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Date : 20200127


Dossier : IMM-1568-19

Référence : 2020 CF 133

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

HARJIT KAUR SIDHU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 23 janvier 2020; sous réserve de modifications concernant la grammaire, la syntaxe, les citations et références jurisprudentielles et le vocabulaire.)

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), et visant la décision par laquelle un agent principal d’immigration (l’agent) a refusé la demande de résidence permanente de la demanderesse fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (motifs CH).

[2]  La demanderesse est une citoyenne indienne de 54 ans. Elle détient un visa à entrées multiples valide jusqu’en 2020, grâce auquel elle a pu, depuis 2011, venir au Canada pour rendre visite à des membres de sa famille et séjourner chez eux; elle s’est parfois vu refuser des visas de visiteur. Elle est entrée au Canada pour la dernière fois en décembre 2016.

[3]  En avril 2017, la demanderesse a soumis une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs CH. Sa demande reposait sur son établissement, de même que sur l’intérêt supérieur de sa petite‑fille, ses attaches familiales, l’absence de soutien social, émotionnel et financier en Inde et les difficultés auxquelles elle se heurterait si elle était forcée, en tant que femme vieillissante, de retourner dans ce pays.

[4]  La demanderesse est veuve et la plupart, si ce n’est la totalité de ses parents immédiats vivent au Canada. Cette famille comprend notamment son seul enfant, son fils; sa belle‑fille, sa petite‑fille, tous ses cinq frères et sœurs et leurs enfants ainsi que leurs parents âgés.

[5]  Dans le cadre d’une demande telle que la présente, il convient d’appliquer la norme de contrôle du caractère raisonnable.

[6]  Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Postes Canada] — qui a été rendu en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, dont les motifs de la majorité ont été rédigés par le juge en chef Wagner [Vavilov] — le juge Rowe, s’exprimant au nom de la majorité, explique comme suit les attributs que doit présenter une décision raisonnable et les exigences imposées à la cour de révision qui contrôle une décision selon la norme du caractère raisonnable :

[31]  La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32]  La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33]  Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100). En l’espèce, ce fardeau incombe au Syndicat.

[Non souligné dans l’original.]

[7]  À mon humble avis, les conclusions suivantes de l’agent sont conjecturales et ne reposent pas sur le dossier. À ce titre, elles ne sont pas « justifiée[s] au regard des contraintes […] factuelles auxquelles le décideur est assujetti » en l’espèce.

[8]  Tout d’abord, l’agent a estimé que : [TRADUCTION] « la demanderesse p[ouvait] obtenir le statut de résidente permanente depuis l’étranger par des moyens normaux ». En fait, le dossier indique que cela ne peut se faire aussi simplement, car l’attribution d’un tel statut dépend d’un tirage au sort et du hasard. Par conséquent, cette déclaration n’est à mon avis pas étayée par le dossier.

[9]  Deuxièmement, l’agent a déclaré : [TRADUCTION] « [la demanderesse] peut revenir quand elle le souhaite pour de longues visites », alors que la preuve dont il disposait démontrait qu’elle s’était vu refuser des visas de visiteur par le passé. Cette conclusion n’est donc pas davantage étayée par le dossier.

[10]  Troisièmement, l’agent a dit [TRADUCTION] « croire » que la demanderesse avait développé, et continuait d’entretenir en Inde des liens familiaux, amicaux, sociaux ainsi que des relations avec des connaissances. Mais en fait, la preuve dont disposait l’agent attestait qu’elle était seule là-bas.

[11]  Quatrièmement, l’agent a mentionné, comme un fait établi, que la demanderesse vivait en Inde avec la famille de son époux décédé. Il n’a pas déclaré directement que c’était là qu’elle vivait au moment de la présentation de la demande, mais nous pouvons tirer cette inférence de son commentaire, autrement inexplicable. Cette mention de l’agent, si tant est qu’elle se rapporte à un fait, semble provenir d’une demande de visa de résident temporaire (VRT), dont les parties ont convenu qu’elle avait été présentée en 2012. Ainsi, si elle est exacte, la déclaration se rapporte à des renseignements désuets, voire caducs. Mais, de toute façon, la demande de VRT apparemment invoquée par l’agent ne fait pas partie du dossier certifié du tribunal. En contrôle judiciaire, je ne puis accepter les conclusions de l’agent qui ne sont pas fondées sur le dossier faisant l’objet du contrôle. J’estime que cette affirmation ne trouvait pas appui dans le dossier.

[12]  Je crains aussi que l’agent n’ait entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en énonçant une proposition de droit inexacte. Il a notamment déclaré, au troisième paragraphe de ses motifs :

[traduction]

La preuve dont je dispose ne suffit pas à établir que la demanderesse ne serait pas en mesure de présenter une demande normalement. Même s’il peut être commode pour elle de rester au Canada et d’y présenter une demande de résidence permanente, les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire ne servent pas des fins de commodité, mais visent plutôt à accorder des mesures spéciales dans les cas qui le justifient, lorsque ces mesures ne peuvent pas être obtenues par les moyens normaux prévus par la loi.

[Non souligné dans l’original.]

[13]  Voilà qui revient, à mon avis, à créer un critère trop strict. Mais de toute façon, même si pareille déclaration était valide, je me verrais contraint, en vertu des principes de la courtoisie judiciaire, d’adhérer à la récente décision Wardlaw c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 262, dans laquelle mon collègue, le juge Favel, déclarait au paragraphe 36 :

[36]  À plusieurs endroits dans la décision, l’agente souligne que la demanderesse principale n’a pas prouvé son inadmissibilité à la catégorie des ECFC. Cependant, rien dans le libellé ou l’objet du paragraphe 25(1) ne prévoit une telle obligation. L’agente a plutôt imposé aux demandeurs un fardeau basé sur la politique contenue dans le guide d’IRCC. Elle a ainsi limité son pouvoir discrétionnaire en considérant le guide comme un cadre juridique contraignant.

[14]  Enfin, et de manière plus générale, comme dans le jugement Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72, que j’ai rendu, je ne décèle presque aucune trace de l’analyse exposée dans la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 A.I.A. 338, qui doit s’ajouter à celle des difficultés, suivant l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 de la Cour suprême du Canada [Kanthasamy]. Je reprends ici le paragraphe 13 de cet arrêt, où la majorité a déclaré, sous la plume de la juge Abella :

[13]  C’est la Commission d’appel de l’immigration qui, dans la décision Chirwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 A.I.A. 351, s’est penchée la première sur la signification de l’expression « considérations d’ordre humanitaire ». La première présidente de la Commission, Janet Scott, a jugé que les considérations d’ordre humanitaire s’entendent « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable [sic] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs [traduction] « justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la Loi » (p. 364). Cette définition s’inspire de celle que renferme le dictionnaire à l’entrée « compassion », soit [traduction] « chagrin ou pitié provoqué par la détresse ou les malheurs d’autrui, sympathie » (Chirwa, p. 363). La Commission reconnaît que cette définition « implique un certain élément de subjectivité », mais elle dit qu’il doit aussi y avoir des éléments de preuve objectifs pour que la mesure spéciale soit accordée (Chirwa, p. 363).

[Non souligné dans l’original.]

[15]  Après avoir examiné l’ensemble de la décision, et tout en étant conscient que le contrôle judiciaire n’est pas une chasse aux erreurs, j’ai conclu que la décision n’est pas justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur était assujetti, suivant l’arrêt Vavilov, au paragraphe 85, cité par le juge Rowe dans l’arrêt Postes Canada, au paragraphe 31.

[16]  Aucune des parties n’a proposé de question en vue d’une certification, et aucune n’est donc énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1568-19

LA COUR STATUE que :

  1. Il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire;

  2. La décision de l’agent est infirmée, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour réexamen;

  3. Aucune question n’est certifiée;

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de février 2020.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1568-19

 

INTITULÉ :

HARJIT KAUR SIDHU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 JANVIER 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 27 JANVIER 2020

COMPARUTIONS :

Naseem Mithoowani

POUR LA DEMANDERESSE

David Joseph

POUR Le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR le défendeur

 

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