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                                                                                                                              Date : 20051025

                                                                                                                Dossier : IMM-10182-04

                                                                                                           Référence : 2005 CF 1446

ENTRE :

VIKTORS KUTIREVS

VALIJA SINKEVICA

ANDREJS KUTIREVS

ANNA KUTIREVA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

Introduction[1]          Les présents motifs font suite à l'audition, le 19 octobre 2005 à Toronto, d'une demande de contrôle judiciaire de ce qui suit :

[traduction] [¼] la ligne de conduite et/ou l'absence de décision du défendeur lorsqu'il a refusé de rendre leurs passeports aux demandeurs, de traiter les demandes de résidence permanente présentées par les demandeurs, de donner suite à leurs demandes d'immigration et de leur délivrer des visas d'immigrants. La ligne de conduite ou l'absence de décision est le fait du Haut Commissariat du Canada à Londres, en Angleterre[¼]


À la date de l'audience, il ntait pas contesté que le redressement recherché par les demandeurs avait été obtenu et que la demande de contrôle judiciaire revêtait donc un caractère théorique. Le seul point dont la Cour était saisie était le droit des demandeurs aux dépens de la demande.

Les faits

[2]                Les demandeurs, qui forment une famille, c'est-à-dire le mari, l'épouse et leurs deux enfants, sont de nationalité lettone.

[3]                À la fin de 2000, le demandeur principal, Viktors Kutirevs, a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie dénommée maintenant Catégorie des travailleurs qualifiés. Son épouse et ses deux enfants étaient inclus dans sa demande en tant que personnes à charge. La demande a été présentée au Haut Commissariat du Canada à Londres, en Angleterre, puis traitée à cet endroit. Elle a progressé très lentement, la lenteur du processus pouvant être imputée tant aux demandeurs eux-mêmes qu'au défendeur. Ce qui inquiètait particulièrement les demandeurs, et j'en dirai davantage sur ce sujet, c'est qu'un bon nombre de communications adressées au Haut Commissariat du Canada à Londres par l'avocat des demandeurs au Canada et reçues effectivement par le Haut Commissariat, j'en suis persuadé au vu de la preuve présentée à la Cour, n'avaient tout simplement été suivies d'aucun accusé de réception ni d'aucune réponse.


[4]                À la mi-octobre 2004, la situation était devenue assez critique. Vers cette date, l'avocat des demandeurs a reçu du bureau des visas à Londres une demande priant les demandeurs de produire leurs passeports afin que les visas d'immigrants puissent y être apposés. La demande précisait que les rapports médicaux des demandeurs allaient expirer le 9 décembre 2004 et que les visas d'immigrants ne pourraient donc pas être délivrés pour une période postérieure à cette date. La demande précisait aussi que le défendeur essayerait de renvoyer les passeports dans un délai de 20 jours après leur réception[1].

[5]                Les passeports des demandeurs ont été envoyés, par service de messagerie, de la Lettonie au bureau des visas le 22 octobre 2004. D'après le système de localisation du service de messagerie, le paquet a été reçu par le bureau des visas à Londres le 25 octobre 2004.

[6]                L'avocat des demandeurs a communiqué par télécopieur avec le bureau des visas à Londres le 25 novembre, le 29 novembre et le 6 décembre, en signalant l'expiration imminente des rapports médicaux des demandeurs et le fait que les passeports des demandeurs n'avaient pas été renvoyés. Je suis certain, au vu de la preuve dont la Cour est saisie, que ces communications ont été reçues au Haut Commissariat à Londres, mais elles n'ont pas été suivies d'accusés de réception.

[7]                Les rapports médicaux des demandeurs ont expiré. La demande de contrôle judiciaire dont la Cour est maintenant saisie a été déposée le 13 décembre 2004.


[8]                Le demandeur principal a commencé à hanter l'ambassade du Canada à Riga, en Lettonie, et traitait semble-t-il directement avec un réceptionniste/adjoint consulaire de l'endroit. Le dossier du tribunal soumis à la Cour après que celle-ci eut accordé l'autorisation de demander le contrôle judiciaire fait état des communications suivantes de ce réceptionniste/adjoint consulaire : la première était adressée au bureau des visas à Londres et portait la date du 16 décembre 2004; la deuxième était adressée à un agent d'immigration de l'ambassade du Canada à Varsovie et portait la date du 23 décembre 2004; et la troisième, qui portait la date du 24 décembre 2004, était adressée au bureau des visas à Londres, avec diffusion d'un assez grand nombre de copies :

[traduction] J'ai été approché par M. Kutirevs à propos de son passeport, qui a été envoyé à Londres au début de novembre pour le visa d'immigration. Le demandeur dit que son avocat a tenté de communiquer avec vous par télécopieur également, mais qu'il n'y a pas réussi. Il voudrait récupérer son passeport car le délai de traitement indiqué dans la lettre de Londres (20 jours) est maintenant écoulé.

Je suis désolé de devoir intervenir, mais il nous a téléphoné hier, et encore aujourd'hui, pour tenter désespérément d'obtenir de l'aide.

Prière de m'indiquer ce que je devrais dire au demandeur, outre le fait qu'il doit communiquer avec vous directement[2].

[¼]

Je ne devrais sans doute pas vous déranger pour cette affaire, mais je ne puis moi-même imaginer un meilleur contact que vous, étant donné que vous avez toujours été très attentif à Riga. Prière d'envoyer le message ci-après, pour lequel je n'ai pas encore reçu de réponse. Le demandeur est si désespéré, il ne peut rien faire sans le passeport, ni retirer de l'argent de son compte bancaire ni voyager. Il a décidé de s'adresser à la justice, et son avocat a rédigé tous les documents nécessaires pour sa signature. Il est disposé à se rendre à l'ambassade pour payer les droits consulaires et signer les documents, de manière à ce que nous puissions attester la signature. Mais comment pourra-t-il prouver son identité s'il n'a pas de passeport et s'il ne détient pas un permis de conduire? C'est vraiment difficile pour nous aussi car le demandeur nous téléphone plusieurs fois par jour tous les jours pour obtenir notre aide[3].

[¼]

Il s'agit là d'un appel désespéré à quelqu'un qui puisse nous conseiller. Prière de voir

ci-dessous.

Merci pour votre compréhension en cette période de Noël[4].

Il semblerait que les deuxième et troisième messages reproduisaient le premier.

[9]                Les interventions de l'ambassade du Canada à Riga, en Lettonie, ont finalement donné des résultats. Par communication datée du 24 décembre 2004, le Haut Commissariat du Canada à Londres renvoyait leurs passeport aux demandeurs et il informait ceux-ci que seule une mise à jour de quelques renseignements médicaux serait requise. Les demandeurs ont semble-t-il reçu leurs passeports au début de janvier 2005.


[10]            Les notes du STIDI qui font partie du dossier du tribunal dont la Cour est saisie indiquent, dans deux inscriptions toutes deux datées du 24 décembre 2004, que [traduction] « ce dossier a échappé à notre attention » .

La demande de contrôle judiciaire

[11]            Comme je l'ai dit plus haut, la demande d'un contrôle judiciaire par la Cour a été déposée le 13 décembre 2004. Comme je l'ai dit également plus haut, la demande de redressement, à savoir le renvoi des passeports aux demandeurs, est devenue théorique puisque les passeports ont effectivement été renvoyés au début de janvier 2005.

[12]            C'est le 28 juin 2005 qu'a été accordée l'autorisation d'introduire la procédure de contrôle judiciaire concernant la carence à finaliser le traitement de la demande de résidence permanente présentée par les demandeurs.

[13]            Les visas autorisant les demandeurs à établir leur résidence permanente au Canada au plus tard le 30 octobre 2005, condition acceptée par les demandeurs, ont été délivrés au cours de l'été 2005 et l'avocat des demandeurs a reconnu que le reliquat de la demande de contrôle judiciaire était donc devenu théorique, hormis le fait que, eu égard à l'ensemble des circonstances, l'avocat voulait obtenir les dépens de la demande.

Les dépens

[14]            L'article 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés[5] est rédigé comme suit :



22. Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d'autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l'appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens.

22. No costs shall be awarded to or payable by any party in respect of an application for leave, an application for judicial review or an appeal under these Rules unless the Court, for special reasons, so orders.

L'expression « raisons spéciales » , dans l'article 22, a été interprétée par la Cour. Dans la décision la plus récente portée à l'attention de la Cour, Johnson c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration)[6], ma collègue, la juge Dawson écrivait ce qui suit aux paragraphes 26 et 27 de ses motifs :

Les deux parties reconnaissent que, conformément à l'article 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés [...] il doit exister des raisons spéciales pour que la Cour adjuge des dépens sur une demande de contrôle judiciaire. On peut conclure à des raisons spéciales si une partie a inutilement ou de façon déraisonnable prolongé l'instance ou lorsqu'une partie a agi d'une manière qui peut être qualifiée d'inéquitable, d'oppressive, d'inappropriée ou de mauvaise foi.

Le fait qu'un tribunal ait commis une erreur ne constitue pas, en soi, une raison spéciale pour les dépens. Bien que j'estime que la décision de la SPR a été inique, ce fait ne justifie pas à lui seul l'adjudication de dépens en faveur de M. Johnson. En l'espèce, le ministre n'a pas contesté la requête en autorisation, il a consenti à une prorogation de délai dont M. Johnson avait besoin et il a offert de consentir à l'annulation de la décision en temps opportun, après que le dossier du tribunal a été livré. Dans ces circonstances, je conclus que M. Johnson n'a pas établi l'existence de raisons spéciales justifiant une adjudication de dépens.

[15]            Sur ce point, on n'a pas avancé devant la Cour qu'une partie a inutilement ou déraisonnablement prolongé l'instance. Il n'a pas non plus été avancé que la conduite du bureau des visas à Londres pouvait être qualifiée de conduite oppressive, inappropriée ou empreinte de mauvaise foi. Cela dit, on a fait valoir avec force au nom des demandeurs que la conduite du bureau des visas, après la réception des passeports des demandeurs à la fin d'octobre 2004 et jusqu'à ce que les demandeurs récupèrent leurs passeports au début de janvier 2005, avait été injuste, voire excessive et fautive. J'ai à cet égard beaucoup de sympathie pour les demandeurs.


[16]            Pour autant, la conduite du défendeur et de son avocate, et pour tout dire la conduite du bureau des visas à Londres après que ce bureau se fut rendu compte que la demande des demandeurs avait [traduction] « échappé à notre attention » , est comparable à celle sur laquelle s'est exprimée la juge Dawson dans le second paragraphe de ses motifs reproduit

ci-dessus. Les passeports des demandeurs ont été renvoyés promptement après que le bureau des visas à Londres eut découvert l'oubli. Le défendeur ne s'est pas opposé à la demande d'autorisation. Après que l'autorisation eut été accordée et que le dossier du tribunal eut été reçu, le bureau des visas à Londres semble avoir montré un empressement raisonnable, fût-il tardif, à accorder aux demandeurs des visas valides jusqu'à une date acceptable pour eux. Eu égard à toutes ces circonstances, je suis d'avis que les demandeurs n'ont pas établi l'existence de « raisons spéciales » pouvant justifier l'adjudication des dépens.

Conclusion

[17]            En définitive, et sur consentement, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée en raison de son caractère théorique. Les dépens ne seront pas adjugés.


[18]            Les avocats ont été informés à la fin de l'audience que les motifs qui précèdent constitueraient l'issue de la cause. Aucun d'eux n'a demandé qu'une question soit certifiée. La Cour est d'avis qu'aucune question grave de portée générale ne mérite d'être certifiée.

                                                                                                                       « Frederick E. Gibson »                  

     Juge

Ottawa (Ontario)

le 25 octobre 2005

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL. B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-10182-04

INTITULÉ:                                         VIKTORS KUTIREVS, VALIJA SINKEVICA,

                                                            ANDREJS KUTIREVS, ANNA KUTIREVA

                                                                                                                                                           

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                           

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 19 OCTOBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                      LE 25 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

Dan Miller                                                                          pour les demandeurs

Sharon Stewart Guthrie                                                   pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dan Miller

Toronto (Ontario)                                                              pour les demandeurs

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                     pour le défendeur



[1] Dossier de demande des demandeurs, onglet 3, affidavit de Viktors Kutirevs, paragraphe 6.

[2] Dossier du tribunal, page 22.

[3] Dossier du tribunal, page 21.

[4] Dossier du tribunal, page 21.

[5] DORS/93-22.

[6] [2005] A.C.F. n ° 1523 (QL).

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