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Date : 20040122

Dossier : IMM-6683-02

Référence : 2004 CF 89

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                             SALIHA KHATOON

                                                                   SAMI UDDIN

                                                                 AZEEMA SAMI

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Mme Saliha Khatoon, M. Sami Uddin et Mlle Azeema Sami sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de l'agente d'immigration P. Russell en date du 11 décembre 2002. Par cette décision, l'agente d'immigration avait rejeté la demande de dispense qu'ils avaient présentée, en application du paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), afin d'être habilités, pour des raisons humanitaires, à demander depuis le Canada la résidence permanente. Les demandeurs voudraient que soit rendue une ordonnance annulant la décision du 11 décembre 2002, ainsi qu'une ordonnance renvoyant à un autre agent leur demande fondée sur des considérations humanitaires.


LES FAITS

[2]                Mme Saliha Khatoon, son mari M. Sami Uddin et leur fille Mlle Azeema Sami sont tous de nationalité pakistanaise. Ils sont arrivés au Canada en août 1997 et ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé en septembre 1998 de leur reconnaître le statut de réfugié. Leur revendication était fondée sur le fait que le frère de Mme Khatoon est Altaf Hussain, fondateur et chef du Mouvement Mohajir Quami, également appelé au Pakistan le Mouvement Muttahida Quami (le MQM). Altaf Hussain est allé s'exiler au Royaume-Uni vers 1991 et a obtenu l'asile dans ce pays en 1999. Il a continué de s'occuper du MQM depuis Londres.

[3]                Dans une lettre datée du 17 avril 2000, Altaf Hussain décrit le MQM. Cette organisation se compose de « Mohajirs » , des Musulmans qui ont migré de l'Inde vers le Pakistan en 1947 et qui appartenaient à la classe moyenne éduquée. Les Mohajirs ont connu la discrimination et les abus de la part des autorités pakistanaises à partir de la décennie 1970. M. Hussain a fondé le MQM en 1984, lequel est devenu un parti politique qui s'employait à défendre les droits des Mohajirs. Depuis lors, de nombreux agents et sympathisants du MQM ont été arrêtés et tués par les autorités.


[4]                Un frère d'Altaf Hussain et de Mme Khatoon, Nasir Hussain, ainsi que le neveu de Mme Khatoon, Arif Hussain, ont été torturés et tués en 1995 en raison de leurs liens de parenté avec Altaf Hussain. La veuve et la famille restante de Nasir Hussain ont obtenu le statut de réfugié au Canada en mars 1999.

[5]                En mai 2000, les demandeurs sollicitaient depuis le Canada la résidence permanente, en alléguant des considérations d'ordre humanitaire. Ils ont soumis une abondante preuve documentaire portant sur le traitement des membres et associés du MQM, des comptes rendus de nouvelles faisant état de la torture et de l'assassinat du frère et du neveu de Mme Khatoon, enfin des informations liées à leurs revendications du statut de réfugié.

[6]                Par lettre datée du 5 juillet 2002, les demandeurs étaient informés que la portion de leur demande se rapportant au risque personnalisé au Pakistan avait été transmise à R. Klagsbrun, agent de révision des revendications refusées (l'agent de révision), pour évaluation du risque et pour avis. Le rapport d'appréciation du risque rédigé par l'agent de révision était annexé à cette lettre. Selon l'agent de révision, les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque de traitements inhumains ou de mort s'ils étaient renvoyés au Pakistan. Les demandeurs ont eu la possibilité de s'exprimer sur les erreurs ou omissions contenues dans le rapport.

[7]                Le 16 juillet 2002, les demandeurs présentaient leur réponse au rapport de l'agent de révision. Ils avaient relevé dans le rapport ce qu'ils croyaient être des erreurs et des omissions.


[8]                L'agent de révision a transmis à l'agente d'immigration le 23 juillet 2002 son rapport d'appréciation du risque, accompagné de la réponse des demandeurs. Dans la lettre accompagnant son rapport, l'agent de révision indiquait que, en dépit de la réponse des demandeurs à son rapport, il continuait de croire que les demandeurs ne seraient pas exposés, au Pakistan, à un risque personnalisé objectivement définissable.

[9]                Par lettre datée du 11 décembre 2002, l'agente d'immigration a refusé la demande de dispense présentée par les demandeurs en vue d'être autorisés, pour des raisons humanitaires, à solliciter la résidence permanente depuis le Canada. Les demandeurs n'ont pas eu l'avantage d'une entrevue avec l'agente d'immigration.

La décision de l'agente d'immigration

[10]            Le dossier du tribunal renferme des notes écrites de l'agente d'immigration qui sont pour la plupart illisibles. Sur un formulaire portant l'indication « Section 5 : Décision et justification » , l'agente d'immigration écrivait « soumettre SSOBL pour décision et justification » . Les notes du Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL) ont également été communiquées aux demandeurs, en application de l'article 9 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/2002-232, en tant que motifs de la décision de l'agent d'immigration. Les notes du SSOBL constituent par conséquent les motifs de la décision ici contestée.


[11]            Les notes du SSOBL révèlent que, pour décider de ne pas accorder aux demandeurs la dispense qu'ils sollicitaient, l'agente d'immigration s'est fondée presque uniquement sur le rapport d'appréciation du risque préparé par l'agent de révision. L'agente d'immigration précise aussi que les demandeurs n'ont plus de parents au Pakistan, que M. et Mme Khatoon ont tous deux travaillé au Canada pour des agences de travail temporaire et que Azeema Sami, que l'agente d'immigration appelle par erreur fils de Mme Khatoon, ne subirait pas de difficultés indues si elle devait retourner au Pakistan. L'agente d'immigration ajoute aussi que, selon la Commission, les revendications du statut de réfugié présentées par les demandeurs reposaient sur des faits peu vraisemblables et n'étaient pas crédibles. Aux pages 460 et 461 du dossier du tribunal, l'agente d'immigration écrivait ce qui suit, dans les notes du SSOBL :

[traduction] ... J'AI EXAMINÉ LE RAPPORT DE L'AGENT DE RÉVISION RELATIF AU RISQUE ET N'Y AI TROUVÉ AUCUNE RAISON DE DOUTER DE SA CONNAISSANCE DES ÉLÉMENTS CONCERNÉS. JE SOUSCRIS DONC À L'AVIS QU'IL A DONNÉ. PAR AILLEURS, LA CISR DISAIT DANS SA DÉCISION QUE LA REVENDICATION ÉTAIT FONDÉE SUR DES ÉLÉMENTS INVRAISEMBLABLES ET N'ÉTAIT PAS CRÉDIBLE. JE NE CROIS PAS QUE LES REVENDICATEURS SOIENT ÉTABLIS. JE NE CROIS PAS QU'IL EXISTE SUFFISAMMENT DE MOTIFS D'ORDRE HUMANITAIRE POUR JUSTIFIER UNE DISPENSE D'APPLICATION DES DISPOSITIONS HABITUELLES, À SAVOIR LE PARAGRAPHE 11(1)... JE CROIS QUE LES REVENDICATEURS NE RENCONTRERAIENT PAS DE DIFFICULTÉS INHABITUELLES, INJUSTES OU INDUES S'ILS DEVAIENT QUITTER LE CANADA ET RETOURNER DANS LEUR PAYS.../ P. RUSSELL, A.I., 10 DÉCEMBRE 2002

CONCLUSIONS DES DEMANDEURS


[12]            Dans leurs conclusions, les demandeurs se focalisent sur la teneur du rapport de l'agent de révision relatif au risque. Les agents de révision sont aujourd'hui appelés, dans la LIPR, agents d'évaluation du risque avant renvoi (ou agents d'évaluation), et c'est l'expression que j'emploierai maintenant dans les présents motifs. Les demandeurs reconnaissent qu'un agent d'immigration peut s'en remettre à l'avis d'un agent d'évaluation, à condition que ce soit l'agent d'immigration qui rende la décision finale. S'appuyant sur l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, ils affirment que, puisque la norme de contrôle des décisions en matière de considérations humanitaires est la norme de la décision raisonnable simpliciter, cette même norme de contrôle devrait s'appliquer aux avis en matière d'évaluation du risque sur lesquels se fondent à leur tour les agents d'immigration lorsqu'ils rendent une décision finale sur l'existence de considérations humanitaires. Cette position a été acceptée par l'avocat du défendeur au cours de l'audience.

[13]            Les demandeurs soutiennent que l'évaluation du risque dans le cas présent était non seulement déraisonnable, mais aussi manifestement déraisonnable. Ils disent que l'agent d'évaluation a commis une erreur en fondant son appréciation du risque sur leur retour au Pakistan en 1997, au lieu d'évaluer le risque qu'ils allaient courir au Pakistan tel que ce risque existait au moment du rapport de 2002 sur l'appréciation du risque. L'agent d'évaluation était tenu d'évaluer le danger que couraient les demandeurs en 2002. Les demandeurs soutiennent aussi que l'agent d'évaluation a négligé de noter un élément essentiel qui était « au coeur » de la décision défavorable rendue par la Commission en 1998, à savoir le fait que, au moment de la décision de la Commission, le MQM « faisait encore partie d'une alliance fragile avec le gouvernement ML, alliance qui subsiste depuis environ mars 1997 » .


[14]            Selon les demandeurs, l'agent d'évaluation a ignoré ce point essentiel, tout en se reposant sur les conclusions défavorables de la Commission touchant la vraisemblance de leurs témoignages. Le MQM ne formait plus une alliance avec le gouvernement en 2002 et n'était partie à aucun type d'alliance en 1995, lorsque le frère de Mme Khatoon avait été assassiné.

[15]            Les demandeurs disent aussi que l'agent d'évaluation a commis une erreur en se fondant sur le fait que les demandeurs n'étaient pas membres du MQM, car ce n'était pas là un point pertinent, le point pertinent étant plutôt de savoir si Mme Khatoon et sa famille, en raison de leurs liens avec le frère de Mme Khatoon, Altaf Hussain, seraient exposées à un risque en cas de retour au Pakistan. Les demandeurs disent que l'agent d'évaluation n'a pas compris cette distinction.

[16]            Les demandeurs soutiennent que l'agent d'évaluation a aussi commis une erreur parce qu'il a ignoré la décision de la Commission se rapportant à la belle-soeur et à la famille de Mme Khatoon, décision par laquelle la Commission avait conclu que les membres de la famille d'Altaf Hussain étaient exposés à des risques au Pakistan. La Commission avait estimé que la belle-soeur et la famille de Mme Khatoon étaient exposées à des risques et leur avait accordé le statut de réfugié au Canada, et il n'était pas établi qu'elles étaient membres du MQM. Les demandeurs soutiennent par ailleurs que l'agent d'évaluation a commis une erreur en se fondant sur le fait qu'Altaf Hussain se trouvait en Angleterre et donc que les autorités pakistanaises n'auraient plus de raison de vouloir nuire aux demandeurs. La preuve montrait que, malgré l'absence d'Altaf Hussain du Pakistan, certains parents des demandeurs avaient été torturés et tués en raison de leurs liens familiaux avec Altaf Hussain.

[17]            Finalement, selon les demandeurs, la procédure suivie dans cette affaire n'était pas conforme aux principes exposés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.), et cela parce qu'ils n'ont pas eu l'occasion de s'exprimer sur la version finale de l'évaluation du risque transmise à l'agente d'immigration. Cependant, leur avocat a reconnu à l'audience que la version finale était pour ainsi dire identique à la version que les demandeurs avaient reçue et commentée. En conséquence, si l'on suppose qu'il y a eu manquement à la procédure, ce manquement n'aurait eu aucun effet sur le résultat.

CONCLUSIONS DU DÉFENDEUR

[18]            Le défendeur conteste la manière dont les demandeurs interprètent les constatations de l'agent d'évaluation. L'agent d'évaluation n'a jamais dit que le retour des demandeurs au Pakistan en 1997 disposait du risque auquel les demandeurs pouvaient être exposés au moment de leur demande de 2002 fondée sur des considérations humanitaires. Par ailleurs, le constat de l'agent d'évaluation était « précisément le constat lui-même » fait par la Commission.

[19]            S'agissant de l'argument des demandeurs selon lequel l'agent d'évaluation a commis une erreur parce qu'il a ignoré le fait que le MQM faisait partie d'une « alliance fragile » en 1997 lorsque les demandeurs étaient retournés au Pakistan, le défendeur dit que ce constat n'était pas capital dans les motifs de la Commission et que, en tout état de cause, la Commission avait jugé peu vraisemblables les raisons avancées par les demandeurs pour expliquer leur retour.


[20]            S'agissant de l'argument des demandeurs selon lequel l'agent d'évaluation n'a pas tenu compte de l'ensemble de la preuve, le défendeur dit que l'ensemble de la preuve dont disposait l'agent a été considéré. L'agent d'évaluation n'était pas lié par la décision rendue par la Commission dans d'autres revendications du statut de réfugié, savoir les revendications de la belle-soeur et de la famille de Mme Khatoon. Le défendeur soutient par ailleurs que les motifs de l'agent d'évaluation montrent qu'il n'a jamais dit ou donné à entendre que les demandeurs devaient être membres du MQM pour pouvoir être considérés comme exposés à un risque personnalisé en cas de renvoi au Pakistan.

POINT EN LITIGE

[21]            La décision de l'agente d'immigration relative au présumé risque était-elle déraisonnable?

ANALYSE

[22]            L'opposition des demandeurs à la décision qui disposait de leur demande fondée sur des considérations humanitaires ne concerne que la justification du rapport de l'agent d'évaluation relatif au risque, rapport qui a par la suite été adopté par l'agente d'immigration. Les deux avocats se sont accordés pour dire, et je reconnais comme eux, que la norme de contrôle que la Cour doit appliquer dans l'examen de la décision de l'agente d'immigration, et dans l'examen du rapport de l'agent d'évaluation, est la norme de la décision raisonnable simpliciter.


[23]            Étant donné que l'agente d'immigration a fait sienne la recommandation de l'agent d'évaluation relative au risque, sans faire sa propre analyse et sans s'exprimer sur la réponse des demandeurs à l'évaluation du risque, et puisque ensuite elle s'est fondée au premier chef sur le rapport de l'agent d'évaluation pour décider finalement de ne pas accorder aux demandeurs la dispense qu'ils sollicitaient, on peut considérer que le rapport de l'agent d'évaluation faisait partie intégrante des motifs qu'avait l'agente d'immigration de rendre une décision défavorable. Pour arriver à cette conclusion, je m'en rapporte à l'analyse exposée dans l'arrêt Jada Fishing Co. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [2002] A.C.F. n ° 436 (C.A.) (QL). Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale a jugé que la recommandation d'une commission des pêches, sur laquelle le décideur ultime, savoir le ministre des Pêches et des Océans, avait fondé en partie sa décision, était « inexorablement liée » à la décision finale. La Cour d'appel fédérale, dans Jada Fishing, précité, avait entrepris de revoir la recommandation de la commission des pêches.

[24]            En l'espèce, le rapport de l'agent d'évaluation relatif au risque était inexorablement lié à la décision finale de l'agente d'immigration. L'agente d'immigration écrivait dans ses notes du SSOBL qu'elle « souscrivait » à ce rapport et qu'elle n'avait aucune raison de douter de la connaissance qu'avait son auteur en matière d'appréciation du risque. L'agente d'immigration n'a effectué elle-même aucune analyse du risque que couraient les demandeurs. Par ailleurs, la requête des demandeurs fondée sur des considérations humanitaires reposait presque entièrement sur le fait que, selon eux, ils seraient exposés à un risque personnalisé de traitements inhumains, de sanctions graves ou de menaces pour leurs vies s'ils étaient renvoyés au Pakistan.


[25]            Appliquant la norme de la décision raisonnable simpliciter à la substance des motifs de l'agente d'immigration, je suis d'avis que les motifs, y compris le rapport de l'agent d'évaluation, ne résistent pas à un « examen assez poussé » , selon les mots employés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, à la page 776.

[26]            D'abord, le rapport d'appréciation du risque passe sous silence la torture et l'assassinat du frère et du neveu de Mme Khatoon. Des preuves abondantes ont été produites par les demandeurs, notamment de nombreux comptes rendus impartiaux faisant état des assassinats, et une enquête sur leurs décès, avec des photos plutôt saisissantes des cadavres de son frère et de son neveu. Ces preuves étaient fondamentales dans l'affirmation des demandeurs selon laquelle ils étaient exposés à un risque, et elles auraient dû être mentionnées dans le rapport d'appréciation du risque. Cependant, le rapport en question n'en dit absolument rien.

[27]            Contrairement à la position du défendeur, je suis d'avis que l'agent d'évaluation s'est bel et bien fondé, à tort, sur le fait que les demandeurs eux-mêmes n'étaient pas politiquement actifs ni n'étaient membres du MQM. L'agent faisait état de preuves documentaires qui montraient que des membres du MQM étaient encore éliminés sommairement par les autorités gouvernementales, puis il disait que « la preuve ne permet pas d'affirmer que les demandeurs étaient et sont politiquement actifs, ou qu'ils aient jamais été membres du MQM. » .

[28]            L'affirmation des demandeurs selon laquelle ils sont exposés à un risque était rattachée au rôle politique qu'on leur imputait et à leurs liens de parenté avec Altaf Hussain, le fondateur du MQM. La conclusion susmentionnée a été tirée au mépris de la preuve produite, et elle ne saurait donc être qualifiée de raisonnable.

[29]            L'agent d'évaluation concluait ainsi :

[traduction] Puisque le frère de la revendicatrice est en Angleterre, la preuve ne permet pas d'affirmer que les autorités pakistanaises voudraient aujourd'hui lui nuire, à elle et à sa famille.

[30]            Cette conclusion est déraisonnable, compte tenu du fait qu'Altaf Hussain s'était exilé au Royaume-Uni vers 1991. D'après la preuve documentaire dont disposaient l'agent d'évaluation et l'agente d'immigration, il est clair qu'il continue de jouer un rôle très actif, depuis Londres, dans la conduite du MQM. Par ailleurs, même si Altaf Hussain ne vivait plus au Pakistan, cela n'a pas empêché les autorités de torturer et d'assassiner son frère et son neveu en 1995. Ces faits montrent que la conclusion ci-dessus de l'agent d'évaluation ne peut résister à un examen assez poussé et qu'elle est donc déraisonnable.


[31]            Les demandeurs regrettent également que le rapport d'appréciation du risque se focalise sur leur retour au Pakistan en 1997, plutôt que sur le risque auquel ils eussent été exposés au Pakistan au moment de l'évaluation en 2002. Sur ce point, l'argument des demandeurs ne me convainc pas. L'agent d'évaluation a relevé que la preuve ne permettait pas d'affirmer que les demandeurs étaient « activement » recherchés ou que quiconque « s'intéresse actuellement à leurs allées et venues ou cherche à user de représailles contre eux » . À mon avis, l'appréciation du risque révèle dans l'ensemble qu'elle a été faite en fonction de la période appropriée, avec indication du risque que couraient les demandeurs au moment de l'appréciation, c'est-à-dire en 2002.

[32]            Je ne suis pas non plus convaincu par l'affirmation des demandeurs selon laquelle l'agent d'évaluation n'a pas compris que la conclusion défavorable de la Commission sur la crainte subjective montrée par les demandeurs dans leur revendication du statut de réfugié se rapportait au fait que le MQM faisait partie d'une « alliance fragile » avec le gouvernement lors de leur retour au Pakistan en 1997. Les motifs de la Commission ne disent pas que la Commission considérait ce facteur comme essentiel dans son analyse de la crainte subjective.

[33]            Finalement, bien que ce point n'ait pas été soulevé par l'avocat des demandeurs lors de l'audience, il n'y a pas eu ici, à mon avis, déni d'équité procédurale, car la procédure exposée dans l'arrêt Haghighi a été observée. Les demandeurs avaient prétendu dans leurs conclusions écrites que la lettre de l'agent d'évaluation, R. Klagsbrun, datée du 23 juillet 2002, à laquelle il avait annexé son rapport d'appréciation du risque, ainsi que la réponse des demandeurs, datée du 16 juillet 2002, à ce rapport, constituait une opinion modifiée, donc autre, à laquelle ils auraient dû avoir la possibilité de répondre. Un examen de cette lettre montre que l'agent d'évaluation y résumait les conclusions des demandeurs du 16 juillet 2002, pour écrire ensuite ce qui suit :

[traduction] Je voudrais préciser que, si je n'ai pas mentionné dans mon rapport des éléments de preuve soumis par l'avocat, cela ne signifie pas que je n'en ai pas tenu compte. J'ai tenu compte dans mon rapport de tous les éléments de preuve soumis par l'avocat. J'ai examiné la réponse de l'avocat et j'en ai tenu compte, et je demeure d'avis qu'il est très peu probable que les demandeurs seraient exposés à un risque en cas de retour au Pakistan. Mon opinion reste inchangée.


Merci

R. Klagsbrun

Agent d'évaluation du risque avant renvoi

[34]            Cette information ne modifie aucunement la substance du rapport initial de l'agent d'évaluation. À mon avis, le rapport d'appréciation du risque en date du 5 juillet 2002 est le rapport final en ce qui a trait au risque, mais, naturellement, l'agente d'immigration devait rendre la décision finale concernant la demande fondée sur des considérations humanitaires.

[35]            Le juge Evans s'était exprimé ainsi, à la page 423 dans l'arrêt Haghighi :

J'estime que l'obligation d'équité exige que ceux qui présentent de l'intérieur du pays une demande de droit d'établissement fondée sur des raisons d'ordre humanitaire aux termes du paragraphe 114(2) soient informés de l'ensemble du contenu du rapport d'évaluation des risques de l'agent de révision et qu'il leur soit permis de faire des observations au sujet de ce rapport, même dans les cas où le rapport est fondé sur des renseignements qui sont fournis par le demandeur ou qui lui sont raisonnablement accessibles. Compte tenu du volume, des nuances et des incompatibilités des renseignements disponibles à partir de différentes sources sur la situation dans le pays, donner au demandeur la possibilité de faire des observations sur les erreurs, les omissions et les autres lacunes que pouvait contenir l'analyse de l'agent de révision pourrait bien permettre d'éviter des décisions erronées de la part des agents d'immigration dans les dossiers où des raisons d'ordre humanitaire sont invoquées, d'autant plus que ces rapports sont susceptibles de jouer un rôle vital dans la décision finale. J'ajouterais seulement que la possibilité d'attirer l'attention sur les erreurs ou les omissions qui seraient contenues dans le rapport de l'agent de révision ne constitue pas une invitation aux demandeurs pour qu'ils présentent de nouveau leurs arguments à l'agent d'immigration.


[36]            La procédure exposée dans l'arrêt Haghighi a été observée dans la présente affaire. La communication faite aux demandeurs le 5 juillet 2002 leur a permis de s'informer pleinement du contenu du rapport d'appréciation du risque rédigé par l'agent d'évaluation et leur donnait la possibilité de s'exprimer sur les erreurs, omissions ou autres lacunes du rapport. Puisque la lettre du 23 juillet 2002 adressée à l'agente d'immigration ne modifiait pas véritablement cette appréciation, il n'y avait aucune obligation de la communiquer aux demandeurs pour commentaires additionnels.

[37]            En conclusion, pour les motifs susmentionnés, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Cette demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.          La décision de l'agente d'immigration datée du 11 décembre 2002 est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent d'immigration et à un autre agent d'évaluation, en ce qui a trait à l'appréciation du risque, pour réexamen en conformité avec les présents motifs;

3.          Aucune question n'est certifiée.

                                                                          « Richard G. Mosley »          

                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-6683-02

INTITULÉ :               SALIHA KHATOON, SAMI UDDIN, AZEEMA SAMI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 14 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 22 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                 POUR LES DEMANDEURS

Jeremiah Eastman                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WALDMAN ET ASSOCIÉS                                       POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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