Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200123


Dossier : IMM-3367-19

  Référence : 2020 CF 100

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

OSAS SHARON OKOHUE

JADA EFOSA (mineure)

BELVIS EFOSA (mineur)

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’immigration principal (l’agent) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (la demande CH) présentée par les demandeurs. L’agent a rejeté la demande au motif que la preuve qu’ils ont présentée était insuffisante pour justifier une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  Les demandeurs sont des citoyens du Nigéria dont les demandes d’asile ont été refusées par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) le 3 novembre 2015. L’appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a été rejeté le 11 avril 2016. Le 22 décembre 2017, l’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) s’est aussi soldé par une décision défavorable aux demandeurs.

[3]  Les demandeurs affirment que l’agent a manqué à son devoir d’équité procédurale en prenant en considération des renseignements extrinsèques qui ne leur avaient pas été divulgués. Ils soutiennent en outre que l’agent a évalué de façon déraisonnable la preuve.

[4]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’agent est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Les faits

[5]  Madame Osas Sharon Okohue (la demanderesse principale) ainsi que sa fille de huit ans et son fils de six ans, Jada et Belvis, (les demandeurs mineurs) (collectivement, les demandeurs) sont des citoyens du Nigéria. La demanderesse principale a aussi une fille de quatre ans, Elvira, qui est citoyenne canadienne.

[6]  Les demandeurs sont arrivés au Canada le 10 février 2015 et ont demandé l’asile. Le 3 novembre 2015, la SPR a rejeté leurs demandes. Ils ont interjeté appel de la décision de la SPR mais, le 11 avril 2016, la SAR a rejeté l’appel. Les demandeurs ont également reçu une décision défavorable à un ERAR le 22 décembre 2017.

[7]  Le 5 janvier 2018, IRCC a reçu une demande CH de la part des demandeurs. Dans une décision datée du 25 avril 2019, cette demande a été rejetée.

[8]  La demande CH présentée par les demandeurs consistait en de brèves observations tenant sur sept pages, accompagnées des documents à l’appui et une preuve concernant la situation dans le pays. Dans cette demande, ils ont affirmé qu’ils éprouveraient des difficultés à s’établir à nouveau au Nigéria en raison des conditions « bizarres » dans ce pays. Ils ont soutenu qu’ils n’auraient nulle part où aller, puisque les membres de la famille de la demanderesse principale avaient fui leurs maisons à la suite d’attaques de la part du mari de cette dernière. En outre, les demandeurs ont affirmé qu’ils feraient face à des difficultés en raison du taux de chômage élevé, du degré élevé d’insécurité découlant d’une [traduction] « crise sociopolitique et religieuse », d’une incapacité à se payer des soins de santé de qualité et d’une qualité de vie moindre au Nigéria.

[9]  Les demandeurs ont fait valoir que la demanderesse principale [traduction] « a une situation financière stable, a produit ses déclarations de revenus et a contribué à l’économie canadienne ».

[10]  En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, les demandeurs ont affirmé que les enfants ne pouvaient retourner Nigéria car les systèmes de soins de santé et d’éducation y sont inadéquats. Ils ont affirmé que le Nigéria [traduction] « est rongé par de multiples problèmes mettant leur vie en danger, comme les risques liés aux fréquents attentats à la bombe, les nombreux enlèvements, la brutalité policière, l’intolérance religieuse, les soins de santé inadéquats, etc., qui, combinés, auraient pour conséquences des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives pour les demandeurs ». Les demandeurs ont affirmé que la demanderesse principale avait perdu sa première fille en raison d’une excision, à savoir la mutilation génitale féminine, et soutenu qu’ils [traduction] « retomberaient probablement entre les mains de leurs assaillants s’ils étaient forcés de retourner au Nigéria ».

[11]  Les demandeurs ont ajouté qu’il n’y a pas de protection étatique au Nigéria. Selon eux, il existe [traduction] « des obstacles réels et potentiels à la recherche d’une protection, dans un pays où la corruption et la brutalité policières constituent une menace sérieuse pour la protection des droits de la personne fondamentaux ».

III.  La décision CH sous-jacente

[12]  Après avoir tenu compte des antécédents en matière d’immigration des demandeurs, l’agent s’est penché sur leur degré d’établissement au Canada. Il a souligné que la demanderesse principale occupe actuellement un emploi, et a pris en considération les observations du conseil selon lesquelles la demanderesse principale serait incapable de trouver un emploi au Nigéria en raison du taux de chômage élevé. Tout en reconnaissant que le climat économique était moins favorable au Nigeria qu’au Canada, l’agent a expliqué que le processus de réinsertion dans de telles circonstances est une conséquence normale d’un renvoi, et a conclu que la demanderesse principale serait capable de trouver un emploi rémunérateur au Nigéria puisqu’elle y avait travaillé comme coiffeuse pendant huit ans, avant son départ au Canada. L’agent a également fait remarquer que l’expérience de travail à l’étranger de la demanderesse principale pourrait lui procurer un avantage concurrentiel dans sa recherche d’emploi au Nigéria.

[13]  L’agent a estimé que le fait que la demanderesse principale fréquente régulièrement une église constituait un facteur favorable. Toutefois, il n’a pas conclu que le degré d’établissement de la demanderesse principale au Canada était important. Par ailleurs, selon l’agent, la demanderesse principale avait fait preuve d’une bonne capacité d’adaptation en déracinant sa famille pour s’installer au Canada, qualité qui lui permettrait d’atténuer les difficultés liées à son retour au Nigéria, où elle a habité pendant plus de 30 ans et dont elle connaît la culture, la langue et les coutumes locales. De plus, il a souligné que les demandeurs avaient des liens familiaux solides au Nigéria et a conclu que la preuve était insuffisante pour démontrer que la famille de la demanderesse principale ne voudrait pas ou ne pourrait pas les aider.

[14]  Sur la question de l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a estimé que la preuve n’était pas suffisante pour démontrer que les enfants seraient privés d’une éducation adéquate au Nigéria. S’appuyant sur le rapport de 2018 du département d’État des États-Unis sur les droits de l’homme, l’agent a souligné que la loi y exige une éducation de base gratuite, obligatoire et universelle aux niveaux primaire et secondaire. Il a aussi noté que de la discrimination et des obstacles à l’éducation des filles existaient dans le Nord du Nigéria, mais a conclu que la preuve était insuffisante pour affirmer que les demandeurs seraient privés d’éducation dans leur ville natale, Benin City, située dans le Sud du Nigéria.

[15]  L’agent a reconnu qu’il y aurait une période d’adaptation à leur retour au Nigéria étant donné le jeune âge des enfants. Il a toutefois conclu qu’il n’avait pas été prouvé que les besoins fondamentaux des enfants ne seraient pas satisfaits au Nigéria puisqu’ils y ont des liens familiaux solides et qu’ils auront le soutien de leur mère. Dans l’ensemble, l’agent n’a pas estimé que l’intérêt supérieur des enfants serait compromis si la famille devait quitter le Canada.

[16]   Même si l’article 25 de la LIPR interdit l’évaluation des risques (conformément aux articles 96 et 97), l’agent a reconnu que les éléments relatifs aux conditions défavorables du pays doivent être examinés par rapport aux difficultés de façon prospective. En réponse aux observations du conseil selon lesquelles les demandeurs ne seraient pas en mesure de trouver des soins médicaux de qualité, l’agent a affirmé que la preuve concernant des problèmes médicaux particuliers était insuffisante. De plus, bien qu’il existe plusieurs documents sur la situation générale du pays concernant les enlèvements et la brutalité policière et l’impunité, l’agent a conclu que la preuve présentée était insuffisante pour [traduction] « étayer l’existence de répercussions sur eux personnellement découlant d’une quelconque crise politique ou religieuse ». Il a aussi souligné que tous les citoyens du Nigéria sont confrontés à la situation générale dans le pays et que l’on ne pouvait conclure qu’ils feraient face à des difficultés sans preuve que cette situation aurait une incidence directe sur eux.

[17]  En ce qui concerne la question de la mutilation génitale féminine, les demandeurs ont fait valoir qu’ils sont en danger car les membres de la famille du père souhaitent que les filles de ce dernier subissent une excision. La demanderesse principale a déclaré que l’une de ses filles était décédée à la suite d’une telle intervention. Toutefois, l’agent a souligné que malgré l’existence d’un certificat de décès, les renseignements concernant les raisons du décès étaient insuffisants. L’agent a aussi examiné une lettre rédigée par la sœur de la demanderesse principale dans laquelle celle‑ci affirme que le mari de la demanderesse principale a détruit la maison familiale et attaqué toute la famille et qu’une plainte a été déposée auprès de la police en mai 2017. Cependant, l’agent a souligné que, malgré des photos en noir et blanc, non datées, d’une structure démolie, la preuve présentée était insuffisante pour étayer ces allégations.

[18]  Citant des extraits du rapport de 2018 du département d’État des États-Unis sur les pratiques des droits de l’homme et d’un rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni, l’agent a reconnu que la mutilation génitale féminine continue d’être un problème au Nigéria, mais a affirmé que les demandeurs pouvaient s’établir à Abuja, la capitale du Nigéria, où une loi fédérale interdisant la mutilation génitale féminine est appliquée. Selon l’agent, il n’y a pas assez d’éléments de preuve à l’effet que la famille du mari de la demanderesse principale retrouverait les demandeurs dans une zone urbaine densément peuplée du Nigéria. En outre, il a conclu qu’en raison de sa bonne capacité d’adaptation, la demanderesse principale pourrait déménager ailleurs au Nigéria. L’agent a souligné que [traduction] « puisqu’un déménagement est possible et que la demanderesse n’a pas fourni de renseignements concernant des difficultés liées au fait de se relocaliser ailleurs au pays, je ne suis pas convaincu que la demanderesse ne pourrait s’établir dans une autre région du Nigéria ».

[19]  En conclusion, l’agent a estimé que les facteurs soulevés par les demandeurs n’étaient pas suffisants pour justifier une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[20]  Les questions en litige dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

  1. L’agent a‑t‑il manqué à l’obligation d’équité procédurale en tenant compte de renseignements extrinsèques qui n’avaient pas été divulgués aux demandeurs?
  2. La décision de l’agent était-elle raisonnable?

[21]  La norme de contrôle judiciaire applicable doit être déterminée conformément au cadre énoncé dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. L’analyse relative à la norme de contrôle révisée commence par la présomption selon laquelle c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. Cette présomption peut être réfutée dans deux types de situations. La première est celle où le législateur a indiqué qu’il souhaite l’application d’une norme différente, c’est-à-dire lorsqu’il a prescrit expressément la norme de contrôle applicable ou qu’il a prévu un mécanisme d’appel d’une décision administrative devant une cour (Vavilov, par. 17).

[22]  La deuxième situation est celle où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte, par exemple pour certaines catégories de questions juridiques, soit les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, par. 17).

[23]  Tout d’abord, la norme de la décision correcte continue à s’appliquer aux questions d’équité procédurale. Dans Vavilov, au paragraphe 23, la Cour suprême affirme ce qui suit :

Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.‑à‑d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[24]  La lecture des paragraphes 76 et 77 de Vavilov nous apprend que la Cour suprême convient que « les exigences de l’obligation d’équité procédurale dans une affaire donnée […] auront une incidence sur l’exercice par une cour de justice du contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable ». Cela veut dire que les cours de révision doivent d’abord déterminer s’il existe une obligation d’équité procédurale puis, à la lumière des exigences d’équité procédurale (le cas échéant), appliquer la présomption de la norme de la décision raisonnable. Dans Vavilov, l’obligation d’équité procédurale avait trait à la question de savoir si des motifs à l’appui de la décision administrative étaient requis et auraient été fournis (Vavilov, par. 78). Ayant conclu que des motifs étaient requis et avaient été fournis dans cette affaire, la Cour suprême s’est ensuite penchée sur la question de savoir si la décision était raisonnable sur le fond. L’extrait qui suit, tiré du paragraphe 81, est également pertinent, en ce sens qu’on y fait une distinction entre l’obligation d’équité procédurale et l’analyse du caractère raisonnable :

[…] Notre analyse prend donc comme point de départ que, lorsque des motifs sont requis, ceux‑ci constituent le mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions, tant aux parties touchées qu’aux cours de révision. En conséquence, la communication des motifs à l’appui d’une décision administrative est susceptible d’avoir des répercussions sur sa légitimité, à la fois au regard de l’équité procédurale et du caractère raisonnable de ceux‑ci sur le fond.

(Vavilov, par. 81)

[25]  Ensuite, la norme de contrôle qui s’applique à la décision CH d’un agent d’immigration est celle de la décision raisonnable puisqu’aucune des deux exceptions du cadre révisé ne s’applique (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, par. 44 [Kanthasamy]; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817, par. 31 et 56 [Baker]; Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, par. 15).

V.  Analyse

A.  Équité procédurale

[26]  Les demandeurs soutiennent que l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale en tenant compte de renseignements extrinsèques qui ne leur avaient pas été divulgués, à savoir la version mise à jour d’avril 2019 du rapport sur le Nigéria du département d’État des États-Unis. Les demandeurs font valoir que ce document n’existait pas au moment où ils ont présenté leur demande CH, et que l’agent a manqué au principe d’équité procédurale en ne les informant pas de son intention d’utiliser les renseignements dans ce rapport pour conclure que les mineurs ne seraient pas privés d’éducation.

[27]  Le défendeur affirme que les extraits du rapport mis à jour cités n’ont essentiellement pas changé et que le document reconnaît qu’il existe des problèmes au Nigéria en ce qui concerne l’éducation des jeunes filles. Il soutient aussi que l’agent a reconnu que les jeunes filles peuvent avoir des difficultés à obtenir une éducation et qu’aucun des renseignements sur lesquels il s’était appuyé n’était [traduction] « nouveau » ou « inédit ». Selon le défendeur, ces renseignements sont publics, et les demandeurs auraient dû les connaître, et ils auraient pu présenter la version mise à jour du rapport à l’appui de leur demande.

[28]  À mon avis, le fait que l’agent s’appuie sur un document accessible au public qui se trouve dans le Cartable national de documentation (CND) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale, et le fait qu’il n’ait pas mentionné qu’il s’appuyait sur le CND non plus (Khokhar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 555, par. 24).

[29]  La décision Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 9066 (CAF), [1998] 3 CF 461, s’avère instructive pour l’affaire qui nous occupe. La Cour y a conclu que ce n’est que lorsqu’un agent se fonde sur un document important postérieur à la demande, attestant de changements dans les conditions générales d’un pays, que ce document doit être divulgué au demandeur. En l’espèce, la partie du rapport mis à jour du département d’État des États-Unis concernant l’éducation ne porte pas sur des changements importants dans les conditions générales du pays sur lesquels l’agent se serait appuyé. Les deux versions soulignent les difficultés auxquelles se heurtent les jeunes filles en matière d’éducation dans les régions du Nord du Nigéria, ce qu’a reconnu l’agent. Qui plus est, même si la version précédente du document soulignait l’existence de frais de scolarité imposés par les autorités, je note que le principal problème que voyait l’agent relativement à la demande était l’insuffisance de la preuve. En fait, les demandeurs ne font mention du « système d’éducation » au Nigéria qu’une seule fois dans leur demande CH, qui compte sept pages (à l’exclusion des documents relatifs aux conditions dans le pays), et il n’y a même pas une phrase sur les raisons pour lesquelles système d’éducation compromettrait l’intérêt supérieur des demandeurs mineurs.

[30]  Par conséquent, l’agent n’a pas enfreint à l’obligation d’équité procédurale.

B.  Le caractère raisonnable

(1)  Appréciation sélective de la preuve

[31]  Les demandeurs soutiennent que l’agent a effectué une appréciation déraisonnable et sélective de la preuve. Ils soulignent que le rapport du département d’État des États‑Unis sur lequel l’agent s’est appuyé mentionne également que, bien que l’éducation soit [traduction] « en principe gratuite », il existe une multitude d’obstacles et que plus de 30 pour cent des enfants en âge de fréquenter l’école primaire ne sont pas inscrits dans des écoles officiellement reconnues. En outre, selon un rapport présenté par les demandeurs, bon nombre d’enfants ne fréquentent pas l’école car ils doivent fournir un revenu supplémentaire à leur famille. Les demandeurs ajoutent que 60 pour cent des enfants nigériens de moins de 18 ans ont subi une forme quelconque de violence physique, émotionnelle ou sexuelle pendant leur enfance.

[32]  Les demandeurs s’appuient sur la décision dans Abdulla Farah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1149, par. 11‑21 [Abdulla Farah], pour alléguer que l’agent a déraisonnablement fait abstraction d’éléments de preuve dont il disposait. Les demandeurs citent aussi la décision Okafor c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2002 CFPI 1108 (CanLII) [Okafor] à l’appui de leur prétention selon laquelle l’agent a commis une erreur en renvoyant au CND mis à jour.

[33]  Le défendeur soutient que la décision de l’agent est raisonnable puisque les obstacles en matière d’éducation des jeunes filles sont principalement dans le Nord du Nigéria, alors que les demandeurs retourneraient s’établir dans le Sud du pays. En outre, l’agent a souligné les habiletés de la demanderesse principale favorisant son employabilité, qui l’aideraient à répondre aux besoins de ses enfants. Selon le défendeur, l’agent a raisonnablement conclu que la preuve ne permet pas d’établir que la demanderesse principale serait incapable, à son retour au Nigéria, de trouver un emploi similaire à celui qu’elle occupe actuellement.

[34]  À mon avis, les décisions Abdulla Farah et Okafor ne sont pas pertinentes pour l’affaire qui nous occupe. En effet, la présente affaire ne porte pas sur le défaut de l’agent de tenir compte de la preuve, mais plutôt sur l’insuffisance de celle-ci et des observations présentées par les demandeurs. Par conséquent, la décision Abdulla Farah n’est d’aucune utilité en l’espèce. Quant à la décision Okafor, elle portait sur le contrôle judiciaire d’une décision de la Section du statut de réfugié, et non sur une décision d’un agent d’immigration concernant une demande CH. La décision Okafor ne s’applique donc pas non plus en l’espèce.

[35]  Comme je l’ai déjà mentionné, la demande CH présentée par les demandeurs ne compte que sept pages et accuse des lacunes au chapitre des faits et de l’analyse. Mis à part les documents sur la situation dans le pays, les demandeurs n’ont produit aucune observation sur l’intérêt supérieur des enfants en matière d’éducation, ni sur les répercussions du système d’éducation sur les demandeurs mineurs. Les demandeurs se sont contentés d’affirmer que [traduction] « [l]es perspectives d’avenir des demandeurs sont d’autant plus sombres que le système de santé est inadéquat et le système d’éducation presque comateux ». On ne renvoie pas aux documents concernant la situation dans le pays dans les observations. En outre, la raison pour laquelle les demandeurs traitent de la violence physique, émotionnelle ou sexuelle envers les enfants dans les observations de leur demande de contrôle judiciaire n’est pas claire. Cette question n’avait pas été soulevée dans leur demande CH.

[36]  Je conclus que la décision rendue par l’agent est raisonnable à cet égard.

(2)  Possibilité de refuge intérieur

[37]  Les demandeurs reprochent à l’agent d’avoir conclu qu’ils pourraient s’établir à Abuja et soutiennent qu’ils n’ont pas été avisés qu’une la possibilité de refuge intérieur (PRI) était envisagée. Cependant, en l’espèce, il n’y a aucune observation concernant la PRI ni preuve contraire qui empêcherait l’agent de conclure que les demandeurs pourraient s’établir à Abuja. Puisqu’il y a peu d’éléments factuels fournis par les demandeurs et que la décision est « de nature hautement discrétionnaire et factuelle » (Baker, par. 61), j’estime que la décision de l’agent était transparente et justifiée.

VI.  Question certifiée

[38]  Les avocats des parties ont été invités à soumettre des questions aux fins de certification, et ils ont tous deux indiqué que l’affaire n’en soulève aucune. Je suis d’accord.

VII.  Conclusion

[39]  L’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale en tenant compte d’un rapport du département d’État des États-Unis mis à jour. L’agent n’a pas non plus commis d’erreur dans son examen de la preuve ni relativement à l’existence d’une PRI dans le contexte de l’évaluation des difficultés.

[40]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3367-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de février 2020

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3367-19

 

INTITULÉ :

OSAS SHARON OKOHUE, JADE EFOSA, BELVIS EFOSA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 JANVIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 23 JanVIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Osasenaga Obazee

POUR LES DEMANDEURS

 

Prathima Prashad

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aide juridique Ontario

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.