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Date : 20060125

Dossier : IMM-3169-04

Référence : 2006 CF 77

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

MARIERE OGBEWE et ENENI OGBEWE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Mariere et Eneni Ogbewe sont des citoyens du Nigeria et ont plusieurs enfants. Les demandes de résidence permanente déposées par cette famille sont en instance depuis près de sept ans, et les demandeurs cherchent à obtenir un bref de mandamus pour exiger qu'une décision soit rendue au sujet de leurs demandes. Selon les Ogbewe, l'agente des visas a non seulement manqué à son obligation légale de rendre une décision dans un délai raisonnable, mais le changement continuel dans la nature des documents qu'elle demandait démontre qu'elle a agi de mauvaise foi dans le traitement du dossier.

[2]                Les demandes de résidence permanente qui constituent l'objet de la présente demande ont été déposées au début de 1999. Cependant, il ne s'agissait pas des premières demandes déposées par la famille Ogbewe. En octobre 1998, des demandes de résidence permanente présentées par la famille avaient été refusées en raison de la non-admissibilité d'un des enfants pour des raisons d'ordre médical. Cet enfant ne faisait pas partie des demandes qui ont été déposées en 1999, parce qu'il ne faisait plus partie de la famille, des parents l'ayant supposément adopté entre-temps.

           

[3]                Le ministre fait valoir qu'il existe de bonnes raisons de douter de la légitimité de l'adoption et qu'il revenait aux demandeurs de prouver que l'enfant ne faisait plus partie de la famille. Comme ils n'ont pas réussi à fournir de preuve claire et non équivoque du statut de l'enfant, l'agente des visas a raisonnablement refusé de traiter les demandes.

[4]                Par conséquent, la Cour doit trancher deux questions, à savoir : premièrement, l'agente des visas a-t-elle agi de mauvaise foi en examinant les demandes des Ogbewe, et deuxièmement, les conditions pour le mandamus sont-elles remplies? Bien que je ne sois pas persuadée que l'agente des visa ait agi de mauvaise foi, je suis convaincue que le délai de traitement des demandes de la famille est déraisonnable et qu'un bref de mandamus devrait être accordé.

L'agente des visas a-t-elle agi de mauvaise foi?

[5]                Les Ogbewe allèguent que l'agente des visas a fait preuve d'une attitude arrêtée quant à la non-validité de l'adoption de leur enfant, même s'ils lui ont présenté de nombreux documents, y compris ce qui a toutes les apparences d'une copie certifiée de l'ordonnance d'une cour nigériane réglant l'adoption, qui prouvaient tous que l'adoption était authentique.

[6]                Citant des décisions telles que Re A.R., [1982] O.J. no 766, Re A.P., [2002] O.J. no 2373, et Sinniah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1100, les demandeurs allèguent qu'une adoption, pour laquelle il y a présentation d'une ordonnance définitive d'une cour étrangère, devrait être présumée valide, et qu'une telle ordonnance constitue la meilleure preuve que l'adoption a été effectuée conformément aux lois du pays en question. Les demandeurs prétendent que l'agente des visas ne s'est fiée en l'espèce qu'à des suppositions pour mettre en doute la validité de l'adoption de l'enfant.

[7]                De plus, les demandeurs soutiennent que chaque fois qu'ils ont présenté des documents à l'agente des visas afin de prouver la validité de l'adoption, celle-ci a simplement changé ses exigences, demandant d'autres documents, en vue de confirmer son soupçon que l'adoption n'était pas légitime.

[8]                Les demandeurs n'ont pas réussi à me convaincre que l'agente des visas a agi de mauvaise foi dans la présente affaire. Les décisions citées par les demandeurs appuient l'affirmation qu'une ordonnance d'une cour étrangère est une preuve prima facie que l'adoption a été effectuée conformément aux lois du pays en question. Ceci suppose, cependant, que le document en question est authentique. En l'espèce, il semble que l'agente avait des raisons de douter de l'authenticité du document.

[9]                De plus, la présomption de la validité est une présomption réfutable. En l'espèce, il existait des preuves que la loi nigériane impose des exigences de résidence aux éventuels parents adoptifs ainsi qu'à l'enfant. Comme l'enfant n'avait pas résidé au Nigeria depuis des années, et que les éventuels parents adoptifs résidaient au Royaume-Uni au moment de l'adoption, il était tout à fait raisonnable de la part de l'agente des visas de vouloir vérifier que les exigences de résidence imposées par la loi nigériane avaient été respectées.

[10]            Finalement, il faut noter qu'à plusieurs occasions, l'agente des visas a demandé aux demandeurs de présenter certains documents en particulier qui pouvaient l'aider à établir la légitimité de l'adoption de l'enfant. Souvent, les documents présentés par les demandeurs n'étaient pas ceux demandés, mais d'autres documents, ce qui a évidemment porté l'agente des visas à se poser des questions sur le statut de l'enfant.

[11]            Il est clair que l'agente des visas a été troublée par l'incapacité ou le refus apparents des demandeurs de fournir les documents particuliers demandés qui devaient permettre d'établir la légitimité de l'adoption de l'enfant. Il s'agit, à mon avis, d'une préoccupation raisonnable. De plus, les documents mêmes qu'ont présentés les demandeurs ont soulevé des questions au sujet du statut de l'enfant, et je ne vois rien d'inapproprié dans le fait que l'agente des visas a cherché à obtenir des réponses à ces questions.

[12]            En plus des préoccupations mentionnées dans les paragraphes précédents, le choix du moment et les circonstances de l'adoption de l'enfant sont tels qu'il n'était pas déraisonnable de la part de l'agente des visas d'être préoccupée par la légitimité de l'adoption. Par conséquent, je ne suis pas prête à conclure que l'agente des visas a fait preuve de mauvaise foi.

[13]            Cela dit, il reste que les demandes de résidence permanente des demandeurs sont en instance depuis près de sept ans. Il faut donc déterminer si un bref de mandamus devrait être accordé. J'examinerai cette question ci-dessous.

Un bref de mandamus devrait-il être accordé compte tenu des circonstances en l'espèce?

[14]            Les demandeurs allèguent qu'il y a eu un délai déraisonnable dans le traitement de leurs demandes, alors que le ministre prétend que les demandes n'ont pas été réglées par la faute des demandeurs, parce qu'ils ne se sont pas acquittés de l'obligation qui leur incombait de démontrer que l'enfant ne fait plus partie de la famille et qu'il ne fait donc pas l'objet d'un examen.

[15]            Il n'est pas nécessaire de revoir tous les antécédents de l'affaire. Un examen du dossier révèle que la balle est dans le camp du ministre depuis au moins 2001. C'est-à-dire qu'en novembre 2001, l'agente des visas a averti les demandeurs qu'elle allait faire vérifier l'authenticité du passeport britannique de l'enfant par le Home Office. Malgré des demandes de renseignements répétées de la part des demandeurs, rien ne semble s'être passé à ce sujet entre novembre 2001 et septembre 2002, à quel moment l'agente des visas a avisé les demandeurs qu'elle tenterait de communiquer une fois de plus avec le Home Office, et qu'elle les avertirait lorsqu'elle aurait reçu une réponse.

[16]            Les demandeurs ont présenté deux autres demandes de renseignements en mars et en septembre 2003, mais n'ont reçu aucune réponse de la part de l'agente des visas, et il n'y a aucune indication que d'autres mesures ont été entreprises par l'agente des visas pour régler la question.

[17]            Dans le même ordre d'idées, bien que l'agente des visas ait avisé les demandeurs en juin 1999 qu'elle prendrait les mesures nécessaires afin de vérifier l'authenticité de l'ordonnance judiciaire nigériane, il semble qu'elle ne l'ait pas fait non plus.

[18]            Comme la Cour l'a noté dans l'affaire Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 C.F. 33, au paragraphe 8, afin d'obtenir un bref de mandamus, les demandeurs doivent prouver que les critères suivants sont respectés :

            1. il existe une obligation légale à caractère public envers le demandeur;

            2. l'obligation doit exister envers le demandeur;

            3. il existe un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation, notamment,

                        a)        le demandeur a satisfait à toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

                        b)         il y a eu une demande d'exécution de l'obligation, un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande, et il y a eu un refus ultérieur exprès ou implicite, par exemple, un délai déraisonnable; et

            4. il n'existe aucun autre recours.

[19]            Je suis convaincue que l'affaire en l'espèce respecte ces critères. Les demandeurs ont présenté leurs preuves à l'agente des visas au sujet de l'authenticité de l'adoption de l'enfant, et bien qu'il reste à déterminer si cette preuve est suffisante, les demandeurs ont droit d'exiger qu'une décision soit prise à ce sujet.

[20]            Comme le dossier n'a guère avancé depuis plusieurs années, je suis d'avis que le délai est déraisonnable et qu'un bref de mandamus devrait être accordé.

[21]            Il s'agit donc de déterminer l'échéancier approprié qui devrait être imposé au ministre pour la prise de la décision. De plus, les demandeurs soutiennent que la Cour devrait donner des directives à l'agente des visas en ce qui a trait à la validité présumée de l'ordonnance d'adoption nigériane, et à l'importance qui devrait alors être accordée à cette ordonnance.

[22]            En ce qui a trait au deuxième point en litige, je ne suis pas persuadée qu'il serait approprié de donner des directives à l'agente des visas au sujet de l'importance qui devrait être accordée à l'ordonnance d'adoption nigériane. L'agente des visas devra examiner avec attention tous les faits, et toutes les circonstances, liés à l'adoption, y compris la présomption de la validité de l'adoption, afin de rendre une décision quant à savoir si l'enfant fait toujours partie de la famille Ogbewe, et doit donc faire l'objet d'un examen.

[23]            Pour ce qui est de l'échéancier, je suis convaincue que l'agente des visas devrait être en mesure de rendre une décision au sujet des demandes des demandeurs dans les 120 jours suivant l'ordonnance en l'espèce et c'est ce que j'ordonnerai. Toute décision favorable sera, bien entendu, assujettie à la présentation de la preuve de l'admissibilité médicale des demandeurs.

Conclusion

[24]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

Certification

[25]            Aucune des parties n'a soumis de question à la certification et l'affaire n'en soulève aucune.       

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que :

                       

            1.          La présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, et que l'affaire soit renvoyée à l'agente des visas pour qu'elle prenne une décision au sujet des demandes de résidence permanente des demandeurs, conformément aux présents motifs. L'agente des visas doit rendre sa décision dans les 120 jours suivant la présente ordonnance.

            2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                       

« Anne Mactavish »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-3169-04

INTITULÉ :                                        MARIERE OGBEWE ET AL.

                                                            - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 18 janvier 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       La juge Mactavish

DATES DE L'ORDONNANCE :     Le 25 janvier 2006

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman                                                                      POUR LES DEMANDEURS

Jamie Todd                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman and Associates                                                            POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

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