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Date : 20200122

Dossier : IMM‑2069‑19

Référence : 2020 CF 19

Référence : 2020 CF 19

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario) le 22 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

A.B.

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

et

HIV AND AIDS LEGAL CLINIC ONTARIO

intervenante

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  A.B. [la demanderesse], une citoyenne canadienne originaire de l’Inde, sollicite le contrôle judiciaire de la décision [la décision] de la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de rejeter son appel en matière de parrainage. Son appel concernait le refus d’un agent d’immigration [l’agent] de délivrer un visa de résident permanent à son mari [l’époux].

[2]  La SAI a rendu une ordonnance de confidentialité, exigeant que les noms de la demanderesse et des autres membres de la famille ainsi que les caractéristiques permettant de les identifier soient caviardés de ses motifs et de sa décision, conformément à l’alinéa 166b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Elle a procédé ainsi, parce que l’époux de la demanderesse appartient à une communauté vulnérable en Inde et que, si son identité est révélée, il s’expose à des poursuites en raison de sa séropositivité. Les présents motifs et les documents au dossier à l’appui de la demande font l’objet d’une ordonnance de confidentialité similaire.

[3]  La HIV and AIDS Legal Clinic Ontario [l’intervenante] a été autorisée à intervenir en l’espèce. Elle soutient que la décision de la SAI perpétue la stigmatisation liée au VIH, parce qu’elle repose sur des stéréotypes discriminatoires relativement aux personnes séropositives et d’autres observations similaires.

[4]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Les faits

A.  Le contexte factuel

[5]  La demanderesse est une citoyenne canadienne naturalisée, originaire de l’Inde. Elle est arrivée au Canada en avril 1997, en tant qu’épouse parrainée par son premier mari. Cependant, le couple a divorcé la même année. Aucun enfant n’est issu de leur union. En 2003, la demanderesse a obtenu la citoyenneté.

[6]  La demanderesse a alors parrainé son deuxième époux, mais le mariage a pris fin en 2011. Le couple a eu deux enfants, un qui est maintenant un jeune adulte vivant avec son père, et l’autre, un adolescent qui vit avec la demanderesse.

[7]  L’époux, qui est actuellement marié à la demanderesse, a précédemment été marié avec une autre femme dans le cadre d’un mariage arrangé. Cette femme a aussi présenté une demande de parrainage d’époux au nom du mari de la demanderesse afin qu’il puisse immigrer au Canada. À la suite de l’examen médical réalisé aux fins de l’immigration, l’époux a découvert qu’il était séropositif.

[8]  En 2010, à son arrivée au Canada, l’époux s’est vu refuser l’entrée, parce que son ex‑femme avait retiré sa demande de parrainage. Il a affirmé qu’il avait rencontré un avocat à l’aéroport à ce moment‑là, lequel lui avait conseillé de présenter une demande d’asile et d’alléguer que sa vie était en danger en Inde, et lui avait dit que, ainsi, tout [traduction« s’arrangerait ». Il a suivi les conseils de l’avocat, et ce, malgré le fait qu’il était d’avis qu’il n’était pas un demandeur d’asile légitime.

[9]  En 2011, l’époux s’est désisté de sa demande durant l’audience devant la Section de la protection des réfugiés [la SPR]. Il allègue que son avocat lui avait dit qu’il n’avait pas pu le faire avant.

[10]  Après s’être désisté de sa demande d’asile en 2011, l’époux a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] fondée sur la menace à sa vie ou l’absence de soins médicaux appropriés au regard de son état de santé. Il a aussi présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[11]  En 2012, le mariage entre l’époux et son ex‑femme s’est soldé par un divorce, sans que le couple n’ait eu d’enfant.

[12]  En 2013, après le rejet de sa demande d’ERAR et de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’époux a été frappé d’une mesure de renvoi selon laquelle il devait quitter le Canada deux ou trois semaines plus tard, mais il ne s’est pas présenté au rendez‑vous comme prévu et n’a pas quitté le Canada. Il a plutôt abandonné son emploi et est passé dans la clandestinité.

[13]  Plus tard en 2013, la demanderesse a épousé l’époux deux mois après l’avoir rencontré pour la première fois. Il s’agit du troisième mariage de la demanderesse et du deuxième de l’époux.

[14]  À la fin de la même année, en 2013, le couple a présenté une demande de parrainage dans la catégorie des époux au Canada. La demanderesse et l’époux affirment qu’un avocat leur a dit (de façon erronée) qu’ils pouvaient éviter le renvoi de l’époux en présentant une demande de parrainage. Ils ont aussi été informés qu’ils devaient rester au Canada pendant le traitement de la demande en question.

[15]  L’époux a été arrêté en 2014 au titre d’un mandat d’arrestation en vue de son renvoi et il a été expulsé vers l’Inde un mois plus tard. Cependant, la demanderesse et l’époux sont restés mariés jusqu’à présent et se sont comportés comme tels, malgré leur séparation géographique. Ils n’ont pas d’enfant ensemble.

[16]  La demanderesse a présenté une demande pour parrainer son époux à titre de résident permanent, mais l’agent a refusé la demande en 2016, après avoir conclu que le mariage n’était pas authentique et qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège, aux termes de l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement].

[17]  La demanderesse a interjeté appel de la décision devant la SAI, qui a rejeté l’appel en 2019.

B.  La décision de la SAI

[18]  La SAI a rejeté l’appel après avoir conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé que le mariage n’avait pas été conclu principalement pour que l’époux obtienne un statut ou un privilège sous le régime de la LIPR. La SAI a reconnu que le mariage du couple semblait maintenant authentique, mais a souligné que le critère énoncé à l’article 4 du Règlement était disjonctif.

[19]  La SAI a conclu que, dans l’ensemble, le témoignage de la demanderesse était crédible, mais que celui de l’époux ne l’était pas. La commissaire a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, bien que le mariage ait été authentique, l’époux l’avait contracté principalement afin d’acquérir un avantage sous le régime de la LIPR, motif pour lequel elle a rejeté l’appel.

[20]  La SAI a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le mariage était authentique pour deux motifs principaux : 1) la solide preuve documentaire présentée par la demanderesse au sujet des cinq années de mariage; 2) l’interaction quotidienne de l’époux avec la demanderesse et le fils de cette dernière, qui l’appelle son père.

[21]  La SAI a ensuite souligné que le but de l’époux au moment du mariage était d’acquérir un statut ou un privilège sous le régime de la LIPR (obtenir la résidence permanente), à la lumière de ses nombreux antécédents en matière d’immigration au Canada, de son grave problème de santé chronique et du moment du mariage. Pour en venir à cette conclusion, après avoir énoncé les facteurs dont il faut généralement tenir compte pour rendre une décision, la SAI a examiné les six facteurs suivants :

 

  1. L’époux a démontré un désir de rester au Canada dès son arrivée : la SAI a considéré que la décision de l’époux de présenter une demande d’asile à son arrivée au Canada avait une incidence défavorable sur sa crédibilité, y compris les allégations selon lesquelles il s’était fié à son avocat au moment de prendre les décisions en question. Elle a conclu ne pas avoir obtenu de réponse convaincante à sa question sur les raisons pour lesquelles l’époux n’était pas retourné en Inde. Cette preuve a eu une incidence défavorable sur la crédibilité de l’époux et a appuyé une conclusion selon laquelle il désirait rester au Canada, peu importe s’il était avec son épouse d’alors ou non.

  2. L’époux est resté au Canada malgré le fait qu’il n’avait aucun contact avec son épouse d’alors : l’absence de participation des membres de la famille pour tenter d’unir le couple dans le cadre d’un mariage arrangé permet de douter de l’authenticité du mariage. L’époux n’a pas revu son épouse d’alors après l’avoir rencontrée à l’aéroport, jusqu’à l’audience relative à la demande d’asile. La SAI a conclu que, lorsqu’il est devenu clair pour l’époux qu’il ne se réconcilierait pas avec sa première répondante, la décision de l’époux de rester au Canada soutenait la conclusion selon laquelle sa priorité était de rester au Canada, en dépit du fait qu’il n’avait pas d’épouse ici.

  3. Les autres tentatives de l’époux de rester au Canada : la SAI a conclu que le fait que l’époux ne s’était désisté de sa demande d’asile qu’en 2011, sur le conseil de son avocat – allégation non étayée –, et qu’il a ensuite présenté une demande d’ERAR ainsi qu’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire étaient des indices additionnels de sa détermination à rester au Canada, et ils ont eu une incidence défavorable sur sa crédibilité. La SAI a aussi considéré que son [traduction« mépris flagrant » pour les lois canadiennes en matière d’immigration, associé au fait de ne pas être parti en 2013 et de s’être caché, témoignait aussi de la détermination de l’époux de rester au Canada. La SAI a jugé que ces gestes la poussaient à conclure que le but principal de l’époux en contractant un mariage avec la demanderesse était de rester au Canada.

  4. Le moment de la décision de se marier et la date du mariage : la SAI a conclu que la demanderesse et l’époux avaient seulement été ensemble pendant environ deux mois. Ils se sont mariés quelques semaines après que l’époux a informé la demanderesse qu’il faisait l’objet d’une mesure de renvoi, en 2013. L’époux a admis que la proposition de mariage avait été faite à la hâte et visait à s’assurer qu’il pouvait rester au Canada, afin que sa relation avec la demanderesse puisse continuer d’évoluer. La SAI n’a pas accepté son affirmation selon laquelle il n’avait pas exercé des pressions sur la demanderesse pour qu’elle le marie. L’époux a aussi expliqué qu’un autre avocat lui a dit à tort qu’il pouvait contourner l’exécution de la mesure de renvoi si le couple présentait une demande de parrainage dans la catégorie des époux au Canada, et ce, bien qu’il ait été en liberté au pays, en violation des lois de l’immigration. La SAI n’a pas cru, selon la prépondérance des probabilités, que la décision liée au mariage avait été prise après consultation avec l’avocat. Elle a aussi souligné que, compte tenu du fait qu’il s’agissait pour les époux de leurs deuxième et troisième mariages, respectivement, le mariage avait été célébré plutôt à la hâte, ce qui semblait aussi confirmer que le but principal du demandeur au moment du mariage était de rester au Canada.

  5. L’époux a envisagé d’épouser une autre femme canadienne : la SAI a conclu que le moment où l’époux a cherché une autre partenaire révélait, selon la prépondérance des probabilités, qu’il cherchait une façon de rester au Canada plutôt que de contracter un mariage. Cela s’est produit après qu’il eut été mis fin au premier processus de parrainage et après le désistement de la demande d’asile, alors que l’époux attendait les décisions relatives à sa demande d’ERAR et à sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Dans un même ordre d’idées, l’accent qu’il a mis sur le fait de trouver une partenaire canadienne afin de pouvoir rester au Canada a été corroboré par son témoignage selon lequel il avait aussi envisagé d’épouser une autre femme canadienne qu’il avait rencontrée.

  6. La motivation de l’époux d’avoir accès à un traitement et à des médicaments pour sa séropositivité :

  7. La SAI a conclu que l’époux était vivement désireux de rester au Canada, parce qu’il croyait ainsi sauver sa vie. Cette conclusion a été renforcée par le témoignage de l’époux selon lequel il n’aurait pas accès à des traitements pour sa séropositivité en Inde tant qu’il n’affichait pas plus de symptômes de la maladie et selon lequel, en Inde, il n’avait pas accès aux médicaments dont il bénéficiait au Canada. De plus, la SAI a considéré que le fait que l’époux travaillait pour subvenir à ses besoins d’ordre médical appuyait aussi une conclusion selon laquelle il était prêt à faire tout ce qu’il faut pour rester au Canada.

III.  Les questions en litige

[22]  La Cour accepte les questions suivantes soulevées par la demanderesse et l’intervenante :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. L’appréciation, par la SAI, du but principal du mariage de l’époux était‑elle déraisonnable?

  3. La SAI s’est‑elle fondée de façon déraisonnable sur l’état de santé de l’époux pour définir de façon défavorable le but principal du mariage?

  4. La SAI a‑t‑elle commis une erreur en formulant des conclusions hypothétiques non fondées que contredisait le dossier de la preuve?

  5. La Cour devrait-elle permettre une nouvelle question qui n’avait pas été soulevée devant la SAI, soit de savoir si le critère disjonctif du paragraphe 4(1) du Règlement est ultra vires de sa loi habilitante, notamment de l’alinéa 3(1)d) de la LIPR et, dans l’affirmative, si le critère est ultra vires?

  6. La décision de la SAI perpétue-t-elle la stigmatisation liée au VIH en perpétuant des stéréotypes discriminatoires à l’égard des personnes séropositives; la décision crée‑t‑elle un fardeau de la preuve discriminatoire à l’égard des personnes séropositives et la SAI a‑t‑elle commis une erreur en ne procédant pas à une appréciation personnalisée de la capacité du demandeur d’avoir accès à des soins médicaux?

IV.  La norme de contrôle applicable

[23]  Conformément aux principes révisés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] ACS no 65, au para 26 [Vavilov], la norme de la décision raisonnable est présumée être la norme de contrôle applicable à tous les aspects de la décision. Aucune des exceptions décrites dans l’arrêt Vavilov n’influe sur la présomption que la norme de la décision raisonnable devrait s’appliquer en l’espèce.

[24]  La cour de révision ne tente plus de prendre en compte l’« éventail » des conclusions raisonnables qu’aurait pu tirer le décideur. Le caractère raisonnable d’une décision tient plutôt au processus décisionnel et à ses résultats. Le caractère raisonnable d’une décision est aussi fondé sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et justifié au regard des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision, de sorte que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée. Par conséquent, « il ne suffit pas que la décision soit justifiable […] le décideur doit également […] justifier sa décision » (Vavilov, para 15, 83 et 86).

[25]  En ce qui concerne le premier facteur, le raisonnement doit être à la fois rationnel et logique et permettre à la cour de révision de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale et de suivre un mode d’analyse pouvant raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait (Vavilov, para 102). « [I]l ne suffit pas que la décision soit justifiable. […] le décideur doit également […] justifier sa décision » (Vavilov, para 86).

[26]  Dans le deuxième cas, une décision raisonnable est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles précises qui ont une incidence sur la décision (Vavilov, au paragraphe 83). Il n’est pas possible de cataloguer toutes les considérations juridiques et factuelles qui pourraient réduire la marge de manœuvre d’un décideur administratif dans un cas donné. Néanmoins, les éléments qui sont pertinents à cet égard pour déterminer si une décision donnée est raisonnable incluent le régime législatif applicable, tout autre principe législatif ou principe de common law pertinent, la preuve portée à la connaissance du décideur, les observations des parties et l’impact potentiel de la décision sur la personne qui en fait l’objet.

[27]  En ce qui concerne les contraintes liées aux conclusions factuelles appréciées, qui s’appliquent au fait de tirer des conclusions de fait : 1) les demandeurs doivent démontrer 2) que des circonstances exceptionnelles s’appliquent et permettent à la cour de révision de modifier les conclusions de fait; 3) qu’ils ne demandent pas à la cour d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur (Vavilov, para 77 et 125; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, [2018] 2 RCS 230, au para 55; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 (CanLII), [2009] 1 RCS 339, au para 64), ou lorsqu’il est conclu que l’on ne peut affirmer que la conclusion factuelle du décideur est fondée sur certains éléments de preuve : Dr Q c College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19 (CanLII), [2003] 1 RCS 226, au para 41.

[28]  Le degré de déférence requis est considérablement renforcé par la nature du problème. L’appréciation de la crédibilité est essentiellement de nature factuelle. Il faut reconnaître l’avantage relatif dont jouissait le comité, qui a entendu les témoignages de vive voix : Vavilov, para 125, citant l’arrêt Dr Q c College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19 (CanLII), [2003] 1 RCS 226, au para 38.

[29]  La Cour a aussi souligné, au paragraphe 125 de l’arrêt Vavilov, en faisant référence à l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 (CanLII), [2002] 2 RCS 235, aux para 15 à 18 [Housen], que la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une instance inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position relativement avantageuse du décideur de première instance, s’applique également dans le contexte du contrôle judiciaire. La ratio decidendi de l’arrêt Housen, aux paragraphes 22 et 23, selon laquelle les cours d’appel ne doivent pas apprécier à nouveau la preuve primaire pour substituer leur conclusion à celle du décideur au moment de tirer une conclusion de fait, s’appliquerait de la même manière aux inférences des tribunaux administratifs.

[30]  Par ailleurs, selon l’arrêt Vavilov, aux paragraphes 77 et 126, et la jurisprudence qui y est citée, les demandeurs doivent démontrer que la décision n’est pas raisonnable, parce qu’elle n’est pas justifiée à la lumière des faits fondés sur la preuve dont disposait réellement le décideur. Cela inclurait les situations où le décideur n’a pas tenu compte du dossier de la preuve et de la trame factuelle générale ayant une incidence sur sa décision. Par exemple, lorsqu’il y a un processus logique vicié par lequel les faits sont tirés de la preuve, ou quand un décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve dont il disposait ou n’en a pas tenu compte, ou a tiré une conclusion qui allait à l’encontre de l’essentiel de la preuve : Vavilov, aux para 77 et 126, Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII), [2008] 1 RCS 190, au para 47; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817, au para 48; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Southam Inc, 1997 CanLII 385 (CSC), [1997] 1 RCS 748, au para 56; Dr Q, au para 41).

[31]  En ce qui concerne les questions mixtes de fait et de droit, logiquement, si une quelconque conclusion factuelle sous‑jacente pouvant être cernée n’est pas infirmée ou n’est pas déterminante, les demandeurs doivent démontrer l’existence d’une erreur déraisonnable dans son examen et son application, selon Vavilov, para 127. Vu la retenue qu’il faut généralement accorder à l’égard de l’aspect factuel de la question, la Cour infère que de telles erreurs sont le plus susceptibles de tenir à l’absence d’un raisonnement justifié, aux déficiences du raisonnement appliqué ou à une erreur relative à un principe juridique pouvant être isolé, comme le fait de présenter de façon erronée les critères ou d’appliquer le mauvais critère. Voir l’analyse générale sur les questions mixtes de fait et de droit dans l’arrêt Housen, aux para 26 à 31.

V.  Analyse

A.  Introduction

[32]  La présente affaire tient de façon marquée au caractère déterminant des faits, dans la mesure où les observations de la demanderesse sont rejetées, dans la plupart des cas, à la lumière des faits.

[33]  Premièrement, la commissaire a conclu que l’époux était vivement désireux d’obtenir le statut de résident permanent afin d’avoir accès au traitement ainsi qu’aux ressources médicales du Canada en lien avec le VIH, et ce, pendant de nombreuses années avant son mariage avec la demanderesse. Cette conclusion repose sur les éléments suivants : obtenir l’entrée au Canada sur la base d’une demande de parrainage dans la catégorie des époux qui a pris fin à l’arrivée de l’époux au pays; demander frauduleusement l’asile; se désister de la demande d’asile un an plus tard, lors de l’audience, sur la prémisse non fondée que l’époux avait suivi les instructions de son avocat; présenter ensuite une demande d’ERAR et une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qui ont été rejetées; rester par la suite illégalement en liberté au pays, du fait de son refus de retourner dans son pays d’origine; avoir envisagé un mariage avec une autre citoyenne canadienne; rencontrer, au bout du compte, la demanderesse et l’épouser deux mois plus tard; par la suite, rester au pays illégalement, alors que la demanderesse présente une demande de parrainage pour lui, sur la prémisse non fondée que l’avocat lui avait dit que cela lui permettrait de rester au pays.

[34]  Deuxièmement, la commissaire a conclu que le mariage n’était pas authentique lorsqu’il a été contracté initialement, mais qu’il était authentique au moment de son examen par la SAI.

[35]  Troisièmement, la commissaire a conclu que l’époux de la demanderesse n’était pas crédible.

[36]  En outre, la Cour n’a rien trouvé qui donne à penser que les motifs n’étaient ni rationnels ni logiques, et ils permettent à la cour de révision de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale et de suivre un mode d’analyse pouvant raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait.

B.  L’appréciation qu’a faite la SAI du but principal du mariage de la demanderesse est raisonnable et n’est pas limitée par l’une ou l’autre des allégations et observations prises en considération ci‑dessous

(1)  La SAI n’est pas limitée par une méprise prétendue quant au cadre juridique applicable pour apprécier le but principal du mariage en omettant de tenir compte de l’authenticité du mariage

[37]  Le premier argument de la demanderesse, c’est que l’appréciation par la SAI du but rationnel principal du mariage était déraisonnable, parce que la commissaire a appliqué le mauvais cadre juridique. Elle soutient que la SAI, ayant conclu que le mariage était authentique, a commis une erreur en ne considérant pas logiquement cette conclusion comme une preuve que le couple n’était pas à la recherche d’un statut lié à l’immigration. Elle s’appuie sur l’énoncé dans la décision Parminder Kaur Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 902, au para 15 [la décision Gill de 2014], selon lequel « [p]lus la preuve que le couple visait l’acquisition d’un statut en matière d’immigration, plus il était probable que le mariage n’était pas authentique ».

[38]  En toute déférence, il est reconnu qu’il peut y avoir un large éventail de circonstances différentes propres à chaque mariage. Par conséquent, il convient toujours de se demander si les faits soutiennent une conclusion selon laquelle un mariage authentique, par exemple, constituerait une preuve que l’époux ne cherchait pas à obtenir un statut lié à l’immigration.

[39]  Dans la présente affaire, les faits ne révèlent pas une relation importante entre les deux facteurs. Comme cela a été mentionné, les éléments de preuve les plus probants que l’époux cherchait à obtenir un statut lié à l’immigration afin d’avoir accès aux ressources du système de santé canadien étaient ceux qui remontaient à de nombreuses années avant la date du mariage. En outre, les tentatives continuelles de l’époux pour obtenir le statut de résident permanent, décrites plus haut, y compris aller jusqu’à violer la loi canadienne de l’immigration pour atteindre un tel objectif, soutiennent fortement la conclusion selon laquelle le but principal de l’époux en contractant le mariage était d’acquérir le statut de résident permanent.

[40]  À l’inverse, la SAI a conclu que l’authenticité du mariage avait seulement été établie au fil des nombreuses années menant à l’audience. Il est bien connu que le moment le plus important dont il faut tenir compte au moment d’examiner le but principal d’un mariage est avant sa célébration. Par conséquent, la conclusion selon laquelle le mariage n’était pas authentique sans le passage du temps fournirait peu d’éléments probants du fait que le mariage n’avait pas été contracté principalement à des fins d’immigration.

[41]  De plus, en toute déférence, je conclus que la décision du juge en chef Crampton dans la décision Depinder Kaur c Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1522 [la décision Gill de 2012], représente mieux le droit applicable. Aux paragraphes 28 et 29, le juge en chef a rejeté précisément une observation similaire formulée par la demanderesse :

[28] Mme Kaur Gill soutient qu’il était déraisonnable pour la SAI de constater que son mariage avec M. Gill était authentique, puis de conclure que Mme Kaur Gill n’avait pas établi que le mariage visait principalement [autre chose que] l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR.

[29] Je ne suis pas d’accord. Une simple lecture de l’article 4 du Règlement permet de voir qu’il s’agit de deux critères distincts. Si la constatation de l’authenticité d’un mariage excluait la possibilité de conclure que le mariage a été contracté principalement en vue de l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR, le second critère deviendrait superflu. Une telle chose irait à l’encontre de la présomption d’absence de dispositions « superfétatoires » (R c Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, au paragraphe 28).

[42]  La conclusion du juge en chef est confirmée par le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (le REIR) concernant le « Règlement sur la mauvaise foi », qui explique la raison pour laquelle l’article a été modifié pour créer un critère disjonctif, dans la Gazette du Canada, le 30 septembre 2010 :

[…] R4 vise à préserver l’intégrité du programme d’immigration en empêchant que les relations de complaisance ou de mauvaise foi ne servent à se soustraire à la législation de l’immigration. Selon la version antérieure de la disposition, l’étranger n’était pas considéré comme un époux, un conjoint de fait, un partenaire conjugal ou un enfant adopté lorsque la relation n’était pas authentique et qu’elle visait principalement l’immigration.

Cette disposition rendait toutefois difficile de bien déceler ces relations. Elle exigeait en effet la présence obligatoire de deux éléments pour conclure à la mauvaise foi de la relation : a) la relation devait ne pas être authentique et b) elle devait viser principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi. CIC était ainsi tenu d’établir qu’aucun des deux éléments n’avait été respecté lorsqu’il rejetait une demande aux termes de cette disposition et qu’il défendait sa décision en appel. Or la relation peut être de mauvaise foi quand l’un ou l’autre de ces facteurs connexes est présent.

[43]  Par conséquent, je rejette l’affirmation selon laquelle la SAI a mal appliqué le cadre juridique applicable pour apprécier le but principal du mariage.

(2)  La décision de la Commission n’est pas limitée par le défaut de tenir compte d’éléments de preuve importants qui, selon la demanderesse, contredisent directement le fait que le but principal du mariage soit l’acquisition d’avantages liés à l’immigration

[44]  La demanderesse affirme que le SAI n’a pas tenu compte des éléments de preuve qui contredisaient l’affirmation selon laquelle le mariage avait été contracté principalement à des fins d’immigration. Le contrôle se fait selon la norme de la décision raisonnable. La demanderesse renvoie à des éléments de preuve qui remontent aux deux mois précédant le mariage et qui sont censés révéler les intentions et les motivations du couple. Ils comprennent la façon dont la relation a commencé, la participation des familles élargies, la divulgation du problème de santé, le fait d’avoir emménagé ensemble avant le mariage, la tenue d’une réception de mariage à laquelle 80 membres des familles ont participé et ainsi de suite.

[45]  La SAI a indiqué qu’elle avait tenu compte de ces éléments de preuve, mais ne les a pas mentionnés expressément dans ses motifs. Le principe établi dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, s’appliquerait dans les circonstances, en ce qui concerne le fait qu’il ne soit pas nécessaire de tenir compte de toutes les observations, surtout dans la mesure où il y a de nombreux éléments de preuve probants sur lesquels est appuyée la décision selon laquelle le mariage était de mauvaise foi. Les faits mentionnés se seraient produits durant une courte période de deux mois après la rencontre du couple. Ils ont pu être altérés, avec peu ou pas de participation apparente de la part de la demanderesse. Vu les antécédents de l’époux en matière d’immigration et le fait qu’il avait cherché d’autres épouses pour le parrainer, lesquels prouvent la recherche de longue date d’un avantage lié à l’immigration par l’obtention du statut de résident permanent au Canada, la Cour n’a aucune raison d’intervenir et elle rejette cette observation.

(3)  La SAI n’est pas limitée par toute allégation selon laquelle il était déraisonnable qu’elle se fonde sur l’état de santé de l’époux, en tant que facteur à l’appui de sa conclusion portant que la demande visait un avantage lié à l’immigration

[46]  La demanderesse fait valoir que la SAI a agi de façon déraisonnable en donnant l’importance qu’elle a donnée au problème de santé de l’époux, ce qui a miné le but principal du mariage. On demande à la Cour de soupeser à nouveau la preuve, alors qu’il y a certains éléments de preuve pour soutenir la conclusion de fait.

[47]  L’observation est différente de celle formulée initialement dans les notes préparées pour l’autorisation d’appel. La demanderesse a fait valoir que l’appréciation réalisée par la SAI du but principal du mariage était discriminatoire à l’égard de la séropositivité de l’époux, ce qui constituait une violation de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982. L’intervenante reprend maintenant cette question, bien qu’aucun argument fondé sur la Charte ne soit formulé.

[48]  Un peu comme elle l’a fait pour son argument précédent sur la discrimination, la demanderesse fait valoir que, lorsqu’une personne séropositive épouse un Canadien, la personne aura habituellement accès à de meilleurs traitements, peu importe ses véritables motifs pour contracter le mariage. Par conséquent, fait‑elle valoir, l’accès à des traitements contre le VIH est une motivation associée aux caractéristiques immuables d’une personne, des caractéristiques sur lesquelles la SAI ne devrait pas s’appuyer pour miner les intentions authentiques des parties à un mariage. Elle affirme que [traduction« [c]e raisonnement découle de la notion qu’une telle motivation existera toujours pour une personne séropositive, même si l’objectif principal du mariage est l’amour ».

[49]  Le problème que pose cette observation, c’est qu’il y a une preuve importante de l’inclination de l’époux à obtenir un statut en matière d’immigration avant la tenue d’un mariage authentique avec la demanderesse. Le fait qu’une personne présente une caractéristique immuable ne change rien au fait que cela puisse constituer le but principal pour contracter le mariage à des fins d’immigration, la demanderesse ayant reconnu qu’il s’agissait d’une motivation pour le mariage.

[50]  Je souligne aussi que l’accès à des ressources médicales est une fin corollaire externe à la relation conjugale. Cet aspect n’est pas empreint de réciprocité et ne s’inscrit pas dans la norme de ce qui constituerait des échanges réciproques, comme l’amour et la compatibilité, qui composent un mariage authentique. L’accès à des ressources médicales est plutôt un avantage externe que l’immigration fournit grâce à l’obtention de la résidence permanente.

[51]  Il n’y a aucune raison de conclure qu’une motivation principale avant le début d’une relation devrait devenir une motivation secondaire après la rencontre avec la demanderesse, surtout lorsque le mariage fournit à l’époux une façon d’obtenir la résidence permanente canadienne qu’il souhaitait depuis longtemps, ce qui est pratique. Je ne vois rien de déraisonnable au fait que la décision se fonde sur des circonstances précédant le mariage qui sont suffisamment probantes pour étayer l’objectif principal visé jusqu’à la célébration du mariage. Il ne revient pas à la Cour de soupeser à nouveau cette conclusion ou de la remettre en question.

[52]  Subsidiairement, la demanderesse affirme que si une [traduction« motivation immuable » mine le but principal du mariage, la SAI doit expliquer clairement que cette motivation était le but principal du mariage. Une telle observation serait liée à l’exigence de fournir des motifs intelligibles, transparents et justifiés. Je rejette l’observation, puisque je conclus que les motifs énoncés étaient approfondis et détaillés en ce qui concerne l’explication des raisons pour lesquelles la demande a été rejetée. Je ne suis au fait d’aucune observation fournie à la SAI au sujet de « caractéristiques immuables », qui aurait pu entraîner la formulation d’un commentaire précis à cet égard.

[53]  Les exemples tirés de la jurisprudence par la demanderesse n’ont aucune application en l’espèce. La décision Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 CanLII 26760 (CA CISR), concerne une adoption où les parents adoptifs au Canada sont en mesure d’offrir un niveau de vie amélioré et des occasions que ne peuvent offrir les parents naturels. Le tribunal a souligné que l’adoption d’un enfant autre qu’un orphelin était presque toujours fondée sur la prémisse que les parents adoptifs pourraient fournir quelque chose à l’enfant adopté que les parents naturels ne pouvaient pas ou ne voulaient pas, pour une raison ou une autre, lui procurer. En outre, rien dans l’affaire ne donne à penser que l’enfant adopté ou les parents ont agi de mauvaise foi à des fins d’immigration, par exemple en contractant un mariage suivi d’une demande de parrainage présentée par un époux par suite d’une présence illégale au Canada.

[54]  Dans un même ordre d’idées, dans la décision Tamber c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 951, le juge a souligné que « [l]a plupart des personnes qui cherchent à venir au Canada sont vivement désireuses de le faire ». Encore une fois, cette affaire ne ressemble aucunement au présent dossier. La principale plainte dans la décision en question concernait le défaut de la Commission de tenir compte d’éléments de preuve pertinents ayant une incidence directe sur la question à trancher. Surtout, il n’y avait pas une longue liste de demandes antérieures présentées afin d’obtenir la résidence permanente ni d’activités de mauvaise foi constatées de la part de l’époux tout au long de son séjour au Canada.

(4)  La décision n’est pas limitée comme il est allégué, soit que la commissaire aurait tiré des conclusions hypothétiques qui n’étaient pas fondées et qui étaient contredites par la preuve au dossier

[55]  Pour la plupart, les observations à cet égard sont accessoires aux principaux faits sur lesquels la SAI s’est appuyée, qui démontraient que le but principal était lié à l’immigration. Elles sont principalement fondées sur les efforts déployés par l’époux dans le cadre des différents processus – la demande d’asile, l’ERAR, la demande fondée sur les considérations d’ordre humanitaire – avant d’entreprendre finalement le processus de parrainage dans la catégorie des époux afin d’obtenir la résidence au Canada, ainsi que sur les questions de crédibilité liées à cet aspect de l’affaire. À ces éléments s’ajoute l’admission de l’époux qu’obtenir des médicaments et des traitements liés à sa séropositivité était une préoccupation dominante, admission qui a servi de fondement à la conclusion de la SAI. Les critiques de ces conclusions dans sa décision sont non fondées, alors que ces conclusions soutiennent logiquement et raisonnablement le caractère raisonnable de la décision.

a)  L’interprétation erronée de la preuve concernant la participation de la famille de la demanderesse à la présentation des membres du couple

[56]  Une interprétation erronée de la preuve, si elle est prouvée et grave, peut justifier l’annulation d’une conclusion de fait qui, si elle est dominante, pourrait suffire à annuler la décision. L’interprétation erronée de la preuve est une erreur évidente. Cependant, ce qui semble être le fait d’avoir mal nommé la personne ayant présenté les membres du couple ne pourrait d’aucune manière être considéré comme une erreur dominante rendant la décision déraisonnable.

[57]  La demanderesse soutient que cette erreur est [traduction« une des principales raisons [pour la SAI] d’avoir conclu que le but principal du mariage était l’obtention d’un statut en matière d’immigration ». Une affirmation quant à l’identité de la personne ayant présenté les membres du couple initialement est un détail tellement mineur que de déclarer qu’il s’agit d’une des principales raisons d’avoir rejeté la demande est une grave exagération et une observation insoutenable. Il n’y a à peu près aucun lien entre l’interprétation erronée de la façon dont le couple s’est rencontré, au paragraphe 34 de la décision, et les conclusions de la SAI, huit paragraphes plus loin, au paragraphe 42, établissant les divers motifs du rejet de la demande.

b)  Les conclusions défavorables quant à la crédibilité sont raisonnables relativement à la décision de l’époux de présenter une fausse demande d’asile, pour ensuite tarder à s’en désister et subséquemment présenter une demande de parrainage alors qu’il était illégalement au Canada, tout cela étant prétendument justifié comme fondé sur des conseils d’avocats

[58]  Ces enjeux concernent des conclusions factuelles liées à la crédibilité de l’époux. Ils ont trait à l’appréciation de la preuve et ne peuvent être renversés s’ils sont soutenus par des éléments de preuve, compte tenu en particulier de la retenue dont il faut faire montre à l’égard de la décision, en raison du fait que la Commission a entendu les témoignages de vive voix. Je conclus que la conclusion de la SAI est appuyée par de nombreux éléments de preuve et qu’aucune erreur susceptible de contrôle n’a été établie.

[59]  L’époux allègue qu’il a initialement présenté sa demande d’asile en raison des conseils que lui avait formulés un avocat lorsqu’il est arrivé pour la première fois au Canada. Il déclare que l’avocat lui a conseillé de présenter une demande d’asile et d’alléguer que sa vie était en danger en Inde, et qu’il lui a dit que tout [traduction« s’arrangerait ». Il a aussi blâmé son avocat, qui lui a dit qu’il ne pouvait pas se désister de sa demande d’asile, sauf lors d’une audience. Dans le troisième cas, l’époux allègue s’être fié à son avocat qui avançait qu’il devrait épouser la demanderesse et présenter une demande de parrainage, ce qui permettrait de prévenir son renvoi, ce qui, il le reconnaît, s’est révélé faux.

[60]  Toute affirmation formulée par des témoins qui justifie leur comportement répréhensible ou illégal en raison de conseils juridiques a peu de valeur probante, voire aucune, sans corroboration consistant à convoquer l’avocat afin qu’il ait l’occasion de se défendre contre les attaques formulées à l’égard de sa réputation professionnelle. La SAI a raisonnablement conclu qu’aucun motif convaincant n’avait été fourni pour soutenir le fait que l’époux s’était fié aux conseils d’un avocat dans les deux premières situations. Cette conclusion est fondée sur certains éléments de preuve. Pour ce qui est de la troisième situation où un comportement avait été prétendument provoqué par un avocat, la commissaire a conclu que la demanderesse et l’époux avaient décidé de se marier avant d’obtenir l’avis juridique. Les choses exprimées de cette façon, la demanderesse et l’époux prétendent que la SAI a tiré une inférence hypothétique défavorable au sujet de leur crédibilité.

[61]  Dans les deux premiers cas, les conclusions défavorables quant à la crédibilité étaient soutenues par celle qu’il n’y avait aucun élément de preuve convaincant qui justifiait le fait que l’époux s’en était remis à des avocats. La raison pour laquelle le même raisonnement ne s’est pas appliqué relativement à la troisième situation n’est pas claire, sauf, peut‑être, le fait que la commissaire a conclu que la demanderesse était crédible et qu’elle appuyait le récit de l’époux.

[62]  Quoi qu’il en soit, j’ai mentionné à plusieurs occasions que la jurisprudence soulevée selon laquelle les conclusions défavorables quant à la crédibilité sont acceptables seulement dans les cas les plus clairs et doivent s’appuyer sur une preuve et un raisonnement limpides est juridiquement erronée. La demanderesse a fait mention de Santos c Canada (MCI), 2004 CF 937, une décision qui est liée à celle dans l’affaire Valtchev c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 CFPI 776, [2001] ACF no 1131 (1re inst), au para 7 [Valtchev]. J’ai critiqué la décision Valtchev comme étant complètement erronée, et ce, de tout point de vue, les motifs les plus détaillés ayant été formulés dans ma récente décision dans l’affaire Kallab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 706, aux para 133 à 157 [Kallab]. En toute déférence, une telle règle de preuve, et son impact sur la règle touchant la norme de contrôle des conclusions factuelles, n’existe dans aucun autre ressort au Canada. Même le terme « invraisemblance » porte à confusion et, à ma connaissance, n’est pas utilisé pour décrire des inférences dans quelque autre ressort canadien. Le terme approprié pour parler d’une inférence déraisonnable serait une « improbabilité », puisque les régimes en matière de preuve au Canada misent uniquement sur les probabilités, sauf s’il n’y a aucune autre option.

[63]  Même abstraction faite de ce raisonnement, la décision Valtchev est également inconciliable avec les prescriptions de l’arrêt Vavilov, aux paragraphes 126 et 127, qui s’appliquent aux conclusions factuelles, y compris les inférences et les conclusions liées à la crédibilité décrites ci‑dessus, la plus évidente étant l’absence de retenue à l’égard des conclusions factuelles des décideurs administratifs quant à la crédibilité.

[64]  En l’espèce, les faits fondamentaux qui appuient l’inférence en question résident dans le caractère insuffisant de la preuve corroborante concernant le conseil allégué de l’avocat, comme cela a été décrit plus haut. De plus, vu la formation, le professionnalisme et les normes généralement élevées des avocats de l’Ontario, ce n’est pas spéculatif de laisser entendre qu’il est très peu probable que des membres du Barreau de l’Ontario aient fourni un tel conseil erroné, sauf s’ils avaient été en quelque sorte induits en erreur au sujet de l’époux résidant illégalement au Canada.

[65]  En ce qui concerne le principe énoncé dans l’arrêt Maldonado c MEI, [1980] 2 CF 302 (CA) [Maldonado], selon lequel il existe une présomption de véracité liée aux déclarations faites sous serment, la règle s’applique seulement dans les instances en matière d’asile, bien qu’elle soit citée dans de nombreuses autres circonstances, y compris dans le cadre de processus sur dossier uniquement. Sa réelle fonction est de permettre à un demandeur d’asile de ne pas avoir à corroborer un témoignage sous serment. Dans des affaires liées aux demandes d’asile, la présomption peut être justifiée par les circonstances de la fuite et un État non coopératif, deux situations faisant en sorte qu’il peut être très problématique d’obtenir des éléments de preuve corroborants.

[66]  J’ai malgré tout soulevé des préoccupations dans la décision Kallab quant à la portée excessive de l’arrêt Maldonado. Il n’y a pas de règle générale qui présume que le témoignage d’un témoin est véridique (R c Thain (2009), 243 CCC (3d) 230, (CA Ont), au para 32). Les préoccupations incluent la question de savoir s’il y a entrave à la compétence de la SPR en vertu de l’alinéa 170h) de la LIPR, qui établit le pouvoir de la Commission de « recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision ». J’ai aussi conclu que l’arrêt Maldonado devrait se limiter aux enjeux associés à la crédibilité et ne pas s’appliquer au deuxième facteur lié aux éléments « dignes de confiance » énoncés à l’alinéa 170h) de la LIPR afin d’éviter tout problème d’entrave. L’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés exige aussi la corroboration. Enfin, j’ai soutenu que le principe préféré en matière de corroboration devrait être similaire à la règle sur le « bénéfice du doute » du Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés du HCR, réédité, Genève, décembre 2011, aux paragraphes 203 à 205. Il y est prévu que c’est seulement si le demandeur d’asile a démontré qu’il a fait un réel effort pour établir l’exactitude des faits qu’il rapporte dans sa déclaration sous serment qu’il faut lui donner le bénéfice du doute quant à la véracité de ses propos, plutôt que d’en présumer la véracité.

c)  Les conclusions selon lesquelles la demande en mariage de l’époux a exercé une pression sur la demanderesse afin qu’elle accepte le mariage et que le couple n’était pas prêt à se marier sont raisonnables.

[67]  La demanderesse fait valoir que la conclusion de fait selon laquelle l’époux a exercé des pressions sur elle afin qu’elle se marie avec lui est une spéculation qui n’est pas appuyée par le dossier. Il s’agit d’un enjeu lié à une appréciation de fait associé à la suffisance de la preuve et assujetti à la norme de la décision raisonnable. Elle cite des passages tirés de la preuve que la Cour doit examiner pour déterminer si le fait est corroboré par certains éléments de preuve. Cela inclut la déclaration suivante de l’épouse :

[traduction]

D’accord. Aman m’a demandé veux‑tu m’épouser, dis‑moi oui ou non. Si c’est non, alors je vais devoir aller en Inde et ça s’arrêtera parce que la date est en octobre. Le 4 octobre. Si tu dis non, alors je retournerai en Inde. Mais si tu dis oui, alors nous nous marierons.

[68]  Cet élément de preuve est suffisant pour soutenir une conclusion selon laquelle le demandeur a exercé des pressions sur l’épouse afin qu’elle se marie avec lui, sinon il allait devoir partir.

[69]  Je ne conclus pas que l’inférence selon laquelle les antécédents de mariages qui avaient échoué auraient poussé les membres du couple à être [traduction« plus prudents au moment de contracter les deuxième et troisième mariages, respectivement » est de nature spéculative, particulièrement lorsque cela implique un enfant. Une inférence est tirée de l’uniformité de l’expérience humaine préalable fondée sur des faits fondamentaux (R c Munoz, 86 OR (3d) 134, 2006 CanLII 3269 (CS ON), au para 23). Ici, les faits fondamentaux sont que, à eux deux, les époux ont vécu cinq mariages ayant échoué.

[70]  L’adage « chat échaudé craint l’eau froide » exprime une règle de sens commun fondée sur l’expérience humaine antérieure qui s’appliquerait dans les circonstances. Les mariages sont assortis de conséquences importantes. Ce n’est pas de la spéculation d’avancer que des personnes qui, ensemble, ont accumulé cinq mariages ayant échoué, y compris un mariage duquel un enfant est issu, aborderaient leur prochain mariage avec un certain niveau de prudence, plutôt que de se marier deux mois après une première rencontre. Il est raisonnable de dire que ces faits fondamentaux étayent une conclusion, parallèlement aux autres nombreux éléments de preuve mentionnés par la SAI, selon laquelle le mariage n’était pas, initialement, authentique et qu’il a été conclu par le demandeur à des fins d’immigration.

C.  Le caractère raisonnable de la décision n’est pas limité par l’élément disjonctif du paragraphe 4(1) du Règlement qui serait ultra vires de sa loi habilitante, et plus précisément de l’alinéa 3(1)d) de la LIPR, puisque la Cour refuse d’examiner la question soulevée pour la première fois à l’étape du mémoire des arguments supplémentaire, qui a peu de poids

[71]  Dans son mémoire supplémentaire, la demanderesse fait valoir que le paragraphe 4(1) du Règlement est ultra vires de la loi habilitante, puisque la disposition empêche le parrainage d’époux authentiques, ce qui va à l’encontre des buts et objectifs de la LIPR, notamment l’alinéa 3(1)d), « de veiller à la réunification des familles au Canada ». La demanderesse soutient que l’application, en l’espèce, du critère disjonctif du paragraphe 4(1) du Règlement provoquera presque certainement la séparation permanente d’époux authentiques ainsi que la séparation entre un jeune enfant canadien et son beau‑père, ce qui va à l’encontre de l’objectif énoncé de la LIPR relatif à la réunification des familles. Par conséquent, l’article 4 du Règlement doit être rendu inopérant.

[72]  Le défendeur soutient que la Cour devrait refuser d’examiner la question, puisque la jurisprudence est constante dans le fait de refuser d’entendre de nouveaux arguments soulevés pour la première fois à l’étape du mémoire des arguments supplémentaire (Garcia c Canada (MCI), 2006 CF 645 (CanLII); voir aussi Arona c Canada (MCI), [2001] ACF no 24, au para 9). Bien qu’il existe un pouvoir discrétionnaire permettant d’examiner de nouvelles questions, le défendeur fait valoir que, dans les présentes circonstances, tous les faits et éléments intéressant les nouveaux arguments étaient connus de la demanderesse au moment de la présentation de la demande d’autorisation et de la mise en état du dossier, de sorte que la nouvelle question aurait dû être soulevée en temps opportun, à l’étape de la demande d’autorisation (Al Mansuri c MSPPC et Solliciteur général, 2007 CF 22 (CanLII), au para 12).

[73]  De plus, le défendeur fait valoir que l’argument de la demanderesse n’est pas fort, dans la mesure où la jurisprudence de la Cour a déjà conclu que ce n’était pas ultra vires (Singh c MCI, 2014 CF 1077, au para 28; Burton c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 345 (CanLII), aux para 32 à 34 [Burton]).

[74]  Je conviens que la Cour devrait refuser d’entendre ce nouvel argument. Plus particulièrement, je suis d’accord avec le raisonnement de ma collègue, la juge McDonald, dans la décision Burton, au paragraphe 33, avec mon soulignement :

[33] Je reconnais que dans l’arrêt Singh, la Cour a accepté de certifier une question et je souscris à l’analyse qui y a été faite. Je suis également lié aux décisions de la Cour d’appel fédérale sur lesquelles la Cour se fonde : Azizi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 406 aux paragraphes 27 à 32; dela Fuente au paragraphe 48. Comme l’a noté la Cour d’appel fédérale dans Azizi, l’objectif du regroupement familial doit être considéré en fonction de l’objectif du maintien de l’intégrité du système d’immigration. Ces questions ne transcendent pas les intérêts des parties.

[75]  L’objectif de maintenir l’intégrité du système d’immigration est encore plus important en l’espèce, alors que l’époux de la demanderesse a fait preuve d’un mépris flagrant à l’égard des lois canadiennes en matière d’immigration et a tiré un avantage d’une telle conduite, en ce qu’il a ainsi pu voir la demande de parrainage être présentée.

[76]  Par conséquent, je refuse d’entendre cette nouvelle question.

D.  Le caractère raisonnable de la décision n’est pas limité par le fait qu’elle perpétuerait une stigmatisation liée au VIH en s’appuyant sur des stéréotypes discriminatoires touchant les personnes séropositives.

[77]  La HIV and AIDS Legal Clinic Ontario [l’intervenante] a obtenu l’autorisation d’intervenir dans la présente affaire afin de formuler des observations en ce qui concerne le soutien des personnes séropositives et des personnes atteintes du sida pour protéger leurs intérêts dans le présent dossier, lorsqu’il est pertinent de le faire.

[78]  L’observation générale de l’intervenante consiste à dire que la décision de la SAI perpétue la stigmatisation liée au VIH en se fondant sur des stéréotypes discriminatoires à l’égard des personnes séropositives. La question soulevée, comme le défendeur l’a décrite, ce que j’accepte, consiste à savoir si l’intervenante a démontré que le traitement réservé par la SAI à la séropositivité de l’époux était fondé sur des stéréotypes discriminatoires à l’égard des personnes séropositives. Je ne suis pas d’accord.

[79]  Je répète mes remarques initiales selon lesquelles les faits dans la présente affaire ne permettent pas de formuler beaucoup d’observations favorables au nom de la demanderesse, et particulièrement de l’époux. Bien avant que l’époux ait envisagé le mariage avec la demanderesse, il a démontré de la façon la plus probante possible que son unique motivation tout au long de ses démarches était de trouver une façon de vivre au Canada de façon permanente, même s’il fallait violer de façon flagrante les lois canadiennes en matière d’immigration pour y arriver. Sa séropositivité n’est pas pertinente et ne peut pas justifier ou excuser ce comportement.

[80]  Même s’il ne s’agissait pas des faits auxquels la demanderesse et l’intervenante faisaient face, il n’y a aucune raison de conclure que l’époux était l’objet d’une stigmatisation et qu’il a été victime de discrimination au cours de la présente affaire. Il n’y a pas de problème de discrimination des services publics ou encore de traitement discriminatoire de la part d’autres citoyens ou d’autres entités au Canada. Des décideurs spécialisés qui possèdent de solides connaissances sur les facteurs pertinents à l’égard des mariages authentiques et de leurs buts principaux se sont acquittés de leur tâche consistant à appliquer la loi, ce qui, dans ces circonstances limitées, vise à s’assurer qu’il n’y a pas d’abus des mariages ou de relations similaires à long terme, lorsque l’objectif est d’obtenir des avantages liés à l’immigration, principalement le statut de résident permanent au Canada.

[81]  La discrimination est généralement comprise comme étant une certaine forme de traitement préjudiciable auquel la personne victime de discrimination est soumise, en raison d’une caractéristique qui lui est propre, traitement qui n’est pas réservé à d’autres dans les circonstances précises où la discrimination est alléguée. Le paragraphe 4(1) du Règlement formule des exigences génériques, de sorte qu’il y a peu de place à la discrimination. Tous les époux parrainés doivent démontrer que le but principal du mariage n’est pas d’acquérir un statut ou un privilège lié à l’immigration et que le mariage est authentique. Le but et la motivation sont des qualités partagées par tous les époux, et aucun préjugé inhérent ni aucune distinction ne sont intégrés dans les dispositions sur le fondement de caractéristiques précises ou de différences intrinsèques entre les demandeurs et les époux.

[82]  L’argument de la demanderesse est que la décision de la SAI crée un fardeau de la preuve discriminatoire dans le cas des personnes séropositives, qui doivent prouver que leur mariage à des citoyens canadiens ne visait pas principalement des fins d’immigration, en plus de prouver que leur mariage est authentique, bien qu’en l’espèce, ce dernier enjeu ne soit pas pertinent. L’argument, comme je le comprends, c’est que, parce que l’époux séropositif a besoin de traitements salvateurs accessibles au Canada, ce qu’a accepté la commissaire, son but principal sera apprécié différemment de celui des autres époux qui ne sont pas séropositifs, mais qui souffrent de problèmes de santé tout aussi importants, comme le cancer. Il n’y a aucune raison de différencier les situations en fonction du but principal du mariage, à savoir d’obtenir un avantage lié à l’immigration, soit des traitements médicaux.

[83]  Même si on peut éprouver de la compassion pour les personnes ayant de graves problèmes de santé, il est tout de même juste de conclure que le législateur a créé le paragraphe 4(1) du Règlement avec ce type de situation à l’esprit, entre de nombreux autres, pour s’assurer qu’obtenir des services de santé supérieurs n’est pas le but principal du mariage du point de vue de l’époux parrainé.

[84]  Il ne fait aucun doute que les personnes séropositives sont souvent stigmatisées et victimes de discrimination, et que des mesures appropriées doivent être prises lorsque cela entraîne un traitement différent et préjudiciable. Cependant, le paragraphe 4(1) du Règlement n’a pas été rédigé afin que les préoccupations liées à la santé des personnes victimes de discrimination soient traitées différemment de celles liées à la santé d’une gravité similaire d’autres personnes. Tout ce que ces personnes peuvent demander, c’est d’être traitées de la même façon que toutes les autres personnes qui ont des problèmes de santé comparables.

[85]  Cependant, je suis d’accord avec la plainte de la demanderesse, selon laquelle les personnes qui questionnent un époux répondant quant aux raisons pour lesquelles il accepterait la responsabilité de prendre soin d’une personne qui a le sida devraient souligner que la question concerne le fait de prendre soin de quiconque a un grave problème de santé, sans mettre en relief que la cause du problème de santé est le sida. Cependant, je ne conclus pas que ces questions ont eu quelque incidence sur le résultat de la décision.

[86]  En ce qui concerne les autres points soulevés par l’intervenante, je suis en désaccord avec ses observations concernant des aspects de l’appréciation faite par la SAI de la preuve. Il y a, par exemple, la critique de l’intervenante du fait que la commissaire s’est appuyée sur des éléments de preuve objectifs décrivant l’inconduite de l’époux avant le mariage, qui, selon la plainte de l’intervenante : [traduction« l’ont emporté sur son témoignage sous serment » et [traduction« dont la véracité a été présumée ». Il semble s’agir d’une référence au principe énoncé dans l’arrêt Maldonado, qui, comme je l’ai souligné, ne s’applique pas lorsqu’il n’est pas question de demande d’asile. L’observation de l’intervenante fait aussi fi du fait que l’époux avait de graves problèmes de crédibilité qui le défavorisaient, sans mentionner son [traduction« mépris flagrant à l’égard des lois et du processus en matière d’immigration au Canada ». L’époux a démontré sa mauvaise foi et le fait qu’il n’était pas irréprochable en violant intentionnellement les lois canadiennes en matière d’immigration afin d’obtenir le statut de résident permanent, ce qui mine grandement sa crédibilité sur des questions similaires et prouve de manière très probante que le but principal était d’obtenir un avantage lié à l’immigration, et ce, peu importe les moyens.

VI.  Les questions à certifier

[87]  La demanderesse propose des questions à certifier en vue d’un appel. Je ne vois aucune raison de le faire, parce que les questions ne respectent pas les exigences de l’alinéa 74d) de la LIPR, en fonction du critère établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage (1994), 176 NR 4, et récemment confirmé dans l’arrêt Zhang c Canada (MCI), 2013 CAF 168, au para 9, et dans l’arrêt Zazai c Canada (MCI), 2004 CAF 89, au para 11. En bref, une question certifiée doit être (i) déterminante quant à l’issue de l’appel; (ii) une question qui transcende les intérêts des parties au litige et aborde des éléments qui ont des conséquences importantes ou qui sont de portée générale, ce qu’on appelle parfois « une question grave de portée générale ».

[88]  La demanderesse propose les trois questions suivantes :

[traduction]

1.  En quoi l’appréciation du but principal du mariage au titre du paragraphe 4(1) du Règlement est‑elle touchée lorsque le but est lié à une caractéristique immuable d’une personne, comme une invalidité, l’orientation sexuelle, la race ou d’autres motifs similaires?

2.  L’élément disjonctif du paragraphe 4(1) du Règlement est‑il ultra vires de la loi habilitante, la LIPR, parce qu’il interdirait le parrainage d’un époux lorsqu’il a été conclu que le mariage avait été contracté principalement pour obtenir un statut, malgré une conclusion que le mariage a toujours été ou est par la suite devenu authentique, ce qui nuirait donc aux buts et objectifs de la LIPR, particulièrement l’alinéa 3(1)d), « de veiller à la réunification des familles au Canada »?

3.  Lors de l’appréciation du but principal d’un mariage au titre du paragraphe 4(1) du Règlement, quels facteurs sont des indices du but principal plutôt que d’objectifs collatéraux?

[89]  Je conclus que les trois questions ont tendance à être limitées par leur fondement factuel. En outre, en ce qui concerne les première et troisième questions, ce ne sont pas des questions graves de portée générale, puisqu’elles sont liées de très près à l’appréciation des faits sur lesquels elles reposent.

[90]  En ce qui concerne la première question, toute [traduction« caractéristique immuable » de la personne liée au VIH en tant que source de l’avantage lié à l’immigration, qu’elle obtiendrait par l’accès aux services de santé canadiens, ce n’est pas diffèrent d’un besoin similaire lié à la santé d’un demandeur étranger souffrant d’une autre maladie, comme un cancer, et qui obtiendrait, lui aussi, un avantage lié à l’immigration découlant de l’accès aux services de santé canadiens.

[91]  En ce qui concerne la deuxième question, bien qu’une question similaire ait été certifiée dans l’affaire Singh, je suis d’accord avec le raisonnement formulé dans la décision Burton susmentionnée. Plus particulièrement, le fait de s’appuyer sur des arrêts de la Cour d’appel fédérale relativement à la protection de l’intégrité du système d’immigration canadien est important dans la présente affaire, où il y a des circonstances supplémentaires liées à la mauvaise foi, associées au comportement du demandeur décrit plus haut.

[92]  En ce qui concerne la troisième question de la demanderesse relative aux facteurs d’appréciation qui distinguent le but principal lié à l’immigration d’un but secondaire, il s’agit là d’une détermination factuelle contextuelle, et il n’est pas possible d’énoncer une règle générale pour leur application. Comme cela a déjà été dit, la question, assurément de la façon dont elle a été posée, ne serait pas déterminante quant à l’issue et, de plus, elle ne soulève pas une question grave de portée générale.

VII.  Conclusion

[93]  La Cour conclut que la décision est raisonnable, du fait qu’elle est justifiée tant par son raisonnement intrinsèquement cohérent, transparent et intelligible que par les contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision. Par conséquent, la demande est rejetée, et aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.


 

JUGEMEMT DANS LE DOSSIER IMM‑2069‑19

 

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

 

 

« Peter Annis »

 

Juge

 



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM‑2069‑19

INTITULÉ :

A.B. c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 OCTOBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 21 JANVIER 2020

EN BLANC

EN BLANC

COMPARUTIONS :

 

Esnaashari Ali, Hirji Aslya

POUR LA DEMANDERESSE

Prathima Prashad, Megan Johnston et Debora Rachlis

POUR LE DÉFENDEUR

EN BLANC

EN BLANC

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EN BLANC

Esnaashari Ali, Hirji Aslya

POUR LA DEMANDERESSE

Prathima Prashad, Megan Johnston et Debora Rachlis

POUR LE DÉFENDEUR

 

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