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Date : 20200116


Dossier : IMM‑2133‑19

Référence : 2020 CF 61

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

A.B., C.D., E.F., G.H.

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) (la décision de la SAR) confirmant la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) concluait que les demandeurs n’ont ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger. La demande d’asile des demandeurs était fondée sur des craintes découlant des menaces proférées par le frère du demandeur associé en Iraq à l’endroit de la demanderesse principale relativement à une grossesse supposément issue de l’adultère.

[2]  Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs soutiennent que la SAR, en rendant sa décision, a exclu déraisonnablement un élément de preuve postérieur à la décision de la SPR, à savoir la transcription d’un appel téléphonique entre le demandeur associé et sa sœur en Iraq, portant sur le danger imminent auquel les demandeurs seraient exposés s’ils retournaient dans ce pays. Les demandeurs affirment aussi que la SAR a commis une erreur en confirmant la décision de la SPR malgré son interprétation erronée du temps écoulé entre le départ d’Iraq de la demanderesse principale et les menaces à son égard. Les demandeurs font valoir que la SAR n’a pas tenu compte de façon appropriée de cette interprétation erronée dans sa propre décision.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la décision de la SAR est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II.  Les faits

[4]  A.B. (la demanderesse principale) et son mari, C.D. (le demandeur associé) sont citoyens de l’Iraq. Ils ont deux enfants, E.F. et G.H. (les demandeurs mineurs). E.F. est aussi citoyen de l’Iraq, et G.H. est citoyen des États‑Unis. Les demandeurs sont originaires du Nord de l’Iraq, à savoir du Kurdistan irakien. La demanderesse principale et le demandeur associé ont un enfant né au Canada, qui n’est pas partie à la présente instance.

[5]  La demanderesse principale et le demandeur associé se sont mariés en 2005, et ont eu un fils, E.F, en 2007. En 2014, le demandeur associé a quitté l’Iraq pour les États‑Unis muni d’un visa d’étudiant afin de poursuivre ses études dans un programme de doctorat. En juin 2014, peu de temps après que le demandeur associé eut quitté l’Iraq, la demanderesse principale a découvert qu’elle était enceinte. Lorsque la famille du demandeur associé a appris la nouvelle, le frère de ce dernier, I.J., a accusé la demanderesse principale d’infidélité et d’avoir déshonoré la famille. I.J., un membre haut placé d’une milice locale, a fait environ huit appels téléphoniques menaçants à la demanderesse principale pendant les dix mois qui ont suivi. La demanderesse principale a demandé de l’aide à un centre pour les femmes et a menacé d’appeler la police.

[6]  Le 9 juillet 2014, la demanderesse principale et son fils, E.F., ont obtenu des visas afin de rejoindre le demandeur associé aux États‑Unis. La demanderesse principale et son fils ont quitté l’Iraq le 12 août 2014. En janvier 2015, la fille de la demanderesse principale et du demandeur associé, G.H., est née. Les demandeurs sont demeurés aux États‑Unis jusqu’en 2017, soit jusqu’à ce que les autorités les informent que leurs visas n’étaient plus valides du fait que le demandeur associé avait perdu sa subvention de recherche et qu’il aurait à se retirer du programme de doctorat. Les demandeurs se sont ensuite rendus au Canada et ont présenté une demande d’asile en octobre 2017.

[7]  Le 27 avril 2018, la demande d’asile des demandeurs a été instruite par la SPR. Leur demande était fondée sur la crainte d’être persécutés par I.J. en raison de ses menaces et de son comportement à l’endroit de la demanderesse principale. Dans une décision datée du 1er mai 2018, la SPR a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. La SPR a jugé que les demandeurs ne seraient pas exposés à une possibilité sérieuse de persécution advenant un retour en Iraq.

[8]  Les demandeurs ont interjeté appel devant la SAR. En vertu du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), ils ont présenté la transcription d’un appel téléphonique de mai 2018 entre le demandeur associé et sa sœur qui résidait dans la région d’origine des demandeurs et qui était régulièrement en contact avec I.J., lequel appel ayant eu lieu après que la décision de la SPR eut été rendue. Dans une décision datée du 6 mars 2019, la SAR a confirmé la décision de la SPR et rejeté l’appel. La SAR n’a pas accepté le nouvel élément de preuve que les demandeurs souhaitaient soumettre. La SAR a correctement souligné qu’il ne s’était écoulé que deux mois et huit jours, plutôt que quatre ou cinq mois tel que l’avait affirmé à tort la SPR, entre la découverte de la grossesse par I.J. et le départ d’Iraq de la demanderesse principale. Néanmoins, la SAR a conclu que, même si I.J. avait eu [traduction« une période de temps considérable » pour agir concrètement contre la demanderesse principale, mis à part les appels téléphoniques menaçants, il ne l’avait pas fait.

[9]  Il s’agit de la décision sous‑jacente visée par la présente demande de contrôle judiciaire.

III.  Les questions en litige et norme de contrôle

[10]  Les questions en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

  1. Était‑il raisonnable que la SAR rejette le nouvel élément de preuve?

  2. La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de l’interprétation erronée de la chronologie par la SPR?

[11]  Avant la récente décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (CanLII) [Vavilov], la norme de la décision raisonnable s’appliquait généralement au contrôle de l’examen par la SAR des conclusions de la SPR, et des conclusions de la SAR en matière de crédibilité, comme c’est le cas en l’espèce : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 (CanLII), aux par. 30, 34 et 35; Ilias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 661 (CanLII), au par. 30; Walite c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 49 (CanLII), au par. 30; Deng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 887 (CanLII), aux par. 6 et 7.

[12]  La norme de contrôle applicable concernant la décision de la SAR doit être déterminée conformément au cadre énoncé dans l’arrêt Vavilov. Comme l’a souligné la majorité dans cet arrêt, « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85). En outre, « la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », (Vavilov, au par. 100). En l’espèce, la jurisprudence au sujet de la norme de contrôle applicable est instructive. La norme de la décision raisonnable s’applique donc en l’espèce.

IV.  Les dispositions pertinentes

[13]   Les dispositions pertinentes de l’article 110 de la LIPR sont libellées ainsi :

Éléments de preuve admissibles

 

Evidence that may be presented

110(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

110(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection

 […]

 […]

Audience

110(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

Hearing

110(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

V.  Analyse

A.  L’admissibilité du nouvel élément de preuve

[14]  Les demandeurs affirment que la SAR, en refusant d’admettre la transcription de l’appel téléphonique comme nouvel élément de preuve, a tiré une conclusion concernant la crédibilité. Selon les demandeurs, les motifs de la SAR concernant le rejet du nouvel élément de preuve constituaient une conclusion quant à la crédibilité, et démontraient que la SAR ne croyait pas l’affirmation des demandeurs portant que la transcription était authentique. Les demandeurs s’appuient sur les décisions Zhuo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 911 (CanLII) [Zhuo] et Horvath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 147 (CanLII) [Horvath] pour faire valoir que la SAR a généralement l’obligation de tenir une audience pour tirer une conclusion valide quant à la crédibilité.

[15]  Selon le défendeur, la SAR a donné des motifs convaincants concernant son refus d’admettre la transcription de la prétendue conversation téléphonique en raison d’un manque de crédibilité. La SAR a soulevé plusieurs préoccupations : les demandeurs n’avaient pas fourni la source originale de l’appel téléphonique; il n’y a aucun élément de preuve corroborant le fait que le demandeur associé avait parlé à sa sœur, il n’y avait pas d’enregistrement original indiquant le numéro, de sorte que la SAR ne pouvait confirmer que le demandeur associé avait appelé sa sœur, et le contenu de la conversation était vague et d’une faible valeur probante. Le défendeur fait valoir que la SAR [traduction] « ne peut admettre une preuve qui n’est pas crédible » (voir Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 (CanLII) [Raza]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 (CanLII) [Singh]). Le défendeur fait en outre valoir que rien n’oblige la SAR à tenir une audience pour évaluer la crédibilité de la prétendue conversation téléphonique.

[16]  À mon avis, la décision de la SAR de refuser le nouvel élément de preuve est raisonnable. Dans la décision Singh, la Cour s’est penchée sur la portée du paragraphe 110(4) de la LIPR et a conclu que les trois conditions d’admissibilité énoncées dans la disposition sont « incontournables et ne laissent place à aucune discrétion de la part de la SAR » (Singh, au par. 35). En outre, la Cour a conclu que les critères implicites relevés dans l’affaire Raza, à savoir la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel, sous réserve de certaines adaptations, s’appliquent aussi dans le contexte du paragraphe 110(4) (Singh, aux par. 38 à 49). En ce qui concerne l’appréciation de la crédibilité relativement à l’admissibilité d’un nouvel élément de preuve, l’extrait suivant est très pertinent (Singh, au par. 44) :

[…] On voit mal, notamment, comment la SAR pourrait admettre une preuve documentaire qui ne serait pas crédible. De fait, l’alinéa 171a.3) prévoit expressément que la SAR « peut recevoir les éléments de preuve qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision ». Il est vrai que l’alinéa 110(6)a) introduit également la notion de crédibilité aux fins de déterminer si une audience peut être tenue. À ce chapitre, cependant, ce n’est pas la crédibilité de la preuve elle‑même qui doit être soupesée, mais bien la question de savoir si un élément de preuve par ailleurs crédible « soulève une question importante » relativement à la crédibilité générale de la personne en cause. […]

[17]  Compte tenu de la jurisprudence, les demandeurs ont présenté une conception erronée de l’application des paragraphes 110(4) et 110(6) de la LIPR. Rien n’oblige la SAR à tenir une audience pour évaluer la crédibilité d’un nouvel élément de preuve; c’est lorsqu’une preuve par ailleurs crédible et admise soulève une préoccupation importante quant à la crédibilité générale du demandeur qu’il devient pertinent de tenir une audience. Une « conclusion concernant la crédibilité » relativement à l’admissibilité d’un nouvel élément de preuve n’équivaut pas à une appréciation de la crédibilité des demandeurs.

[18]  Contrairement à ce que les demandeurs soutiennent dans leurs observations, les décisions Zhou et Horvath ne leur sont d’aucun recours. Une distinction peut être effectuée entre ces deux décisions et la présente affaire en fonction des faits et des questions en litige. Dans l’affaire Zhou, la SAR a admis le nouvel élément de preuve, puis l’a utilisé pour miner la crédibilité du demandeur (Zhou, au par. 2). De même, dans l’affaire Horvath, la SAR a accepté de nouveaux éléments de preuve qui contredisaient directement les conclusions de la SPR, lesquelles étaient fondamentales dans l’examen de la crédibilité du demandeur (Horvath, au par. 20). En l’espèce, la SAR a rejeté le nouvel élément de preuve.

[19]  Le rejet par la SAR de la transcription de la conversation téléphonique était raisonnable.

B.  Le caractère raisonnable de la décision de la SAR

[20]  Les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur en concluant que l’interprétation erronée de la SPR quant à la chronologie des incidents en Iraq concernant la demanderesse principale, dans laquelle elle reçoit les menaces d’I.J., « ne [changeait] d’aucune façon importante l’analyse ». Selon les demandeurs, cette erreur concernant la chronologie était un aspect fondamental dans la formation de l’état d’esprit de la SPR pour son l’appréciation de la crédibilité globale des demandeurs, qui a servi à établir la vraisemblance des allégations des demandeurs, l’authenticité de la crainte de la demanderesse principale, ainsi qu’à comprendre la grossesse de la demanderesse principale.

[21]  Je souscris au point de vue des demandeurs. Une préoccupation clé soulevée par la commissaire de la SPR dans son appréciation de la crédibilité des demandeurs était qu’elle n’était pas convaincue que la famille du demandeur associé, ou son frère, I.J., avait donné suite ou pourrait donner suite, à leur désapprobation du mariage entre la demanderesse principale et le demandeur associé. Cependant, dans cette appréciation, la SPR a commis une erreur importante quant à sa compréhension de la chronologie des événements et s’est fondée à tort sur ce contexte erroné pour conclure que le profil de l’agent de persécution, et donc, les allégations des demandeurs, n’étaient pas crédibles.

[22]  La SPR a souligné que, lorsqu’I.J. a appris la grossesse de la demanderesse principale, il n’a pas agi autrement que de faire des appels téléphoniques [traduction« dérangeants », et quoique ses menaces par téléphone se soient intensifiées lorsque la demanderesse principale lui avait dit qu’elle avertirait la police, elle a [traduction« continué à vivre à Sulaymaniyah pendant plusieurs mois avant de rejoindre son mari aux États‑Unis, sans voir aucun membre de sa belle‑famille » (je souligne). En outre, la SPR a souligné que dans le contexte des crimes « d’honneur », l’auteur de l’infraction aurait plus tendance à vouloir causer du tort à sa victime de façon « furtive », lorsque le public n’est pas encore au courant des actes reprochés d’infidélité, à savoir avant que la grossesse ne soit apparente. Les demandeurs avaient affirmé que, puisque la prétendue infidélité de la demanderesse principale n’était pas connue d’autres personnes, I.J. ne voudrait pas lui nuire publiquement, mais la cibler en privé et de manière furtive.

[23]  La SPR a alors conclu que si I.J. voulait nuire à la demanderesse principale de manière « furtive », il en aurait eu l’occasion [traduction« pendant les quatre à cinq mois où [la demanderesse principale] était encore en Iraq, et où elle se trouvait à un stade plus précoce et donc moins visible de sa grossesse ». Comme I.J. n’a pas fait ou tenté de faire du mal à la demanderesse principale pendant ces quatre ou cinq mois, la SPR a conclu qu’elle était en désaccord avec la caractérisation faite par les demandeurs selon laquelle I.J. souhaitait faire du mal à la demanderesse principale. Finalement, la SPR a jugé que [traduction« le profil de la famille du demandeur associé » n’était pas crédible.

[24]  En examinant la décision de la SPR et en procédant à sa propre appréciation, la SAR a souligné que, d’après la preuve documentaire des demandeurs, I.J. souhaiterait nuire à la demanderesse principale avant que sa grossesse ne commence à être apparente, afin d’empêcher que d’autres personnes ne soient informées de la prétendue conduite déshonorante. Bien que la SAR ait reconnu qu’I.J. n’était au courant de la grossesse de la demanderesse principale que depuis environ deux mois (contrairement à la conclusion de la SPR selon laquelle il l’était depuis quatre à cinq mois), elle a conclu que cela ne changeait d’aucune façon importante l’analyse, car « la famille a continué d’avoir une brève occasion d’empêcher que le prétendu comportement déshonorant de l’appelante principale soit connu […] avant [que la demanderesse principale] ne parte pour les États‑Unis ».

[25]  Il ressort de la décision de la SPR que celle‑ci a jugé les demandeurs non crédibles, car le risque de préjudice allégué ne s’était jamais matérialisé dans les quatre à cinq mois, soit au cours desquels la grossesse de la demanderesse principale aurait commencé à paraître. Sur la base d’une chronologie erronée, la SPR a conclu qu’I.J. ne souhaitait pas nuire à la demanderesse principale de manière « furtive » comme l’ont allégué les demandeurs, étant donné que personne ne s’est en pris à la demanderesse, et ce, même lorsque sa grossesse n’était pas visible en public. Cela a constitué un aspect fondamental des conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité à l’encontre des demandeurs. Toutefois, dans sa propre appréciation, la SAR a continué à tirer une conclusion illogique selon laquelle une chronologie de deux mois ou de quatre à cinq mois ne faisait aucune différence dans l’analyse. À mon avis, une bonne compréhension de la chronologie est un détail important. Comme nous l’avons mentionné, les conclusions sur la vraisemblance du récit et des allégations des demandeurs ainsi que celles concernant la véracité de la crainte de la demanderesse principale ne seraient pas les mêmes dans les deux chronologies. Il est certain que la crédibilité de la demande d’asile des demandeurs serait moindre si I.J. n’avait rien fait pour nuire à la demanderesse principale même avant que sa grossesse ne soit très visible, puisque cela supposerait qu’I.J. n’était pas intéressé à lui nuire avant que la nouvelle ne devienne publique. Toutefois, une conclusion selon laquelle I.J. n’avait pas encore agi contre la demanderesse principale en deux mois, mais avait encore l’occasion de le faire (alors que la grossesse était peu visible, ou pas du tout) n’exclut pas la possibilité qu’I.J. dispose encore d’un délai pour agir en fonction de ses intentions de faire du mal à la demanderesse principale.

[26]  La décision de la SAR n’est pas fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, ni justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles (Vavilov, au par. 85).

VI.  Question certifiée

[27]  On a demandé à l’avocat de chacune des parties s’il y avait des questions à certifier. Ils ont tous les deux déclaré que ce n’était pas le cas et je suis d’accord avec eux.

VII.  Conclusion

[28]  La SAR a commis une erreur en concluant que la chronologie erronée de la SPR ne changeait d’aucune façon importante l’analyse. Par conséquent, la décision de la SAR est déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2133‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur afin qu’il statue de nouveau sur l’affaire.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de février 2020

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2133‑19

INTITULÉ :

A.B., C.D., E.F., G.H. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 SEPTEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 16 JANVIER 2020

COMPARUTIONS :

Peter Edelmann

 

POUR LES DEMANDEURS

Helen Park

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edelmann & Co. Law Offices

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DEMANDEURS

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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