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Date : 20200131


Dossier : IMM-3336-19

Référence : 2020 CF 180

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2020

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

CHUKWUMA OGBONNA OBIANUJU, CHRISTINANA CHUKWUMA, CHIAMAKA VICTORY OGBONNA, BLESSING CHIDIMA CHUKWUMA OGBONNA et CHIMAOBI VICTOR OGBONNA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a rejeté l’appel des demandeurs et confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) en vertu du paragraphe 111(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la LIPR). La SAR a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

Contexte

[3]  Les demandeurs forment une famille de cinq personnes. Le demandeur principal et ses enfants sont citoyens du Nigéria et de l’Afrique du Sud. L’épouse du demandeur principal est citoyenne du Nigéria seulement.

[4]  Les demandeurs soutiennent qu’en 2008, peu après la naissance de la fille aînée du couple, la mère du demandeur principal et d’autres femmes se sont rendues sur les lieux pour choisir une date en vue de soumettre l’enfant à une mutilation génitale féminine (MGF). L’épouse du demandeur principal a retardé la MGF et la famille s’est enfuie à Enugu. À la suite d’un appel téléphonique de la mère du demandeur principal qui voulait que l’enfant soit retourné, les demandeurs ont fui en Afrique du Sud en juillet 2008.

[5]  Les demandeurs sont venus au Canada en décembre 2016 et ont demandé l’asile en raison du risque de MGF pour les demanderesses mineures. Ils ont également affirmé qu’ils craignaient la violence xénophobe en Afrique du Sud. Le demandeur principal a affirmé qu’il ne pouvait pas retourner au Nigéria en raison du rôle de son père dans la guerre du Biafra et de son appui à l’actualisation de l’État du Biafra.

[6]  La SPR a rejeté la demande présentée par les demandeurs dans une décision en date du 16 mai 2018. Le facteur déterminant était l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Lagos, au Nigéria. Les demandeurs ont interjeté appel auprès de la SAR et, dans une décision rendue le 8 mai 2019, la SAR a confirmé la décision de la SPR. La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

Décision faisant l’objet du contrôle

[7]  Comme il en sera question plus loin, dans leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs ne soulèvent aucune véritable erreur de fait ou de droit dans la décision de la SAR. Ils soutiennent plutôt que la SAR a manqué à l’équité procédurale en ne renvoyant pas l’affaire à la SPR pour réexamen. Pour cette raison, et bien que la SAR ait fourni des motifs exhaustifs et cohérents à l’appui de sa décision, seuls les aspects de celle-ci qui se rapportent au manquement allégué à l’équité procédurale sont décrits ci-dessous.

[8]  À cet égard, la SAR a énoncé les cinq erreurs factuelles commises par la SPR, telles qu’elles ont été relevées par les demandeurs. La SAR a noté la position des demandeurs, qui ont affirmé que la nature importante des erreurs laissait entendre qu’une partie des motifs de la décision de la SPR pouvait être fondée sur les faits d’une autre demande d’asile et que cela était fatal à la décision de la SPR, et qui ont exigé que leur demande soit renvoyée à la SPR pour réexamen. Toutefois, la SAR a conclu que la SPR a utilisé les faits exacts dans son analyse proprement dite. De plus, les demandeurs n’ont pas présenté d’observations sur la façon dont ils ont été lésés par les erreurs, lesquelles ont été relevées dans le résumé au début de la décision, lorsque la SPR a fondé son évaluation subséquente du risque sur des conclusions de fait exactes.

[9]  La SAR a convenu que la SPR avait commis une erreur en faisant les erreurs factuelles relevées dans le résumé des faits. La SAR a toutefois conclu que, parce qu’elle peut corriger des erreurs et substituer sa propre décision à celle de la SPR, ces erreurs à elles seules ne justifiaient pas le renvoi de l’affaire à la SPR. La SAR a également déclaré qu’elle tiendrait compte des faits exacts lorsqu’elle évaluerait le bien-fondé de la décision de la SPR.

Question en litige

[10]  Les deux parties s’appuient sur leurs observations respectives à l’étape de l’autorisation. Les demandeurs soulèvent une question qu’ils formulent ainsi :

La SAR a-t-elle manqué aux principes de l’équité procédurale en ne renvoyant pas l’affaire à la SPR pour qu’elle soit tranchée par un autre commissaire?

[11]  Comme il sera expliqué plus loin, bien que les demandeurs aient présenté cette question comme une question d’équité procédurale, il s’agit en réalité d’une contestation du caractère raisonnable de la décision de la SAR.

Norme de contrôle judiciaire

[12]  Après que les parties eurent déposé leurs observations écrites, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), qui a revu la norme de contrôle applicable aux décisions administratives. Par conséquent, j’ai invité les avocats à traiter de cette décision lorsqu’ils ont comparu devant moi. Ils ont fait valoir, et je suis d’accord, que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 et Vavilov, aux paragraphes 16 et 23), et que pour l’examen du bien-fondé d’une décision, la norme est celle du caractère raisonnable.

[13]  Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a conclu qu’il existe une présomption selon laquelle le caractère raisonnable est la norme applicable lorsqu’un tribunal examine une décision administrative (Vavilov, aux paragraphes 16, 23 et 25). Cette présomption peut être réfutée dans deux types de situations. La première situation est lorsque le législateur prescrit explicitement la norme de contrôle applicable ou lorsqu’il a prévu dans la loi un mécanisme d’appel à l’égard d’une décision administrative auprès d’un tribunal judiciaire. La deuxième situation est lorsque la primauté du droit exige l’application de la norme de la décision correcte. Ce sera le cas pour certaines catégories de questions, à savoir les questions constitutionnelles, les questions générales de droit d’importance centrale pour l’ensemble du système juridique, les questions concernant les limites de compétence entre les organismes administratifs, ou toute autre catégorie qui peut par la suite être reconnue comme exceptionnelle et qui nécessite également un examen selon la norme de la décision correcte (Vavilov, aux paragraphes 17 et 69).

[14]  Dans l’arrêt Vavilov, la majorité a soutenu que « c’est le fait même que le législateur choisit de déléguer le pouvoir décisionnel qui justifie l’application par défaut de la norme de la décision raisonnable » (Vavilov, au paragraphe 30, italiques dans l’original). En l’espèce, dans le cadre du contrôle de la décision de la SAR, la norme applicable est présumée être celle de la décision raisonnable parce que la SAR a le pouvoir délégué de rendre la décision faisant l’objet du contrôle. Les demandeurs n’ont pas laissé entendre qu’il existe des circonstances qui pourraient réfuter la présomption en l’espèce et, à mon avis, il n’y en a aucune.

Analyse

Position des demandeurs

[15]  Les observations des demandeurs sur cette seule question sont longues, mais se résument à l’argument selon lequel la SAR a manqué à son obligation d’équité procédurale lorsqu’elle a refusé la demande des demandeurs de renvoyer l’affaire à la SPR en vue d’un réexamen et a plutôt choisi de confirmer la décision de la SPR. Les demandeurs font valoir que la SPR a commis de nombreuses erreurs de fait importantes, ce qui a mené à la conclusion que la SPR n’a pas bien tenu compte de la preuve écrite et orale et qu’elle a confondu leur demande d’asile avec une autre. Pour cette raison, la décision de la SPR ne répondait pas à leur attente légitime d’une décision juste et intelligible. Les demandeurs font valoir que, pour respecter les principes d’équité procédurale et les attentes légitimes des demandeurs, la SAR devait renvoyer l’affaire à la SPR.

[16]  Les demandeurs acceptent le fait que la SAR doit faire preuve d’une certaine retenue avant de substituer sa propre décision à celle de la SPR (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 70 [Huruglica]), mais cela signifie également que la SAR devrait faire preuve de retenue avant de confirmer une décision. Dans cette situation, la gravité des erreurs factuelles commises par la SPR signifiait que la SAR devait faire preuve de retenue.

Position du défendeur

[17]  Le défendeur soutient que la SAR ne peut renvoyer une demande d’asile à la SPR que si elle est d’avis qu’elle ne peut rendre une décision finale sans entendre la preuve orale présentée à la SPR (Huruglica, au paragraphe 103; paragraphes 111(1) et (2) de la LIPR).

[18]  La SAR a reconnu, dans son résumé initial des faits, que la SPR a commis un certain nombre d’erreurs de fait, mais elle a également fait remarquer que, lorsque la SPR a réellement effectué son analyse, elle s’est fondée sur des faits exacts. Par conséquent, la façon dont les demandeurs ont été lésés n’était pas claire. De plus, la SAR a conclu à juste titre qu’elle pouvait corriger les erreurs de la SPR et substituer sa propre décision à celle de la SPR. Rien n’indiquait que la SAR était incapable de rendre une décision finale en fonction des éléments de preuve dont elle disposait. Le défendeur soutient que la conclusion de la SAR était raisonnable et conforme à la législation et à la jurisprudence. De plus, les demandeurs ne pouvaient pas s’attendre légitimement à ce que l’affaire soit renvoyée à la SPR, car cela serait contraire à la législation et à la jurisprudence.

Analyse

[19]  Je constate d’abord que les cinq erreurs factuelles commises par la SPR et relevées par les demandeurs se trouvent toutes dans la section intitulée « Allégations » qui figure au début de la décision et avant la section de la décision intitulée « Analyse ».

[20]  Il s’agit des erreurs suivantes :

-  La SPR a déclaré qu’au quatrième anniversaire de l’enfant, sa grand-mère a annoncé que l’enfant serait circoncis (assujetti à la MGF) à l’âge de cinq ans. En fait, la preuve indiquait que la grand‑mère avait annoncé que l’enfant ferait l’objet d’une MGF à l’âge de 3 mois lorsque la grand-mère est venue chez les demandeurs pour prendre les dispositions nécessaires;

-  La SPR a déclaré que la demandeure d’asile principale a allégué qu’elle avait été menacée par la famille de son époux pour avoir refusé la MGF proposée et que cela l’avait amenée à faire une fausse couche le 16 septembre 2016. Les demandeurs font valoir que l’épouse du demandeur principal n’était pas enceinte en 2016, qu’elle n’a pas perdu d’enfant et que le plus jeune enfant de la famille est né le 23 novembre 2012;

-  La SPR a déclaré que la demandeure d’asile principale a affirmé que son beau-père est un surintendant de la police à la retraite et a ajouté que les demandeurs d’asile ne seraient pas en mesure de déménager, car les relations de son beau-père lui permettraient de suivre la famille partout au Nigéria. Les demandeurs affirment que c’est complètement faux et qu’ils n’ont pas présenté de tels éléments de preuve;

-  La SPR a déclaré que les demandeurs ont quitté le Nigéria le 12 octobre 2016. Toutefois, selon les éléments de preuve, ils ont quitté l’Afrique du Sud le 2 décembre 2016 et sont arrivés au Canada le 3 décembre 2016;

-  La SPR a affirmé que le père du demandeur principal vit dans l’État d’Enugu, au Nigéria, mais la preuve indiquait qu’il vit dans l’État d’Abia.

[21]  Bien que la SAR ait conclu que les demandeurs n’avaient pas expliqué en quoi les erreurs relevées dans cette section initiale de la décision de la SPR les avaient lésées, étant donné que la SPR s’était fondée sur les faits exacts dans son analyse proprement dite, les demandeurs ne l’expliquent pas non plus maintenant dans leurs observations dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Les demandeurs ne mentionnent rien dans l’analyse de la SPR pour appuyer cette assertion, ni leur allégation selon laquelle la SPR n’a pas dûment tenu compte de la preuve écrite et orale dans son analyse. Et bien qu’ils affirment que les erreurs touchent des points essentiels de leur demande d’asile, ils n’expliquent pas, par exemple, comment l’erreur dans l’âge de l’enfant est une telle erreur. L’allégation de risque de MGF était au cœur de leur allégation. L’âge de l’enfant, lorsque ce risque se serait manifesté pour la première fois, semble être un point périphérique. De plus, la SAR a déclaré avoir utilisé les faits corrigés dans son évaluation. Les demandeurs ne signalent aucune erreur connexe dans l’analyse de la SAR.

[22]  Les demandeurs soutiennent également que les erreurs susmentionnées donnent à penser que la SPR n’a peut-être pas tenu compte de tous les renseignements pertinents et qu’elle a peut‑être commis d’autres erreurs. Ils soutiennent que la SAR n’a peut-être pas reconnu ces autres erreurs lorsqu’elle a entendu l’appel. Cette observation n’est pas fondée. Les demandeurs ne mentionnent aucune autre erreur factuelle ou autre pour étayer leur observation, et la SAR a explicitement traité des erreurs factuelles que les demandeurs ont relevées ainsi que de l’affirmation des demandeurs selon laquelle la SPR a commis une erreur dans l’application des Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe, et en concluant que le risque pour les demandeurs ne s’étendait pas à Lagos. Et lorsqu’elle a rendu sa décision, la SAR avait devant elle l’ensemble du dossier qui était devant la SPR.

[23]  Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’affirmation des demandeurs selon laquelle la SAR a manqué à l’équité procédurale en ne renvoyant pas l’affaire à la SPR pour réexamen ne peut être acceptée.

[24]  Le paragraphe 111(1) de la LIPR n’est pas mentionné par les demandeurs. Toutefois, il précise comment la SAR doit procéder lorsqu’elle examine un appel.

[25]  Le paragraphe 111(1) de la LIPR prévoit ce qui suit :

111(1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

(2) Elle ne peut procéder au renvoi que si elle estime, à la fois :

a) que la décision attaquée de la Section de la protection des réfugiés est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) qu’elle ne peut confirmer la décision attaquée ou casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés.

[26]  Par conséquent, la loi habilitante énonce clairement que la SAR ne peut renvoyer une affaire à la SPR pour réexamen que si elle est d’avis que la SPR a commis une erreur de droit, une erreur de fait ou une erreur mixte de droit et de fait, et que la SAR ne peut rendre une décision définitive sans entendre la preuve orale présentée à la SPR.

[27]  Dans l’arrêt Huruglica, la Cour d’appel fédérale a examiné l’article 111 de la LIPR, et les paragraphes suivants sont pertinents pour la présente analyse :

[58]  Les articles 110 et 111 […] visent les appels interjetés auprès de la SAR à l’égard de décisions de la SPR. Sous réserve de mes observations concernant l’alinéa 111(2)b), je souscris de manière générale à la conclusion de la SAR portant qu’il ne ressort ni des articles 110 et 111, ni de la loi dans son ensemble qu’il faille déférer aux conclusions de fait de la SPR. Comme la SAR l’a reconnu en l’espèce, ces dispositions témoignent de l’intention du législateur d’habiliter la SAR à assurer le règlement définitif des demandes de protection des réfugiés.

[59]  Plus particulièrement, l’alinéa 111(2)a) dispose que la SAR n’est pas tenue d’user de déférence à l’égard des conclusions de fait. L’alinéa 111(2)a) n’opère pas de distinction entre les erreurs de droit, les erreurs de fait, ou les erreurs mixtes de fait et de droit. Il exige simplement que la décision de la SPR soit « erronée en droit, en fait ou en droit et en fait » (en anglais : « wrong in law, in fact or in mixed fact and law »).

[…]

[69]  J’examinerai maintenant l’alinéa 111(2)b), disposant que si une erreur a été relevée (alinéa 111[2]a]), la SAR peut renvoyer l’affaire pour réexamen, selon les instructions qu’elle juge appropriées, seulement si elle « estime » qu’elle ne peut confirmer ou casser la décision rendue par la SPR sans réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à celle-ci. Cette possibilité est offerte parce qu’il peut arriver que, dans certaines affaires mettant en cause des témoignages de vive voix cruciaux ou déterminants aux yeux de la SAR, celle-ci ne soit pas en mesure de confirmer une décision de la SPR ou d’y substituer la sienne.

[…]

[103]  Au terme de mon analyse des dispositions législatives, je conclus que, concernant les conclusions de fait (ainsi que les conclusions mixtes de fait et de droit) comme celle dont il est question ici, laquelle ne soulève pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix, la SAR doit examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. Ainsi, après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant. Après cette étape, la SAR peut statuer sur l’affaire de manière définitive, soit en confirmant la décision de la SPR, soit en cassant celle-ci et en y substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile. L’affaire ne peut être renvoyée à la SPR pour réexamen que si la SAR conclut qu’elle ne peut rendre une décision définitive sans entendre les témoignages de vive voix présentés à la SPR. Nulle autre interprétation des dispositions législatives pertinentes ne serait raisonnable.

[28]  Dans l’arrêt Huruglica, la Cour d’appel fédérale a précisé qu’un nouvel examen peut être nécessaire si la SPR conclut qu’un témoin n’était pas crédible en raison de contradictions qui ne justifient pas cette conclusion ou qui n’existent pas; ensuite, si la SAR conclut qu’« il est essentiel de connaître la valeur de ce témoignage pour confirmer ou casser la décision de la SPR, la SAR peut décider de renvoyer l’affaire à la SPR et donner ses instructions concernant l’erreur relevée dans les conclusions concernant la crédibilité » (Huruglica, au paragraphe 73).

[29]  En l’espèce, les demandeurs soutiennent que l’alinéa 111(2)b) s’applique parce que les erreurs factuelles commises par la SPR étaient si flagrantes qu’elles justifient le renvoi de la décision à la SPR. Bien que je ne sois pas convaincue que les erreurs étaient graves et qu’elles portaient sur l’essence même de la demande d’asile, cela importe peu. Le paragraphe 111(2) de la LIPR et l’arrêt Huruglica énoncent clairement que la SAR ne peut renvoyer la décision de la SPR pour réexamen que si elle est d’avis qu’une erreur a été commise et qu’elle ne peut confirmer la décision de la SPR ou la faire annuler et y substituer sa propre décision parce qu’elle ne pouvait pas rendre ces décisions sans entendre la preuve présentée à la SPR.

[30]  Les demandeurs soutiennent également qu’il n’y avait pas de question de crédibilité, puisque la SPR a jugé les demandeurs crédibles. À mon avis, cela signifie qu’il ne s’agit pas d’une situation où la décision de la SAR reposerait sur des éléments de preuve entendus par la SPR qui étaient en cause et auraient donc pu exiger que l’affaire soit renvoyée à la SPR pour réexamen.

[31]  De plus, la Cour a déjà décidé que, même lorsque la SAR conclut que la SPR a commis une erreur de fait, cela ne suffit pas pour obliger la SAR à renvoyer l’affaire à la SPR pour réexamen :

[31]  En ce qui concerne l’erreur de fait de la SPR, ou l’erreur mixte de fait et de droit, M. Liao observe que la SAR avait conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve au dossier pour que la SPR puisse conclure que le BSP ne le poursuivait pas.

[32]  Même si la SAR a tiré cette conclusion, elle n’était toutefois pas tenue de renvoyer l’affaire à la SPR pour qu’elle procède à un nouvel examen. L’alinéa 111(2)a) dispose que la SAR peut procéder au renvoi visé à l’alinéa 111(1)c), si elle est d’avis que la décision de la SPR était erronée en fait, en fait ou en droit, ou en droit. Il ressort manifestement de cette disposition que la SAR conserve le pouvoir discrétionnaire de prendre l’une de mesures visées aux alinéas 111(1)a) et b), plutôt que de prendre la mesure visée à l’alinéa 111(1)c), même si elle conclut que la SPR a commis une erreur de l’un des types mentionnés à l’alinéa 111(2)a).

(Liao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1163, souligné dans l’original).

[32]  À mon avis, en l’espèce, les demandeurs n’ont pas présenté d’argument qui cadre avec les paramètres de la capacité de la SAR de renvoyer une affaire à la SPR. Par conséquent, la demande présentée par les demandeurs est vouée à l’échec.

[33]  En ce qui concerne l’observation des demandeurs, fondée sur la décision Guerrero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1210, aux paragraphes 20 et 23 [Guerrero]), selon laquelle la Cour a déjà décidé que les erreurs commises par la SPR peuvent entraîner l’annulation d’une décision et son renvoi à un autre décideur de la SPR, cela semble être fondé sur un malentendu au sujet de la décision Guerrero. Dans cette affaire, une décision de la SPR a fait l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour. La Cour a conclu que les erreurs commises dans la décision étaient déraisonnables et que, par conséquent, la décision devait être renvoyée à la SPR pour réexamen. La décision Guerrero ne portait pas sur un contrôle judiciaire d’une décision de la SAR. Le paragraphe 111(1) de la LIPR n’était pas en cause.

[34]  L’argument concernant les attentes légitimes des demandeurs est qu’ils s’attendaient légitimement à recevoir une décision cohérente de la SPR et que, compte tenu des graves erreurs commises par la SPR, ces attentes n’ont pas été satisfaites. Par conséquent, il y a eu un manquement à l’obligation d’équité qui leur était due. À mon avis, cette observation n’est pas fondée. Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 14 Admin LR (3d) 173, au paragraphe 26 (Baker), la Cour suprême a relevé des facteurs qui éclairent le contenu de l’obligation d’équité, dont l’un est une « attente légitime ». Si une partie s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie ou un certain résultat soit obtenu, l’équité peut exiger des droits procéduraux plus étendus que ceux qui seraient autrement accordés. Cette doctrine est fondée sur le principe que les circonstances touchant l’équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs, et qu’il serait généralement injuste de leur part d’agir en contravention d’assurances données en matière de procédures, ou de revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants.

[35]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les demandeurs ne peuvent pas s’attendre légitimement à un résultat que la loi interdit expressément. La SAR n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale en refusant de renvoyer l’affaire à la SPR pour réexamen.

[36]  Enfin, bien que les demandeurs aient présenté cette question comme une question d’équité procédurale, à mon avis, elle n’est pas correctement formulée. Les demandeurs soutiennent qu’ils s’attendaient légitimement à recevoir une décision cohérente de la SPR. Toutefois, le caractère raisonnable de la prise de décisions administratives exige que les motifs soient cohérents, intelligibles, transparents et justifiés (Vavilov, au paragraphe 15). Ce que les demandeurs attaquent vraiment, mais ne règlent pas, c’est le caractère raisonnable du refus de la SAR de renvoyer l’affaire à la SPR en vertu du paragraphe 111(1), ce qui, implicitement, comporte une interprétation du paragraphe 111(2) de la LIPR. L’interprétation des lois habilitantes par les décideurs administratifs est régie par la norme de la décision raisonnable (Vavilov, au paragraphe 25).

[37]  De plus, l’approche des demandeurs ne tient pas compte en grande partie du rôle prévu de la SAR. La SAR siège en appel des décisions de la SPR et, sauf dans les circonstances limitées décrites au paragraphe 111(2) de la LIPR, elle rend la décision finale, sous réserve seulement d’un contrôle judiciaire par la Cour. Même lorsque la SPR a tort, la SAR peut substituer sa propre décision. Le but est de promouvoir le caractère définitif du processus de règlement des demandes. L’argument des demandeurs en matière d’équité procédurale semble être une tentative voilée de contourner une décision d’appel dans le but de plaider à nouveau l’affaire devant la SPR. Cette tentative ne peut pas réussir.


JUGEMENT dans le dossier no IMM-3336-19

LA COUR DÉCLARE que :

1.  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.  Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.  Aucune question de portée générale à certifier n’a été proposée ni n’est soulevée.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour de mars 2020

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3336-19

 

INTITULÉ :

CHUKWUMA OGBONNA et al c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 JANVIER 2020

 

jugement et motifs :

la juge STRICKLAND

 

DATE :

le 31 janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

ALASTAIR CLARKE

ALEXANDER MENTICOGLOU

pour les demandeurs

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CLARKE IMMIGRATION LAW

WINNIPEG (MANITOBA)

 

pour les demandeurs

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

WINNIPEG (MANITOBA)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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