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Date : 20200128


Dossier : IMM‑4362‑19

Référence : 2020 CF 153

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 28 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

RAGHAD MAJID YAKOB ALKHOURY ET JUDE SINAN GEORGE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Raghad Alkhoury, la demanderesse principale sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande d’asile, ainsi que celle de son fils, Jude George, au motif que la demanderesse pouvait se réclamer d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) dans la ville de Dohuk, dans la région du Kurdistan en Iraq.

[2]  Selon la demanderesse principale, la décision de la SPR devrait être annulée parce que la SPR n’a pas pris en compte tous les motifs sur lesquels reposait sa demande d’asile, elle n’a pas fondé son analyse de la situation dans la PRI sur le fait qu’elle était une personne déplacée à l’intérieur de son pays (une PDIP), et elle a manqué à son obligation d’équité procédurale en n’indiquant pas exactement qu’elle envisageait la ville de Dohuk comme PRI, privant ainsi la demanderesse principale de la possibilité de présenter des éléments de preuve ou des observations sur la question de savoir s’il s’agissait d’un endroit sûr pour elle et son fils.

[3]  Pour les motifs qui suivent, je rejette la présente demande.

[4]  Les faits en l’espèce ne sont pas contestés et peuvent être résumés brièvement. Ce résumé sera suivi d’une analyse des arguments soulevés par la demanderesse principale contre la décision de la SPR. Je tiens à faire remarquer dès à présent que la question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision de la SPR était raisonnable à la date où elle a été rendue. La situation a évolué et continue d’évoluer en Iraq, et s’il est possible que ce fait soit pertinent pour toute décision éventuelle concernant le renvoi des demandeurs, il n’a néanmoins aucune incidence sur le contrôle de la décision de la SPR.

[5]  La demanderesse principale est née en Iraq et y a vécu presque toute sa vie. Elle est une chrétienne syriaque orthodoxe, et elle dit qu’elle et les membres de sa famille ont maintes fois été exposés à des menaces et à du harcèlement en raison de leurs croyances religieuses lorsqu’ils vivaient à Mossoul. Ces incidents les ont amenés à s’installer dans la ville de Dohuk, dans la région du Kurdistan en Iraq, en 2007. La demanderesse principale a quitté l’Iraq pour suivre des études de maîtrise au Liban, de 2008 à 2011. Lorsqu’elle est retournée à Dohuk en 2011, elle a commencé à travailler à SALT, une organisation non gouvernementale qui aide les chrétiens. La demanderesse principale a rédigé des rapports sur la persécution des chrétiens et a visité des camps de personnes déplacées; elle s’est également rendue dans d’autres pays pour parler de la discrimination continue dont sont victimes les chrétiens en Iraq. En 2013, elle a déménagé à Erbil pour poursuivre son travail.

[6]  En 2017, la demanderesse principale a épousé un homme – un citoyen néerlandais – qui travaillait à Erbil. À la suite d’autres menaces proférées contre elle et, en particulier, d’une menace dont elle a fait l’objet pendant qu’elle était enceinte, la demanderesse principale a décidé de quitter l’Iraq et elle a déménagé aux États‑Unis, où son fils est né. Son mari, qui n’a pas pu obtenir de visa pour les États‑Unis, est donc venu au Canada. En septembre 2018, la demanderesse principale et son fils sont également venus au Canada, et ils ont demandé l’asile.

[7]  Dans sa décision, la SPR examine plusieurs questions liées à ces antécédents et au fait que la demanderesse principale aurait pu demander l’asile ailleurs. Je ne reviendrai pas sur ces questions, puisqu’elles ne sont plus pertinentes. La SPR a conclu que la demanderesse principale était crédible et qu’elle avait présenté une explication raisonnable pour justifier sa crainte d’être persécutée en qualité de chrétienne vivant en Iraq.

[8]  Toutefois, la SPR a conclu que la preuve documentaire montrait qu’il n’y avait pas de persécution religieuse dans la région du Kurdistan en Iraq. Elle a fait remarquer que les chrétiens iraqiens s’enfuient habituellement au Kurdistan pour échapper à la persécution dont ils sont victimes ailleurs dans le pays. En fait, c’est ce que la demanderesse principale avait fait lorsqu’elle a déménagé de Mossoul à Dohuk en 2007. Elle connaissait donc cette ville. Des chrétiens sont certes victimes de discrimination à Dohuk, mais la discrimination qu’ils subissent n’atteint pas le niveau de la persécution. En définitive, la SPR a rejeté la demande d’asile parce qu’elle a conclu que la demanderesse principale aurait pu échapper à la persécution et à la discrimination auxquelles elle était exposée en qualité de chrétienne en Iraq si elle s’était réinstallée à Dohuk.

[9]  Les questions déterminantes en l’espèce sont les suivantes : (i) La SPR a-t-elle privé la demanderesse principale de son droit à l’équité procédurale en n’indiquant pas exactement qu’elle envisageait la ville de Dohuk comme PRI, privant ainsi la demanderesse principale de la possibilité de répondre à ce point précis au cours de l’audience? (ii) L’analyse par la SPR de la question de la PRI était-elle raisonnable dans les circonstances de l’espèce?

I.  La SPR a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale en ne précisant pas quelle ville elle envisageait en particulier comme PRI?

[10]  L’examen des questions d’équité procédurale appelle une approche qui correspond davantage à la norme de la décision correcte. En réalité, je dois déterminer « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, par. 54).

[11]  La demanderesse principale invoque des décisions dans lesquelles la Cour a conclu que la SPR avait agi de manière inéquitable parce qu’elle n’avait pas informé le demandeur de la région précise du pays qu’elle envisageait comme PRI, ou parce qu’elle n’avait pas été assez précise dans ses conclusions au sujet de la région du pays où la personne pouvait trouver refuge (Valdez Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 387, par. 17 et 18). En revanche, le défendeur invoque Navarro Linares c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1250, aux paragraphes 37 à 43, où la Cour a conclu que le demandeur ne pouvait pas reprocher à la SPR d’avoir conclu que l’endroit où il avait déjà vécu en sécurité constituait une PRI.

[12]  Les questions d’équité procédurale sont intrinsèquement fondées sur des faits. La Cour doit donc se demander si, compte tenu de toutes les circonstances, la personne a été traitée équitablement. Normalement, il faut vérifier si la personne a été raisonnablement été informée des principales questions examinées et si elle a eu une possibilité raisonnable de faire valoir son point de vue.

[13]  En l’espèce, je ne suis pas convaincu que la demanderesse principale a été privée de son droit à l’équité procédurale. Premièrement, il est important de se rappeler que l’existence d’une PRI est une question qui est toujours à l’examen lors d’une audience relative à une demande d’asile. Il s’agit d’un principe de base pour déterminer si la personne a besoin de la protection de dernier recours que la Convention relative au statut des réfugiés est censée fournir (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689). Cette notion fait partie de la définition d’un réfugié introduite en droit canadien dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Deuxièmement, il est important de souligner que la demanderesse principale était représentée par un avocat à l’audience.

[14]  Je suis d’accord avec la demanderesse principale pour dire qu’une conclusion sur l’existence d’une PRI est importante en raison des conséquences qu’elle emporte pour le demandeur d’asile. La conclusion sur la PRI imposait à la demanderesse l’important fardeau de démontrer, au moyen d’une « preuve réelle et concrète », que la situation à Dohuk mettrait en péril sa « vie et [s]a sécurité » (Ranganathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2001] 2 CF 164, par. 15). Par conséquent, la SPR était tenue de s’assurer que la demanderesse principale savait qu’une PRI allait être examinée à l’audience, et de l’indiquer de façon assez précise pour que l’audience soit équitable.

[15]  Il ressort clairement de l’examen des transcriptions de l’audience que la SPR a indiqué dès le départ que la PRI serait à l’examen. Elle a également posé à la demanderesse principale une série de questions sur un éventuel retour en Iraq, et en particulier sur la possibilité de retourner à Dohuk. Ces questions étaient directes et précises et visaient clairement à établir si cette ville pouvait constituer une PRI pour la demanderesse principale. La SPR lui a demandé : [TRADUCTION] « Quels problèmes éprouveriez‑vous à Dohuk? » et [TRADUCTION] « Y a‑t‑il d’autres raisons pour lesquelles vous ne pourriez pas vous réinstaller à Dohuk? » Compte tenu de ses antécédents – mentionnés ci‑dessus – et des questions posées, la demanderesse principale ne peut raisonnablement avoir été surprise que la ville de Dohuk soit examinée comme PRI. De plus, l’avocat de la demanderesse principale a eu l’occasion d’approfondir la question à l’audience, soit en posant d’autres questions, soit en présentant d’autres éléments de preuve, soit en présentant des observations, soit en demandant l’autorisation de présenter d’autres éléments de preuve ou d’autres observations après l’audience.

[16]  Compte tenu de ce qui précède, j’estime que la procédure dans son ensemble était équitable.

II.  L’analyse de la PRI était‑elle raisonnable?

[17]  La demanderesse principale affirme que l’analyse de la PRI par la SPR était déraisonnable parce que la SPR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents concernant le traitement des personnes déplacées à l’intérieur du pays, et qu’elle n’a pas tenu compte de son profil complet de chrétienne qui a milité contre la persécution religieuse.

[18]  La Cour a déjà déterminé que la norme de contrôle applicable à de telles décisions est celle de la décision raisonnable, puisqu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit relevant de l’expertise de la SPR (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 719, par. 9). Selon l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], récemment prononcé par la Cour suprême du Canada, cette norme continue toujours de s’appliquer (voir Cruz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 22, par. 10 à 14).

[19]  Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, le juge Rowe a décrit comme suit les caractéristiques d’une décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[20]  La demanderesse principale soutient que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’ensemble de son profil. La SPR a conclu que la demanderesse principale était chrétienne, et elle a reconnu le fait qu’elle avait travaillé pour une organisation qui appuyait les chrétiens iraqiens. La demanderesse principale soutient toutefois que la SPR n’a pas poussé assez loin son analyse, parce qu’elle ne s’est pas demandé si la demanderesse principale serait exposée à de la persécution en sa qualité de défenseure de droits religieux. La SPR n’a pas expliqué pourquoi elle n’a pas effectué cette analyse et, par conséquent, sa décision est déraisonnable.

[21]  Cet argument ne me convainc pas. J’estime qu’il ne ressort pas clairement des éléments de preuve présentés par la demanderesse principale que sa demande d’asile était fondée, en partie, sur le fait qu’elle avait travaillé pour une organisation chrétienne ou qu’elle avait dénoncé la persécution religieuse. On ne peut reprocher à la SPR de ne pas avoir tenu compte d’un aspect que la demanderesse principale n’a pas expressément allégué dans sa demande ou qui ne découle pas raisonnablement des faits. Rien n’indique qu’elle avait un profil de défenseure des droits de la personne et, bien que cela ait pu être un élément de son emploi à l’époque, rien n’indique qu’elle ait acquis un profil public ou qu’elle était connue des autorités en raison de ces activités. Le témoignage de la demanderesse principale n’établit pas qu’elle était connue ou qu’elle serait perçue comme une défenseure des droits de la personne.

[22]  La demanderesse principale soutient également que la décision de la SPR est déraisonnable parce que la SPR n’a pas abordé le fait que la demanderesse principale était une personne déplacée à l’intérieur de l’Iraq. Elle n’a donc pas tenu compte de la preuve selon laquelle le Kurdistan était devenu moins accueillant envers les PDIP. La demanderesse principale soutient qu’elle ne demande pas à la Cour de réévaluer la preuve. Elle lui demande plutôt de conclure que l’analyse de la SPR ne satisfait pas au test du caractère raisonnable énoncé dans l’arrêt Vavilov. Étant donné que la SPR n’a pas tenu compte de cet aspect de la demande d’asile et, en conséquence, d’éléments de preuve pertinents au dossier, sa décision n’est ni « justifiée » ni « justifiable » et, par conséquent, elle doit être jugée déraisonnable.

[23]  Quand elle a évalué la question de savoir si Dohuk était une PRI raisonnable, la SPR a déclaré ce qui suit : « De plus, la demandeure d’asile n’est pas une personne déplacée à l’intérieur de son propre pays (PDIP) au sens traditionnel du terme, dans la mesure où elle n’a pas été forcée de s’enfuir de chez elle dans une région de l’Iraq et de déménager dans une autre en raison du conflit. Elle se réinstallerait plutôt depuis le Canada. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve qui montrent qu’elle serait forcée de vivre dans un camp de réfugiés au lieu de trouver son propre logement. » (par. 32) Elle a ensuite souligné la preuve documentaire selon laquelle les PDIP au Kurdistan étaient dans une meilleure situation que les personnes qui sont allées ailleurs en Iraq. De plus, la SPR a conclu que les éléments de preuve montrent que, même si les chrétiens se heurtent à certains désavantages économiques et à de la discrimination au Kurdistan, ils ont accès au logement, aux soins de santé et à l’emploi.

[24]  Je suis d’accord avec la demanderesse principale pour dire que l’analyse de la SPR sur la question de savoir si elle devrait être considérée comme une PDIP est erronée. Les éléments de preuve montrent clairement que la demanderesse principale et sa famille avaient fui Mossoul pour se réinstaller à Dohuk à cause des mauvais traitements de plus en plus fréquents qu’ils subissaient en tant que chrétiens. La demanderesse principale avait déménagé au Kurdistan, et elle a relaté qu’elle avait fait constamment l’objet, à cet endroit, d’exclusion et de mauvais traitements en raison de son origine ethnique perçue et de sa religion. Elle devait renouveler régulièrement son permis de résidence, ce qui démontre que sa situation n’était pas permanente. De plus, elle a affirmé lors de son témoignage que les autres membres de sa famille qui avaient également fui au Kurdistan étaient partis par la suite.

[25]  Ces éléments ne rendent toutefois pas la décision déraisonnable en soi. Bien que la SPR n’ait pas dit que la demanderesse principale était une personne déplacée à l’intérieur de son pays, elle n’a pas ignoré les éléments de preuve pertinents concernant son statut au Kurdistan, et sa conclusion selon laquelle la demanderesse principale ne serait pas obligée de vivre dans un camp de personnes déplacées est fondée sur la preuve. Cette conclusion est conforme à la jurisprudence (voir, par exemple, Abdillahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1202; Quebrada Batero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 988, par. 15 et 16; Barragan Gonzalez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 502, par. 49 à 53).

[26]  La SPR a examiné la preuve documentaire, notamment des rapports datant de 2018 et de 2019 qui indiquaient que le Kurdistan en général, et en particulier Dohuk, continuait d’offrir l’entrée aux chrétiens déplacés d’autres régions en Iraq et que, même si ces personnes faisaient l’objet de discrimination, elles n’avaient plus besoin d’un permis de résidence ou d’un répondant pour entrer dans la région ou y vivre. Dans l’ensemble, selon l’analyse de la preuve documentaire par la SPR, la situation à Dohuk était sûre pour les chrétiens et la discrimination à laquelle ils étaient exposés n’atteignait pas le niveau de la persécution ou ne les mettait pas en danger.

[27]  La demanderesse principale souligne des éléments de preuve dans le dossier qui contredisent cette évaluation, mais je ne suis pas convaincu que la décision devrait être infirmée parce que la SPR n’a pas traité expressément de ces références. L’examen des documents cités par la demanderesse principale révèle que la situation au Kurdistan pour les PDIP, y compris les chrétiens, a évolué et que, à certains égards, la population locale devient moins accueillante. Ces rapports confirment toutefois que les PDIP continuent d’avoir accès aux soins de santé, aux services sociaux et à l’emploi, et qu’elles ne sont pas obligées de vivre dans des camps.

[28]  J’estime que le dossier contient suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer la conclusion de la SPR, et que son analyse ne présente pas un portrait unilatéral ou complètement positif de la situation des chrétiens à Dohuk ou au Kurdistan. Le raisonnement est clair, il repose sur les principes juridiques pertinents qui s’appliquent aux faits présentés à la SPR et il ne fait pas abstraction des principaux éléments de preuve pertinents : par conséquent, la décision est raisonnable selon le cadre énoncé dans l’arrêt Vavilov.

[29]  Une dernière question se pose, soit celle de savoir si l’analyse de la PRI est raisonnable à la lumière du traitement des antécédents personnels de la demanderesse principale. Comme je l’ai déjà mentionné, la principale conclusion de la SPR était que la demanderesse principale avait une PRI dans « un endroit comme le Dohuk ». Elle a fondé sa conclusion en partie sur la preuve documentaire et en partie sur le fait que la demanderesse principale avait précédemment cherché à échapper à la persécution religieuse dans la ville de Mossoul en déménageant à Dohuk. Or, le fait que, d’une part, la SPR s’est fondée sur l’expérience vécue par la demanderesse principale de nombreuses années auparavant, mais que, d’autre part, elle a rejeté la preuve documentaire présentée par la demanderesse principale au sujet de la violence contre les chrétiens parce qu’elle datait de 2012 et était donc « périmé[e] » pose problème.

[30]  La faiblesse de ce raisonnement est manifeste compte tenu des antécédents décrits ci‑dessus. La demanderesse principale avait fui Mossoul et avait déménagé à Dohuk en 2007, où elle a vécu de 2011 à 2013, puis elle s’est réinstallée à Erbil. Il est vraiment difficile de comprendre comment la SPR aurait fondé son analyse de la situation à laquelle la demanderesse principale devrait faire face si elle retournait à Dohuk sur l’expérience qu’elle a vécue il y a si longtemps.

[31]  On ne saurait reprocher à la SPR d’avoir rejeté des éléments de preuve documentaires périmés, compte tenu de l’évolution récente de la situation en Iraq. Toutefois, il n’est pas raisonnable que la SPR fonde sa conclusion sur le fait que la demanderesse principale a vécu à Dohuk exactement au cours de la même période que celle visée par la preuve documentaire qu’elle a rejetée parce qu’elle la jugeait « périmé[e] ».

[32]  Je conviens que cet aspect de la décision de la SPR n’est pas justifié, mais j’estime qu’il n’est pas suffisamment capital ou important pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov, par. 100). La SPR a fait remarquer que la demanderesse principale connaissait Dohuk parce qu’elle y avait déjà vécu. Elle a ensuite analysé la situation dans cette ville, et plus généralement au Kurdistan, à partir de preuves documentaires plus récentes. Sa conclusion selon laquelle Dohuk serait une PRI pour la demanderesse principale n’était pas fondée sur son expérience antérieure ou sur des éléments de preuve périmés. J’estime que l’analyse de la SPR est raisonnable, compte tenu du contexte propre à un pays qui était, et est toujours, déchiré par la guerre et les conflits.

[33]  Malgré les arguments solides des avocats des demandeurs, je ne puis conclure que la décision est déraisonnable. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[34]  Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier no IMM‑4362‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de février 2020

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4362‑19

INTITULÉ :

RAGHAD MAJID YAKOB ALKHOURY ET JUDE SINAN GEORGE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

vancouver (colombie‑britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 22 janvier 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge PENTNEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 28 janvier 2020

COMPARUTIONS :

Kay Scorer

POUR LES DEMANDEURS

Brett J. Nash

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Scorer Law Corporation

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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