Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190416


Dossier : T‑1779‑18

Référence : 2019 CF 464

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 avril 2019

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

DANS L’AFFAIRE CONCERNANT un renvoi, en vertu du paragraphe 18.3(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, de questions de droit et de compétence concernant la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC 2000, c 5, qui ont été soulevées dans le cadre d’une enquête sur une plainte devant le commissaire à la protection de la vie privée du Canada

ENTRE :

LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

demandeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Au moyen d’un renvoi introduit en vertu de l’article 18.3 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, le commissaire à la protection de la vie privée du Canada a demandé à la Cour d’entendre et de trancher deux questions préliminaires de compétence qui avaient été soulevées dans le contexte de son enquête sur une plainte déposée contre Google LLC en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC 2000, c 5 (la « LPRPDE »).

[2]  Google est d’avis que le commissaire à la protection de la vie privée a formulé les questions de façon trop étroite, et elle demande la délivrance d’une série d’ordonnances qui auraient pour effet de reconnaître l’inclusion de questions constitutionnelles qui, selon elle, sont inextricablement liées aux questions faisant l’objet du renvoi, et qui permettraient la constitution d’un dossier de preuve approprié aux fins de la résolution de ces questions constitutionnelles. Subsidiairement, Google soutient que si les questions constitutionnelles ne sont pas ajoutées ou réputées être incluses dans le renvoi, le renvoi devrait être radié.

[3]  Pour les motifs exposés ci‑après, la requête de Google sera rejetée.

I.  Le contexte procédural

[4]  Le commissaire à la protection de la vie privée a reçu une plainte contre Google alléguant que les recherches du nom du plaignant sur Internet à l’aide du moteur de recherche de Google donnent des résultats qui affichent bien en vue des liens vers des articles de nouvelles qui, selon les allégations du plaignant, sont désuets et inexacts et divulguent des renseignements personnels de nature délicate, d’une façon qui lui cause un préjudice direct. Le plaignant allègue que Google contrevient ainsi à la LPRPDE, et il demande à Google de retirer les articles des résultats de recherches qui utilisent son nom, un processus appelé « désindexation ».

[5]  Dans sa réponse à la plainte, Google a contesté pour plusieurs motifs l’application de la LPRPDE au fonctionnement de son moteur de recherche. Elle a allégué que la LPRPDE ne s’applique pas au fonctionnement de son moteur de recherche parce qu’il ne s’agit pas d’une « activité commerciale » au sens de l’alinéa 4(1)a) de la LPRPDE et que, même s’il s’agit d’une activité commerciale, celle‑ci est de toute façon exemptée de l’application de la LPRPDE en raison de l’exemption journalistique prévue à l’alinéa 4(2)c) lorsqu’elle relie des lecteurs et des producteurs de médias d’information. De plus, Google soutient de façon plus générale que toute interprétation de la LPRPDE qui assujettirait son moteur de recherche à l’application de cette loi et l’obligerait à désindexer un contenu licite irait à l’encontre du droit à la liberté d’expression, y compris la liberté de la presse, garanti par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, d’une manière qui ne peut pas être sauvegardée par l’article premier de la Charte.

[6]  À titre d’office fédéral, le commissaire à la protection de la vie privée a le pouvoir, en vertu du paragraphe 18.3(1) de la Loi sur les Cours fédérales, de renvoyer devant la Cour pour audition et jugement « toute question de droit, de compétence ou de pratique et procédure » qui se pose dans une affaire dont il est saisi. Au cours des premières consultations entre Google et le commissaire à la protection de la vie privée, Google a laissé entendre que les questions préliminaires qu’elle avait soulevées étaient d’une telle importance générale que le commissaire à la protection de la vie privée devrait envisager de les renvoyer devant la Cour en vertu de l’article 18.3. Le commissaire à la protection de la vie privée a donné suite à la suggestion de Google, mais, malgré les objections virulentes de Google, le commissaire a choisi de renvoyer seulement les deux questions de compétence que Google avait soulevées, et que le commissaire a ainsi formulées :

  • (1) Dans le contexte de l’exploitation de son service de moteur de recherche, est‑ce que Google recueille, utilise ou communique des renseignements personnels dans le cadre d’activités commerciales au sens de l’alinéa 4(1)a) de la LPRPDE lorsqu’elle indexe des pages Web et affiche des résultats de recherches en réponse à des recherches portant sur le nom d’une personne?

  • (2) L’exploitation du service de moteur de recherche de Google est‑elle exclue de l’application de la partie 1 de la LPRPDE en vertu de l’alinéa 4(2)c) de la LPRPDE parce qu’elle donne lieu à la collecte, l’utilisation ou la communication de renseignements personnels à des fins journalistiques, artistiques ou littéraires?

[7]  L’article 322 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, prévoit qu’un tribunal administratif qui fait un renvoi est tenu de présenter, ex parte, une requête pour obtenir des directives sur différentes questions de procédure, notamment l’identité des personnes qui doivent recevoir signification de l’avis de demande de renvoi. Les divergences de vues entre le commissaire à la protection de la vie privée et Google sur la pertinence et la viabilité des questions faisant l’objet du renvoi telles que le commissaire à la protection de la vie privée les a formulées ont été examinées en profondeur dans la correspondance entre les parties avant et après que le commissaire à la protection de la vie privée eut déposé l’avis de demande officiel. Par conséquent, avant que le commissaire à la protection de la vie privée dépose une requête visant à obtenir des directives, Google avait déjà signifié et déposé un avis d’intention de participer au renvoi, de même qu’un avis de question constitutionnelle, dans lequel elle formule les questions constitutionnelles qu’elle souhaite soulever. Google a également demandé que le commissaire à la protection de la vie privée lui signifie la requête visant à obtenir des directives prévue à l’article 322, afin que Google puisse avoir l’occasion de faire valoir son point de vue au sujet de la pertinence et de la portée des questions faisant l’objet du renvoi.

[8]  Le commissaire à la protection de la vie privée n’a pas estimé que la demande de Google était conforme aux Règles des Cours fédérales; toutefois, reconnaissant l’intention de Google de contester la portée du renvoi tel qu’il était rédigé, le commissaire à la protection de la vie privée s’est engagé à informer la Cour de la position de Google et à demander des directives pour la tenue d’une audience préliminaire visant à régler la question de la portée appropriée du renvoi. Le projet d’ordonnance que le commissaire à la protection de la vie privée a proposé dans sa requête en directives ex parte contenait la disposition suivante :

[traduction]

À la première occasion, le juge chargé de la gestion de l’instance fixera une date d’audience en consultation avec les parties afin de confirmer, à titre préliminaire, les questions qui constitueront le renvoi.

[9]  Toutefois, l’ordonnance rendue le 2 novembre 2018 n’a pas retenu le libellé proposé par le commissaire à la protection de la vie privée, mais a énoncé ce qui suit :

[traduction]

5. Si le plaignant ou Google souhaitent contester le caractère approprié des questions faisant l’objet du renvoi, ils devront déposer une requête pour contester la portée du renvoi dans les 15 jours suivant le dépôt de leur formule 323.

[10]  De plus, au lieu d’accepter la suggestion du commissaire à la protection de la vie privée de permettre aux participants de compléter le dossier que le commissaire devrait fournir en déposant de plein droit des affidavits pour présenter des renseignements contextuels supplémentaires, la Cour a ordonné que ces documents supplémentaires ne puissent être déposés qu’avec l’autorisation de la Cour. Dans les présents motifs, l’ordonnance du 2 novembre 2018 sera désignée « l’ordonnance de renvoi ».

[11]   Google a donc signifié et déposé la présente requête, aux termes de laquelle elle demande les mesures suivantes :

  • (1) soit la délivrance d’une ordonnance modifiant le paragraphe 5 de l’ordonnance de renvoi de manière à confirmer que la portée des questions faisant l’objet du renvoi comprend déjà les [traduction« questions constitutionnelles inextricablement liées » énoncées dans l’avis de questions constitutionnelles de Google, soit une ordonnance énonçant que ces questions constitutionnelles sont incluses dans le renvoi;

  • (2) la délivrance d’une ordonnance modifiant l’ordonnance de renvoi de manière à ce que les éléments de preuve que les parties peuvent déposer sur autorisation ne se limitent pas à des [traduction« renseignements contextuels supplémentaires » mais puissent inclure ce qui est nécessaire pour constituer un dossier constitutionnel approprié;

  • (3) subsidiairement aux paragraphes (1) et (2), la délivrance d’une ordonnance radiant la demande de renvoi au motif que les questions faisant l’objet du renvoi sont inappropriées et préjudiciables;

  • (4) la délivrance d’une ordonnance modifiant l’ordonnance de renvoi de manière à permettre aux médias d’information de se constituer parties au renvoi;

  • (5) la délivrance d’une ordonnance modifiant les dispositions de l’ordonnance de renvoi qui concernent la confidentialité.

[12]  La mesure demandée au paragraphe 5 a été retirée aux termes d’une entente conclue entre le plaignant et Google.

[13]  Quant à la mesure demandée au paragraphe 4 ci‑dessus, elle a été supplantée par la requête de certains médias d’information visant à obtenir une ordonnance les ajoutant en qualité de parties au renvoi et cette requête a été rejetée aux termes d’une ordonnance datée du 1er mars 2019, publiée sous la référence 2019 CF 261. Il convient de souligner qu’en rejetant la requête des médias, la Cour a conclu que les questions faisant l’objet du renvoi telles qu’elles étaient formulées dans l’avis de demande ne comprenaient pas la question de la validité constitutionnelle d’une ordonnance obligeant Google à désindexer le contenu journalistique ni la validité constitutionnelle de l’application de la LPRPDE au fonctionnement du moteur de recherche de Google. Toutefois, lorsqu’elle a rendu cette décision, la Cour ne disposait pas de l’avis de question constitutionnelle de Google ni du dossier de requête de cette dernière concernant cette requête, puisque les médias avaient insisté pour que leur requête soit entendue et tranchée avant la requête de Google, et ils avaient omis d’inclure les documents pertinents pour que la Cour puisse les examiner. En conséquence, la décision de la Cour quant à la véritable portée de l’objet du renvoi n’était fondée que sur les questions telles qu’elles étaient énoncées dans l’avis de demande. La Cour n’a pas tenu compte de la façon dont ces questions pourraient être complétées par le dépôt de l’avis de question constitutionnelle ni par une ordonnance de la Cour, et cette décision n’est pas déterminante quant aux questions que soulève la présente requête.


II.  Les questions que soulève la présente requête

[14]  Bien que chacune des parties les ait énoncées quelque peu différemment, la Cour est d’avis que les questions que soulève la présente requête peuvent se résumer ainsi :

  • (1) La portée des questions formulées par un tribunal administratif dans le cadre d’un renvoi peut‑elle être modifiée ou élargie par la signification d’un avis de question constitutionnelle ou par l’intervention préliminaire de la Cour?

  • (2) Si les questions faisant l’objet du renvoi peuvent être modifiées, devraient‑elles être modifiées ou être réputées l’être de manière à inclure les questions constitutionnelles que pose Google en l’espèce?

  • (3) Si les questions faisant l’objet du renvoi ne peuvent pas être modifiées ou ne doivent pas l’être, le renvoi devrait‑il être radié?

III.  Analyse

A.  La portée du renvoi peut‑elle être modifiée?

[15]  La majeure partie des observations de Google visent à établir les raisons pour lesquelles il est nécessaire ou indiqué que les questions constitutionnelles soient tranchées dans le cadre du présent renvoi. Toutefois, l’examen de la présente requête par la Cour devrait prendre comme point de départ non pas la pertinence ou la nécessité d’ajouter ces questions au renvoi, mais plutôt la question de savoir si Google ou la Cour pourraient, de toute façon, en imposer ou en ordonner l’inclusion.

[16]   Il est incontestable que, de la façon dont le commissaire à la protection de la vie privée a formulé les questions faisant l’objet du renvoi, celles‑ci ne semblent pas à première vue inclure les questions constitutionnelles soulevées par Google. Le commissaire à la protection de la vie privée était bien au fait des positions de Google, mais il a rédigé les questions de façon à éviter tout doute quant à son intention de les exclure du renvoi. Peu importe l’insistance de Google à décrire les questions constitutionnelles comme étant [traduction« enracinées » dans les questions faisant l’objet du renvoi ou [traduction« inextricablement liées » à ces questions, l’ensemble de la requête de Google confirme sa reconnaissance du fait que le commissaire à la protection de la vie privée n’entendait nullement soumettre ces questions à la Cour.

[17]  Google semble également reconnaître que le dossier de preuve constitué par le commissaire à la protection de la vie privée aux fins du renvoi ne tient pas compte des questions constitutionnelles et que ce dossier pourrait s’avérer insuffisant pour permettre de trancher convenablement les questions constitutionnelles. La demande de Google d’élargir la portée des éléments de preuve supplémentaires que les parties peuvent demander l’autorisation de déposer dans le cadre du renvoi vise à lui permettre de remédier à cette lacune possible en matière de preuve.

[18]  La première question dont la Cour est saisie ne consiste donc pas à interpréter la portée des questions telles qu’elles sont posées, mais plutôt à déterminer si leur portée peut être élargie de manière à inclure les questions constitutionnelles et, si oui, de quelle façon.

[19]  La Cour souscrit aux observations du commissaire à la protection de la vie privée et du procureur général selon lesquelles la simple lecture de l’article 18.3 de la Loi sur les Cours fédérales, la nature et l’objet particuliers du processus de renvoi et la jurisprudence actuelle de la Cour interdisent tous à une partie à un renvoi d’élargir ou de modifier la portée des questions qu’un tribunal administratif a décidé de renvoyer devant la Cour.

[20]  Comme je l’ai déjà mentionné, le paragraphe 18.3(1) confère à un tribunal administratif le pouvoir spécial de renvoyer devant la Cour les questions de droit, de compétence ou de procédure qui se posent dans les affaires dont il est saisi. Le pouvoir discrétionnaire de décider s’il y a lieu d’exercer ce pouvoir et, le cas échéant, de quelle façon, est du ressort exclusif du tribunal administratif concerné. Celui‑ci a le pouvoir discrétionnaire de renvoyer devant la Cour seulement certaines des questions dont il est saisi, et, bien qu’une question doive en être une à laquelle une réponse possible est susceptible de mettre fin au différend, il ne doit pas nécessairement s’agir de la question décisive dont le tribunal administratif est saisi (Martin Service Station Ltd. c Ministre du Revenu national, [1974] 1 CF 398, au paragraphe 16, confirmé par [1977] 2 RCS 996). Ainsi, la Cour a statué que la formulation des questions faisant l’objet du renvoi est du ressort exclusif du tribunal administratif concerné, et les parties à un renvoi ne peuvent pas [traduction« se mêler » de la question posée ni tenter de [traduction« s’arroger le pouvoir discrétionnaire du tribunal administratif quant aux faits et aux questions à renvoyer devant la Cour » (article 4 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (Re), 2002 ACF no 1000, ordonnance de la protonotaire Aronovitch datée du 7 mai 2002, citée à l’annexe A (ci‑après le « Renvoi relatif au Règlement sur les MB (AC) ») et ordonnance de la protonotaire Aronovitch datée du 17 avril 2002 dans la même affaire, dossier de la Cour no T‑139‑02).

[21]  Google ne conteste pas le bien‑fondé de cette proposition générale, mais elle a tenté d’établir une distinction entre la décision dans le Renvoi relatif au Règlement sur les MB (AC) ou de faire admettre une exception au sens ordinaire de l’article 18.3 sur le fondement de la nature constitutionnelle des questions qu’elle souhaite soulever et de sa signification d’un avis de question constitutionnelle. Elle soutient que l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales lui confère le droit de déposer un avis de question constitutionnelle en réponse au renvoi et de soulever et débattre les questions relatives à la Charte qu’elle pose. Elle soutient également, en invoquant les commentaires formulés à la page 59‑1 de l’ouvrage du professeur Peter W. Hogg Constitutional Law of Canada (5e éd, vol 2 (Toronto : Carswell) (feuilles mobiles)), qu’elle a un droit absolu de demander à ce que soient tranchées les questions de la validité ou de l’applicabilité, sur le plan constitutionnel, de la loi qui est invoquée dans le renvoi :

[traduction]

Une loi peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire chaque fois qu’elle est potentiellement applicable aux faits dans une instance devant un tribunal. Si la partie qui s’oppose à l’application d’une telle loi soutient que cette loi est invalide, une question constitutionnelle, qui doit être résolue par le tribunal, est présentée. Le contrôle judiciaire d’une loi peut donc avoir lieu dans toute instance, pour les tribunaux de tous les niveaux, et même devant les tribunaux administratifs.

[22]  La Cour ne souscrit pas aux observations de Google.

[23]  L’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, selon le sens ordinaire de ses termes, n’est pas attributif de droits ou de compétence. Il ne fait qu’établir une condition préalable avant que la Cour puisse se prononcer sur la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, d’une loi fédérale :

57 (1) Les lois fédérales ou provinciales ou leurs textes d’application, dont la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, est en cause devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale ou un office fédéral, sauf s’il s’agit d’un tribunal militaire au sens de la Loi sur la défense nationale, ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins que le procureur général du Canada et ceux des provinces n’aient été avisés conformément au paragraphe (2).

57 (1) If the constitutional validity, applicability or operability of an Act of Parliament or of the legislature of a province, or of regulations made under such an Act, is in question before the Federal Court of Appeal or the Federal Court or a federal board, commission or other tribunal, other than a service tribunal within the meaning of the National Defence Act, the Act or regulation shall not be judged to be invalid, inapplicable or inoperable unless notice has been served on the Attorney General of Canada and the attorney general of each province in accordance with subsection (2).

[24]  Le dépôt d’un avis de question constitutionnelle n’est pas une panacée ou un substitut à un acte de procédure, il ne peut pas servir d’instrument permettant de soulever une question qui n’est pas autrement plaidée ou soulevée de façon appropriée dans une instance, et il ne peut pas être utilisé pour faire indirectement ce que l’on ne peut pas faire directement. Par exemple, il a été jugé que la signification d’un avis de question constitutionnelle dans un appel ne donne pas à une partie le droit de faire trancher ses arguments constitutionnels lorsque les questions n’ont pas été dûment soulevées devant la Cour ou devant le tribunal administratif inférieur (Samodi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 268, Gitxsan Treaty Society c Hospital Employees’ Union (1999), 238 NR 73 (CAF)). L’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales n’offre pas à Google le moyen qu’elle cherche par lequel ces questions pourraient légitimement être ajoutées au renvoi si les questions faisant l’objet du renvoi ne remettent pas elles‑mêmes en question la validité, l’applicabilité ou l’effet de la LPRPDE, sur le plan constitutionnel.

[25]  Le fait que Google s’appuie sur un extrait de l’ouvrage très respecté du professeur Hogg pour postuler l’existence d’un droit absolu des plaideurs d’exiger et d’obtenir le règlement de questions constitutionnelles à n’importe quel moment et à n’importe quelle étape d’un processus judiciaire ou administratif, et sans égard aux contraintes procédurales, est tout aussi mal fondé. Une telle proposition ne peut être conciliée avec la reconnaissance jurisprudentielle du principe selon lequel des motifs d’ordre procédural peuvent effectivement empêcher que soient tranchées les questions de la validité ou de l’effet d’une loi, sur le plan constitutionnel, comme, par exemple, en cas d’absence d’un avis de question constitutionnelle (Guindon c Canada, 2015 CSC 41), de défaut de signifier pareil avis dans l’instance sous‑jacente (Somadi et Gitxsan, précités) ou d’insuffisance du dossier de preuve (MacKay c Manitoba, [1989] 2 RCS 357).

[26]  Comme nous l’expliquons plus en détail ci‑dessous, la nature du processus de renvoi et les contraintes procédurales qui y sont inhérentes sont telles qu’elles empêchent effectivement une partie, ou même la Cour, d’imposer l’introduction dans un renvoi de questions relatives à la validité, l’applicabilité ou l’effet d’une loi, sur le plan constitutionnel.

[27]   La procédure énoncée aux articles 320 à 323 des Règles concernant la conduite des renvois ne reconnaît aucun rôle ni ne confère aucun droit à la Cour ni aux parties, à l’exception du tribunal administratif auteur du renvoi, en ce qui concerne la formulation ou l’approbation des questions faisant l’objet du renvoi. L’alinéa 321c) des Règles prévoit que les questions faisant l’objet du renvoi doivent être énoncées dans l’avis de demande de renvoi :

(321) L’avis de demande concernant un renvoi contient les renseignements suivants :

a) le nom de la cour à laquelle la demande est adressée;

b) le nom du demandeur;

c) la question qui est l’objet du renvoi.

(321) A notice of application in respect of a reference shall set out

(a) the name of the court to which the application is addressed;

(b) the name of the applicant; and

(c) the question being referred.

[28]  L’article 322 des Règles exige que le tribunal administratif auteur du renvoi présente une requête visant à obtenir des directives, mais la liste des questions sur lesquelles la Cour peut donner des directives ne comprend pas la formulation, la résolution, ni l’approbation des questions faisant l’objet du renvoi :

(322) Le procureur général du Canada ou l’office fédéral qui fait un renvoi demande à la Cour, par voie de requête ex parte, des directives sur :

a) l’identité des personnes qui doivent recevoir signification de l’avis de demande;

b) la composition du dossier sur lequel le renvoi sera jugé;

c) la préparation, le dépôt et la signification de copies du dossier;

d) la préparation, le dépôt et la signification des mémoires exposant les faits et le droit;

e) la procédure à suivre lors de l’audition du renvoi;

f) les date, heure et lieu de l’audition;

g) le rôle de l’office fédéral dans l’instance, s’il y a lieu.

 

322) Where the Attorney General of Canada or a tribunal makes a reference, the Attorney General or tribunal shall bring an ex parte motion for directions as to

(a) which persons shall be given notice of the reference;

(b) the material that will constitute the case to be determined on the reference;

(c) the preparation, filing and service of copies of the material;

(d) the preparation, filing and service of memoranda of fact and law;

(e) the procedure for the hearing of the reference;

(f) the time and place for the hearing of the reference; and

(g) the role, if any, of the tribunal in question.

[29]  Il n’existe aucun mécanisme au moyen duquel la Cour ou une partie à un renvoi pourrait intervenir pour approuver ou reformuler les questions faisant l’objet du renvoi ou pour en élargir la portée. De fait, puisque l’article 321 des Règles exige que les questions faisant l’objet du renvoi soient énoncées dans l’avis de demande, toute modification de ces questions exigerait le dépôt d’un avis de demande modifié. Comme je l’expliquerai plus en détail plus loin dans les présents motifs, la jurisprudence a reconnu le pouvoir de la Cour de radier un avis de demande de renvoi sur présentation d’une requête préliminaire, par exemple, lorsqu’elle juge que la question est inappropriée ou qu’elle n’est pas susceptible de recevoir une réponse. Comme ce fut le cas dans le Renvoi relatif au Règlement sur les MB (AC), une ordonnance radiant l’avis de demande peut prévoir l’autorisation de modifier l’avis de demande, ce qui permettrait la modification des questions faisant l’objet du renvoi et pourrait être considéré comme un moyen par lequel une partie pourrait modifier une question faisant l’objet du renvoi. Toutefois, même lorsque la Cour radie un renvoi avec autorisation de le modifier, le tribunal administratif conserve le pouvoir discrétionnaire ultime de choisir de ne pas modifier le renvoi et de permettre qu’il demeure radié. Autrement dit, sur le plan de la procédure, une partie à un renvoi a le droit, sur présentation d’une requête préliminaire, de contester la pertinence de la question faisant l’objet du renvoi, ce qui est précisément ce que prévoit l’ordonnance de renvoi. Toutefois, le seul remède que la Cour peut accorder si la contestation est bien fondée est de radier le renvoi, avec ou sans autorisation de le modifier.

[30]  L’autre contrainte procédurale qui empêche l’introduction forcée d’une contestation constitutionnelle dans un renvoi existant concerne la constitution d’un dossier de preuve. Comme Google elle‑même le reconnaît, l’existence d’un dossier de preuve suffisant est essentielle à la résolution des questions constitutionnelles qu’elle souhaite soulever.

[31]  L’article 322 des Règles confère bel et bien à la Cour un droit de regard sur les documents qui constitueront l’affaire à trancher. Toutefois, comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Loi sur l’immigration (Re) (1991), 137 NR 64, [1977] ACF no 1155 et Public Service Staff Relations Board (Re), [1973] CF 604, c’est le tribunal administratif qui a l’obligation de rassembler les faits et les documents, de faire les constatations ou de produire les aveux de fait sur le fondement desquels les questions doivent être tranchées. De plus, comme la Cour l’a statué au paragraphe 34 de la décision Renvoi relatif au Règlement sur les MB (AC), la nature de la procédure de renvoi exige qu’il y ait une certaine assurance que les faits sous‑jacents au renvoi ont été mis à l’épreuve et vérifiés. Cela exige que le tribunal administratif auteur du renvoi ait fait les constatations de fait requises (voir aussi Renvoi relatif au Comité externe d’examen des griefs militaires portant sur des questions de droit, 2018 CF 566, aux paragraphes 24 à 33). L’ordonnance de renvoi, selon ses termes, permet aux parties de demander l’autorisation de compléter le dossier relatif au renvoi, mais seulement par l’ajout [traduction« d’autres faits relatifs à la demande », ce qui empêcherait l’introduction de véritables faits en litige.

[32]  Il n’y a pas de preuve ni de consensus selon lequel le commissaire à la protection de la vie privée a fait les constatations de fait nécessaires à la résolution des questions constitutionnelles soulevées par Google. Comme je l’ai mentionné précédemment, la demande de Google de modifier l’ordonnance de renvoi de manière à permettre le dépôt d’éléments de preuve relative à des faits en litige constitue une reconnaissance de l’insuffisance probable du dossier constitué par le commissaire à la protection de la vie privée pour fonder une décision statuant sur les questions constitutionnelles. Puisque les questions constitutionnelles ne peuvent pas être valablement ajoutées au renvoi en l’absence d’un dossier factuel suffisant, et puisque les parties ne peuvent pas être autorisées à pallier l’absence d’un dossier factuel constitué par le commissaire à la protection de la vie privée en présentant leurs propres faits, il s’ensuit que la procédure n’offre aucun moyen à la Cour de répondre au désir de Google d’ajouter les questions constitutionnelles. Cela étaye la conclusion que le principe général, selon lequel les parties à un renvoi ne peuvent pas en modifier la portée, s’applique tout autant aux questions constitutionnelles.

[33]  La Cour conclut donc que la portée des questions formulées par le commissaire à la protection de la vie privée ne peut pas être élargie par la signification d’un avis de question constitutionnelle ni par l’intervention préliminaire de la Cour.

[34]  Cela dit, il ne faut pas considérer que la décision de la Cour est une décision exécutoire selon laquelle les questions telles qu’elles sont formulées sont appropriées ou ces questions peuvent être tranchées sans égard aux questions constitutionnelles soulevées par Google. La Cour souscrit aux observations du procureur général du Canada, à savoir qu’il demeure loisible à Google de soutenir, dans le cadre du débat sur le fond du renvoi, que la Cour ne peut pas ou ne doit pas répondre aux questions faisant l’objet du renvoi tel qu’elles sont formulées sans répondre également aux questions constitutionnelles énoncées dans l’avis de question constitutionnelle. Si la Cour devait convenir qu’une réponse aux questions faisant l’objet du renvoi exige le règlement des questions constitutionnelles, elle pourrait refuser de répondre aux questions faisant l’objet du renvoi. Dans la mesure où il est possible de répondre, en droit, aux questions constitutionnelles, ou si la Cour estime que le dossier dont elle dispose est suffisant pour fournir une réponse, il se pourrait que la Cour réponde à la fois aux questions constitutionnelles et aux questions faisant l’objet du renvoi.

[35]  Ce que Google ne peut pas faire, c’est obtenir la décision préliminaire selon laquelle les questions faisant l’objet du renvoi exigent nécessairement la résolution des questions constitutionnelles, élargir le renvoi pour inclure les questions constitutionnelles si elles ne sont pas incluses, ou s’ingérer dans la constitution du dossier factuel afin de faire en sorte que les faits en litige sont suffisants pour régler ces questions.

[36]  Puisqu’elle a tiré cette conclusion, la Cour n’a pas à se demander si les questions constitutionnelles devraient être ajoutées au renvoi ou devraient être réputées y avoir été ajoutées, et elle examinera tout de suite la question de savoir si le renvoi devrait être radié.

B.  Le renvoi devrait‑il être radié?

[37]  La requête de Google demande, subsidiairement, dans l’éventualité où la Cour conclurait que les questions constitutionnelles sont exclues du renvoi, la délivrance d’une ordonnance annulant ou radiant le renvoi. Comme je l’ai déjà mentionné, la Cour s’abstient de statuer, en droit, que les questions constitutionnelles sont exclues du renvoi. Cette question relève du juge qui statue sur le fond. Toutefois, puisque le commissaire à la protection de la vie privée entendait assurément que ces questions ne fassent pas partie du renvoi, il sera présumé, aux fins de l’analyse qui suit, qu’elles ne sont pas incluses.

[38]  Il est admis que la Cour a le pouvoir de radier un renvoi sur présentation d’une requête préliminaire lorsqu’il est évident et manifeste que le renvoi en question est irrégulier ou « sans fondement », en ce sens qu’il ne satisfait pas aux conditions de recevabilité d’un renvoi prévues au paragraphe 18.3(1) (Canada (Commissaire aux langues officielles) (Re) (1997), 144 FTR 161, Commissaire à l’information du Canada c Canada (Procureur général), 2014 CF 133, et Alberta (Procureur général) c Westcoast Energy Inc., [1997] ACF no 77, 2018 NR 154 (CAF)). Suivant ces décisions, un renvoi peut être contesté à titre préliminaire notamment pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

si la question en est une dont la résolution n’est pas susceptible de mettre fin au différend;

si la question ne se pose pas dans le cadre d’une affaire dont le tribunal administratif est saisi;

si les faits sur le fondement desquels la question doit être tranchée n’ont pas été prouvés ou n’ont pas été admis devant le tribunal administratif.

[39]  Le juge D. Rennie, s’exprimant en tant que président du Tribunal de la concurrence au sujet d’une requête en radiation d’un renvoi fait en vertu du paragraphe 124.2(2) de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C‑34 (qui est semblable au paragraphe 18.3(1)), s’est également dit d’avis que le Tribunal de la concurrence pourrait radier ou suspendre un renvoi qui, selon ses termes, présume de la réponse, est déposé pour des raisons tactiques ou stratégiques, ou constitue par ailleurs un abus du pouvoir accordé. Toutefois, ces commentaires peuvent être considérés comme des remarques incidentes puisque le juge Rennie n’a pas conclu que de tels facteurs avaient été établis dans le dossier dont il disposait (Kobo Inc c The Commissioner of Competition, 2014 CACT 8). Aux fins de la présente analyse, la Cour tiendra pour acquis que les facteurs pris en considération dans Kobo Inc. s’appliquent également à une requête en radiation d’un renvoi déposé en vertu de l’article 18.3. Toutefois, puisque la Cour conclut également que ces facteurs ne sont pas établis dans le dossier qui lui a été présenté, elle n’a pas à déterminer si les motifs énoncés dans Kobo Inc. s’appliquent à un renvoi devant la Cour.

[40]  Les motifs soulevés par Google dans la présente requête n’entrent pas facilement dans les catégories susmentionnées. Google a formulé les motifs qu’elle invoque comme suit : premièrement, il est juridiquement intenable de trancher le renvoi sans traiter des questions constitutionnelles inextricablement liées parce que cela ne mettrait pas fin au différend de fond quant à savoir si l’utilisation de la LPRPDE avec pour effet de censurer les moteurs de recherche sur Internet est constitutionnelle, et il s’ensuivrait une fragmentation du litige; deuxièmement, le renvoi proposé constitue un abus de procédure, et il tronque et mine indûment et injustement les droits procéduraux et substantiels de Google.

[41]  Les arguments précis présentés à l’appui de chacun de ces deux motifs généraux tendent à se chevaucher et à s’entrelacer. Puisque la Cour estime qu’aucun des arguments sous‑jacents présentés par Google n’est valable, il est sans doute plus facile d’aborder chaque argument individuellement plutôt que de les examiner dans le contexte des deux motifs plus généraux au soutien desquels ils sont soulevés.

[42]   Google soutient que le commissaire à la protection de la vie privée a déjà décidé que le fonctionnement du moteur de recherche de Google est assujetti à la LPRPDE en vertu de l’alinéa 4(1)a) et qu’il ne répond pas aux critères de l’exemption prévue à l’alinéa 4(2)c), de sorte que le renvoi est une tentative d’avaliser une décision déjà prise et qu’en l’absence des questions constitutionnelles qui sont véritablement en litige, il s’agit d’un exercice théorique.

[43]  Cette observation est sans fondement. S’il est vrai que le commissaire à la protection de la vie privée s’est fait une opinion préliminaire sur les questions faisant l’objet du renvoi, le fait qu’il les ait renvoyées à la Cour constitue une reconnaissance expresse qu’il est possible de présenter des arguments raisonnablement défendables au soutien d’une conclusion différente. Puisqu’elle a elle‑même soulevé les questions de compétence, Google peut difficilement contester qu’il est raisonnablement possible que la Cour donne à l’une ou l’autre des questions une réponse favorable à Google. Si cela devait se produire, le commissaire à la protection de la vie privée n’aurait d’autre choix que d’accepter la décision de la Cour et de mettre fin à son enquête sur la plainte. Il ne fait donc aucun doute que les questions faisant l’objet du renvoi ne sont pas théoriques et qu’une solution possible à ces questions pourrait mettre fin à l’affaire dont le commissaire à la protection de la vie privée est saisi. La Cour a également reconnu, dans la décision Commissaire à l’information du Canada c Canada (Procureur général), précitée, la pertinence d’un renvoi fait par un organisme d’enquête dans le but de vérifier l’exactitude de la conclusion à laquelle il en était arrivé, avant de passer à la dernière étape qui consistait à publier son rapport.

[44]  Google soutient également que le fait d’exclure les questions constitutionnelles des questions faisant l’objet du renvoi limite d’une certaine façon les droits que Google aurait autrement dans le cadre d’une audience de novo tenue en vertu de l’article 14 de la LPRPDE dans le cours normal des affaires.

[45]  La Cour ne parvient toutefois pas à voir en quoi la présentation d’un renvoi a une incidence sur l’un quelconque des droits que Google pourrait avoir ou pourrait avoir eus autrement. Peu importe l’insistance de Google à affirmer que les questions constitutionnelles sont [traduction« enracinées » dans les questions faisant l’objet du renvoi ou sont [traduction« inextricablement liées » à celles‑ci, il n’est pas du tout évident que la résolution des questions telles qu’elles sont formulées présuppose ou détermine la validité constitutionnelle de l’application éventuelle ou hypothétique de la LPRPDE à des moteurs de recherche sur Internet.

[46]  Si le renvoi mène à la conclusion que la LPRPDE ne s’applique pas au fonctionnement du moteur de recherche comme le plaignant l’entendait dans sa plainte, la question de sa validité ou de son applicabilité, sur le plan constitutionnel, ne se pose tout simplement pas. En effet, même si les questions constitutionnelles devaient être réputées incluses dans le renvoi, la question de savoir si la LPRPDE s’applique au moteur de recherche de Google selon son sens ordinaire précéderait probablement toute décision portant sur la constitutionnalité, conformément au processus analytique adopté dans la décision State Farm Mutual Automobile Insurance Co. c Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, 2010 CF 736. Comme cela s’est produit dans l’affaire State Farm, une réponse défavorable pourrait même empêcher la résolution de la question constitutionnelle, puisqu’il est bien établi que la Cour n’est pas tenue de répondre à une question constitutionnelle lorsqu’il n’est pas nécessaire qu’elle le fasse afin de pouvoir trancher l’affaire dont elle est saisie.

[47]   Toutefois, si la Cour conclut que la LPRPDE, telle qu’elle est rédigée, s’applique au fonctionnement contesté du moteur de recherche de Google, le commissaire à la protection de la vie privée fera alors enquête sur la plainte. Dans le contexte de cette enquête, Google aurait exactement le même droit que si le renvoi n’avait pas été présenté. En particulier, toute décision du commissaire à la protection de la vie privée de mettre fin à l’enquête, ou toute conclusion qu’il pourrait tirer ou toute recommandation qu’il pourrait faire, sera susceptible d’être assujettie au même processus d’examen de novo que celui auquel elle aurait été assujettie autrement, ce qui comprendra le droit pour Google de soulever les questions constitutionnelles et de constituer le dossier de preuve nécessaire.

[48]  Enfin, et comme je l’ai déjà mentionné, Google conserve le droit de faire valoir, lors de l’audience sur le fond du renvoi, que la Cour ne devrait pas répondre aux questions faisant l’objet du renvoi sans examiner les questions constitutionnelles. Si la Cour accepte cet argument, il se peut qu’elle refuse de répondre aux questions, auquel cas Google se retrouvera dans la même situation et avec les mêmes droits que si le renvoi n’avait pas été présenté.

[49]  L’argument final de Google est que [traduction« séparer » la question constitutionnelle du renvoi entraînera une fragmentation du litige et retardera considérablement le règlement final des importantes questions de liberté d’expression qui sont en jeu. Outre le fait qu’elle repose sur l’hypothèse erronée selon laquelle la réponse au renvoi ne peut pas mettre fin au différend et sur des conjectures quant au résultat d’une enquête éventuelle, l’argument de Google méconnaît la nature et l’objet mêmes d’un renvoi. Le processus de renvoi prévoit expressément qu’un tribunal administratif peut choisir de renvoyer seulement certaines questions à la Cour, et il admet donc la séparation effective des questions et la possibilité qu’un litige soit divisé en un certain nombre de [traduction« fragments ». La Cour ne peut pas radier un renvoi comme étant intrinsèquement abusif ou inapproprié du simple fait qu’une partie n’est pas d’accord avec le choix qu’un tribunal administratif a fait quant à savoir lesquelles parmi plusieurs questions il aurait pu renvoyer. Comme l’indique l’arrêt Société canadienne des postes (Re) (1989), ACF 239 (CAF), au paragraphe 9, la Cour n’interviendra pas à la légère dans le choix d’un tribunal administratif quant à ce qu’il considère nécessaire pour sa décision.

[50]  Par conséquent, la Cour n’est pas convaincue que le renvoi est inapproprié, irrégulier ou abusif, que les questions faisant l’objet du renvoi ne peuvent pas recevoir de réponse ou ne sont pas susceptibles de mettre un terme à l’instance, ou que le renvoi a été fait en l’absence de constatations ou d’aveux appropriés présentés au commissaire à la protection de la vie privée quant aux faits sur le fondement desquels les questions doivent être réglées. Le dossier dont dispose la Cour ne comporte rien sur quoi la Cour puisse se fonder pour conclure que le renvoi devrait être radié.

[51]   Les observations de Google comprennent une analyse des conditions auxquelles l’ordonnance de renvoi ex parte peut ou doit être modifiée ou annulée. Puisque la Cour a conclu que les questions constitutionnelles ne peuvent pas être ajoutées au renvoi, il n’y a aucune raison de modifier la partie de l’ordonnance de renvoi qui limite le genre de preuve que les parties peuvent demander l’autorisation de présenter, et il n’est donc pas nécessaire de déterminer s’il a été satisfait au critère applicable à la modification d’une ordonnance ex parte. Il se peut également que Google ait jugé nécessaire d’obtenir, en plus d’une ordonnance annulant le renvoi, une ordonnance annulant l’ordonnance de renvoi, parce que cela faisait partie de la décision de la Cour dans l’affaire Renvoi relatif au Règlement sur les MB (AC). Il est peut‑être utile de réitérer qu’une ordonnance rendue en vertu de l’article 322 des Règles ne devrait jouer aucun rôle dans la formulation ou l’approbation des questions faisant l’objet du renvoi et qu’une requête en radiation d’un renvoi ne devrait pas exiger la modification ou l’annulation d’une telle ordonnance. L’affaire Renvoi relatif au Règlement sur les MB (AC) était unique en ce sens que la Cour y a conclu que l’essentiel du renvoi avait, de fait, été établi au moyen de l’ordonnance ex parte. Ce n’est manifestement pas le cas en l’espèce, et la requête de Google, dans la mesure où elle visait à faire radier le renvoi en raison de l’impropriété des questions faisant l’objet du renvoi, n’exigeait pas la modification ou l’annulation de l’ordonnance de renvoi.


ORDONNANCE

LA COUR statue que :

1.  La requête de Google LLC est rejetée.

« Mireille Tabib »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de juin 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1779‑18

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

DANS L’AFFAIRE CONCERNANT un renvoi, en vertu du paragraphe 18.3(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, de questions de droit et de compétence concernant la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC 2000, c 5, qui ont été soulevées dans le cadre d’une enquête sur une plainte devant le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 mars 2019

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE DE L’ORDONNANCE

ETDES MOTIFS :

Le 16 avril 2019

 

COMPARUTIONS :

Peter Engelmann

Colleen Bauman

 

Pour le demandeur

LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

 

James D. Bunting

David Fraser

 

POUR GOOGLE LLC

 

Fraser Harland

Kirk Shannon

POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Mark Phillips

Pour lA plaignantE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOLDBLATT PARTNERS

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

DAVIES WARD PHILLIPS & VINEBERG S.E.N.C.R.L., S.R.L. Avocats

Toronto (Ontario)

 

 

POUR GOOGLE llc

 

MCINNES COOPER

Avocats

Halifax (N.‑É.)

 

POUR GOOGLE LLC

SOUS‑PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

PALIARE ROLAND ROSENBERG ROTHSTEIN. S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour lE plaignant

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.