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                                                                                                                                           Date : 20020909

                                                                                                                             Dossier : IMM-4181-01

                                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 945

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                           JAYAMARY FERNANDO

                                                             ANTOINETTE BRITTO

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                              - et -

                              LE MINISTRE DE L'IMMIGRATION ET DE L'EMPLOI

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

1.                    Les demanderesses Jayamary Fernando (la demanderesse) et sa fille, Antoinette Johanna Britto (la demanderesse mineure), sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision rendue le 7 août 2001 par la Section du statut de réfugié (la SSR), qui a jugé qu'elles n'étaient pas des réfugiées au sens de la Convention.


Les faits

2.                    Les demanderesses sont des ressortissantes du Sri Lanka et allèguent une crainte fondée de persécution au titre de la race et de présumées opinions politiques. La demanderesse mineure fonde sa revendication sur celle de sa mère, qui a été nommée représentante désignée de la demanderesse mineure.

3.                    Les demanderesses sont des Tamoules qui sont nées et ont été élevées à Colombo. La demanderesse et son mari ont travaillé jusqu'en octobre 2000 pour la société Eswaran Brothers Export Ltd., au Sri Lanka. La soeur de la demanderesse, Jasmine Fernando, et son beau-frère ont revendiqué le statut de réfugié au Canada en 1985 et ont été acceptés. Son autre soeur, Ramani, a obtenu elle aussi le même statut en 1999.

4.                    Selon la preuve des demanderesses, la demanderesse et sa famille ont connu, entre 1995 et 1999, plusieurs problèmes avec la police. En juin 1995, la demanderesse fut interrogée et injuriée par la police, qui accusait sa famille d'abriter des Tigres. En novembre 1995, son mari fut arrêté et détenu pendant trois jours après l'attaque lancée sur le dépôt de carburant de Kollonnawa. En mars 1998, la demanderesse et son mari furent emmenés par la police et détenus pendant quelques heures, car leur maison se trouvait non loin de l'endroit où une attaque avait eu lieu. Ils furent interrogés, battus et humiliés. Les demanderesses affirment que, après cet incident, la police a perquisitionné chez elles à plusieurs reprises. En 1999, il y eut une explosion devant le domicile des demanderesses, ce qui entraîna l'arrestation et la détention de la demanderesse et de sa famille.


5.                    Selon la demanderesse, l'incident critique qui précipita son départ du Sri Lanka est survenu le 3 octobre 2000, lorsque l'on constata que des engrais avaient disparu à son lieu de travail. La demanderesse et son mari furent mis en état d'arrestation et soupçonnés d'avoir donné les engrais aux Tigres. La demanderesse affirme qu'elle fut déshabillée complètement durant l'interrogatoire et battue en présence de son mari. Son mari fut lui aussi torturé. Avec l'aide d'un avocat et de leur prêtre, la demanderesse fut libérée au bout de quatre jours. On lui ordonna de ne pas quitter la ville.

6.                    Alors que le mari de la demanderesse était encore détenu, elle communiqua avec un agent afin de fuir le pays. L'agent prit d'abord des dispositions pour que la demanderesse et sa fille se rendent au Canada. Son mari devait les rejoindre au Canada plus tard.

7.                    Les demanderesses sont arrivées au Canada le 13 novembre 2000 et ont revendiqué le même jour le statut de réfugié.

8.                    La demanderesse affirme que, depuis son arrivée au Canada, elle a reçu des nouvelles de sa famille selon lesquelles la police la recherche maintenant, elle et son mari.

Décision de la SSR


9.                    La SSR a jugé que la demanderesse n'avait pas démontré sa crainte subjective de persécution au moyen d'une preuve crédible et digne de foi. Elle a fondé sa conclusion d'absence de crédibilité sur plusieurs divergences entre le témoignage de la demanderesse et son Formulaire de renseignements personnels (FRP), et sur le fait que son exposé circonstancié ne faisait pas état des problèmes qu'elle disait avoir eus avec la police.

10.              Les paragraphes suivants résument les divergences et omissions constatées par la SSR :

(1)        S'agissant de l'incident de novembre 1995, la demanderesse a témoigné que les policiers l'avaient insultée, elle et son père, qu'ils s'étaient mis en colère et avaient frappé la chaise. Cependant, dans son FRP, elle affirmait que la police l'avait « questionnée » et « giflée » .

(2)        S'agissant de l'incident de juin 1995, la SSR a estimé que la demanderesse manquait de suite parce que, dans son FRP, elle mentionnait qu'elle avait dû subir l'interrogation et les insultes de la police, ce dont ne faisait pas état sa déposition. Mise en présence de cette omission, la demanderesse a affirmé qu'elle avait bel et bien fait état de l'inconduite des policiers dans sa déposition. Cependant, un examen du dossier de la procédure d'audience n'a pas confirmé ses dires.


(3)        Lorsque la demanderesse fut priée de dire la date à laquelle elle eut de nouveau affaire à la police après mars 1998, elle a immédiatement mentionné octobre 2000. Cependant, son FRP révèle qu'elle a eu des ennuis avec la police avant cette date. À ce stade de l'audience, l'agent chargé de la revendication est intervenu et a prié la demanderesse de dire si quelque chose s'était produit entre mars 1998 et octobre 2000. C'est alors qu'elle a parlé de son arrestation, et de celle de son mari, de sa soeur et de son beau-frère, en rapport avec l'explosion d'un transformateur devant leur maison en février 1998.

(4)        La SSR a également estimé que la demanderesse s'était contredite en affirmant que sa soeur Marika Ramani avait quitté le Sri Lanka en mai 1999. La SSR a jugé que cela contredisait le FRP de sa soeur, qui mentionne qu'elle avait fui le pays en mars 1994.

(5)        La SSR a jugé aussi que la demanderesse n'avait pas été cohérente dans son témoignage à propos de la présumée arrestation de février 1999. La demanderesse affirmait qu'elle-même et sa soeur avaient dû se soumettre à une séance d'empreintes digitales et de photographies et qu'elles avaient pu être remises en liberté grâce à un avocat, mais son FRP ne faisait aucune mention de tout cela. La SSR n'a pas accepté les éclaircissements donnés par la demanderesse selon lesquels il s'agissait là de « procédures normales » , parce qu'elle avait évoqué par écrit l'intervention d'un avocat durant sa détention d'octobre 2000 et n'avait pas mentionné à ce moment-là la prise d'empreintes digitales ou de photographies.


(6)        La SSR a jugé aussi que la demanderesse s'était contredite lorsqu'elle avait été priée de dire si des conditions avaient été fixées pour sa mise en liberté. La SSR a trouvé qu'elle avait donné deux réponses différentes, ayant d'abord dit qu'elle ne devait pas quitter le pays, pour dire ensuite qu'elle devait rester chez elle. Deuxièmement, dans son FRP, elle affirmait qu'elle avait reçu l'ordre de ne pas quitter la ville. La SSR n'a pas accepté son explication selon laquelle, de l'avis de la demanderesse, les deux conditions avaient la même signification.

(7)        La SSR a jugé également invraisemblable que la demanderesse fût questionnée par les autorités peu après avoir été remise en liberté par la police en octobre 2000. La SSR a estimé que, si les forces de sécurité avaient encore des doutes sur la demanderesse, elles l'auraient simplement maintenue en détention.

11.              La SSR a estimé que l'effet cumulatif des lacunes de la déposition de la demanderesse l'amenait à conclure que les mésaventures que la demanderesse prétendait avoir connues avec la police au Sri Lanka n'étaient pas véridiques.

12.              La SSR a aussi étudié la question objective de savoir si les Tamouls de Colombo courent effectivement un risque de préjudice grave aux mains des forces de sécurité. Après examen de la preuve documentaire produite, la SSR a conclu qu'il ne s'agissait là que d'une simple possibilité.


13.              Dans ses motifs, la SSR mentionne aussi qu'elle a examiné la question des demandeurs d'asile renvoyés de l'étranger et qu'elle a passé en revue la preuve documentaire se rapportant à cette question. Elle a conclu que, tout en estimant qu'il devrait exister des procédures prévoyant le retour sécuritaire au Sri Lanka des demandeurs d'asile, elle n'avait constaté aucune preuve suffisante permettant d'établir que le traitement réservé par les autorités aux demandeurs d'asile renvoyés équivaut à de la persécution.

Points en litige

14.              La demanderesse soulève les deux points suivants dans sa demande de contrôle judiciaire :

(1)        La SSR a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que les demanderesses n'étaient pas crédibles?

(2)        La SSR a-t-elle commis une erreur en ignorant la preuve documentaire produite, lorsqu'elle a jugé que les demanderesses n'avaient pas établi qu'il existait une preuve objective de leur crainte de persécution si elles devaient être renvoyées au Sri Lanka?

Normes de contrôle

15.              Il est généralement reconnu que la SSR est la mieux à même de répondre aux questions de vraisemblance et de crédibilité. Dans l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, M. le juge Décary s'exprimait ainsi, au paragraphe 4 de ses motifs :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.


Analyse

Crédibilité

16.              La demanderesse affirme que les conclusions défavorables de la SSR en matière de vraisemblance et de crédibilité étaient essentiellement fondées sur des contradictions mineures qui ne réduisaient en rien la validité de la revendication.

17.              À l'audition de cette affaire, l'avocat de la demanderesse a signalé que les motifs de la SSR renfermaient une erreur. À la page 3 de ses motifs, la SSR s'exprimait ainsi :

Dans le but de mieux comprendre la situation, on a demandé à la revendicatrice quand sa soeur Mary Jerica Ramani a quitté le Sri Lanka. Elle a répondu : « mai 1999 » . Ceci contredit le FRP de sa soeur, qui atteste qu'elle s'est enfuie du pays en mars 1994. De plus, selon les citations ci-dessus tirées du FRP de la revendicatrice, son arrestation serait survenue après que sa soeur a quitté le Sri Lanka, c'est-à-dire après mars ou mai 1999. Ceci ne correspond pas à la présumée arrestation de février mentionnée dans son témoignage.

18.              Un examen du FRP de la soeur de la demanderesse révèle que sa soeur était encore au Sri Lanka au début de 1999. Par conséquent, la SSR a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que la soeur avait fui son pays en mars 1994. Voici un extrait du FRP de la soeur, reproduit à la page 180 du dossier du tribunal :

[Traduction]

Mais le fait que j'ai quitté mon emploi a suscité encore davantage de soupçons en raison de mon ex-collègue de travail Manivannan. Il a été arrêté par la police à qui il a dit sous la torture que j'avais des liens avec les Tigres. Il a dit aussi que je connaissais toutes les opérations de mon patron. Après cela, j'ai été emmenée par la police en janvier 1999. J'ai été emmenée au poste de police où j'ai de nouveau été interrogée et battue pour qu'on obtienne de moi la vérité sur mon rôle auprès des Tigres. Cette fois, j'ai été détenue durant six jours. Mes parents n'ont pas été autorisés à me voir. J'ai été de nouveau libérée grâce à l'intervention de notre prêtre. Après cela, je suis allée me cacher jusqu'à ce que toutes les dispositions de voyage fussent prises par mes parents et par l'agent.


19.              La SSR a donc commis une erreur en trouvant une incohérence entre la déposition de la demanderesse concernant la date du départ de sa soeur, et le FRP de sa soeur.

20.              Je suis d'avis que l'erreur ci-dessus de la SSR n'entache pas sa décision. J'ai attentivement examiné les autres conclusions de la SSR en matière de vraisemblance et de crédibilité et j'arrive à la conclusion qu'elles ne sont pas déraisonnables au point de justifier l'intervention de la Cour. Eu égard aux circonstances de cette affaire, il était donc tout à fait loisible à la SSR de conclure que l'effet cumulatif des lacunes de la déposition de la demanderesse ont rendu invraisemblable sa version des faits.

21.              D'ailleurs, les incohérences et omissions qui ont conduit la SSR à conclure à l'absence de crédibilité touchent des éléments qui sont au coeur de la revendication des demanderesses, notamment, pour n'en citer que deux, la présumée inconduite de la police et l'incapacité de la demanderesse de relater le détail des conditions de sa mise en liberté par les autorités.

22.              Il n'appartient pas à la Cour de substituer sa décision à celle du tribunal. La tâche de la Cour est plutôt de dire si la SSR a ou non rendu sa décision en tenant compte des éléments dont elle disposait, et d'une manière qui n'est ni abusive ni arbitraire. Il faut également tenir compte de la spécialisation de la SSR au regard des conclusions touchant la crédibilité et la vraisemblance. Je suis d'avis que les conclusions de la SSR touchant la crédibilité et la vraisemblance n'étaient pas manifestement déraisonnables. Par conséquent, je ne vois aucune raison pour la Cour d'intervenir.


Crainte objective de persécution

23.              Je suis également d'avis que la SSR n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a estimé qu'il n'y avait tout au plus qu'une simple possibilité que les Tamouls de Colombo soient exposés à un préjudice grave aux mains des forces de sécurité.

24.              Dans ses motifs, la SSR a bien tenu compte de la preuve documentaire dont elle disposait.

25.              Je suis également d'avis, s'agissant des demandeurs d'asile renvoyés, que la SSR a adéquatement considéré la preuve documentaire relative à cette question, y compris la pièce P-10, le Sri Lanka Monitor, daté de mars 2000. Après examen de la preuve documentaire dont disposait la SSR, je suis d'avis que cette preuve autorisait suffisamment la SSR à conclure que les faits ne permettaient pas d'établir que la conduite des autorités à cet égard équivalait à de la persécution.

  

Conclusion

26.              À mon avis, au vu de la preuve, la SSR pouvait parfaitement rendre la décision qu'elle a rendue. Les demanderesses n'ont pas établi qu'il existait une « possibilité sérieuse » ou « un risque raisonnable » qu'elles soient persécutées pour une raison mentionnée dans la Convention si elles devaient retourner au Sri Lanka. La SSR n'a pas commis d'erreur pouvant justifier l'intervention de la Cour.

27.              Pour les motifs susmentionnés, cette demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


28.              Les parties, qui ont eu la possibilité de soulever une question grave de portée générale selon ce que prévoit l'article 83 de la Loi sur l'immigration, ne l'ont pas fait. Je ne me propose pas de certifier une question grave de portée générale.

  

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision de la section du statut de réfugié (la SSR) en date du 7 août 2001 est rejetée.

  

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »        

                                                                                                                                                                 Juge                        

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.

  

                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                           IMM-4181-01

INTITULÉ :                                        Jayamary Fernando et autre c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 20 juin 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE                         MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                      le 9 septembre 2002

  

COMPARUTIONS :

Diane N. Doray                                                                              POUR LES DEMANDERESSES

Edith Savard                                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Diane N. Doray                                                                              FOR LES DEMANDERESSES

Montréal (Québec)    H3N 2C7

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

   
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