles seules un rejet.

[24]  Je dois être convaincue que l’appelante a présenté des éléments de preuve crédibles et fiables pour appuyer la décision de faire droit à l’appel. Si son témoignage n’est pas crédible, alors la preuve est insuffisante, et l’appel doit être rejeté. Cela dit, la possibilité que l’appelante induise le tribunal en erreur parce qu’elle a peut-être tenté de tromper la Section du statut de réfugié n’est pas en soi un facteur déterminant. L’appelante a peut-être fourni des renseignements faux aux responsables de l’immigration dans le passé, mais les éléments de preuve en l’espèce ne mènent pas à la conclusion qu’elle le fait maintenant. Au contraire, l’ensemble de la preuve donne à penser de façon raisonnable que l’appelante est tombée amoureuse du demandeur et qu’elle veut être une mère pour ses enfants. De plus, le demandeur semble aussi avoir des liens affectifs avec l’appelante et souhaite s’installer au Canada pour y vivre en famille.

[…]

[28]  En outre, je ne suis pas convaincue que le manque de franchise de l’appelante dans la présente demande de parrainage au sujet de son mariage antérieur ou de ses relations lesbiennes passées a entraîné une erreur dans l’application de la Loi. En l’espèce, l’agent des visas s’est concentré principalement sur les motifs du demandeur et sur l’authenticité de la relation, l’historique de la relation de l’appelante jouant un rôle beaucoup moins important. Il est impossible d’affirmer qu’aucune question n’aurait été posée, mais il est peu probable que des renseignements au sujet des relations antérieures de l’appelante aient eu une incidence sur la demande de parrainage. À la lumière des éléments de preuve dont je dispose relativement à l’appel en matière de parrainage d’un époux, je conclus que le demandeur n’est pas interdit de territoire au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

[62]  L’approche adoptée par la SAI par rapport aux fausses déclarations dans cette décision est catégoriquement déraisonnable, étant donné les limites juridiques importantes de son pouvoir discrétionnaire. Même si, au paragraphe 13, la SAI affirme que la question consiste à établir si les fausses déclarations faites par Mme Ogunseitan « risquaient d’entraîner une erreur », l’analyse ne porte que sur la question de savoir si ces déclarations ont effectivement entraîné une erreur « dans l’analyse de la demande de parrainage de l’époux [et] dans l’examen du paragraphe 4(1) du Règlement ».

[63]  Ainsi, la SAI a omis d’évaluer si les fausses déclarations faites par Mme Ogunseitan « risquaient » d’entraîner une erreur. Cela n’est pas conforme à la jurisprudence de la Cour, selon laquelle la possibilité d’une erreur ou l’exclusion d’autres enquêtes est un fondement à l’interdiction de territoire. Voir les décisions Geng, au par. 33, et Li, aux par 13 à 18, précitées. L’avocat des défendeurs se fonde sur le libellé du paragraphe 28 de la décision contestée, qui, selon lui, montre que la SAI a bel et bien appliqué l’aspect « risque » du critère et en a tenu compte, mais mon interprétation du paragraphe 28 m’amène à conclure qu’il ne contient aucun libellé qui pourrait appuyer une telle interprétation.

[64]  La SAI était manifestement consciente du fait que Mme Ogunseitan « a peut-être fourni des renseignements faux aux responsables de l’immigration dans le passé », mais elle a omis d’envisager les conséquences possibles de ces fausses déclarations et d’établir si d’autres enquêtes auraient pu être nécessaires. Autrement dit, la SAI n’a pas tenu compte du caractère substantiel des fausses déclarations au moment où elles ont été faites.

[65]  Le caractère substantiel d’une fausse déclaration ne se limite pas à un moment particulier dans le traitement de la demande. Ainsi, l’évaluation visant à savoir si les fausses déclarations risquaient d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR doit être effectuée par rapport au moment où les fausses déclarations ont été faites. Voir les décisions Patel, au par. 77, et Kazzi, au par. 38, précitées.

[66]  Cette erreur, en soi, est suffisamment importante pour justifier que l’affaire soit renvoyée pour réexamen, sans que j’aie besoin de procéder à un examen approfondi de la décision contestée.

[67]  L’avocat des défendeurs a également fait valoir devant moi que toute fausse déclaration que Mme Ogunseitan pourrait avoir faite au sujet de son premier mariage était entièrement innocente et sans importance, de sorte que la SAI n’était pas tenue d’en tenir compte au moment de rendre sa décision. Je n’ai pas à statuer sur cette question en l’espèce parce qu’il revient à la SAI d’examiner les fausses déclarations et d’évaluer si elles devraient avoir une incidence sur la décision qu’elle doit rendre concernant l’authenticité du mariage des défendeurs. Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce, je n’ai pas non plus à décider si le mariage entre les défendeurs est authentique ou non. La question dont je suis saisi consiste simplement à établir si l’affaire devrait être renvoyée à la SAI pour réexamen compte tenu des erreurs susceptibles de révision contenues dans la décision. Toutefois, je pense qu’il vaut la peine de souligner qu’au moment où elle a évalué la demande d’asile de Mme Ogunseitan, dans sa décision du 17 octobre 2003, la SPR estimait que le témoignage de cette dernière au sujet d’un mariage forcé était [traduction] « contradictoire, invraisemblable et intéressé ». Elle a conclu que l’allégation de mariage forcé n’était pas crédible et a rejeté [traduction] « les éléments de preuve présentés par la demandeure d’asile concernant la planification de cet événement ou la possibilité qu’il ait lieu, même si son opposition à cet égard était réelle ». La décision de la SPR n’a pas été contestée. Ainsi, il est évident que l’ancienne conduite de Mme Ogunseitan donne à penser que le fait qu’elle a continué à nier avoir déjà été mariée dans ses demandes antérieures doit faire l’objet d’un examen par la SAI, conformément aux dispositions relatives aux fausses déclarations de la LIPR, du RIPR et de la jurisprudence applicable, afin de décider si elle peut parrainer M. Olopade.

D.  Autres erreurs

[68]  Afin d’aider le nouveau tribunal de la SAI à réexaminer pleinement l’affaire, j’attire également son attention sur les erreurs suivantes qui auraient pu être commises dans la décision contestée :

  1. L’analyse des fausses déclarations est également déraisonnable parce qu’elle se limite à la demande de parrainage et qu’elle ne permet pas d’évaluer si les fausses déclarations faites lors de demandes d’asile et de résidence permanente précédentes risquaient d’entraîner une erreur. Par exemple, si Mme Ogunseitan n’avait pas obtenu la résidence permanente à la suite de l’approbation de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il est possible qu’elle n’aurait pas été en mesure de parrainer M. Olopade.
  1. En l’espèce, il n’était pas logique pour la SAI d’affirmer que les fausses déclarations n’étaient pas substantielles parce que l’agent d’immigration n’avait pas formulé de commentaires à leur sujet, alors que les faits révèlent que celles-ci n’ont été connues qu’une fois que l’agent d’immigration a pris sa décision et que l’audience d’appel devant la SAI a commencé.

  2. Mon examen du dossier dont je dispose ne me montre pas d’« incohérences qui perpétuent les malentendus » concernant l’état matrimonial de M. Olopade au moment où il a épousé Mme Ogunseitan. Les notes de l’agent d’immigration montrent qu’il avait des préoccupations au sujet des documents fournis par M. Olopade, puis qu’il avait raisonnablement conclu que ces documents ne suffisaient pas à établir que l’ancienne épouse de M. Olopade était décédée.

  3. Les éléments de preuve semblent montrer que la lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée à M. Olopade et appuient le fait qu’il l’a reçue.

  4. La SAI n’a pas abordé les préoccupations soulevées au sujet de l’authenticité du certificat de décès de la NPC obtenu par M. Olopade le 12 juillet 2016, qui concerne son ancienne épouse.

[69]  Je ne statue pas à l’égard de ces questions en l’espèce parce que c’est inutile; je ne fais que les mentionner en passant, afin d’avertir la SAI que, d’après le dossier dont je dispose, les erreurs possibles étaient des sources de préoccupation importantes qui auraient dû être pleinement prises en compte.

[70]  Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour est d’accord.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑466‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI pour réexamen, conformément aux présents motifs.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de mars 2020.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑466‑19

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c OLUFUNKE ADUKE OGUNSEITAN ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 OCTOBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 FÉVRIER 2020

 

COMPARUTIONS :

David Shiroky

POUR le demandeur

 

Olusola G. Adenekan

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR le demandeur

 

Trend Law Firm

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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