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Dossier : IMM-6056-18

Référence : 2020 CF 54

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 février 2020

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

|||||||||||| F.G.H.

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS MODIFIÉS

(Jugement et motifs confidentiels rendus le 15 janvier 2020)

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur est un citoyen du |||||||||||||||||||||||| qui allègue craindre un haut dirigeant d’un violent cartel de drogue dans ce pays. Après avoir fait l’objet d’une mesure d’expulsion, le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR]. Cette demande a été rejetée. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de refus, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]  Après avoir conclu que le demandeur n’avait pas réussi à réfuter la présomption de la protection de l’État au ||||||||||||||||||, l’agent d’ERAR [l’agent] a rejeté la demande d’ERAR. Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas d’audience et en concluant que le demandeur pouvait se prévaloir de la protection de l’État au ||||||||||||||.

[3]  Je suis d’avis que l’analyse de la protection de l’État en l’espèce est déraisonnable. La demande est accueillie pour les motifs qui suivent.

II.  Contexte

[4]  Le demandeur a quitté le |||||||||||| et s’est rendu aux États‑Unis en 1985. En 2009, le demandeur a été déclaré coupable aux États‑Unis dans le cadre d’un complot visant la distribution d’une quantité importante de cocaïne, une infraction que le demandeur a été obligé de commettre à la demande de ||||||||||||||||||||||| [l’agent de persécution]. Après sa libération de prison en 2017, le demandeur a été expulsé vers ||||||||||||||. L’agent de persécution a également été déclaré coupable d’infractions liées à la drogue, et il a aussi été expulsé vers |||||||||||| après sa libération.

[5]  Le demandeur déclare que l’agent de persécution est membre d’un cartel |||||||||||||||| de la drogue. Il a exigé que le demandeur paie plus de ||||||||||||||||||, qui représenterait la valeur des drogues saisies au moment de l’arrestation et de la condamnation. Le demandeur a entendu d’autres personnes dire que le nom de |||||||||||||||||| F.G.H. figure sur une liste des personnes que le |||||||||||||||||||||| cherche à tuer et il affirme que le ||||||||||||| a tué d’autres personnes, y compris d’autres ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| – pour des dettes de moindre importance.

[6]  Le demandeur est arrivé au Canada du |||||||||||| en septembre 2018 et a demandé l’asile. L’Agence des services frontaliers du Canada a déclaré le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité et a pris une mesure d’expulsion contre lui. En novembre 2018, le demandeur a présenté une demande d’ERAR, qui a été rejetée dans une décision datée du 26 novembre 2018.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[7]  L’agent a examiné une série d’articles de presse que le demandeur avait fournis, lesquels portent sur des décès causés par la drogue dans la région concernée de ||||||||||||||. Le demandeur a indiqué que les décès étaient liés à l’agent de persécution. L’agent a également pris note d’une décision par laquelle un tribunal américain a déclaré coupable l’agent de persécution d’une infraction liée à la drogue comise aux États‑Unis. L’agent a conclu que ces documents ne démontrent pas que l’agent de persécution était responsable des meurtres décrits dans les articles de presse.

[8]  L’agent s’est ensuite penché sur la question de savoir si le demandeur pouvait raisonnablement se prévaloir de la protection de l’État au ||||||||||||||, au besoin. Ainsi, l’agent s’est penché sur les documents relatifs à la situation dans le pays et a indiqué que [traduction] « ||||||||||| connaît un taux élevé de criminalité et d’homicides », que le pays tient des élections libres et équitables, que, malgré les inquiétudes en matière de corruption, les forces de sécurité du |||||||||||||||||||| sont adéquates sur le plan opérationnel, que le gouvernement du |||||||||||||||| fait de sérieux efforts pour lutter contre le taux élevé de criminalité et que, si le demandeur n’obtient pas la protection de la police locale, il peut demander la protection d’une [traduction] « autorité supérieure ». C’est pourquoi l’agent a conclu que la protection de l’État au |||||||||||||||||||||| est suffisante sur le plan concret, que le demandeur n’avait pas épuisé toutes les possibilités qui lui auraient raisonnablement permis d’obtenir la protection de l’État et que, en fin de compte, il n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

IV.  Intitulé

[9]  En demandant un sursis judiciaire à l’exécution de la mesure de renvoi, le demandeur a présenté une requête en confidentialité. Dans une ordonnance datée du 12 décembre 2018, la juge Sandra Simpson a accordé une ordonnance de confidentialité. L’ordonnance exige, entre autres mesures, que le jugement et les motifs soient caviardés avant la publication dans la mesure nécessaire pour garantir l’anonymat.

[10]  Conformément à l’ordonnance du 12 décembre 2018 et pour préserver l’anonymat du demandeur, le demandeur sera désigné par |||||||||||||||||||||||||||||| F.G.H. dans l’intitulé.

V.  Questions en litige

[11]  J’ai formulé en ces termes les questions à trancher :

VI.  Norme de contrôle applicable

[12]  La présente demande a été débattue avant que la Cour suprême du Canada ne rende ses arrêts récents Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66. Les observations des parties quant à la norme de contrôle s’inspiraient donc du cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]). Dans l’examen de la demande, j’ai appliqué le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov.

[13]  Dans Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes], le juge Rowe a abordé les circonstances dans lesquelles des observations avaient été formulées selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Dunsmuir, mais la cour de révision a appliqué le cadre d’analyse défini dans l’arrêt Vavilov pour trancher l’affaire. Le juge Rowe a statué qu’il n’était pas nécessaire de demander des observations aux parties et qu’il n’en résulterait aucune injustice lorsque, en appliquant le cadre de l’arrêt Vavilov, la norme de contrôle applicable et le résultat auraient été les mêmes que selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Dunsmuir (Société canadienne des postes, au par. 24).

[14]  La norme présumée de la décision raisonnable s’applique au contrôle de la deuxième question soulevée dans la présente demande, que ce soit suivant l’arrêt Dunsmuir ou suivant l’arrêt Vavilov (Canseco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 73, au par. 11; A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 165, au par. 11 [A.B.]).

[15]  Dans Société canadienne des postes, le juge Rowe a résumé ainsi les caractéristiques d’une décision raisonnable :

[31]  La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32]  La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33]  Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100). En l’espèce, ce fardeau incombe au Syndicat.

[16]  Mes conclusions quant au bien‑fondé de la demande seraient les mêmes selon l’un ou l’autre cadre d’analyse. Je suis donc d’avis, après avoir examiné les faits, les circonstances et l’état actuel du droit, qu’il n’y a aucune incertitude quant à la façon dont l’arrêt Vavilov se rapporte à la présente demande (Vavilov, au par. 144). Comme dans l’arrêt Société canadienne des postes, il n’est pas nécessaire que les parties présentent des observations supplémentaires. Je fais également remarquer qu’aucune des parties n’a demandé à formuler des observations supplémentaires.

[17]  La norme de contrôle applicable à l’examen de la question de l’équité procédurale – à savoir si l’agent a porté atteinte au droit à l’équité procédurale du demandeur en omettant de tenir une audience – serait plutôt celle de la décision correcte. Cependant, la nature véritable de cette analyse est un examen de la question de savoir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 54; voir aussi Diallo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1324, aux par. 14 et 15).

VII.  Analyse

A.  L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne tenant aucune audience?

[18]  L’alinéa 113b) de la LIPR prévoit qu’un agent peut tenir une audience s’il l’estime requis, compte tenu des facteurs énumérés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR]. Ces dispositions législatives sont rédigées comme suit :

Examen de la demande

Consideration of application

113 Il est disposé de la demande comme il suit :

 

113 Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

[…]

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

Facteurs pour la tenue d’une audience

 

Hearing — prescribed factors

 

167 Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

167 For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[19]  Le demandeur soutient qu’en rejetant sa demande d’ERAR, l’agent a implicitement conclu que l’allégation du demandeur selon laquelle l’agent de persécution veut le tuer et qu’il n’est pas en mesure d’obtenir la protection de l’État n’était pas crédible. |||||||||||| F.G.H. soutient que les trois facteurs prévus à l’article 167 du RIPR montrent que l’agent aurait dû tenir une audience : la preuve soulève une question sérieuse quant à la crédibilité parce que [traduction] « des gens cherchent à tuer [le demandeur] »; cette preuve revêt une importance cruciale pour la prise de la décision; et, si elle est acceptée, elle justifierait que la demande soit accueillie. Le demandeur allègue également que le fait qu’il se trouve dans un centre de détention de l’immigration devrait être pris en compte pour déterminer s’il est nécessaire de tenir une audience.

[20]  Dans la décision A.B., le juge William Pentney fait remarquer qu’il peut être difficile de faire la distinction entre une conclusion de preuve insuffisante et une conclusion déguisée sur la crédibilité. Dans cette affaire, comme en l’espèce, l’agent a tiré un certain nombre de conclusions, sans mentionner la question de la crédibilité. Le juge Pentney a abordé la distinction entre la crédibilité et le poids ou la valeur probante :

[36]  Il ressort d’un examen de la décision que l’agent a tiré un certain nombre de conclusions importantes, sans mentionner expressément la question de la crédibilité. Il y a donc lieu de se demander s’il a tiré des conclusions déguisées sur la crédibilité. Pour évaluer cette thèse, il n’existe aucune formule magique, mais il est utile de rappeler quelques concepts juridiques de base. La question de la crédibilité consiste essentiellement à savoir si la preuve est vraisemblable; ce concept est différent de celui du poids ou de la valeur probante. Comme l’a écrit le juge Denis Gascon dans la décision Huang, au paragraphe 42 :

[42]  Le terme « crédibilité » est souvent utilisé à tort dans un sens élargi pour signifier que les éléments de preuve ne sont pas convaincants ou suffisants. Il s’agit toutefois de deux concepts différents. L’évaluation de la crédibilité est liée à la fiabilité de la preuve. Lorsqu’on conclut que la preuve n’est pas crédible, on conclut que l’origine de la preuve (par exemple, le témoignage du demandeur) n’est pas fiable. La fiabilité de la preuve est une chose; cependant, la preuve doit aussi avoir une valeur probante suffisante pour satisfaire à la norme de preuve applicable. L’évaluation de la suffisance porte sur la nature et la qualité des éléments de preuve qu’un demandeur doit présenter pour obtenir réparation, sur leur valeur probante et sur l’importance que le juge des faits doit accorder aux éléments de preuve, qu’il s’agisse d’une cour ou d’un décideur administratif. [Je souligne.]

[21]  Si l’examen d’une décision démontre qu’une ou plusieurs des conclusions tirées par un décideur portent sur la crédibilité d’un demandeur, la conclusion peut en fait être une conclusion déguisée sur la crédibilité. En l’espèce, rien n’indique que l’agent n’a pas ajouté foi au récit du demandeur.

[22]  À la suite de son examen de la demande d’ERAR, l’agent a tiré trois conclusions principales selon lesquelles les articles de presse et autres documents n’ont pas démontré que l’agent de persécution était responsable d’un meurtre, la protection de l’État au ||||||||||||| est suffisante sur le plan concret, et le demandeur n’avait pas épuisé toutes les possibilités qui lui auraient raisonnablement permis d’obtenir la protection de l’État. Aucune de ces conclusions n’indique que l’agent ne croyait pas que le demandeur était sincère dans ses observations. En concluant que les documents n’ont pas démontré que l’agent de persécution était responsable des meurtres signalés, l’agent formulait un commentaire sur le caractère suffisant de la preuve présentée, et non pas sur la crédibilité du demandeur. De même, dans son évaluation des éléments de preuve documentaires concernant le caractère adéquat de la protection de l’État et la question de savoir si le demandeur avait épuisé toutes les possibilités qui lui auraient raisonnablement permis d’obtenir la protection de l’État, l’agent ne met pas en doute la crédibilité du demandeur.

[23]  Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu que l’agent a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur. Le défaut de l’agent de tenir une audience ne constitue pas un manquement à l’équité.

B.  L’agent a‑t‑il commis une erreur en concluant que le demandeur n’a pas réussi à réfuter la présomption de la protection de l’État?

[24]  Le défendeur cite la décision A.B., au paragraphe 46, pour énoncer le droit qui régit la présomption de la protection de l’État :

[46]  La loi exige que l’on évalue si un demandeur d’asile peut bénéficier d’une protection adéquate contre la persécution qu’il craint. Cela oblige à évaluer plusieurs facteurs. Les États sont présumés être capables de protéger leurs citoyens, sauf s’ils sont dans un état d’effondrement complet. Pour réfuter la présomption d’une protection adéquate de l’État, il faut, d’une part, qu’il y ait une preuve claire et convaincante que l’État ne peut pas ou ne veut pas protéger ses citoyens et, d’autre part, que cette preuve convainque le décideur selon la prépondérance des probabilités (voir Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689; Flores Carrillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2008] 1 RCF 3 (CF)). Ce qui est nécessaire, c’est que l’État prenne des mesures efficaces qui donnent lieu à une protection adéquate de sa part; les efforts de bonne foi qui ne donnent pas de résultats ne suffisent pas. Il suffit toutefois que la protection soit « adéquate »; aucun État ne peut garantir la perfection (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Villafranca (1992), 18 Imm LR (2d) 130 (CAF)).

[25]  Le défendeur affirme que les articles de presse présentés par le demandeur ne satisfont pas à ces critères et que les éléments de preuve ne démontrent pas que la police ne prend aucune mesure concrète. Les observations du défendeur ne me convainquent pas.

[26]  En l’espèce, l’agent n’a pas rejeté la demande d’ERAR au motif que le demandeur n’a pas présenté une preuve suffisante pour établir le risque redouté; l’agent n’a pas non plus conclu que le demandeur n’était pas crédible. Comme le défendeur l’a indiqué dans ses observations écrites, l’agent n’a tout simplement pas pris position sur la question de savoir s’il faut croire ou non le récit des faits. En fait, l’agent a rejeté la demande d’ERAR au motif que le demandeur pouvait se prévaloir d’une protection adéquate de l’État au |||||||||||||.

[27]  Pour être raisonnable, l’analyse de la protection de l’État par l’agent doit posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et la décision doit être justifiée au regard des faits et du droit pertinents (Vavilov, au par. 99, citant Dunsmuir, au par. 47). La décision faisant l’objet du contrôle est dépourvue de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[28]  L’analyse de la protection de l’État par l’agent débute par un examen des documents sur la situation dans le pays. L’agent indique que le |||||||||||| tient des élections libres et équitables, que les services de police fédéraux, étatiques et nationaux sont responsables de l’application de la loi, que le ||||||||||||||| se heurte à des lacunes en matière de primauté du droit qui limitent la pleine jouissance des droits politiques et des libertés civiles, que la violence criminelle, la corruption au sein du gouvernement, les atteintes aux droits de la personne par des acteurs étatiques ou non et l’impunité pour les personnes influentes sont parmi les défis auxquels est confronté le ||||||||||||||||, que le ||||||||||||| a tenté de faire face à ces défis en entreprenant des consultations et en déployant des troupes, que plus de 42 000 homicides ont été signalés au ||||||||||||| en 2012; et que [traduction] « ||||||||||||| connaît un taux élevé de criminalité et d’homicides ».

[29]  L’agent fait remarquer que le demandeur [traduction] « a l’obligation de demander la protection de l’État avant de solliciter la protection internationale », ce qu’il n’a pas fait. L’agent précise que le demandeur a déclaré qu’il n’avait pas demandé la protection [traduction] « parce que la police a des relations avec les cartels, de sorte qu’elle ne protégera personne » et que le [traduction] « demandeur n’est pas tenu de demander la protection de l’État s’il est objectivement déraisonnable de le faire ». Toutefois, l’agent ne tient pas compte des éléments de preuve du demandeur à cet égard. Rien n’indique précisément quel rôle, le cas échéant, a joué dans l’analyse l’explication du demandeur concernant le fait qu’il n’a pas demandé une protection. De même, l’agent énumère les éléments de preuve sur les efforts déployés par l’État, il fait remarquer que l’incapacité des autorités locales à fournir une protection ne constitue pas nécessairement une absence de protection de l’État et que la protection de l’État n’a pas besoin d’être parfaite, mais il ne se penche pas sur la question du caractère adéquat des efforts déployés par l’État.

[30]  L’énumération des principes fondementaux de droit et l’aperçu des efforts déployés ne démontre pas une analyse cohérente sur laquelle je peux me fonder pour conclure que la décision est raisonnable. L’agent n’a pas analysé les circonstances particulières du demandeur, à savoir que l’agent de persécution, membre d’un cartel ||||||||||||||||||, veut tuer le demandeur en raison d’une dette importante qui découle d’un complot manqué visant à distribuer de la cocaïne. En omettant de tenir compte des éléments de preuve fournis par le demandeur et figurant dans les documents sur la situation dans le pays, qui indiquent que les personnes se trouvant dans des situations similaires à celle du demandeur ne peuvent se réclamer d’une protection adéquate de l’État, l’agent a laissé une lacune dans son analyse. La lacune concerne une question essentielle à la décision de l’agent et mine la justification, la transparence et l’intelligibilité de la décision (Vavilov, au par. 103).

VIII.  Conclusion

[31]  La demande est accueillie. Aucune partie n’a proposé de question grave de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.




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