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Date : 20200113


Dossier : IMM‑2045‑19

Référence : 2020 CF 36

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2020

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

ZHIDA XIE, YANFANG LIU, RUOLIN XIE,

JIN LIN XIE, BO LIN XIE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés oralement à l’audience à Toronto (Ontario), le 11 décembre 2019)

I.  Instance

[1]  La présente demande vise le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, rendue le 7 mars 2019 [la décision], par laquelle le commissaire du tribunal a rejeté la demande d’asile des demandeurs, après avoir conclu que ces derniers sont exclus au titre de la section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] RT Can no 6. La présente demande a été déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II.  Contexte

[2]  Les demandeurs sont une famille de la Chine, composée du demandeur principal, âgé de 45 ans, de son épouse, âgée de 42 ans [l’épouse], et de leur fille, âgée de 21 ans. Ce sont des citoyens chinois. Deux de leurs fils, âgés de 19 ans et de 15 ans, sont citoyens de Trinité, et ils ont également un quatrième enfant, qui est canadien.

[3]  Les demandeurs s’appuient sur le Formulaire de renseignements personnels [le FRP] de l’épouse. Cette dernière affirme que comme elle est tombée enceinte de son premier enfant en septembre 1997, elle et le demandeur principal ont enfreint la politique de planification familiale de la Chine, étant donné qu’ils n’étaient pas encore mariés. Leur fille est née le 29 mai 1998. Deux mois après l’accouchement, l’épouse a été forcée de porter un dispositif intra‑utérin [le DIU] et a été condamnée à une amende qui équivaut aujourd’hui à environ 4 725,00 $, en dollars canadiens.

[4]  Même si le DIU entraînait chez l’épouse de vives douleurs au bas du dos et des saignements abondants, elle n’était pas autorisée à l’enlever. Elle l’a donc fait retirer par un médecin du secteur privé, et elle a quitté la Chine pour se rendre à Trinité‑et‑Tobago en décembre 1998, en compagnie du demandeur principal. Leur fille est restée en Chine avec les parents du demandeur principal.

[5]  L’épouse a indiqué dans son FRP qu’elle et le demandeur principal ont tous deux obtenu le statut de résident permanent à Trinité.

[6]  L’épouse a également affirmé qu’au fil du temps, ils ont de plus en plus été victimes de discrimination à Trinité, en raison de leur race. Elle affirme qu’elle et son époux ont fait l’objet de menaces physiques et d’un traitement inégalitaire. Par exemple, l’homme qui livrait de la viande à leur restaurant a menacé de défoncer les portes et les fenêtres de leur établissement; ils payaient plus cher leur loyer, tout comme les produits qu’ils se procuraient au marché, en raison de leur race; ils croyaient, en outre, que la police ne les protégerait pas.

[7]  L’épouse affirme que les enfants sont également victimes de discrimination. Leur fille a été battue par d’autres élèves et lorsqu’ils en ont parlé au directeur, ce dernier a affirmé qu’il ne pouvait rien faire puisqu’ils étaient chinois. Leur fils aîné a obtenu des résultats exceptionnels à l’école, mais, toujours en raison de sa race, il n’a pas été accepté dans la meilleure école secondaire. Un autre de leurs fils a également été victime de discrimination. Il s’est vu refuser à dîner parce qu’il était chinois.

[8]  L’épouse soutient que la famille subissait de la discrimination à Trinité et que [traduction] « craignant la persécution en Chine et à Trinité, mon époux est parti pour le Canada avec nos enfants » le 27 juillet 2012.

III.  Décision

[9]  La SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif qu’ils sont exclus au titre de la section E de l’article premier.

IV.  Les questions en litige

[10]  Les demandeurs soutiennent que la décision devrait être annulée pour les motifs suivants :

  1. La SPR s’est appuyée sur les conclusions tirées par la Cour fédérale dans ses décisions et n’a pas procédé à sa propre analyse de la situation en ce qui a trait à l’application des mesures de planification familiale dans la province du Guangdong, en Chine;

  2. La Commission a commis une erreur de droit en exigeant que les demandeurs démontrent qu’ils étaient persécutés à Trinité.

[11]  J’examinerai ces questions à tour de rôle.

1.  Planification familiale

[12]  La SPR a conclu qu’il est peu probable que les demandeurs doivent se faire stériliser, compte tenu de leur âge et du fait qu’ils n’ont pas eu d’enfant depuis quatre ans. La SPR s’est référée au document de 2012 de la commission nationale de la population et de la planification familiale de la Chine, qui indique qu’une directive avait été émise pour interdire l’application brutale des mesures de planification familiale. Bien que des stérilisations et des avortements forcés aient été pratiqués en Chine, rien n’indique qu’il y en ait eu dans la province du Guangdong depuis 2012. La SPR a également examiné les éléments de preuve concernant les conditions dans le pays et a conclu que ceux‑ci démontrent que les autorités du Guangdong ont traditionnellement adopté une approche plus souple en matière de planification familiale. En 2011, le directeur de la commission de la planification familiale du Guangdong a déclaré avoir fait une demande pour être [traduction] « le chef de file du pays dans l’assouplissement de la politique de planification familiale ». L’article 53 du règlement du Guangdong relatif à la planification familiale prévoit une amende comme peine pour toute naissance non planifiée. La SPR a conclu que dans les circonstances, les responsables de la ville de Guangzhou respecteraient la directive de 2012.

[13]  La SPR a également fait référence aux nouveaux éléments de preuve concernant les conditions dans le pays, qui font état de la politique des deux enfants, laquelle précise que tout enfant devrait être enregistré, qu’il soit le deuxième, le troisième ou le énième enfant, et que la province du Guangdong a officiellement dissocié les amendes et l’enregistrement du hukou pour les enfants nés hors plan, bien qu’il faille tout de même payer l’amende tôt ou tard. S’appuyant sur ces éléments de preuve, la SPR a conclu que les enfants non chinois du demandeur pourraient être enregistrés au moyen d’un hukou et pourraient fréquenter l’école en Chine.

[14]  La SPR a également fait référence aux éléments de preuve montrant que les gens qui ont eu un deuxième ou un troisième enfant au Guangdong ont payé des amendes, mais qu’ils n’ont pas été forcés de porter un DIU ou de se soumettre à la stérilisation.

[15]  À mon avis, il est clair que la SPR a procédé à sa propre analyse, en se fondant sur les documents à sa disposition, et qu’elle s’est simplement appuyée sur les faits relevés dans les trois décisions de la Cour fédérale pour confirmer ses conclusions. Cela est raisonnable.

2.  Persécution à Trinité

[16]  La SPR a examiné les règles de droit énoncées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Zeng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 118, en ce qui concerne la section E de l’article premier. Ces règles peuvent être résumées ainsi pour les besoins de l’espèce :

  1. À la date de l’audience, le demandeur d’asile a‑t‑il, dans le tiers pays (Trinité), un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays?
    • En l’espèce, la réponse était non, puisque les demandeurs avaient perdu leur statut de résident permanent à la date de l’audience. En conséquence, la Commission était tenue d’examiner la question suivante.
  2. Le demandeur d’asile avait‑il précédemment ce statut et l’a perdu ou pouvait‑il obtenir ce statut, mais ne l’a pas fait? Si la réponse est négative, le demandeur d’asile n’est pas exclu.
    • En l’espèce, la réponse était oui, puisqu’il n’était pas contesté qu’en raison du temps écoulé, les demandeurs ont perdu leur statut de résident permanent à Trinité.
  3. La Commission était donc tenue de soupeser différents facteurs, notamment :
  • 1) la question de savoir pourquoi les demandeurs ont perdu leur statut à Trinité et, en particulier, si cette perte était volontaire ou involontaire;

  • 2) la possibilité, pour les demandeurs, de retourner à Trinité;

  • 3) le risque auquel les demandeurs seraient exposés en Chine;

  • 4) les obligations internationales du Canada;

  • 5) tous les autres faits pertinents.

[17]  La SPR a examiné et rejeté les allégations des demandeurs selon lesquelles ils étaient persécutés à Trinité en raison de leur origine ethnique chinoise et a donc conclu qu’ils avaient quitté volontairement Trinité. La SPR a également examiné chacun des incidents de persécution allégués, décrits ci‑dessous :

  1. leur fille victime d’intimidation;

  2. l’un des fils qui n’est pas admis à des cours réservés aux élèves exceptionnels;

  3. la menace proférée par un livreur de viande;

  4. la discrimination subie à l’hôpital;

  5. le vol perpétré à leur établissement.

[18]  À mon avis, la Commission n’a pas exigé des demandeurs qu’ils prouvent qu’ils étaient victimes de persécution à Trinité. Les demandeurs ont soulevé la question de la persécution et ont tenté d’en démontrer le bien‑fondé, et la SPR a examiné leurs allégations dans le cadre de son analyse de la question de savoir s’ils avaient perdu leur statut de résident permanent à Trinité volontairement (parce qu’ils étaient en quête du meilleur pays d’asile) ou involontairement (parce qu’ils avaient quitté le pays pour échapper à la persécution). Les allégations des demandeurs ont ici été traitées de manière raisonnable. Toutefois, je constate que la SPR a également examiné si certains des incidents indiqués ci‑dessus étaient graves, même s’ils n’équivalaient pas à de la persécution. Dans chaque cas, il a été établi qu’ils n’étaient pas sérieux ou crédibles. À mon avis, le critère établi dans l’arrêt Zeng a donc été satisfait.

V.  Conclusion

[19]  La demande est rejetée.

VI.  Certification

[20]  Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2045‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est par les présentes rejetée.

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de février 2020.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2045‑19

INTITULÉ :

ZHIDA XIE, YANFANG LIU, RUOLIN XIE,

JIN LIN XIE, BO LIN XIE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 DÉCEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

LE 13 JANVIER 2020

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

POUR LES DEMANDEURS

Nicole Rahaman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Immigration Advocacy, Counsel & Litigation

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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