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Date : 20200203


Dossier : T‑951‑19

Référence : 2020 CF 188

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 3 février 2020

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

ISRAEL WILSON ORTIZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  M. Ortiz comparaît devant la Cour pour contester la décision de la greffière de la citoyenneté canadienne d’annuler son certificat de citoyenneté. Je conclus que cette décision est raisonnable pour les motifs suivants.

[2]  M. Ortiz est un citoyen de l’Équateur âgé de 34 ans. Le 9 février 2002, il est devenu résident permanent du Canada grâce au parrainage de sa sœur dans la catégorie de la famille, à titre de personne à charge de sa mère.

[3]  L’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] a découvert plus tard que sa sœur avait obtenu le statut de résident permanent au moyen du parrainage frauduleux d’un époux. En 2008, l’ASFC a envoyé à M. Ortiz un rapport en vertu de l’article 44, selon lequel il était interdit de territoire parce que son parrain était devenu résident permanent par fraude. Le 27 janvier 2014, à la suite d’une enquête, la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la SI] a pris une mesure de renvoi contre lui. Ce jourlà, M. Ortiz a interjeté appel de la décision de la SI devant la Section d’appel de l’immigration [la SAI].

[4]  Entretemps, en juillet 2010, plus de 3,5 ans auparavant, M. Ortiz avait présenté sa demande de citoyenneté canadienne. Le 14 janvier 2014, un juge de la citoyenneté a approuvé la demande de citoyenneté présentée par M. Ortiz. Un délégué du ministre a accueilli la demande le 27 novembre 2014, et M. Ortiz a signé le serment de citoyenneté le 20 décembre 2014. Le serment comprenait une déclaration selon laquelle il n’a [traduction] « pas fait l’objet de procédures criminelles ou d’une enquête de l’immigration depuis qu’[il] a présenté [sa] demande de citoyenneté canadienne ».

[5]  Dans l’affidavit qu’il a déposé pour accompagner le présent contrôle judiciaire, M. Ortiz a affirmé qu’il a été informé, par courrier en date du 12 décembre 2016, qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] avait l’intention de révoquer sa citoyenneté sur le fondement de l’allégation selon laquelle il l’aurait obtenue par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. On lui a laissé une date limite de 60 jours pour présenter ses observations, qu’il a fournies.

[6]  Toutefois, le 16 juillet 2017, il a été informé que la procédure de révocation devait être considérée comme nulle et sans effet à la lumière de l’affaire Hassouna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 473 [Hassouna], qui a conclu que la procédure de révocation contrevenait à la Déclaration canadienne des droits, LC 1960, c 44, et a déclaré ses dispositions inopérantes.

[7]  Le 26 septembre 2018, la greffière a écrit à M. Ortiz pour l’aviser qu’il pourrait ne pas avoir droit à son certificat de citoyenneté parce qu’il était visé par une mesure de renvoi au moment où celuici a été accordé. La greffière a donné à M. Ortiz la possibilité de répondre, ce qu’il a fait par l’intermédiaire d’un avocat. Le 25 avril 2019, la greffière a annulé le certificat de citoyenneté de M. Ortiz. Cette décision d’annuler [la Décision] fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[8]  La greffière a décidé que M. Ortiz n’avait pas le droit de détenir un certificat de citoyenneté canadienne. Par conséquent, conformément au paragraphe 26(3) du Règlement sur la citoyenneté, DORS/93246 [le Règlement], elle a annulé son certificat de citoyenneté.

[9]  Ses motifs ont passé en revue la séquence des événements expliqués cidessus, faisant remarquer qu’au cours de la demande et de la période de traitement de sa citoyenneté, M. Ortiz était toujours considéré comme faisant l’objet d’une mesure de renvoi. Cela comprend l’époque où il a contesté l’ordonnance de renvoi auprès de la SI, puis de la SAI. La greffière a fait allusion à l’alinéa 2(2)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C29 [la Loi], qui se lit comme suit : « une mesure de renvoi reste en vigueur jusqu’à [...] son exécution ». Le passage pertinent de la décision de la greffière se lit comme suit :

[traduction

6. Le point saillant de votre situation est la question de savoir si vous êtes devenu légalement citoyen canadien ou non, puisque vous étiez sous le coup d’une mesure de renvoi au moment où un agent de la citoyenneté vous a accordé la citoyenneté, en violation de  l’alinéa 5(1)f) de la Loi sur la citoyenneté. Le fait que vous n’avez pas divulgué ces renseignements pertinents lorsque vous avez signé le serment, confirmant que vous n’avez fait l’objet d’aucune poursuite criminelle ou d’une procédure d’immigration depuis que vous avez déposé la demande de citoyenneté, comme il vous incombait de le faire en vertu de l’article 15 de la Loi sur la citoyenneté, est secondaire.

7. L’alinéa 5(1)f) de la Loi sur la citoyenneté prévoit ce qui suit :

Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui [...] n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi [...]

8. Étant donné que vous étiez sous le coup d’une mesure de renvoi au moment où vous avez obtenu la citoyenneté, un fait que vous ne contestez pas, une condition préalable fondamentale nécessaire pour que vous puissiez obtenir la citoyenneté canadienne de façon légale était absente et, par conséquent, vous n’avez pas satisfait aux exigences pour obtenir la citoyenneté.

[10]  La greffière a conclu que M. Ortiz n’avait jamais obtenu la citoyenneté et n’avait pas le droit à son certificat de citoyenneté canadienne. Elle a annulé le certificat et a demandé qu’il soit retourné à son bureau à Ottawa.

III.  Analyse

[11]  M. Ortiz soulève deux points à l’égard de la Décision.

[12]  Premièrement, il affirme que la greffière n’a pas suivi la procédure correcte et n’avait pas compétence pour annuler son certificat. Au moment de ses observations écrites au début de 2019, M. Ortiz a soutenu que cette question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, citant Assal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 505, au paragraphe 57 [Assal]. Toutefois, puisque l’audience devant la Cour a eu lieu en janvier 2020 – après que le cadre d’analyse révisé permettant de déterminer la norme de contrôle applicable a été énoncé dans Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] – M. Ortiz a convenu que la norme de contrôle devrait être celle de la décision raisonnable. J’y souscris : les questions de compétence ne constituent pas une catégorie distincte devant faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov, au paragraphe 65).

[13]  Deuxièmement, M. Ortiz soutient que la greffière a commis une erreur en annulant son certificat de citoyenneté. Les deux parties conviennent que cette question peut également faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable (voir Assal, au paragraphe 57), ce qui n’a pas été modifié par la décision dans Vavilov en raison de la présomption selon laquelle la norme de contrôle applicable lors de l’examen d’une décision administrative sur le fond devrait être celle de la décision raisonnable (Vavilov, au paragraphe 23).  Bien entendu, l’affaire Vavilov ellemême concernait le contrôle judiciaire de l’annulation par la greffière du certificat de citoyenneté canadienne d’un demandeur, et la Cour suprême a appliqué la norme de la décision raisonnable.

[14]  Lors d’un contrôle judiciaire d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour se demande si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celleci (Vavilov, au paragraphe 99). J’examinerai les deux questions, mais en guise de préface à mon analyse, je citerai une décision qui est semblable à l’espèce dans sa dimension factuelle. J’examinerai ces faits et ces ressemblances plus loin, mais, pour donner un aperçu du contexte du droit à la citoyenneté, je ne saurais fournir un meilleur résumé que celui offert par le juge Rennie (tel était son titre à l’époque) dans Afzal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1028, au paragraphe 15 [Afzal] :

La citoyenneté canadienne repose sur un fondement législatif. Il n’existe aucun droit à la citoyenneté indépendant ou distinct autrement qu’en conformité avec les dispositions de la partie I de la Loi – Le droit à la citoyenneté. Essentiellement, la citoyenneté peut être acquise par la naissance (alinéas 3(1)a) et b)) ou, comme en l’espèce, à la suite de la résidence permanente (alinéa 3(1)c)). La partie II de la Loi – Perte de la citoyenneté – autorise la révocation de la citoyenneté en vertu du paragraphe 10(1) lorsque le gouverneur en conseil est convaincu, sur rapport du ministre, que la personne visée a acquis la citoyenneté par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration. L’erreur administrative ne constitue pas l’un des motifs énumérés à la partie II.

[15]  Dans Afzal, malgré son échec à certains volets du processus de la citoyenneté, notamment le volet linguistique et le volet des connaissances – exigences préalables à l’obtention de la citoyenneté en l’absence d’une recommandation d’attribuer la citoyenneté pour des raisons d’ordre humanitaire – la demanderesse a prêté serment de citoyenneté et reçu un certificat de citoyenneté à la suite d’une « série d’erreurs administratives » (Afzal, au paragraphe 5). De même, une série d’erreurs se sont produites en l’espèce, étant donné qu’IRCC avait connaissance de la mesure de renvoi en cours.

A.  La greffière a raisonnablement choisi la procédure d’annulation – et n’a pas commis d’erreur dans le choix

[16]  M. Ortiz soutient que la greffière a suivi la mauvaise procédure en annulant son certificat de citoyenneté en vertu du paragraphe 26(3) du Règlement. Il soutient que cette mesure était déraisonnable parce que le paragraphe 26(3) ne permet à la greffière d’annuler un certificat que si son titulaire n’y a pas droit mais que, dans son cas, il a droit à son certificat. Autrement dit, bien qu’il n’ait peutêtre pas été admissible à la citoyenneté en premier lieu, le paragraphe 26(3) est formulé au présent – c’estàdire qu’il habilite la greffière à annuler le certificat d’une personne qui « n’a pas droit » à ce certificat, plutôt qu’une personne qui [traduction] « n’y avait pas droit » – et M. Ortiz a droit à son certificat en ce moment.

[17]  M. Ortiz affirme qu’il est devenu citoyen à juste titre en vertu des alinéas 3(1)c) et 12(2)a) de la Loi, puis a prêté serment de citoyenneté. Étant donné cette attribution de la citoyenneté, il soutient que – en vertu de l’article 7 de la Loi – sa citoyenneté ne peut prendre fin qu’en cas de renonciation ou de révocation en vertu de l’article 10.

[18]  M. Ortiz soutient que l’article 10 de la Loi, qui permet au ministre de révoquer la citoyenneté d’une personne si elle a été obtenue par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, était le seul moyen approprié de mettre fin à sa citoyenneté dans les circonstances. En ne se conformant pas au processus de révocation prévu à l’article 10, la greffière l’a privé des mesures de protection à l’égard de la révocation. M. Ortiz cite ces mesures de protection supplémentaires qui comprennent les protections procédurales prévues à la partie II de la Loi, y compris un recours disponible auprès du ministre et de la Cour, si l’affaire devait être instruite. En plus de faire valoir qu’il n’a pas bénéficié de ces protections procédurales, M. Ortiz soutient également que l’article 10 est rendu superflu si le paragraphe 26(3) du Règlement peut être utilisé dans ce type de circonstances, étant donné qu’il n’y aurait jamais lieu d’entamer un processus de révocation plus solide.

[19]  Malgré les arguments concertés de M. Ortiz selon lesquels cette question aurait dû suivre la procédure de la révocation, je ne suis pas d’accord pour dire que le choix de la procédure par la greffière était déraisonnable. L’alinéa 3(1)c) de la Loi précise qu’une personne est citoyenne si elle a « obtenu la citoyenneté – par attribution ou acquisition – sous le régime des articles 5 ou 11 ». L’alinéa 5(1)f), tel que reproduit cidessus (dans l’extrait de la Décision), interdit au ministre d’attribuer la citoyenneté à toute personne sous le coup d’une mesure de renvoi (voir l’annexe A des présents Motifs pour le texte complet de la disposition).

[20]  M. Ortiz était sous le coup d’une mesure de renvoi lorsque le ministre lui a accordé la citoyenneté : cette attribution était donc contraire – et non conforme – à l’article 5. Par conséquent, il était raisonnable de conclure que M. Ortiz n’avait pas obtenu la citoyenneté. L’alinéa 12(2)a) de la Loi n’autorise qu’à ceux qui ont effectivement obtenu la citoyenneté de recevoir un certificat de citoyenneté. M. Ortiz n’avait pas ce droit puisqu’il n’a jamais acquis la citoyenneté, bien qu’il ait reçu par erreur un certificat de citoyenneté et qu’il ait été autorisé à prêter serment de citoyenneté. Le certificat n’est qu’un simple document qui prouve la validité de la citoyenneté. Il ne confère pas de droits, mais plutôt les confirme, c’est pourquoi sa restitution (paragraphes 26(1) et (2) du Règlement) ou son retour peuvent être exigés. Selon l’interprétation que la greffière donne au régime législatif (dont j’ai conclu qu’elle était raisonnable), la révocation n’a lieu qu’une fois que le demandeur a obtenu la citoyenneté.

[21]  Étant donné que la greffière a adopté la position selon laquelle IRCC avait délivré le certificat de citoyenneté par erreur, l’annulation était une mesure tout à fait raisonnable. IRCC aurait pu procéder à la révocation s’il avait allégué que M. Ortiz avait obtenu sa citoyenneté par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. En effet, M. Ortiz a raison de souligner qu’il aurait obtenu plus de protections procédurales si cette procédure avait été choisie par la greffière, étant donné toutes les étapes d’un procès visant à révoquer la citoyenneté après l’entrée en vigueur des récentes modifications postérieures à Hassouna grâce à la promulgation du projet de loi C6 (Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté). En effet, tel qu’il est expliqué dans le contexte cidessus, la ministre a lancé ce processus à la fin de 2016. Cependant, elle est revenue en arrière sur ce moyen, mettant fin à sa procédure de révocation en 2017 après la publication de la décision de la Cour dans Hassouna.

[22]  Pourtant, une autre option qui s’offrait clairement à la greffière en vertu du cadre législatif était de passer par l’autre voie d’annulation. Si la Cour substituait son résultat privilégié à celui du décideur administratif, cela irait à l’encontre des instructions concernant le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable qui se trouvent dans Vavilov. Au contraire, on m’enjoint de commencer par les motifs, et d’évaluer s’ils justifient le résultat. Autrement dit, Vavilov ordonne à la Cour qui procède à un contrôle judiciaire d’adopter une approche qui commence par l’examen des motifs. En effet, en plus de la dernière partie du paragraphe 99 de Vavilov précité qui évoque la décision Dunsmuir c NouveauBrunswick, 2008 CSC 9, ce paragraphe commence par la majorité indiquant que la « cour de révision doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable ». Cela dit, même si j’avais commencé par le résultat et que j’avais ensuite examiné les motifs, comme le voulait l’approche dans Dunsmuir, la mesure de la greffière aurait tout de même été raisonnable.

B.  La greffière n’a pas commis d’erreur en annulant le certificat de citoyenneté de M. Ortiz

[23]  Outre la conclusion de la greffière selon laquelle les fonctionnaires d’IRCC avaient commis une erreur, elle a conclu que M. Ortiz n’avait jamais eu droit à la citoyenneté en raison de l’ordonnance de renvoi toujours valide. Ainsi, la greffière a conclu qu’il n’avait jamais eu la citoyenneté canadienne, et qu’elle devait annuler le certificat conformément aux dispositions du paragraphe 26(3) du Règlement. Tout comme le choix de la procédure par la greffière, ce résultat était raisonnable. En effet, l’un découle naturellement de l’autre.

[24]  Cette interprétation a été entérinée par la jurisprudence. En particulier, la Cour a reconnu que ce n’est pas le certificat luimême qui confère la citoyenneté, mais plutôt le respect de la Loi. Par conséquent, si un certificat a été délivré en raison d’une erreur administrative alors que les exigences de la Loi n’ont pas été satisfaites, la greffière a le pouvoir de prendre des mesures en vertu des dispositions d’annulation prévues à l’article 26 du Règlement et d’annuler le certificat si la personne n’y a pas droit. Étant donné que l’avocat du demandeur s’est penché sur chacune des principales affaires qui ont porté sur ce sujet, tant dans les observations écrites que lors de l’audience du contrôle judiciaire, j’expliquerai brièvement la raison pour laquelle chaque affaire appuie l’approche du défendeur et ne laisse pas entendre que l’annulation était déraisonnable dans les circonstances.

[25]  Premièrement, dans Giesbrecht Veleta c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 138 [Veleta], la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il y avait des irrégularités dans les étapes suivies qui étaient censées être conformes à l’article 26 du Règlement, ainsi que des violations de l’équité procédurale en ce qui concerne la notification des personnes touchées. La Cour a accepté les arguments sur l’iniquité en ce qui concerne l’avis d’annulation de la citoyenneté, mais elle a néanmoins reconnu le pouvoir du greffier d’annuler le certificat s’il se conforme aux dispositions prévues au Règlement, en indiquant au paragraphe 19 que « si la personne est réputée ne plus y avoir droit [à la citoyenneté], le greffier “annule le certificat” [paragraphe 26(3)] ».

[26]  L’année suivante, Hitti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 294 [Hitti], avait trait à des certificats de citoyenneté qui ont été délivrés à deux enfants nés au Canada, alors qu’aucun des parents n’était résident permanent ni citoyen du Canada et que le père jouissait d’un statut diplomatique au Canada. Le juge Harrington a fait remarquer que les certificats de citoyenneté des demandeurs ont été délivrés à la suite d’une erreur administrative, mais a précisé que « ce n’est pas le certificat de citoyenneté en soi qui donne à un individu le droit à la citoyenneté, mais bien le texte législatif qui l’énonce » (au paragraphe 16). Il a tranché en affirmant qu’il serait faux de prétendre que les enfants ont perdu leur droit à la citoyenneté puisque dans les faits, ils n’ont jamais été en droit d’en jouir.

[27]  Ensuite, dans Afzal, tel qu’il est mentionné plus haut, la demanderesse avait prêté serment de citoyenneté et reçu un certificat de citoyenneté malgré son échec à des conditions préalables obligatoires en vertu de l’article 5 de la Loi – notamment le volet linguistique et le volet des connaissances à l’examen écrit et par la suite devant le juge de la citoyenneté. Le greffier a conclu que la demanderesse s’était vu attribuer le certificat par erreur, et a annulé le certificat en vertu du paragraphe 26(3) du Règlement. Le juge Rennie a déclaré ce qui suit au paragraphe 16 :

Dans le cas d’un résident permanent cherchant à obtenir la citoyenneté canadienne, les conditions préalables expressément énoncées dans la Loi doivent être respectées. Suivant ces conditions, il faut démontrer un certain niveau de compétence linguistique dans l’une ou l’autre des langues officielles du Canada et une connaissance suffisante des normes sociales, civiques et politiques du Canada. Ces compétences doivent être établies avant que la citoyenneté ne soit attribuée.

[28]  Le juge Rennie a conclu qu’un « certificat, même s’il a été délivré, n’a aucun effet si les conditions préalables à la citoyenneté n’ont pas été remplies. La citoyenneté de la demanderesse n’avait pas été révoquée et les articles 7, 10 et 18 ne s’appliquaient pas, puisque la demanderesse n’a jamais obtenu la citoyenneté » (au paragraphe 25). En rejetant le contrôle judiciaire, le juge Rennie a expliqué qu’« [i]l ne s’agit pas d’une situation où la citoyenneté, une fois qu’elle a été attribuée dans le respect de la loi, est perdue ou révoquée. En l’espèce, la demanderesse n’a jamais possédé la citoyenneté » (au paragraphe 29); « [l’]article 27 de la Loi prévoit l’annulation dans des situations semblables à la présente, lorsqu’un certificat a été délivré à la suite d’une erreur administrative, ainsi que dans les situations d’urgence ou les situations nouvelles » (au paragraphe 30).

[29]  Enfin, dans Assal, il s’agissait d’enfants qui ont obtenu des certificats de citoyenneté après que les demandeurs, un groupe de citoyens canadiens, eurent obtenu des certificats de naissance frauduleux pour ces enfants. Les demandeurs ont faussement identifié les enfants comme étant leurs enfants biologiques et, par conséquent, en tant que citoyens canadiens de droit en vertu de l’alinéa 3(1)b) de la Loi. Cinq ans plus tard, les autorités canadiennes ont découvert la fraude. Après une série de procédures (y compris des poursuites pénales) et l’expiration de trois ans, la greffière a annulé les certificats pour tous les enfants et a demandé qu’ils soient retournés, en vertu du paragraphe 26(3) du Règlement.

[30]  Lors du contrôle judiciaire devant la Cour, les demandeurs dans Assal ont soutenu que le paragraphe 26(3) vise les erreurs administratives plutôt que les fausses représentations et que la greffière aurait dû plutôt recourir à la procédure de révocation, en vertu de laquelle ils auraient bénéficié de protections procédurales plus importantes. Le juge St. Louis a soutenu que l’annulation d’un certificat de citoyenneté n’enlève aucun droit ou statut à son titulaire puisque ce dernier n’en a pas. Il s’agit plutôt d’une mesure concrète pour confirmer que le certificat n’appartient pas au titulaire, et qu’il devrait par conséquent être annulé. La perte ou la révocation de la citoyenneté, en revanche, ne peut s’appliquer qu’aux personnes qui ont la citoyenneté; une personne ne peut perdre ce qu’elle n’a pas.

[31]  La décision dans Assal s’appuyait sur les conclusions du juge Rennie dans Afzal concernant l’annulation des certificats de citoyenneté, lorsque le juge St. Louis a affirmé que « la greffière avait compétence pour annuler les certificats de citoyenneté et sa décision est conforme aux règles de droit puisque les enfants n’avaient pas la qualité de citoyen et n’y avaient pas droit. Les conditions préalables à la citoyenneté énumérées à l’alinéa 3(1)b) de la Loi n’ont jamais été remplies et le certificat de citoyenneté, même délivré, n’a eu aucun effet » (Assal, au paragraphe 75).

[32]  M. Ortiz tente d’analyser et de distinguer cette jurisprudence. Il commence par la proposition que, contrairement à son cheminement vers la citoyenneté, les demandeurs dans Hitti et Assal n’ont jamais demandé ni obtenu la citoyenneté. Au contraire, ils ont simplement demandé et reçu leur certificat de citoyenneté. Par conséquent, selon son raisonnement, ils n’étaient pas considérés comme des citoyens dès le départ.

[33]  Lorsqu’on a demandé à l’avocat de M. Ortiz de concilier cette théorie avec les faits et la décision rendue dans l’affaire Afzal, il a répondu qu’Afzal était un cas particulier et a laissé entendre que c’était une décision erronée. Bien au contraire, je suis d’avis que les motifs invoqués par le juge Rennie présentent un exercice très réfléchi et approfondi d’interprétation de la loi, et je me suis déjà appuyé sur cette décision dans le passé (Berisha c Canada (Procureur général), 2016 CF 755, au paragraphe 24 [Berisha]). Comme je l’ai mentionné plus haut, le juge St. Louis s’est également appuyé sur cette décision dans Assal, laquelle est également conforme à Veleta et à Hitti en ce sens qu’elle appuie la proposition que c’est la loi, plutôt que le certificat de citoyenneté, qui confère le droit à la citoyenneté à une personne. Les affaires principales cadrent donc toutes avec la proposition selon laquelle lorsqu’un certificat a été délivré par erreur, le greffier doit l’annuler. C’est ce qui s’est produit en l’espèce.

[34]  Si l’on applique le raisonnement de ces décisions aux faits de l’espèce, il était raisonnable que la greffière annule le certificat de M. Ortiz après avoir conclu qu’il n’avait jamais eu droit à la citoyenneté. Et contrairement aux arguments de l’avocat, la Décision a rendu son cas parfaitement identique à celui de la demanderesse dans Afzal, ainsi qu’avec les demandeurs dans Hitti et Assal, qui n’avaient jamais eu droit à la citoyenneté en vertu de la loi dès le départ. En l’espèce, la greffière a fondé la Décision sur une erreur administrative au sein de son ministère, ce qui signifie que M. Ortiz n’a jamais obtenu la citoyenneté parce qu’il n’a jamais satisfait aux conditions préalables à l’attribution de la citoyenneté. Étant donné que M. Ortiz, comme Mme Afzal, n’avait pas satisfait aux conditions préalables, le certificat – même s’il avait été délivré et reçu – n’avait aucune valeur. La jurisprudence applicable appuie ce principe.

IV.  Conclusion

[35]  M. Ortiz, qui n’était pas admissible à la citoyenneté canadienne parce qu’il était sous le coup d’une mesure de renvoi, a néanmoins obtenu un certificat de citoyenneté en raison d’une erreur administrative. Malgré ces circonstances regrettables, je conclus que la décision de suivre la procédure d’annulation plutôt que la procédure de révocation est raisonnable. Je conclus également que la décision d’annuler le certificat en fin de compte est raisonnable, suivant la conclusion selon laquelle il n’a jamais automatiquement obtenu la citoyenneté malgré la délivrance de son certificat. Le libellé des dispositions législatives pertinentes et la jurisprudence de la Cour appuient tous le résultat, tout comme les motifs. Par conséquent, la Décision est raisonnable, et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans T95119

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de mars 2020

Caroline Tardif, traductrice


ANNEXE A

Loi sur la citoyenneté, LRC (1985), c C-29

Version du document du

2014-08-01 au 2015-02-25

Citizenship Act, RSC 1985, c C-29

Version of document from 2014-08-01 to 2015-02-25

 

Citoyens

Persons who are citizens

 

3 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne :

 

3 (1) Subject to this Act, a person is a citizen if

 

a) née au Canada après le 14 février 1977;

 

(a) the person was born in Canada after February 14, 1977;

 

b) née à l’étranger après le 14 février 1977 d’un père ou d’une mère ayant qualité de citoyen au moment de la naissance;

 

(b) the person was born outside Canada after February 14, 1977 and at the time of his birth one of his parents, other than a parent who adopted him, was a citizen;

 

c) ayant obtenu la citoyenneté — par attribution ou acquisition — sous le régime des articles 5 ou 11 et ayant, si elle était âgée d’au moins quatorze ans, prêté le serment de citoyenneté;

(c) the person has been granted or acquired citizenship pursuant to section 5 or 11 and, in the case of a person who is fourteen years of age or over on the day that he is granted citizenship, he has taken the oath of citizenship;

 

[…]

 

Attribution de la citoyenneté

 

Grant of citizenship

5 (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

5 (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

a) en fait la demande;

 

(a) makes application for citizenship;

 

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

 

(b) is eighteen years of age or over;

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

[…]

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

 

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

 

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

f). a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

[…]

 

 

Décret en cas de fraude

Order in cases of fraud

 

10 (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu’il est convaincu, sur rapport du ministre, que l’acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l’intéressé, à compter de la date qui y est fixée :

 

10 (1) Subject to section 18 but notwithstanding any other section of this Act, where the Governor in Council, on a report from the Minister, is satisfied that any person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship under this Act by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances,

 

a) soit perd sa citoyenneté;

 

(a) the person ceases to be a citizen, or

 

b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.

(b) the renunciation of citizenship by the person shall be deemed to have had no effect,

 

as of such date as may be fixed by order of the Governor in Council with respect thereto.

Présomption

 

Presumption

(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l’a acquise à raison d’une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l’un de ces trois moyens.

(2) A person shall be deemed to have obtained citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances if the person was lawfully admitted to Canada for permanent residence by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances and, because of that admission, the person subsequently obtained citizenship.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 T95119

 

INTITULÉ :

ISRAEL WILSON ORTIZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 janvier 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 février 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Dov Maierovitz

 

Pour le demandeur

 

Me Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EME Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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