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Date : 20021003

Dossier : T-2408-91

Référence neutre : 2002 CFPI 1037

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2002

En présence de Monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

                                                               MERCK & CO., INC.

ET MERCK FROSST CANADA INC.

demanderesses

et

APOTEX INC.

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La défenderesse, Apotex Inc., a présenté un avis de requête en vue d'obtenir :

1.         la révision, en vertu de l'article 414 des Règles de la Cour fédérale (1998), d'un certificat de taxation daté du 7 août 2002 (le certificat) établi par Charles E. Stinson, officier taxateur de la Cour fédérale, accordant aux demanderesses leur mémoire de dépens;


2.         une ordonnance annulant la taxation de l'officier taxateur et lui substituant une taxation n'excédant pas 15 % des honoraires du témoin expert réclamés, soit 40 000 $;

3.         une ordonnance annulant l'attribution des intérêts sur les dépens et lui substituant l'attribution d'intérêts courant à partir de la date du certificat de taxation modifié, au taux de 4 % par année[1];

4.         toute autre réparation que la Cour peut estimer juste.

LES FAITS

[2]                 Au procès, les demanderesses ont eu gain de cause au sujet de la vente en contrefaçon de médicaments par la défenderesse. Il a été ordonné aux demanderesses de choisir entre les dommages-intérêts et la restitution des bénéfices et elles ont retenu la restitution des bénéfices. Le calcul du montant des bénéfices a donné un chiffre de 9 546 329,59 $, y compris les intérêts dus par la défenderesse.

[3]                 L'arbitre, le juge John J. Urie, a adjugé les dépens du renvoi aux demanderesses [traduction] « à taxer sur la base partie-partie conformément aux Règles de la Cour » . À l'égard du mémoire de dépens de 293 452,85 $ réclamé par les demanderesses, l'officier taxateur a jugé que les demanderesses avaient droit à la somme de 248 223,98 $.


[4]                 Les principales questions touchant le mémoire de dépens des demanderesses ont trait à la nécessité et au montant des frais reliés aux services du cabinet d'experts en juricomptabilité Kroll Lindquist Avey et de l'expert de cette dernière, Gary Timm, pour les analyses, le conseil à l'avocat des demanderesses et la préparation du témoignage relatif aux chiffres des ventes en contrefaçon effectuées par la défenderesse, notamment pour la création d'une base de données informatisée en vue d'analyser le rapprochement des chiffres fournis par Apotex.

[5]                 Le dossier établit que les demanderesses ont engagé environ 400 000 $ en frais d'avocat pour la poursuite et le renvoi. La défenderesse conteste le montant de 248 223,98 $ adjugé pour le remboursement des frais versés au cabinet d'experts-comptables.

LA NORME DE CONTRÔLE


[6]                 Selon la norme de contrôle établie par la jurisprudence, la décision d'un officier taxateur ne doit pas être infirmée à moins que celui-ci ait commis une erreur de droit ou que sa taxation d'un article soit si inadéquate, ou sa décision si déraisonnable, qu'elle suggère une erreur de principe. Le tribunal chargé du contrôle de la décision d'un officier taxateur doit donc faire preuve d'une très grande retenue avant de modifier la décision visée. [Voir notamment : I.B.M. Can. Ltd. c. Xerox of Can. Ltd., [1977] 1 C.F.181 (C.A.F.), Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1990), 34 C.P.R. (3d) 207 (C.F. 1re inst.), McCain Foods Ltd. c. C.M. McLean Ltd. (1980), 51 C.P.R. (2d) 23 (C.A.F.)].

LES ARGUMENTS DE LA DÉFENDERESSE

[7]                 En premier lieu, Apotex allègue que le remboursement accordé à l'égard des frais de l'expert pour des fonctions de travail juridique et de soutien à la poursuite constitue une erreur de droit. La défenderesse soutient que l'expert s'est ainsi trouvé à participer au débat, ce qui est réservé aux avocats. Par exemple, l'expert a fourni son soutien aux stades préliminaires de la procédure, il a aidé l'avocat à préparer la communication des documents, il a préparé et assisté la conduite de l'interrogatoire préalable et il a aidé les avocats à comprendre les réponses données par le contrôleur d'Apotex. La défenderesse prétend que les services décrits sur les factures révèlent une approche du litige qui ne donne absolument pas droit au remboursement sur la base d'une taxation partie-partie.

[8]                 Comme second argument, la défenderesse fait valoir que l'officier taxateur a commis une erreur de principe en accordant le remboursement des frais reliés à la base de données électronique. Elle prétend que les honoraires des services d'expert reliés à cette base de données n'étaient ni raisonnables ni justifiés.


LA RÉPONSE DES DEMANDERESSES

[9]                 Les demanderesses soutiennent que l'officier taxateur n'a commis aucune erreur de droit ni de principe.

[10]            Elles prétendent que l'expert-comptable, dans le cadre d'un renvoi, aide l'avocat à maîtriser une preuve complexe et volumineuse et qu'il effectue une analyse de juricomptabilité fouillée des bénéfices et déductions de la défenderesse en vue de produire un témoignage d'expert sur les dépenses déductibles. Ces analyses sont nécessaires aux stades préliminaires du renvoi sur la restitution des bénéfices, au cours de la communication des documents, de l'interrogatoire préalable, de l'élaboration de l'affidavit de l'expert, de l'examen de l'affidavit de l'expert de la défenderesse, de l'évaluation des propositions provenant de l'avocat de la partie adverse et de la comparution à l'audience.

[11]            Les demanderesses ont également soutenu que leur expert s'est comporté comme tout professionnel le ferait normalement en pareilles circonstances et qu'il n'a assumé aucune responsabilité juridique ni participé au débat.

[12]            Les demanderesses ont enfin fait valoir qu'Apotex n'ayant pas fourni la base de données électronique au moment où on le lui avait demandé, on avait dû la créer pour analyser les dossiers et documents d'Apotex.


ANALYSE ET CONCLUSION

[13]            Pour décider du montant approprié des débours reliés au témoignage de l'expert, la Cour a déclaré que le conseil de l'expert dans le cadre d'un renvoi servant à établir la restitution des bénéfices n'est pas seulement coutumier, mais qu'il est essentiel pour aider la Cour à trancher le renvoi. Le juge Errico de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans l'arrêt Hanson c. Clifford (1994), 59 C.P.R. (3d) 465, a déclaré à la page 508 :

[traduction] L'avocat du demandeur a soutenu que la preuve nécessaire concernant la restitution des bénéfices m'avait été présentée et il a indiqué une fourchette à l'intérieur de laquelle je devrais établir le montant à restituer. Sans doute, j'ai les états financiers du Groupe au 30 avril 1993, mais sans un témoignage d'expert pour les expliquer et les analyser, je pense que je ne devrais pas chercher à fixer le montant qui doit être restitué par les défendeurs.

[14]            Dans une décision plus récente, Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc.(2001), C.F. 1re inst. 174, [2001] A.C.F. n º 333 (C.F. 1re inst.) (QL), le juge MacKay de la Cour fédérale a indiqué au paragraphe 10 :


En plus de ces facteurs, j'estime que les frais et dépenses se rapportant aux experts-comptables des demanderesses devraient pouvoir être recouvrés au complet en tant que frais engagés par les demanderesses. Si ce n'était des travaux que ces experts ont effectués lorsqu'il s'est agi de reconstituer, à partir du nombre restreint de documents fournis par Apotex, un historique raisonnable des activités de cette dernière et de déterminer le chiffre d'affaires de la défenderesse et les profits attribuables à l'emploi du procédé breveté des demanderesses, la tâche de la Cour aurait été fort difficile et le renvoi aurait nécessité de longues audiences. Étant donné qu'il a fallu examiner et passer en revue les rapports des comptables au moins deux fois, après la production tardive des documents de la défenderesse, les dépenses engagées par les demanderesses à l'égard des experts-comptables étaient sans aucun doute plus élevées que normalement. Toutes les dépenses que les demanderesses ont engagées pour obtenir des services comptables et des conseils de leurs experts constituent un débours justifiant le recouvrement lorsque les dépens sont adjugés contre la défenderesse.

[15]            Il est également important de noter que la taxation des frais recouvrables doit être établie en fonction du moment où la dépense est engagée, et non de manière rétrospective [Rothmans, Benson and Hedges c. Imperial Tobacco (1993), 50 C.P.R. (3rd) 59 à la page 65 (C.F.1re inst.)].

[16]            Je ne me range pas à l'argument selon lequel l'expert s'est trouvé à participer au débat. Dans des affaires aussi complexes, l'expert participe normalement à tous les stades de la procédure en raison de son expertise et de ses communications avec l'avocat. À titre d'exemple, l'expert doit souvent prendre part à l'interrogatoire préalable pour formuler les questions nécessaires à l'obtention des renseignements dont les experts auront besoin dans l'élaboration de leur rapport et pour apprécier les réponses fournies aux questions et aider l'avocat à les comprendre. Cette participation ne lui confère aucunement un rôle dans le débat.


[17]            Je reconnais qu'Apotex a communiqué des documents de ventes, mais elle n'a fourni les données électroniques que plus tard. Par conséquent, je conclus que les demanderesses ont eu un motif raisonnable de créer leur propre base de données informatisée pour rapprocher les documents de ventes sans attendre les données électroniques de la défenderesse. (Voir l'affidavit de M. Gary Timm, daté du 3 novembre 2000, aux paragraphes 10 et 11, dossier de la requête, volume II, onglet 15.)

[18]            Après examen de la documentation, notamment des affidavits produits à l'appui de la requête, je considère que le travail de l'expert a été sans l'ombre d'un doute essentiel et pertinent pour le dossier des demanderesses. Sans la participation de l'expert, l'issue de l'instance n'aurait pas été aussi favorable aux demanderesses. Ses services devaient incontestablement être inclus dans la taxation des dépens.

[19]            Je note également que l'avocat de la défenderesse a été incapable de justifier les 15 % qu'il avait demandés comme plafond de la taxation des honoraires de l'expert, sauf en faisant valoir que le montant accordé se chiffrerait approximativement à 40 000 $.

[20]            Il est important de mentionner que l'officier taxateur a pris sa décision de manière méticuleuse. Il a analysé chacun des aspects de la demande et les factures en se reportant à la jurisprudence applicable. Il accepte ou refuse les frais relatifs aux services en donnant des explications judicieuses et pertinentes.

[21]            J'ai examiné les arguments de la défenderesse et je conclus qu'elle a été incapable de relever une erreur de droit ou une erreur de principe spécifiques dans la décision de l'officier taxateur, exception faite des arguments généraux mentionnés ci-dessus.

  

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1)                    La requête en révision de la décision de l'officier taxateur est rejetée sans dépens.

  

             « Simon Noël »                        

                        Juge

  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

  

DOSSIER :                               T-2408-91

INTITULÉ :                           MERCK & CO. ET MERCK FROSST CANADA INC.

c. APOTEX INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :      Ottawa (Ontario), par téléconférence

DATE DE L'AUDIENCE :    Le 24 septembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :           Le 3 octobre 2002

  

COMPARUTIONS :

Lesley Caswell                                                                               POUR LES DEMANDERESSES

James Mills

  

Nando De Luca                                                                              POUR LA DÉFENDERESSE

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson LLP

Avocats                                                                                           POUR LES DEMANDERESSES

Ottawa (Ontario)

Goodmans                                                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)



[1]La Cour a été informée par une lettre datée du 23 septembre 2002 que cette partie de la requête ne serait pas plaidée.

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